Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Dossier : retour sur l’Affaire Millet

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

5 mars 2014

Temps de lecture : 26 minutes
Accueil | Dossiers | Dossier : retour sur l’Affaire Millet

Dossier : retour sur l’Affaire Millet

Temps de lecture : 26 minutes

Comment le système médiatico-culturel a mis à mort un dissident

Alors que Richard Mil­let pub­lie chez Pierre-Guil­laume de Roux une réponse à l’affaire qui a con­duit à son ban­nisse­ment du comité de lec­ture de Gal­li­mard, en sep­tem­bre 2012, sous la forme d’une Let­tre aux Norvégiens sur la lit­téra­ture et les vic­times, l’occasion s’offre pour l’OJIM de revenir sur cet épisode exem­plaire de l’effroyable coerci­tion qu’exerce aujourd’hui le sys­tème médi­a­tique et ses suc­cur­sales du pou­voir cul­turel, pour venir à bout de la lib­erté de penser, voire de la lit­téra­ture lorsque celle-ci assume sa fonc­tion au-delà du diver­tisse­ment de masse et de la pro­pa­gande. En out­re, Muriel de Rengervé a fait égale­ment paraître, il y a quelques mois, aux Édi­tions Jacob-Duver­net : L’Affaire Richard Mil­let, un essai réca­pit­u­lant et analysant les ten­ants et aboutis­sants de ce lyn­chage médi­a­tique. Preuve que des esprits libres se dressent de plus en plus nom­breux pour démon­ter le fonc­tion­nement d’un sys­tème dont les pré­ten­tions total­i­taires et la mécanique de fal­si­fi­ca­tion se révè­lent chaque mois davan­tage trans­par­entes. Ce qu’on a appelé l’« affaire Mil­let » eut lieu autour de la ren­trée lit­téraire 2012, et au sujet d’un appen­dice de 17 pages inti­t­ulé Éloge lit­téraire d’Anders Breivik, faisant suite à l’essai Langue fan­tôme (Pierre-Guil­laume de Roux), que pub­li­ait l’un des plus grands écrivains français vivants et édi­teur recon­nu auquel Gal­li­mard devait ses deux derniers Goncourt (Les Bien­veil­lantes de Jonathan Lit­tell et L’Art français de la guerre d’Alexis Jen­ni). Ain­si, un pili­er de la per­pé­tu­a­tion d’une cer­taine grandeur lit­téraire dans un pays qui en tira longtemps sa plus grande gloire, fut sociale­ment abat­tu en moins d’un mois (l’affaire s’initie le 16 août et Mil­let démis­sionne le 13 sep­tem­bre), par la seule vin­dicte d’une petite meute sans autre légitim­ité que sa posi­tion stratégique dans le réseau de dés­in­for­ma­tion national.

Soudain dans la lumière

Éloge littéraire d’Anders Breivik

Langue fan­tôme suivi de Éloge lit­téraire d’Anders Breivik

Le grand pub­lic apprit l’existence de Richard Mil­let à l’occasion de ce gigan­tesque ram­dam médi­a­tique, et sa mise en lumière soudaine per­mit à ses pro­cureurs d’entretenir à son encon­tre une calom­nie sup­plé­men­taire : celle d’avoir volon­taire­ment cher­ché le scan­dale pour exis­ter et rafler, à l’instar de la plus banale tête creuse de téléréal­ité, son pro­pre quart d’heure de célébrité warholien. Cette idée fut entretenue par de nom­breux chroniqueurs radio ou de plateau-télé pour deux raisons évi­dentes : 1/ Ceux-ci ne peu­vent imag­in­er que l’on con­voite autre chose que la petite glo­ri­ole qu’ils se sont faite eux-mêmes, con­fon­dant leurs ambi­tions médiocres avec celles des autres. 2/ Totale­ment dépourvus de la moin­dre cul­ture véri­ta­ble, ils étaient eux-mêmes con­va­in­cus de l’inexistence de l’écrivain Richard Mil­let. Plusieurs réal­ités s’opposent pour­tant rad­i­cale­ment à ce type d’allégations. Tout d’abord, Richard Mil­let, auteur d’une quar­an­taine de livres, récom­pen­sé par le prix de l’Académie française pour son essai Le Sen­ti­ment de la langue, ayant pro­duit une œuvre qui a don­né lieu à plusieurs thès­es uni­ver­si­taires, invité régulière­ment de par le monde pour par­ler de son tra­vail lit­téraire et édi­teur de la plus pres­tigieuse mai­son d’édition française réputé « faiseur de Goncourt », con­nu, si ce n’est lu, par n’importe quel « let­tré » français con­tem­po­rain, n’avait, avant l’affaire qui nous occupe, stricte­ment aucune rai­son de se sen­tir en mal de recon­nais­sance, et peu d’éléments dans son tem­péra­ment et ses goûts large­ment exposés dans ses nom­breux ouvrages, lais­sent songer qu’il eût pu rêver en secret de badin­er sur un plateau de Thier­ry Ardis­son. Non, décidé­ment, nul davan­tage que l’auteur de Ma vie par­mi les ombres ne pou­vait se fich­er d’une telle lumière. Auquel cas, d’ailleurs, il aurait sans doute rac­cour­ci ses longues phras­es prousti­ennes et opté pour des sujets plus glam­ours que sa Cor­rèze natale, la mort du monde paysan, la nos­tal­gie du Chris­tian­isme ou l’obsession de la syntaxe…

Un écrivain dans le viseur

En réal­ité, c’est pré­cisé­ment l’inverse qu’il faut admet­tre, c’est-à-dire que ce sont les enne­mis de Richard Mil­let qui guet­taient l’occasion d’en faire un objet de scan­dale pour l’abattre. Et nous ver­rons d’ailleurs en étu­di­ant cette affaire, qu’elle repose sur un ren­verse­ment absol­u­ment symétrique et sys­té­ma­tique de la vérité. En effet, la plu­part des jour­nal­istes qui ont lancé l’« affaire », avaient déjà attaqué Richard Mil­let par le passé en rai­son de ses posi­tions à rebours de la doxa offi­cielle bien-pen­sante. Au lieu d’applaudir à l’avènement d’une société mul­ti­cul­turelle (qui tous les jours appa­raît pour­tant davan­tage comme une sim­ple dis­lo­ca­tion de la société et de la cul­ture), Mil­let s’inquiétait du déclin de la France et de l’Europe et de la déperdi­tion de leur héritage civil­i­sa­tion­nel. Au lieu de se réjouir devant la pro­duc­tion lit­téraire pléthorique et for­matée qui inonde chaque année la sphère marchande et cul­turelle, l’écrivain dénonçait sa médi­ocrité et rompait le pacte implicite d’inter-promotion qui régit le milieu cul­turel parisien. Au lieu de s’enthousiasmer pour la vigueur des jeunes généra­tions comme le com­man­dent les réflex­es cacochymes des attardés de 68, l’ancien pro­fesseur de français rel­e­vait la dan­gereuse décul­tur­a­tion con­séc­u­tive à la fail­lite de l’Éducation nationale. À la fois navrant trou­ble-fête et insup­port­able Cas­san­dre, ses derniers essais (Désen­chante­ment de la lit­téra­ture, L’Opprobre) lui avaient valu les attaques vio­lentes et répétées des Inrock­upt­ibles, de Libéra­tion ou de Mar­i­anne. Pourquoi sont-ce ses enne­mis, pré­cisé­ment, qui voulurent plac­er ain­si Richard Mil­let au cen­tre des fais­ceaux médi­a­tiques ? Parce que la posi­tion de grande autorité qui était celle de l’écrivain dans le seul milieu lit­téraire le préser­vait, dans une cer­taine mesure, des réac­tions out­rées qu’il pou­vait sus­citer, et qu’il fal­lait par con­séquent porter l’affaire devant une cour plus vaste, plus inculte et plus impi­toy­able, pour par­venir à l’atteindre, devant une cour où son génie et son œuvre ne lui seraient d’aucun sec­ours : celle des médias de masse.

Tué pour un titre

La défense de Richard Mil­let n’a pas var­ié depuis le texte qu’il a pub­lié dans L’Express le 12 sep­tem­bre 2012 (soit la veille de sa démis­sion for­cée du comité de lec­ture de Gal­li­mard), inti­t­ulé « Pourquoi me tuez vous ? », jusqu’à sa Let­tre aux Norvégiens qu’on décou­vre aujourd’hui : l’écrivain assure, à rai­son, qu’il n’a sim­ple­ment pas été lu. Cette vérité scan­daleuse­ment sim­ple mène d’ailleurs Muriel de Rengervé à con­sacr­er le pre­mier chapitre de son livre à une analyse assor­tie de nom­breux extraits de ces 17 pages qui débu­tent pré­cisé­ment par une con­damna­tion des actes du tueur norvégien, ne con­ti­en­nent pas le moin­dre appel à la vio­lence, pas la plus petite trace de racisme et aucune véri­ta­ble jus­ti­fi­ca­tion de l’odieux. Par con­séquent, l’écrivain a dû se défendre de pro­pos qu’il n’avait pas tenus, se dédouan­er de soupçons improu­vables, répon­dre d’un trav­es­tisse­ment man­i­feste de sa pen­sée, sit­u­a­tion d’autant plus ubuesque que ceux qui l’attaquaient, jour­nal­istes lit­téraires pro­fes­sion­nels ou écrivains mil­i­tants, étaient cen­sés avoir pour méti­er celui de savoir lire. Preuve sup­plé­men­taire de cet état des choses, lors des deux lec­tures que Richard Mil­let a pu don­ner de ce texte avant sa pub­li­ca­tion (le 5 jan­vi­er, au Cer­cle Cosaque, un cer­cle lit­téraire parisien, et le 19 mars, à l’université de Bâle), face à des publics ayant eu, par con­séquent, accès à l’intégralité du texte, celui-ci ne provo­qua pas le moin­dre scan­dale : « Dans les deux cas, si quelques dents ont pu grin­cer, il n’y a pas eu de cris d’orfraie ; nul n’a quit­té les lieux en cri­ant au fas­cisme, cha­cun ayant com­pris l’ironie provo­ca­trice du titre, et la dis­cus­sion, en Suisse, ayant été par­ti­c­ulière­ment ouverte. » (Let­tre aux Norvégiens). Ce n’est donc pas le texte qui a été attaqué, mais son titre et, plus exacte­ment, ce qu’on pou­vait con­clure de son titre à con­di­tion qu’on ne sache pas décrypter ces cinq mots, ou qu’on en élide un, à savoir « lit­téraire », lequel inter­di­s­ait la lit­téral­ité, impli­quait claire­ment la dimen­sion ironique de l’éloge et préve­nait suff­isam­ment du con­tre­sens de vouloir com­pren­dre ces 17 pages comme affichant l’ambition de faire l’éloge man­i­feste d’un tueur de masse.

Analyse de texte

Comment le système médiatico-culturel a mis à mort un dissident

Com­ment le sys­tème médi­ati­co-cul­turel a mis à mort un dissident

La réal­ité triv­iale­ment con­crète des faits est donc que Richard Mil­let, immense et pro­lifique écrivain, aurait été ostracisé en rai­son de l’ironie mal perçue d’un titre – trois siè­cles après Voltaire. Il s’agit donc soit de mau­vaise foi, soit d’une immense régres­sion du champ lit­téraire, la pre­mière entraî­nant quoi qu’il en soit la sec­onde. Le texte de Mil­let est assez clair pour quiconque se donne la peine de le lire, il y exprime une pro­fonde angoisse quant au devenir de notre civil­i­sa­tion en plein déclin et mise à mal par deux fac­teurs con­comi­tants : l’immigration de masse et l’idéologie mul­ti­cul­tur­al­iste d’un côté, la décul­tur­a­tion des Européens « de souche » d’autre part, dont Breivik est lui-même un symp­tôme, Breivik qui s’est présen­té comme « écrivain » lors de son procès et n’a su attein­dre la per­fec­tion formelle que dans l’ordre du mas­sacre (on est donc en réal­ité à rebours de l’éloge). Ce dis­cours est for­mulé avec le recours de nom­breux effets de style typ­iques d’un dis­cours lit­téraire : par­mi lesquels on trou­ve une ironie cru­elle et amère, et une appar­ente provo­ca­tion quant à la qual­ité formelle de la tuerie de Breivik, inspirée du célèbre livre de Thomas de Quincey (De l’assassinat con­sid­éré comme un des Beaux-Arts), qui ouvre en fait sur une ques­tion pro­fonde au sujet des liens exis­tant entre la Lit­téra­ture et le Mal. Fon­da­men­tale­ment, la teneur polémique du dis­cours tient donc à la cri­tique, non d’une race ou d’une reli­gion, mais de deux dogmes essen­tiels de la gauche mod­erne : mul­ti­cul­tur­al­isme et pro­gres­sisme béat (dogmes que tend à récuser, par ailleurs, une cer­taine gauche répub­li­caine dans la ligne de Chevène­ment). Et cette réflex­ion même s’inscrit dans le cadre d’une médi­ta­tion sur l’appauvrissement de la langue dévelop­pée dans Langue fan­tôme, texte prin­ci­pal de l’opuscule incrim­iné (encore moins lu, on l’imagine, que le reste). Le seul reproche tan­gi­ble qu’on puisse donc adress­er à Richard Mil­let est celui de ne pas com­mu­nier aux deux dogmes préc­ités. Son crime est un crime de diver­gence poli­tique au sein même du cadre démoc­ra­tique le plus clas­sique. Ou de blas­phème, si l’on accepte en effet les logiques de « pen­sée » de ce que Mil­let nomme à juste titre « le par­ti dévot ».

Orchestration d’une mise à mort

Coupable, en somme, d’être un adver­saire de la gauche médi­a­tique – et unique­ment de cela -, celle-ci, plutôt que de lui oppos­er des argu­ments, va sim­ple­ment et bru­tale­ment organ­is­er la mise à mort sociale de l’écrivain. Cette mise à mort, Muriel de Rengervé la découpe en cinq actes, le pre­mier étant cette attaque des jour­nal­istes lit­téraires, une attaque qui n’a pas grand chose à voir avec la lit­téra­ture mais tient donc à cette volon­té d’extraire du débat un adver­saire poli­tique pour le situer dans le champ du scan­dale. Jérôme Garcin, dans Le Nou­v­el Obser­va­teur du 16 août 2012 et avant même la sor­tie du livre de Richard Mil­let, ini­tie la lap­i­da­tion par un arti­cle titré : « Breivik, prix Goncourt ? » Titre totale­ment absurde rel­a­tive­ment au con­tenu du texte, mais bien fait, lui, pour sus­citer l’hystérie. Con­clu­ant son arti­cle en sug­gérant un « sui­cide lit­téraire » de l’auteur de La Con­fes­sion néga­tive, Garcin révèle son souhait pro­fond en des mots à peine cou­verts : « Sui­cidez-moi donc cet écrivain. » Le même jour, Christophe Ono-dit-Biot, dans Le Point, charg­era égale­ment Mil­let en citant hors con­texte un ensem­ble de cita­tions tout en regret­tant que « cette homme qui avait du style (…) le gâche dans des pro­pos sui­cidaires. » Cri­ti­quer l’idéologie du mul­ti­cul­tur­al­isme revient donc, en France, à tenir des pro­pos sui­cidaires ? Voilà, au moins, qui est clair. Le 28 août, Raphaëlle Rérolle, dans Le Monde, annonce que Mil­let fait l’ « apolo­gie de Breivik » (illet­trisme ou pur délire ?) et pré­cise que l’écrivain « n’en est pas à ses débuts en matière d’anathème. » Anathème ? Le mot est donc lâché et trahit com­ment la logique inquisi­to­ri­ale se cache der­rière la cri­tique. Quant à la forme que doit pren­dre le châ­ti­ment, elle se pré­cise déjà, Rérolle sug­gérant à demi-mot à Antoine Gal­li­mard les réso­lu­tions qu’il devrait pren­dre : « Que faire aujourd’hui d’un salarié par­ti­c­ulière­ment effi­cace, faiseur de prix lit­téraires, mais dont la dérive idéologique s’aggrave de livre en livre ? » Quitte, après avoir défi­ni Mil­let comme pam­phlé­taire d’extrême droite, à déformer encore la réal­ité en présen­tant son col­lègue Jean-Marie Laclave­tine désem­paré par la sit­u­a­tion, allé­ga­tion totale­ment inex­acte que Pierre Jourde, ayant assisté à l’entretien, dénon­cera sur son blog. Enfin, deux écrivains de l’écurie Gal­li­mard qui allaient bien­tôt militer pour l’exclusion de leur col­lègue et rival, Tahar Ben Jel­loun et Annie Ernaux, sont appelés à la barre, le pre­mier affir­mant que cet Éloge « risque de pos­er un prob­lème au comité de lec­ture », quand Annie Ernaux envis­age déjà une réac­tion col­lec­tive des écrivains Gal­li­mard. Ain­si, en trois arti­cles, tous les élé­ments de la traque sont-ils posés.

Lynchage enclenché

Le conformisme et l’envie de lynchage vont ensuite exhiber les mêmes déformations et les mêmes calomnies encore grossies, sans qu’on sache si les lyncheurs suivants ont lu autre chose que les articles de leurs collègues.

Le con­formisme et l’envie de lyn­chage vont ensuite exhiber les mêmes défor­ma­tions et les mêmes calom­nies encore grossies, sans qu’on sache si les lyncheurs suiv­ants ont lu autre chose que les arti­cles de leurs collègues.

Le con­formisme et l’envie de lyn­chage vont ensuite exhiber les mêmes défor­ma­tions et les mêmes calom­nies encore grossies, sans qu’on sache si les lyncheurs suiv­ants ont lu autre chose que les arti­cles de leurs col­lègues. Le 29 août, dans Les Inrock­upt­ibles, Nel­ly Kapriélian laisse éclater sa haine : « Édi­teur chez Gal­li­mard, le xéno­phobe Richard Mil­let fait l’abjecte apolo­gie du crime d’Anders Breivik. Le milieu lit­téraire con­tin­uera-t-il longtemps à fer­mer les yeux ? » Élevé en par­tie au Liban, sa deux­ième con­trée lit­téraire, et amoureux par ailleurs de la langue arabe, on fait mieux que Richard Mil­let comme « xéno­phobe ». Quant à l’« apolo­gie » de Breivik, elle est sans doute d’autant plus abjecte qu’il ne l’a jamais faite. Traité de « fana­tique d’extrême droite », l’écrivain est com­paré à Céline en rai­son des pam­phlets anti­sémites de ce dernier, dont Kapriélian retrou­verait le style, en dépit du fait que Mil­let se situe lit­téraire­ment à l’opposé de la démarche célin­i­enne, indice sup­plé­men­taire, soit de la défi­cience cul­turelle, soit de l’aveuglement haineux de la jour­nal­iste, puisqu’une nou­velle fois, par un ren­verse­ment symétrique, plus ses calom­ni­a­teurs lui reprochent sa haine, plus ils font eux-mêmes mon­tre de la haine la plus irra­tionnelle ; plus ils attaque­nt sa pré­ten­due « para­noïa », plus ils sem­blent eux-mêmes pos­sédés par une véri­ta­ble para­noïa qui ver­rait à chaque coin de rue un « facho » prêt à faire un putsch pour rétablir des lois raciales. Enfin, Kapriélian demande à son tour, plus frontale­ment, l’éviction du déviant : « Légitimé, et c’est le plus grave, par son poste chez les pour­tant très sérieuses Édi­tions Gal­li­mard. Jusqu’à quand ? » Suiv­ent ensuite, reprenant les accu­sa­tions sans jamais en dis­cuter le bien-fondé, Le Figaro, plus mesuré : « Haro sur l’écrivain Richard Mil­let », L’Express : « Mil­let, sol­dat per­du », L’Humanité : « Du malaise à l’intolérable », Le Canard Enchaîné : « Brûlant brévi­aire pour Breivik », tan­dis que La Croix, le 28 août, expose très chré­ti­en­nement com­ment Mil­let mérite la haine qu’il sus­cite et qu’Antoine Guil­lot, le 31 août, s’interroge sur France Cul­ture : « Le pam­phlet de trop pour Richard Millet ? »

Interventions d’écrivains

Après l’attaque liguée des jour­nal­istes de gauche incar­nant l’essentiel du pou­voir médi­a­tique, des écrivains vont être impliqués dans l’affaire et inter­venir dans les médias. Tan­dis qu’Antoine Gal­li­mard est tou­jours « injoignable » et en vacances, Tahar Ben Jel­loun, inter­rogé le 28 août par Pas­cale Clark sur France Inter, déclare que « la Lit­téra­ture ne peut pas être du côté des crim­inels et des salauds. » Songe-t-il à l’Aragon stal­in­ien ? Au Claudel pétain­iste ? Au Céline anti­sémite ? qui tous prou­vent que, mal­heureuse­ment, la meilleure lit­téra­ture peut très bien l’être, du côté des crim­inels et des salauds ? Non, mais à Richard Mil­let, qui ne s’est pour­tant jamais rangé der­rière Breivik. Et Ben Jel­loun de souhaiter le départ de cet écrivain dont l’œuvre écrase lit­térale­ment la sienne, du comité de lec­ture de Gal­li­mard. Le 30 août, Le Nou­v­el Obs pub­lie un grand dossier con­sacré à sa proie, où sont rassem­blés un ensem­ble de dépo­si­tions à charge de la part de col­lègues ou d’anciens amis per­dus de vue – du beau et noble tra­vail de destruc­tion d’une répu­ta­tion, au terme duquel Mil­let est présen­té comme un sui­cidaire rêvant scan­dales et crachats. C’est tout juste si ses enne­mis ne lui reprochent pas de les oblig­er à le lapi­der pour assou­vir ses pro­pres fan­tasmes masochistes… Quelques voix s’élèvent, cepen­dant, à con­tre-courant : Alex­is Jen­ni apporte son sou­tien à son édi­teur, Pierre Assouline refuse la chas­se à l’homme.

Acte III : disculpation impossible

Le 30 août au soir, sur I>Télé, Mil­let a pour la pre­mière fois l’occasion de se défendre. On assiste donc à cette scène hal­lu­ci­nante d’un écrivain ten­tant dés­espéré­ment d’expliquer à des jour­nal­istes ce qu’est l’ironie en lit­téra­ture, jour­nal­istes qui vis­i­ble­ment n’y com­pren­nent goutte et vont jusqu’à l’obliger à jus­ti­fi­er qu’il pût y avoir une fas­ci­na­tion quel­conque pour le Mal en Art. Si l’on en vient à s’étonner qu’un écrivain puisse s’intéresser à la fig­ure d’un tueur de masse, alors il faut s’interroger sur l’étrange goût de Sopho­cle pour les par­ri­cides inces­tueux et remet­tre en ques­tion la san­té men­tale de tous les écrivains majeurs depuis l’origine même de la lit­téra­ture mon­di­ale ! Le 31, Pierre Jourde, sur son blog du Nou­v­el Obs, quoi qu’en désac­cord fon­da­men­tal avec Mil­let, fait preuve de l’honnêteté intel­lectuelle qui a tou­jours été la sienne et dénonce un débat faussé, tout en soulig­nant qu’en effet, et à l’encontre de tout ce qui est pré­ten­du dans les médias : « il n’y a pas dans le texte d’éloge à pro­pre­ment par­ler. » Enfin, l’écrivain se demande pourquoi c’est à Antoine Gal­li­mard qu’on demande de ren­dre des comptes au sujet d’un texte pub­lié par… Pierre-Guil­laume de Roux. Dernier élé­ment, Jourde remar­que que la tour­nure de la polémique tend à arraison­ner étrange­ment la lit­téra­ture du côté du Bien, auquel cas : « C’est toute la moder­nité, glob­ale­ment, qu’il faut envoy­er dans les poubelles de l’histoire. » Sade, Baude­laire, Lautréa­mont, Bre­ton, Bataille à l’index ! Enfin, si Michel Crépu, le directeur de La Revue des deux mon­des, lance une nou­velle attaque con­tre Mil­let dans Libéra­tion, le 3 sep­tem­bre, ce dernier a de nou­veau l’occasion de s’expliquer, le lende­main, sur le plateau de Frédéric Tad­déi (« Ce soir (ou jamais !) », France 3). S’étant entretenu avec Antoine Gal­li­mard enfin ren­tré de vacances, l’écrivain, qui béné­fi­cie tou­jours du sou­tien de son patron, s’est engagé à faire pro­fil bas. Face à lui, Esther Ben­bas­sa, qui ne com­prend vis­i­ble­ment pas ce qu’on lui explique et con­tin­ue à reprocher à Mil­let de s’être livré à l’apologie de Breivik qu’il n’a pas faite, et puis le philosophe Edgar Morin, plus raison­né, qui désigne lui le vrai sujet de polémique : l’opposition de Richard Mil­let au mul­ti­cul­tur­al­isme. Son analyse est opposée, et il indique qu’il a quant à lui pro­posé au prési­dent de la République d’inscrire dans la Con­sti­tu­tion : « La France est une république une et mul­ti­cul­turelle. » Le poli­to­logue Lau­rent Bou­vet apportera un avis plus nuancé pour adress­er néan­moins plusieurs reproches à Mil­let. Ce qui demeure étrange, c’est qu’en dépit du ton plus civil­isé et plus ouvert de l’émission de Tad­déi, il n’y aura pas eu débat, nul sou­tien pour défendre Mil­let, mais le procès d’un seul homme accusé par trois juges, de la plus hys­térique au plus con­ciliant. Au demeu­rant, Antoine Gal­li­mard con­sid­ér­era la presta­tion de son employé en dessous de ce qui était con­venu. Sans doute l’écrivain aurait-il dû abjur­er publique­ment son scep­ti­cisme vis-à-vis du mul­ti­cul­tur­al­isme et s’engager à suiv­re un stage citoyen de sen­si­bil­i­sa­tion aux bien­faits de la dif­férence après avoir brûlé son livre devant les caméras pour sat­is­faire les desider­atas de la meute ?

Acte IV : déchaînement final

L’homme à terre, les rares jus­ti­fi­ca­tions qu’on lui a per­mis de for­muler restées inaudi­bles, les instincts de haine et de vengeance gré­gaires les plus décom­plexés vont désor­mais pou­voir se déchaîn­er. Le 5 sep­tem­bre, Le Clézio, le prix Nobel de lit­téra­ture régulière­ment érein­té par Richard Mil­let, jouit de sa revanche en employ­ant un ensem­ble de syl­lo­gismes sim­plistes et d’arguments déli­rants, évo­quant, comme de bien enten­du, le retour des années 30 (à la lim­ite, oui, si l’on admet que c’est Richard Mil­let qui tient le rôle du bouc émis­saire), et prô­nant le dépasse­ment du mul­ti­cul­turel par « l’interculturel »… Cela ne veut rien dire, bien sûr, si ce n’est que si Mil­let est le pire des méchants, Le Clézio s’affirme en retour comme le plus déli­cieux des gen­tils… Le 6 sep­tem­bre, BHL, le jus­tici­er en chemise blanche, enfreint un tabou en deman­dant pour la pre­mière fois claire­ment l’exclusion de Richard Mil­let du Comité de lec­ture de Gal­li­mard, cette mai­son qui par ailleurs fait con­cur­rence à la sienne (Gras­set). Le 8 sep­tem­bre, Aude Lancelin s’y met dans Mar­i­anne, osant affirmer au sujet de Mil­let qu’ « il n’y a aucun courage à dire ce qu’il dit », au moment même où dire ce qu’il dit est en train de lui coûter sa vie pro­fes­sion­nelle et sociale. Le 9 sep­tem­bre, Gilles Heuré, sans doute ter­ror­isé à l’idée d’être en reste, lance sa pierre dans Téléra­ma.

La « liste Ernaux »

Som­met ter­ri­fi­ant et bur­lesque du drame : le 10 sep­tem­bre, lorsqu’Annie Ernaux pub­lie sa péti­tion dans Le Monde, signée par 128 écrivains dont la plu­part sont de som­bres incon­nus, pour rejouer sur un mode farcesque les procès de l’épuration. 128 con­tre 1. On est les résis­tants qu’on peut. Dans son texte, Ernaux explique avoir lu le livre de Richard Mil­l­let, qual­i­fié rien moins que d’ « un acte poli­tique à visée destruc­trice des valeurs qui fondent la démoc­ra­tie française ». Où l’on apprend donc que la démoc­ra­tie française est fondée essen­tielle­ment sur les valeurs du mul­ti­cul­tur­al­isme de gauche con­tem­po­rain, dont on n’ose imag­in­er ce qu’en auraient dit les Jacobins. Ernaux bal­aie d’un revers de main l’argument pour­tant essen­tiel de la lib­erté de l’écrivain, expli­quant qu’à ce compte-là, « on attend donc un « éloge lit­téraire » de Marc Dutroux », igno­rant sans doute qu’il existe déjà peu ou prou sous la forme de « Barbe bleue ». Ernaux raille les idées de Mil­let pré­ten­dant que la « bien-pen­sance » ferait régn­er la ter­reur dans les sociétés démoc­ra­tiques, au moment même où, au nom de cette bien-pen­sance, elle est en train d’exiger sa tête à leur patron com­mun. Enfin, elle résume le texte incrim­iné à un « pam­phlet fas­ciste qui déshon­ore la lit­téra­ture ». On imag­ine qu’Ernaux entend par « fas­ciste », « intolérant et prô­nant l’exclusion ». C’est-à-dire un texte de la teneur de celui qu’elle est en train de pub­li­er pour hon­or­er la lit­téra­ture française en la débar­ras­sant de l’un de ses meilleurs représen­tants… Ren­verse­ment symétrique et sys­té­ma­tique de la vérité… De la même manière que Mil­let est accusé d’avoir lui-même voulu sus­citer le scan­dale au nom de quoi on le cru­ci­fie, quand ce sont main­tenant des dizaines de « quinz­ièmes couteaux » comme les qual­i­fiera Gabriel Matzn­eff dans la revue Élé­ments (n°145, octo­bre-décem­bre 2012), qui vien­nent prof­iter du scan­dale pour s’y faire un nom. Scan­dale qui autorise au pas­sage Ernaux à se faire reluire une médaille de la résis­tance à bon compte tout en traquant un dis­si­dent isolé et con­spué par toutes les instances de pou­voir. Jusqu’au plus haut, puisque le même jour, le pre­mier min­istre, Jean-Marc Ayrault, s’en prend à son tour à Richard Mil­let. C’est un peu comme si Jean Moulin se trou­vait être quelqu’un ayant tor­turé un nazi isolé avec l’aide d’une cen­taine de sbires et l’aval du maréchal Pétain ! En out­re, il y a bien longtemps qu’on n’avait vu l’État se mêler de ques­tions lit­téraires, un fait qui rap­pelle, serait-on ten­té de dire, « les heures les plus som­bres de notre Histoire ».

Contre les lyncheurs

Quelques voix s’élevèrent mal­gré tout pour con­damn­er l’acharnement dont était vic­time Richard Mil­let, voire pour lui offrir un sou­tien com­plet. En ce dernier cas, le jour­nal Valeurs actuels s’illustra, en con­sacrant à l’écrivain sa Une du 6 sep­tem­bre et un dossier où Bruno de Ces­sole, François Bous­quet, l’écrivain Denis Tilinac prirent sa défense. Ce dernier nota : « Les apôtres de l’idéologie pro­vi­soire­ment dom­i­nante ont le droit d’exprimer leurs vues. Ils s’y emploient sans relâche, avec la com­plic­ité des médias à leur botte. » Élis­a­beth Lévy défendit Mil­let dans Causeur, qui fut soutenu égale­ment dans la revue Élé­ments. En somme, les médias de droite… Les rares et peu influ­ents médias représen­tant les divers­es sen­si­bil­ités poli­tiques opposées à la gauche, qui ne purent rien de plus que sauver l’honneur dans cette immense emballe­ment mis en bran­le con­tre Richard Mil­let, ce qui mit cru­elle­ment en exer­gue l’incroyable dis­tor­sion entre les réal­ités démoc­ra­tiques et leur représen­ta­tion et influ­ence dans le champ du pou­voir médi­ati­co-cul­turel. Encore une fois, c’est, par un ren­verse­ment symétrique, ceux qui se sont proclamés « antifas­cistes » qui ont exer­cé des mesures de rétor­sion idéologiques en tuant le débat et en pas­sant out­re toutes les réserves ou oppo­si­tions de leurs adver­saires. Si Mil­let a paru à peu près isolé dans la sphère où l’on s’en est pris à lui, le rejet du mut­li­cul­tur­al­isme pour quoi on l’a réelle­ment con­damné est pour­tant partagé par une très large part de la pop­u­la­tion française, tout sim­ple­ment niée, à tra­vers ce lyn­chage exem­plaire. Les bottes des pré­ten­dus antifas­cistes écrasent ain­si les bouch­es d’une bonne moitié du peuple.

Acte V : Mort sociale

Le 12 sep­tem­bre, L’Express ouvre ses colonnes à Richard Mil­let pour per­me­t­tre à l’auteur de se défendre face à ce que Christophe Bar­bi­er lui-même recon­naît comme une véri­ta­ble lap­i­da­tion. L’écrivain titre : « Pourquoi me tuez-vous ? » et évoque, dans son texte, le « risque d’une destruc­tion de l’Europe de cul­ture human­iste, ou chré­ti­enne, au nom même de l’“humanisme” dans sa ver­sion “mul­ti­cul­turelle” ». Mais le 10 sep­tem­bre, jour même de la pub­li­ca­tion de la péti­tion d’Ernaux, Antoine Gal­li­mard a fini par céder aux pres­sions et fait par­venir à Mil­let une let­tre lui sug­gérant de démis­sion­ner. Le 13 sep­tem­bre, l’écrivain s’exécute donc, démis­sionne du Comité de lec­ture de Gal­li­mard et ne con­serve qu’un tra­vail de lecteur extérieur à la mai­son. Si, comme le fait remar­quer Muriel de Rengervé, Richard Mil­let n’a eu à subir aucune plainte juridique con­tre son texte, il s’est vu pour­tant punir d’une lourde sanc­tion d’ostracisme, en dehors de tout cadre légal clas­sique. Démoc­ra­tie biaisée. Jus­tice d’exception. Sur la dépouille sociale de l’écrivain, Joseph Macé-Scaron, le célèbre plagieur, crachera une dernière salve dans le Mag­a­zine lit­téraire du 27 sep­tem­bre. Lorsque le 12 octo­bre, Jean-Pierre Elk­a­b­bach voulut organ­is­er un débat avec Richard Mil­let dans l’émission « Bib­lio­thèque Médi­cis » de Pub­lic Sénat, l’écrivain se retrou­va seul, aucun de ses détracteurs n’ayant daigné affron­ter le paria, lequel affir­ma à cette occa­sion : « Je ne vois pas d’issue, je suis fini, je suis carbonisé. »

Exception française

Hors de France, où l’affaire fut égale­ment portée, on s’étonna. Et on ne s’étonna pas de ce que la France pût pro­duire des écrivains pré­ten­du­ment fas­cistes, mais de la manière dont cette nation lit­téraire entre toutes, traitait désor­mais ses écrivains… « L’impression qui l’emportait, note Muriel de Rengervé, était que, décidé­ment, la France n’était pas un pays comme les autres. Cer­tains obser­va­teurs étrangers retrou­vaient dans cette affaire les méth­odes de l’URSS à la plus dure époque stal­in­i­enne, soulig­naient que la cita­tion tron­quée, décon­tex­tu­al­isée, était une pra­tique habituelle du régime sovié­tique. La plu­part des jour­nal­istes s’étonnaient, rap­pelaient la grandeur de l’écrivain Mil­let. » Rudolf Balmer sur le site du Tageszeitung, écriv­it : « Richard Mil­let choque Paris. » La revue québé­coise La Spi­rale, par la plume de Marie-Andrée Lam­on­tagne, dénonça les dérives mal­saines du milieu médi­ati­co-lit­téraire parisien. Le cor­re­spon­dant à Paris de la revue colom­bi­enne Arca­dia par­la, au sujet de Richard Mil­let, de « chas­se » et de « lyn­chage médi­a­tique ». Giulio Meot­ti, dans le jour­nal ital­ien Il Foglio quo­tid­i­ano, remar­qua que la presse française « s’(était) abattue sur (Richard Mil­let), util­isant un lan­gage de guerre civile. » Dans sa Let­tre aux Norvégiens, l’écrivain remer­cie en out­re « Alexan­dre Naj­jar qui n’a pas hésité à m’ouvrir, à Bey­routh, les colonnes de L’Orient lit­téraire, deux jeunes intel­lectuels Tunisiens, Aymen Hacen et Mohammed Dji­had Sous­si, qui m’ont con­sacré un dossier dans la revue Alfikrya, et François Noudel­mann (…) qui a don­né, au print­emps 2013, à l’université de New York (…), une séance con­sacrée à Langue fan­tôme, m’assurant que les étu­di­ants m’ont lu à par­tir de Baude­laire, de Bataille, de Blan­chot, et non de la « mora­line parisi­enne » qui fait ressem­bler la vie lit­téraire française à celle d’une sous-pré­fec­ture de l’ancien empire sovié­tique. » À croire, donc, que le soi-dis­ant xéno­phobe dénon­cé par Nel­ly Kapriélian, n’est enten­du que par les étrangers…

Un bilan terrifiant

Au-delà de l’immonde réal­ité d’un lyn­chage acharné, de tous les instincts les plus bas que celui-ci a pu mobilis­er et trou­ver en quan­tité dans le milieu médi­ati­co-lit­téraire parisien (mau­vaise foi, ému­la­tion de la haine, jalousie, calom­nie, jouis­sance d’abattre), au-delà donc, du drame bien réel subi par un homme et de l’opprobre qu’a dû endur­er un écrivain qui fai­sait pour­tant l’honneur des let­tres français­es, le bilan de cette affaire est égale­ment effroy­able quant à la démoc­ra­tie, la jus­tice et la lit­téra­ture. Une démoc­ra­tie mise en pièces par la furie idéologique de quelques intel­lectuels et jour­nal­istes ayant décrété que la seule cri­tique du mul­ti­cul­tur­al­isme comme mod­èle poli­tique et social devait désor­mais être con­sid­érée comme un crime. Une jus­tice s’exerçant bru­tale­ment, en dehors de tout cadre légal, par les coups de mail­let de vul­gaires péti­tion­naires et les oukas­es de quelques puis­sants. Une lit­téra­ture française rev­enue à des prob­lé­ma­tiques qu’on pen­sait dépassées, au moins depuis les procès de Baude­laire et Flaubert. Néan­moins, con­traire­ment aux fol­lic­u­laires aux ordres, la lit­téra­ture, elle, sub­siste dans la postérité. Et la postérité, soyons-en sûrs, jugera les juges.

  • Let­tre aux Norvégiens sur la lit­téra­ture et les vic­times, Richard Mil­let (Pierre-Guil­laume de Roux).
  • L’Affaire Richard Mil­let, Cri­tique de la bien-pen­sance, Muriel de Rengervé (Édi­tions Jacob-Duvernet).

Crédit pho­to : cap­ture d’écran librairie Dia­logues via Youtube (DR)