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Loi contre les fake news : le grand leurre qui cache une volonté générale de censure, l’avis de l’Ojim

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8 juin 2018

Temps de lecture : 6 minutes
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Loi contre les fake news : le grand leurre qui cache une volonté générale de censure, l’avis de l’Ojim

Temps de lecture : 6 minutes

Le terme fake news est devenu à la mode après l’élection de Trump et le Brexit. Les perdants – les partisans de Hillary Clinton, ceux du Remain et derrière eux la grande masse des médias dominants qui les soutenaient – se sont interrogés devant des défaites considérées (par eux-mêmes) comme « immorales ». S’ils avaient perdu, c’est que le peuple avait été trompé. Si le peuple avait été trompé, c’est à la suite d’une myriade de fausses nouvelles. Sans ces fausses nouvelles, Hillary Clinton serait à la Maison Blanche, la Grande Bretagne dans l’Union Européenne et les médias du système couleraient des jours heureux. Une stratégie auto consolatrice pour le passé mais surtout porteuse de menaces pour l’avenir, menaces pour la liberté d’expression des autres bien sûr.

Si le passé ne passe pas ou passe mal que faire pour que de telles hor­reurs ne se repro­duisent pas se deman­dent les médias dom­i­nants ? Leur réponse : inter­dire les fauss­es nou­velles, les tra­quer, les éradi­quer pour que le peu­ple ne soit plus trompé et puisse enfin vot­er comme il doit vot­er, selon les indi­ca­tions du Monde et de Libéra­tion en France et du New York Times et CNN aux Etats-Unis. Ou selon les indi­ca­tions du bon doc­teur Ollinger qui vend la mèche : « Les marchés appren­dront aux ital­iens com­ment voter ».

Fausses nouvelles et vieux bobards

Les fauss­es nou­velles ont tou­jours existé. Il y a peu on les appelait les bobards, les bons vieux bobards. Pen­dant la guerre de 14/18 les alle­mands expli­quaient que les tirailleurs séné­galais dévo­raient les petits enfants et les français répli­quaient que les alle­mands leur coupaient la main. Pen­dant la cam­pagne élec­torale du référen­dum anglais comme pen­dant celle de la prési­dence des Etats-Unis les deux camps ont com­mis des approx­i­ma­tions, poussé trop loin leurs prévi­sions apoc­a­lyp­tiques ou au con­traire souri­antes en cas de vic­toire ou de défaite de l’un ou l’autre camp. Des péripéties élec­torales banales.

L’analyse de François Bernard Huyghe

Revenons à nos fake news. François-Bernard Huyghe, chercheur à l’IRIS et spé­cial­iste des médias les analyse pré­cisé­ment dans son dernier livre inti­t­ulé Fake news, la grande peur. (VA Presse, 2018). Citons son entre­tien dans le Figaro du 25 mai 2018. Notre arti­cle com­plet est ici.

Mais qu’est ce qu’une Fake News demande le jour­nal­iste Paul Sugy? Réponse du soci­o­logue des médias : « Ce n’est juste­ment pas très clair et on y mêle beau­coup de choses. Les con­tre-vérités ou les men­songes inven­tés de toutes pièces mais aus­si l’obscurantisme ou les théories du com­plot… Mais le but est sans doute de con­fon­dre toutes ces opin­ions dans une sorte de fan­tasme, de men­songe odieux. »

Une loi a déjà été votée en Alle­magne pour lut­ter con­tre les fauss­es nou­velles, dénon­cée unanime­ment par les édi­teurs de presse, les syn­di­cats de jour­nal­istes. Ces derniers ont par­lé tour à tour « d’infrastructure de cen­sure », « d’atteinte à la lib­erté d’expression », de « pri­vati­sa­tion de la jus­tice », de « loi anti­con­sti­tu­tion­nelle » et por­tant atteinte aux « droits et lib­ertés fon­da­men­tales », aux « Droits de l’Homme et du Citoyen » et à la « sépa­ra­tion des pou­voirs ». Fer­mez le ban.

Françoise Nyssen précise sa pensée

Devant les Assis­es du jour­nal­isme de Tours la min­istre Françoise Nyssen a présen­té la future loi comme « néces­saire pour pro­téger notre démoc­ra­tie con­tre les influ­ences extérieures ». Notre compte ren­du est ici.

Censure préalable des GAFAM

Cette loi vise en réal­ité à faire pres­sion sur les fameux GAFAM, Google, Apple, Face­book, Ama­zon, Microsoft, ceux dont ni la France ni l’Union Européenne n’arrivent à faire pay­er leurs impôts en Europe sinon de manière lil­lipu­ti­enne. Elle vise à encour­ager l’auto-censure des réseaux soci­aux. Mark Zucker­berg dans sa très courte audi­tion au Par­lement Européen (voir notre analyse) s’est bien gardé de répon­dre (entre autres) aux ques­tions de Nico­las Bay :

  • La cen­sure arbi­traire appliquée par Face­book est-elle com­pat­i­ble avec les valeurs fon­da­men­tales de notre démocratie ?
  • La chas­se aux fauss­es nou­velles est elle en train de devenir un pré­texte pour chas­s­er et réduire au silence les lib­ertés d’opinion et d’expression ?

La cen­sure est déjà en marche, Face­book a sup­primé – à l’instigation du sous-préfet Poti­er de la Dil­crah la page des Iden­ti­taires et celle de Defend Europe, l’opération sym­bol­ique de sauve­g­arde des fron­tières européennes.

Nous avons ici la con­jonc­tion d’une cen­sure privée et d’une cen­sure d’État, comme l’a analysé le poli­to­logue Dominique Reynié dans Le Figaro du 11 mai 2018. Il con­clut « la ques­tion posée par la fer­me­ture du compte de Généra­tion iden­ti­taire est, à pro­pre­ment par­ler, cru­ciale : il s’ag­it de savoir si nous sommes engagés dans un proces­sus de pri­vati­sa­tion de nos lib­ertés publiques et en dehors de tout con­trôle de type juri­dic­tion­nel ou par­lemen­taire ». Une ques­tion bien posée.

Les médias russes en ligne de mire

Une par­tie de la loi sem­ble dirigée explicite­ment con­tre deux médias russ­es : Rus­sia Today et Sput­nik. Ils pour­raient per­dre leur droit d’émettre en péri­ode élec­torale s’ils dif­fusent des fauss­es nou­velles. Fau­dra-t-il aus­si inter­dire l’AFP, Le Monde et quelques autres qui ont annon­cé une fausse nou­velle au sujet d’Arkadi Babtchenko le 30 mai 2018 ? Comme nous l’analysions ici. Sa mort vite démen­tie par sa résur­rec­tion ? Et que dire des autres médias publics étrangers, la BBC une insti­tu­tion publique anglaise et CNN insti­tu­tion privée mais bien dans le moule améri­cain ? Seront-ils aus­si con­cernés ? Ne par­lons pas d’Al Jazeera du Qatar… ni de France24 qui est la voix de la France à l’étranger.

Petit à petit le filet se referme sur les lib­ertés des Français et des Européens. Les gou­verne­ments inci­tent les GAFAM à créer leurs pro­pres instru­ments de cen­sure préal­able. Les réseaux soci­aux aus­si bien que les four­nisseurs d’accès ou les plates-formes inter­net seront tenus de pro­pos­er un mécan­isme de remon­tée des « fauss­es infor­ma­tions » ce que font déjà les polices médi­a­tiques du style du Decodex du Monde qui a été financé par Google pour une somme incon­nue et dans des con­di­tions tout aus­si incon­nues. Il n’est pas indif­férent que Libéra­tion fasse par­tie d’un sys­tème de dénon­ci­a­tion où les médias améri­cains pro­gres­sistes jouent un rôle de pre­mier plan.

Inquiétude des éditeurs

Le Syn­di­cat de la presse en ligne (SPIIL) a souligné dans un com­mu­niqué du mois d’avril dernier ses inquié­tudes quant à la nou­velle loi. Le Spi­il souligne les risques de détourne­ment de procé­dure « pour empêch­er la dif­fu­sion de cer­taines infor­ma­tions et ain­si nuire à la lib­erté d’expression ». « La procé­dure de référé prévue à l’article 163–2‑1, même sous le con­trôle du juge, inter­viendrait en dehors des dis­po­si­tions de la loi de 1981 qui garan­tit le juste équili­bre entre lib­erté d’expression et pro­tec­tion des per­son­nes et des insti­tu­tions »

Une loi de circonstance

In fine le pro­jet de loi est une loi de cir­con­stance. François Bernard Huyghe voit trois raisons à cette loi, toutes trois liées au Prési­dent Emmanuel Macron : un intérêt per­son­nel face aux attaques dont il aurait été vic­time, un intérêt idéologique en tant que Prési­dent des élites qu’il faut con­forter dans leur dom­i­na­tion, enfin un intérêt élec­toral dans la per­spec­tive des élec­tions européennes de 2019. Dans le cadre d’une cam­pagne qui s’annonce risquée, dis­qual­i­fi­er ses adver­saires qui seront assim­ilés au camp du mensonge.

Cha­cun aura com­pris que l’Observatoire du jour­nal­isme s’oppose fer­me­ment au pro­jet de loi tel qu’il est présenté.