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Désinformation, un livre d’Emmanuel Ostian, du bon et du franchement mauvais

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2 novembre 2019

Temps de lecture : 6 minutes
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Désinformation, un livre d’Emmanuel Ostian, du bon et du franchement mauvais

Temps de lecture : 6 minutes

Emmanuel Ostian est un ancien grand reporter, responsable de la section télévision du CFJ (Centre de Formation des Journalistes), présentateur sur LCI, ayant travaillé pour de nombreux médias. Il vient de publier chez Plon Désinformation, un livre bourré de bonnes intentions, parfois pertinent mais gâché par quelques contresens majeurs qui ruinent le tout. Visite guidée.

Andante

Comme le souligne l’auteur, les biais de con­fir­ma­tion exis­tent bien, nous avons ten­dance à croire aveuglé­ment une thèse qui con­firme nos pro­pres con­vic­tions, un proces­sus ren­for­cé par le règne de l’émotion. Les réseaux soci­aux accélèrent le mou­ve­ment comme « cham­bres d’écho » (excel­lente déf­i­ni­tion), les algo­rithmes favorisent le nombrilisme.

Au pas­sage l’auteur égratigne utile­ment quelques char­la­tans célèbres, les tribus lacani­ennes, Bruno Bet­tel­heim qui a cul­pa­bil­isé des généra­tions de mères d’enfants autistes. Il con­state tris­te­ment que la cam­pagne d’extermination dont ont été vic­times les chouans est passée sous silence. Il con­state aus­si la baisse du QI moyen (sujet déli­cat mis sous le bois­seau), dénonce la dic­tature des écrans en faisant remar­quer que les très rich­es de la Sil­i­con Val­ley dépensent des for­tunes pour met­tre leur progéni­ture dans des écoles… sans écrans.

Allegro

Les exem­ples de manip­u­la­tion du pub­lic sont éclairants. Le plus éton­nant étant celui d’Edward Bernays (auteur de Pro­pa­gan­da en 1928), spé­cial­iste du mar­ket­ing qui a util­isé les fémin­istes de l’époque pour pro­mou­voir l’industrie du tabac.

Mais les autres cas ne man­quent pas. L’agence Rud­er Finn (qui a tra­vail­lé pour Philip Mor­ris) a réal­isé une dés­in­for­ma­tion effi­cace con­tre les Serbes en 1992 en par­lant de « camps d’extermination serbes » qui n’ont jamais existé, mais l’image est restée col­lée au camp serbe. Ou Hill/Knowlton en 1990 au moment de l’invasion du Koweït par l’Irak, inven­tant une infir­mière témoignant des atroc­ités iraki­ennes : les sol­dats débran­chaient les cou­veuses et tuaient les bébés. « L’infirmière » Nayi­rah était la fille de l’ambassadeur du Koweit aux États-Unis.

Ma non troppo

Hélas, trois fois hélas, où es-tu doux Mes­sias, ces exem­ples intéres­sants sont obérés par une obses­sion à la mode : les Russ­es sont partout. « La Russie est dev­enue à la dés­in­for­ma­tion ce que la Grèce est à la philoso­phie, la référence absolue ». C’est lui faire beau­coup d’honneur, sans doute trop. Que les États espi­onnent, qu’ils essaient d’influencer les poli­tiques de leurs alliés ou de leurs adver­saires, rien de nou­veau sous le soleil, Russie incluse. De là à voir chez l’ours russe un as de « Tsar wars » (très bon titre), il y a une marge. Le rap­port Mueller aux États-Unis sur une influ­ence russe sig­ni­fica­tive lors de l’élection de Trump s’est révélé vide. On peut même dire a con­trario, que les russ­es, via RT ou Sput­nik avan­cent avec leurs gros souliers et sans guère de finesse.

Bizarrement les États-Unis ne sont pas cités en tant que tels comme insti­ga­teurs de dés­in­for­ma­tion. Et pour­tant… On aurait pu par­ler de la dés­in­for­ma­tion du siè­cle lorsque le secré­taire d’État de George W. Bush, Col­in Pow­ell, le 5 févri­er 2003, affir­mait dans un dis­cours à l’ONU que l’Irak dis­po­sait d’armes bal­is­tiques, chim­iques et bac­téri­ologiques de destruc­tion mas­sive. Une déc­la­ra­tion qui allait déclencher la guerre d’Irak, la désta­bil­i­sa­tion de la région pour longtemps et des cen­taines de mil­liers de morts.

Ou encore l’étrange insti­tu­tion de la French Amer­i­can Foun­da­tion (FAF) qui sélec­tionne chaque année la fine fleur de ce qu’ils pensent être les futurs lead­ers en France pour des « stages » aux États-Unis. Nous y avons con­sacré un arti­cle com­plet.

La FAF où sont passés entre autres les jour­nal­istes ou directeurs de médias Jérôme Clé­ment, Emmanuel Chain, David Kessler, Bernard Guet­ta, Jean-Noël Jeanneney, Denis Olivennes, Matthieu Pigasse, Louis Drey­fus, Yves de Ker­drel, Lau­rent Jof­frin, la liste est beau­coup plus longue. A notre con­nais­sance il n’existe pas de Fon­da­tion fran­co-russe qui pour­rait présen­ter un tel tableau de chasse.

Ou bien aus­si, non pas dans la dés­in­for­ma­tion mais dans la pro­duc­tion directe de l’information, la main­mise du fonds améri­cain KKR sur les médias des Balka­ns avec à sa tête le général Petraeus, ex directeur de la CIA et numéro 2 des bom­barde­ments en Ser­bie. La liste pour­rait s’allonger. Se référ­er à la grande enquête que nous avions pub­liée en 2018. Les russ­es appa­rais­sent comme d’aimables ama­teurs à côté des amis américains.

Final sous forme de naufrage

Emmanuel Ost­ian cite ses sources, ren­dons-lui cet hom­mage. Entre autres, le rap­port (très pré-élec­toral) du CAPS et de l’IRSEM de fin 2018 sur Les manip­u­la­tions de l’information, un défi pour les démoc­ra­ties où les recom­man­da­tions sont celles de …l’OTAN, nous y avions con­sacré un arti­cle que vous trou­verez ici.

Plus fort ou pire, comme on voudra, l’auteur cite par deux fois les travaux de Free­dom House « cette ONG qui mesure depuis des années 1940 la san­té démoc­ra­tique de la planète ». On a dû débouch­er le cham­pagne et se taper sur les cuiss­es à Lan­g­ley siège de la CIA, car la Free­dom House n’est qu’un des nom­breux faux nez de cette estimable agence.

Freedom House

Free­dom House est une vielle mai­son créée avec le sou­tien de Roo­sevelt en 1941 pour pré­par­er l’en­trée en guerre des Etats-Unis. Elle a ensuite joué un rôle dans la pro­mo­tion du Plan Mar­shall et de l’OTAN, puis dans la dis­si­dence sovié­tique (sou­tien à Sakharov, etc.), dans les révo­lu­tions de couleur, etc. C’est un relais qua­si offi­ciel de la CIA.

Dès le début des années 1980, son tra­vail pour l’A­gence s’est offi­cial­isé. On con­nait bien par exem­ple les échanges entre les respon­s­ables de Free­dom House Leonard R. Suss­man et Leo Cherne avec Bill Casey (patron de la CIA). Wal­ter Ray­mond Jr., un proche de Casey, fut l’une des prin­ci­pales chevilles ouvrières CIA-Free­dom House. En 1986, la Free­dom House affichait encore un Melvin Lasky, chef du fameux “Con­grès pour la Lib­erté de Cul­ture” (éma­na­tion directe de la CIA), à la tête d’une de ses pro­pres branch­es culture.

Le rôle de Free­dom House fait telle­ment par­tie du décor aux États-Unis, qu’il lui est arrivé d’aspir­er jusqu’aux 2/3 des fonds publics de la Nation­al Endown­ment for Democ­ra­cy (NED) fondée par Rea­gan en 1983, elle-même financée par l’US AID, un autre faux nez du ren­seigne­ment améri­cain, en par­ti­c­uli­er pen­dant les “Révo­lu­tions de couleur”, sans que ça n’émeuve per­son­ne ou presque. La NED fonc­tionne comme une « gare de triage » offi­cielle de cer­taines opéra­tions de la CIA.

Voici quelques liens, celui-ci est intéres­sant parce qu’il émane de l’ONU directe­ment : un.org/press/en/2001/ngo432.doc.htm

Celui-là exposant le rôle de Wal­ter Ray­mond Jr. : mintpressnews.com/reagan-documents-shed-light-on-cia-meddling-abroad/232047/

De telles références illus­trent un des points de l’ouvrage « Le faux au ser­vice de cer­tains pou­voirs », mais à l’envers, en direc­tion de nos « amis améri­cains ». Comme le dit l’auteur « Trou­ver un respon­s­able de l’extérieur, voilà un des fonde­ments mêmes de nos psy­cholo­gies », Emmanuel Ost­ian a trou­vé ce fameux respon­s­able, le petit ours russe mais il a (volon­taire­ment ?) oublié le grand aigle améri­cain, bien plus per­for­mant dans le domaine de la dés­in­for­ma­tion avec quelques mil­liers d’agents dis­séminés dans les médias, les écoles de jour­nal­isme et les édi­teurs. Dom­mage, il y aura peut-être un sec­ond tome qui com­plètera le premier ?

PS : L’auteur cite dans sa bib­li­ogra­phie EU Dis­in­fo­lab, là aus­si un faux nez améri­cain, voir notre arti­cle de sep­tem­bre 2018.

Emmanuel Ost­ian, Dés­in­for­ma­tion, Enquête sur les fake news qui gou­ver­nent le monde, Plon, 2019, 212p, 18€

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