En grec ancien un sycophante est un délateur professionnel. Une pratique disséquée par le journaliste David Doucet dans son livre La Haine en ligne. Une pratique vécue via Instagram par 7200 journalistes ou assimilés sur @Balancetaredaction. Un peu d’égout dans le dégoût ou le contraire.
Balances et moutons
La balance c’est le signe de l’air de ceux (quand on y croit) nés entre le 22 septembre et le 23 octobre, et dans l’argot des prisons (Jean-Michel Armand, L’Argot des prisons, Horay, 2012) c’est le cafard, le mouton, la casserole, la sonnette, le délateur, un sale bonhomme qui trahit pour un avantage, un sourire ou par peur. De nos jours, c’est le signe distinctif dans certaines rédactions, une sorte de médaille chez les « woke ».
Mais qu’est-ce qu’un « woke » ? Rien à voir avec le wok du mandarin Guo et du cantonais Wok, instrument de cuisine ressemblant à une poêle creuse et permettant de cuire à feu vif avec peu de matières grasses. Encore que le woke cuisine volontiers son voisin à petit feu. Non, le woke moderne (de to wake éveiller en anglais) évoque (nous avons failli écrire ewoke) celui qui combat les discriminations et le racisme. Le terme vient des lointaines (trop proches) Amériques. Le woke dénonce comme Monsieur Jourdain fait de la prose, c’est un état d’esprit, voire un état de grâce.
@balancetaredaction
L’auteur de ces lignes n’étant pas sur Instagram, bour et bour et ratatam, le site des journalistes woke lui serait demeuré inconnu sans l’information d’un lecteur sagace, qu’il soit ici remercié. Subséquemment, sur ce compte Instagram, certains journalistes peuvent se livrer de manière anonyme à la dénonciation, la délation, la mise à l’index de leurs camarades de rédaction, de leur voisine d’ordinateur dans la « newsroom », de leurs collaborateurs, de leurs chefs, du chien du secrétaire de rédaction, et plus si affinités.
La photocopieuse fonctionne mal chez @transenfurie ? allez ! un post vengeur. La soupe haricots/lentilles n’est pas bio aux @Inrocks ? Itou ! Le chef de service de @Brut a dit à Martine « t’es en beauté ce matin », au pilori salopard sexiste ! Mamadou n’a pas été recruté à RMC malgré ses qualités de migrant gay réfugié, j’y vais de ma remarque vengeresse. Les posts concernent essentiellement (mais pas seulement) les rédactions « woke » comme Loopsider, Brut, AJ+ (Al Jazeera pour les jeunes), Inrocks mais aussi RMC ou BFM, petit florilège, estomacs sensibles s’abstenir.
Je balance, tu balances etc…
Chez Loopsider, de l’ex responsable digital de Libération, Johan Huffnagel
- « Ah mais putain là, je crois que l’on vient de recruter un PD »
- « Tu lui rendrais bien service en la niquant, de toute façon c’est une mal baisée »
- « On en a marre d’avoir que des mecs, on a besoin de seins »
- « De toute façon ce n’est qu’une conne, elle est juste bonne c’est tout »
Chez Glamour Paris, accessoires féminins incontournables
- « T’es en dépression, tu fermes ta gueule, c’est pour les losers les troubles mentaux »
Chez RMC, la chaîne de Quotidien de Yann Barthès
- « Tu nous emmerdes avec tes sujets sur les migrants et les femmes, tout le monde s’en fout »
Chez BFM
- « Voilà le défilé des boudins »
Aux Inrocks
- « De toute manière il faut arrêter avec les noirs en couv on sait que ça ne marche pas »
Chez Brut
- « On va arrêter avec les sujets sur les trans, parce que là ça ressemble à un freak show »
- « Elles nous font chier ces féministes »
Chez Stylist, féminin gratuit et haut de gamme (sic)
- « Ras le bol de foutre en maquette des meufs trans noires, il faut changer un peu »
Chez AJ+
- « Tu es arabe, il y a déjà trop d’arabes ici et en plus avec ton voile, ça va pas trop le faire »
- « Donne-moi le numéro de ton mec, il va t’expliquer la vie, parce que toi tu comprends rien ».
Silence sur les usages du wokistan
Curieusement aucun écho sur ce site dans la presse libérale libertaire, chacun/chacune se tait ayant peur d’être dénoncé (plus de 7000 abonnés…) par son petit camarade. On s’épie, on se dénonce, vie de cafard dans un placard . Morale (ou immorale) de l’histoire, dans les rédactions du wokistan, on s’espionne, on cafte, on manie le double langage, on vit dans un monde et on écrit dans un autre. Dégoûts et des couleurs on ne saurait parler.