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Un projet de loi contre la censure des médias sociaux en Pologne

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9 janvier 2021

Temps de lecture : 6 minutes
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Un projet de loi contre la censure des médias sociaux en Pologne

Temps de lecture : 6 minutes

Le 17 décembre 2019, le ministre de la Justice polonais convoquait une conférence de presse pour présenter un avant-projet de loi contre la censure par les médias sociaux. Sans surprise, les grands médias français n’en ont pas parlé puisque la France a choisi d’adopter l’approche inverse, c’est-à-dire celle qui consiste à menacer de lourdes sanctions les réseaux sociaux qui ne censureraient pas assez.

Une approche qui n’a pas été aban­don­née après le rejet des prin­ci­pales dis­po­si­tions de la loi Avia par le Con­seil con­sti­tu­tion­nel. À vrai dire, les médias français ayant fait cas du pro­jet de loi polon­ais sont tous des médias de ce que la gauche française appelle avec un grand mépris la « fachos­phère », tel le quo­ti­di­en Présent, dont l’article con­sacré à ce sujet a ensuite été repris dans le Visegrád Post, ain­si que le site Boule­vard Voltaire.

Comparaisons européennes

Lors de la con­férence de presse organ­isée au min­istère de la Jus­tice polon­ais, le secré­taire d’État Sebas­t­ian Kale­ta, qui accom­pa­g­nait le min­istre Zbig­niew Zio­bro, a d’ailleurs opposé l’approche polon­aise aux approches française et alle­mande qui, pour repren­dre les mots du com­mu­niqué pub­lié par le min­istère de la Jus­tice polon­ais après la con­férence de presse, « met­tent l’accent sur l’élimination des con­tenus con­sid­érés comme étant en infrac­tion du droit et non pas sur la pro­tec­tion de la lib­erté de parole. Ces régu­la­tions ont donc un car­ac­tère avant tout répres­sif. Par exem­ple en Alle­magne, un média social qui vio­le la loi risque une amende très élevée, jusqu’à 50 mil­lions d’euros. En out­re, c’est le min­istre de la Jus­tice qui décide en défini­tive si les con­tenus pub­liés vio­lent la loi. »

Le Digital Services Act en question

Au con­traire des gou­verne­ments « libéraux » d’Europe occi­den­tale et au con­traire de la Com­mis­sion européenne avec son « Dig­i­tal Ser­vices Act » qui « se con­cen­tre », comme on peut le lire dans le com­mu­niqué polon­ais, « sur l’élimination des con­tenus inter­dits », le min­istre « ultra-con­ser­va­teur » (ain­si que le qual­i­fient sou­vent les grands médias français, comme par exem­ple Le Figaro) préfère s’en remet­tre aux tri­bunaux : « C’est pourquoi la Pologne veut adopter ses pro­pres dis­po­si­tions légales pour défendre effi­cace­ment le droit con­sti­tu­tion­nel à la lib­erté de parole, afin qu’en cas de lit­ige entre un média social et son util­isa­teur ce soient les tri­bunaux qui stat­uent sur les éventuelles infrac­tions à la loi ».

Le réseau Soros à l’œuvre

En Pologne, les médias soci­aux sont pour­suiv­is devant la jus­tice pour leur cen­sure poli­tique et idéologique de cer­tains acteurs politi­co-médi­a­tiques, logique­ment tous liés à la droite con­ser­va­trice puisque c’est le réseau Soros qui se charge de la cen­sure pour le compte de ces médias soci­aux en Europe cen­trale. Le gou­verne­ment de Mateusz Moraw­iec­ki avait en out­re été saisi il y a un an par un groupe de par­lemen­taires sur le prob­lème de la cen­sure instau­rée par les géants améri­cains du Net.

Nouvelle législation protectrice en Pologne

L’avant-projet de loi présen­té le 17 décem­bre par le min­istre Zbignew Zio­bro et son secré­taire d’État Sebas­t­ian Kale­ta sem­ble répon­dre aux préoc­cu­pa­tions exprimées par ces par­lemen­taires. D’après ce qui est prévu, si un con­tenu est cen­suré sur un réseau social, l’utilisateur pour­ra adress­er une récla­ma­tion au média social qui aura 48 heures pour y répon­dre. Les médias soci­aux devront pour cela avoir des représen­tants en Pologne, capa­bles de répon­dre aux plaintes des util­isa­teurs polon­ais. En cas de refus de lever la cen­sure, l’utilisateur pour­ra ensuite s’adresser par voie élec­tron­ique, sans sor­tir de chez lui, à un Tri­bunal de pro­tec­tion de la lib­erté d’expression spé­ciale­ment créé à cet effet et celui-ci aura sept jours pour exam­in­er l’affaire. Si la jus­tice polon­aise tranche en faveur de l’utilisateur cen­suré, le média social attaqué devra alors rétablir immé­di­ate­ment le compte ou le con­tenu blo­qué sous peine de se voir infliger une amende admin­is­tra­tive par l’Office de la com­mu­ni­ca­tion élec­tron­ique (UKE). Une amende qui pour­ra attein­dre 8 mil­lions de zlo­tys, soit env­i­ron 1,8 mil­lion d’euros.

Intervention du juge

L’autre élé­ment impor­tant de l’avant-projet de loi doit au con­traire per­me­t­tre de se pro­téger con­tre la diffama­tion et la prop­a­ga­tion de fauss­es infor­ma­tions par l’instauration d’un mécan­isme de pour­suites con­tre X. Si une per­son­ne estime subir un préju­dice à cause d’informations à son sujet ou d’insultes à son encon­tre pub­liées par un inter­naute anonyme, il suf­fi­ra d’indiquer dans la plainte l’adresse URL, la date et l’heure de la pub­li­ca­tion ain­si que le nom du pro­fil d’utilisateur à l’origine de la pub­li­ca­tion. Si le juge estime qu’il y a matière à exam­in­er la plainte, c’est le tri­bunal qui aura la charge d’obtenir auprès du site inter­net con­cerné les coor­don­nées de l’utilisateur pour­suivi. Cette pos­si­bil­ité était demandée depuis des années par le Défenseur des citoyens, Adam Bodnar.

Les propo­si­tions du min­istère de la Jus­tice polon­ais ont recueil­li des réac­tions plutôt favor­ables dans les médias du pays, y com­pris chez ceux qui ne sont pas tou­jours très ten­dres pour le gou­verne­ment de Mateusz Morawiecki.

Équilibre entre protection de la liberté d’expression et lutte contre la diffamation

Lors de la con­férence de presse du 17 décem­bre, le min­istre Zbig­niew Zio­bro a expliqué ne pas vouloir « copi­er les solu­tions alle­man­des » car ce sont des « solu­tions uni­latérales ». « Il est reproché à ces solu­tions d’imposer une cen­sure dont le but est de lim­iter la lib­erté de men­er un débat démoc­ra­tique », a‑t-il fait remar­quer. Il a ajouté que son min­istère souhaitait au con­traire trou­ver un équili­bre entre, d’une part, la ques­tion de la diffama­tion et des atteintes à la dig­nité des per­son­nes et, d’autre part, la lib­erté de dis­cus­sion et de débat pub­lic qui « ne doit pas être lim­itée sur la base de déci­sions d’une autorité quel­conque ». Seuls pour­ront être cen­surés les pro­pos violant la loi et la déci­sion finale revien­dra au juge chargé de faire appli­quer la loi. Car pour le min­istre polon­ais, « un util­isa­teur de média social doit avoir le sen­ti­ment que ses droits sont pro­tégés. Il ne peut y avoir de cen­sure de l’expression. La lib­erté de parole et de débat est l’essence-même de la démoc­ra­tie ».

Un attache­ment à la lib­erté, à la démoc­ra­tie et au respect du droit qui ne cadre pas très bien avec le dis­cours des grands médias français sur l’affaiblissement sup­posé de la démoc­ra­tie et de l’État de droit en Pologne sous les gou­verne­ments du par­ti Droit et Jus­tice (PiS). On com­prend mieux dans ces con­di­tions que les grands médias français préfèrent pass­er sous silence les propo­si­tions polon­ais­es con­tre la cen­sure pra­tiquée par les médias sociaux.

Pho­to : con­férence de presse du Min­istre de la Jus­tice Zbig­niew Zio­bro, le 17 décem­bre 2020. Source : gov.pl

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