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Répression des propos privés : non à la loi liberticide

19 mai 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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Répression des propos privés : non à la loi liberticide

Temps de lecture : 5 minutes

Une proposition de loi, co-écrite par les députés Renaissance Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan et votée en première lecture à l’Assemblée nationale, entend réprimer les propos à caractère discriminatoire tenus en privé. L’abolition de la frontière entre public et privé qui en découlerait est très inquiétante. Nous reproduisons une tribune libre du Président du Cercle Droit et Liberté, l’avocat Thibault Mercier, parue dans Le Figaro du 17 mars 2024. Les intertitres sont de notre rédaction.

La liberté en question

« La lib­erté, pour quoi faire ? ». De cette ques­tion attribuée à Lénine, Georges Bernanos a tiré une con­férence pronon­cée au sor­tir de la Sec­onde Guerre mon­di­ale, évo­quant la désaf­fec­tion cynique pour la lib­erté s’é­tant emparée de tant de con­sciences. Un siè­cle plus tard, ce sont nos «élites» poli­tiques qui pour­raient faire leur cette déc­la­ra­tion du leader bolchevik, alors que pas un mois ne passe sans qu’une nou­velle restric­tion à la lib­erté d’opin­ion ne vienne par­faire notre arse­nal législatif.

Intrusion dans les foyers

Après le très com­men­té arrêt CNews-Reporters sans fron­tières du Con­seil d’É­tat de févri­er dernier, ce sont désor­mais nos députés qui vien­nent illus­tr­er leur désamour de la libre opin­ion en votant le 6 mars dernier en pre­mière lec­ture une propo­si­tion de loi visant à con­trôler et punir les pro­pos que vous pour­riez tenir… en privé. Voyez plutôt : l’in­jure et la provo­ca­tion non publiques à la dis­crim­i­na­tion ou à la haine en rai­son notam­ment de la race, du sexe, de l’ori­en­ta­tion sex­uelle ou encore du genre, pour­raient bien­tôt con­stituer un délit puni d’une amende de 3 750 euros. Et ceci afin de « préserv­er notre pacte répub­li­cain et pro­téger nos conci­toyens » peut-on lire dans l’ex­posé des motifs de la proposition.

Psychose maniaco-législative

Non con­tent de con­trôler — dras­tique­ment — la parole publique, l’É­tat vien­dra désor­mais jusque dans votre foy­er pour s’as­sur­er qu’au­cun mot ne puisse porter atteinte à la légal­ité répub­li­caine. « La sanc­tion pénale doit être garantie et sys­té­ma­tique », écrivent encore les députés à l’o­rig­ine de la propo­si­tion. Il faut relire Philippe Muray et ses ful­gu­rances sur « l’en­vie du pénal» et la psy­chose mani­a­co-lég­isla­tive mod­erne qui veut que chaque espace de lib­erté d’où le droit est absent soit un vide juridique à combler par des lois et règlements…

Le précédent du Covid

Rap­pelez-vous que durant la péri­ode du Covid-19, l’É­tat vous impo­sait de ne pas «être plus de six per­son­nes à table». Désor­mais la teneur même des dis­cus­sions que vous tien­drez avec vos invités va-t-elle pass­er entre ses fourch­es caudines ? Gare à vous si vous frois­sez un con­vive lors d’un débat poli­tique après avoir un peu trop for­cé sur le chablis à l’apéri­tif. Pas un mot plus haut que l’autre ! Tout adulte nor­male­ment con­sti­tué qui aurait été choqué ou insulté est libre de ne plus remet­tre les pieds chez vous. Mais la péri­ode est à l’hy­giénisme, aus­si bien physique que men­tal, dans notre grand hos­pice occi­den­tal. L’ob­jec­tif de paci­fi­ca­tion des mœurs affiché par les députés peut paraître louable mais est-ce bien là le rôle de l’É­tat de venir pénalis­er nos colères et nos emportements ?

Provocation à la haine et délation

Et que dire de la « provo­ca­tion à la haine ou à la dis­crim­i­na­tion » notam­ment en rai­son de l’ori­en­ta­tion sex­uelle ou du genre. Jes­si­ca ira-t-elle dénon­cer les pro­pos trans­pho­bes de papy René en sor­tant du prochain dîn­er de réveil­lon ? On pour­rait en rire mais c’est bien grâce à la déla­tion que cette loi pour­ra être mise en œuvre en pra­tique. Une fois n’est pas cou­tume, Orwell s’est trompé en 1948 et il n’y aura pas besoin d’in­staller de télécran dans chaque mai­son pour y sur­veiller ce qui pour­rait s’y tramer. La cul­ture de la dénon­ci­a­tion pro­mue par le gou­verne­ment s’en charg­era. « Dénon­cez-vous les uns les autres » pub­li­ait il y a quelques années Benoît Duteurtre, satire dans laque­lle il imag­i­nait un gou­verne­ment faisant pro­mulguer une loi « dénon­cer et pro­téger » pour lut­ter con­tre le sex­isme. Les pro­pos tenus sur l’or­eiller pour­ront-ils vous men­er au poste de police ?

La Vérité du camp du Bien

Doit-on rap­pel­er l’im­por­tance du désac­cord et de la diver­gence d’opin­ions, privées comme publiques d’ailleurs, out­ils encore iné­galés pour arriv­er au com­pro­mis et à la vérité ? Va-t-on devoir s’en­tour­er dans nos foy­ers de gens qui ne pensent que comme nous pour éviter toute répres­sion pénale ? Cette nou­velle loi illus­tre à mer­veille cette logo­pho­bie, cette haine de la libre-pen­sée (encore Muray) qui vient « plac­er au-dessus de toute ten­ta­tive de prob­lé­ma­ti­sa­tion, dans la sphère du sacro-saint, cer­taines choses et cer­tains êtres parce que ceux-ci sont con­sid­érés comme faisant par­tie des élé­ments invi­o­lables du nou­veau monde ».

Le totalitarisme de l’extrême-centre

Quant à l’abo­li­tion de la fron­tière entre pub­lic et privé, elle car­ac­térise le total­i­tarisme, tel que nous le dis­ait Han­nah Arendt. Et c’est à se deman­der si les députés du groupe Renais­sance à l’o­rig­ine de cette propo­si­tion de loi con­nais­sent leur lit­téra­ture poli­tique. La ques­tion est bien sûr rhé­torique… Dans cette même veine, que dire des « stages de citoyen­neté » et autres « stages de lutte con­tre le racisme, l’an­tisémitisme et les dis­crim­i­na­tions » que prévoient la loi comme peine com­plé­men­taire et qui ressem­blent à une véri­ta­ble entre­prise de réé­d­u­ca­tion citoyenne ?

S’il y a bien une loi à pro­pos­er, c’est celle venant créer un « safe space » au sein de nos domi­ciles afin que l’É­tat ne puisse y pénétr­er. C’est donc plutôt un principe d’in­vi­o­la­bil­ité — immatériel — du domi­cile que nos députés devraient faire vot­er plutôt que d’at­tis­er les « brais­es pénalophiles ».

NB : Le Cer­cle Droit et Lib­erté rassem­ble des pro­fes­sion­nels du droit, attachés aux lib­ertés publiques comme privées.

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