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L’immigration clandestine redouble en Europe malgré la crise du Covid-19, silence gêné des médias. Première partie

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15 janvier 2021

Temps de lecture : 11 minutes
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L’immigration clandestine redouble en Europe malgré la crise du Covid-19, silence gêné des médias. Première partie

Temps de lecture : 11 minutes

Les chiffres sur le nombre de migrants arrivés clandestinement en Europe en 2020 sont désormais connus. Ils montrent qu’en dépit de la pandémie de coronavirus, en dépit des confinements et autres couvre feux imposés aux populations européennes, en dépit de la crise économique qui commence à faire des ravages, les clandestins arrivent toujours massivement et en toute liberté en Europe. Les médias de grand chemin rivalisent de paraphrases et autres formules euphémisantes pour éviter de présenter le deux poids deux mesures imposé aux populations européennes : d’un côté des mesures strictes de restriction des déplacements des Européens, de l’autre, un aller simple de nombreux extra-Européens pour l’Europe. Revue de presse.

C’est en mode « vibreur » que l’actualité de l’immigration clan­des­tine est cou­verte par les médias de grand chemin. Que cela con­cerne les fran­chisse­ments illé­gaux des fron­tières européennes ou la pres­sion aux fron­tières intérieures de la France, les migrants sont présen­tés comme des vic­times des pays où ils vien­nent d’arriver clan­des­tine­ment. Cette dis­cré­tion et cet exer­ci­ce de con­tri­tion sont peut-être le début de l’explication du peu de réac­tions dans l’opinion publique et des décideurs poli­tiques à ce sujet.

Les chiffres communiqués par les médias sont les plus bas

Pour présen­ter le nom­bre d’entrées illé­gales en Europe en 2020, de nom­breux médias repren­nent à leur compte les chiffres com­mu­niqués par l’agence européenne des garde côtes et garde-fron­tières Frontex.

La baisse de ce nom­bre en 2020 par rap­port à 2019 est présen­tée de manière obsessionnelle.

Ouest-France, RFI et d’autres titres soulig­nent que l’on assiste à une « baisse des arrivées de migrants illé­gaux dans l’Union européenne en 2020, selon Fron­tex ».

Aucun titre ne relève que le décompte réal­isé par le Haut-com­mis­sari­at aux réfugiés des Nations Unies du nom­bre de « réfugiés » et de migrants arrivés clan­des­tine­ment par la mer et la terre en Europe fait appa­raitre 92 256 arrivées clan­des­tines en Ital­ie, en Espagne et en Grèce, un chiffre bien supérieur à celui com­mu­niqué par Fron­tex, 78 278 (sans tenir compte des 26 928 entrées illé­gales par les Balka­ns recensées).

Nom­bre d’arrivées selon le UN HCR

Ital­ie Espagne Grèce Total
2019 12 221 32 513 74 613 119 347
2020 34 862 41 861 15 533 92 256

Source : UN HCR Refugees situation

Nom­bre d’arrivées selon FRONTEX

Ital­ie Espagne Grèce Total Balka­ns
2020 35 628 16 969 19 681 78 278 26 928

Source : Com­mu­niqué de presse Fron­tex, 8 jan­vi­er 2021

Le Haut-com­mis­sari­at aux réfugiés des Nations Unies apporte des pré­ci­sions au sujet de la nation­al­ité des migrants. Ceux qui arrivent en Ital­ie sont surtout des Tunisiens et des Bangladais. Ceux qui arrivent en Espagne vien­nent essen­tielle­ment d’Algérie et du Maroc. Alors que Ouest-France ne cite que la nation­al­ité des clan­des­tins emprun­tant la route des Balka­ns, où les Syriens sont majori­taires, l’information sur l’origine des clan­des­tins arrivant en Espagne et en Ital­ie est absente de l’article et ne per­met pas de con­stater que ces derniers vien­nent de pays qui ne sont pas en guerre.

Une autre infor­ma­tion manque dans les arti­cles qui présen­tent les chiffres de Fron­tex sans réserve : l’immigration clan­des­tine qui arrive par la mer et la terre en Europe ne représente qu’une par­tie émergée de l’iceberg. En effet, les extra-Européens arrivés légale­ment en Europe sont nom­breux à ne pas repar­tir à l’issue d’un séjour pour lequel ils ont eu un titre en bonne et due forme. Une pré­ci­sion utile soulignée notam­ment par Patrick Ste­fani­ni, un ancien haut fonc­tion­naire qui a eu en charge l’immigration au sein de min­istères, dans un récent essai chroniqué notam­ment par le site Polémia.

Mais au final, le lecteur de Ouest France et du site de RFI aura été ras­suré par l’information de la baisse en 2020 du nom­bre d’arrivée de clan­des­tins en Europe. N’est-ce pas ce qui compte ?

La très forte hausse des arrivées clandestines en Italie minimisée

En Ital­ie, l’année 2020 est la pre­mière année « pleine » sans Mat­teo Salvi­ni au min­istère de l’intérieur. Un ancien min­istre attaqué en jus­tice pour avoir refusé de laiss­er accoster un bateau d’une ONG chargé de clan­des­tins, nous apprend le jour­nal suisse Le Temps, dans des ter­mes certes plus poli­tique­ment cor­rects. Un jour­nal qui donne la parole à l’ONG Open Arms, mais pas à Mat­teo Salvi­ni. Et cela mal­gré les fortes cri­tiques dont a fait l’objet l’ONG notam­ment du gou­verne­ment espag­nol pour ne pas coopér­er avec les États.

France 24 con­sacre un arti­cle en août 2020 aux arrivées de migrants en Ital­ie, « en forte hausse » mais « (elles) restent inférieures à 2017 ». Tout va bien, les deux années de référence retenues, 2017 et 2020, font l’impasse sur le man­dat de Mat­teo Salvi­ni, qui n’était pas aux manettes ces années-là. Un moyen com­mode de pass­er sous silence le résul­tat cat­a­strophique du change­ment de doc­trine du gou­verne­ment ital­ien, qui désor­mais laisse accoster les bateaux des clan­des­tins et des ONG. Ce qui se traduit par une hausse des arrivées entre 2019 et 2020 que la chaine d’information se garde bien de présenter.

Chal­lenges a égale­ment comme préoc­cu­pa­tion de ne pas effray­er le lecteur avec des infor­ma­tions anx­iogènes. Pour rel­a­tivis­er le titre de l’article paru en août 2020 : « Aug­men­ta­tion des arrivées de migrants en Ital­ie », on apprend que ce nom­bre est « sta­ble ». Mais cette « sta­bil­ité »  sur la péri­ode de jan­vi­er à juil­let est com­parée à l’année 2015 avec 95 000 entrées enregistrées.

Chal­lenges se garde bien de soulign­er que 2015, c’était l’année de ladite crise des migrants qui a vu un afflux con­sid­érable de clan­des­tins en Europe.

Alors que la crise économique et san­i­taire sévit en Ital­ie et plus large­ment en Europe, le site d’information Europe Infos nous apprend que « la pres­sion aug­mente sur l’Italie pour qu’elle abolisse les navires de quar­an­taine pour migrants ». Une infor­ma­tion essen­tielle est don­née : « de nom­breux migrants ont déclaré qu’ils n’avaient reçu aucune infor­ma­tion sur l’endroit où aller après avoir quit­té les navires » de quarantaine.

L’article ne pré­cise pas que cer­tains clan­des­tins savent où aller, comme le Tunisien fraiche­ment débar­qué en Ital­ie qui a gag­né la France pour assas­sin­er au couteau trois per­son­nes dans la Basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice  le 9 octo­bre. La péri­ode de quar­an­taine imposée aux migrants que les autorités ital­i­ennes ont réus­si à inter­cepter est présen­tée comme faisant l’objet d’une « pres­sion » dont l’origine n’est pas présen­tée, alors qu’il s’agit encore et tou­jours du lob­by immi­gra­tionniste qui a l’oreille des médias de grand chemin.

En Espagne, les Îles Canaries prises d’assaut

Il fut un temps, pas si loin­tain, où les iles Canaries était une des­ti­na­tion priv­ilégiée des vacanciers. A en lire les médias de grand chemin, les restric­tions des déplace­ments pour se ren­dre dans ce lieu de vil­lé­gia­ture con­cer­nent les Européens, mais pas les Africains.

Le site d’information Visa Algérie souligne le 2 jan­vi­er que l’Espagne a fait face à des « arrivées record d’Algériens en 2020 ». Alors que ces derniers sont nom­breux à arriv­er sur les côtes des Iles Baléares, de Mur­cie, d’Almeria et Grenade, on apprend que ce sont les Maro­cains qui sont les plus nom­breux à arriv­er en Espagne, en par­ti­c­uli­er dans les iles Canaries.

Un début de réac­tion des autorités espag­noles ver­rait-il le jour ?

France Terre d’asile présente le 16 novem­bre 2020 le souhait de Madrid et de Brux­elles d’augmenter les retours, afin « que les îles Canaries ne devi­en­nent pas un « nou­veau Les­bos »  face à l’accélération des arrivées ».

Visa Algérie nous informe le 23 décem­bre que le gou­verne­ment espag­nol a affrété trois bateaux pour expulser des Algériens. Mais à ce jour, cette annonce n’a pas trou­vé de con­créti­sa­tion, en dépit d’une hausse de…500 % des migrants arrivant dans les îles Canaries en 2020 par rap­port à 2019, selon Eurac­tiv le 6 octobre.

À la frontière franco-italienne, les migrants sont des victimes

Cap­i­tal con­sacre le 6 sep­tem­bre un arti­cle à « la pres­sion migra­toire à la fron­tière ital­i­enne », qui se man­i­feste notam­ment par une impor­tante aug­men­ta­tion des inter­pel­la­tions d’étrangers en sit­u­a­tion irrégulière.

Alors que les Français subis­sent cou­vre-feux et con­fine­ments pour enray­er la prop­a­ga­tion du coro­n­avirus, les restric­tions d’entrées sur le ter­ri­toire français des clan­des­tins n’ont pas bonne presse. Peu importe le con­texte, ce qui préoc­cupe France 3 le 2 jan­vi­er 2021, ce sont des « vio­lences au poste fron­tière de Men­ton », beau­coup moins l’afflux incon­trôlé d’extra-Européens attirés par l’État prov­i­dence français. Cédric Her­rou, le passeur com­pul­sif de migrants à la fron­tière fran­co-ital­i­enne, est tou­jours la coqueluche des médias. Il fait la une de plusieurs arti­cles, notam­ment dans le Monde qui a pris pour l’occasion un « apéro » avec « l’agriculteur mil­i­tant ».

On a retrouvé Franco à la frontière franco-espagnole

Les con­trôles à la fron­tière fran­co-espag­nole n’ont égale­ment pas bonne presse. Ils seraient ren­for­cés selon Infomi­grants le 16 novembre.

Mais pour France bleu le 15 juin 2020, ce ne sont pas des « con­trôles » mais une « fer­me­ture ». Une per­son­ne qui doit franchir la fron­tière pour se ren­dre dans sa rési­dence en Espagne évoque une « impres­sion de revenir à l’époque de Fran­co ». Un reduc­tio ad hit­leri­um ou ad fran­cum en moins de 5 sec­on­des, cha­peau bas à la radio de ser­vice pub­lic pour cette com­para­i­son tout en finesse.

La sanctuarisation de l’immigration illégale

Out­re la présen­ta­tion de l’immigration clan­des­tine sous un angle pure­ment human­i­taire, on apprend à la lec­ture de cer­tains arti­cles qu’en dépit de la pandémie de coro­n­avirus et de la grave crise économique qui sévis­sent en Europe, l’immigration illé­gale est sanc­tu­ar­isée. Cette « sanc­tu­ar­i­sa­tion » et péren­ni­sa­tion passe par des juge­ments favor­ables aux clan­des­tins, par l’arrêt de éloigne­ments et la mise en accu­sa­tion de Fron­tex pour faire son tra­vail de garde-fron­tière et de garde-côtes.

Au ray­on jus­tice, le risque de con­t­a­m­i­na­tion dans son pays d’origine peut jus­ti­fi­er que la jus­tice ital­i­enne accorde à un clan­des­tin une pro­tec­tion human­i­taire, nous informe Infomi­grants le 28 décem­bre 2020.

Le Figaro pré­cise dans son édi­tion du même jour que « les juges ont expliqué dans des ordon­nances déposées juste avant Noël qu’ils éval­ueraient désor­mais au cas par cas les dossiers de migra­tion en prenant en compte la sit­u­a­tion du pays d’o­rig­ine du point de vue de l’épidémie de coro­n­avirus ».

Le droit au ser­vice de l’immigration tou­jours con­cer­nant Fron­tex. Les refoule­ments de clan­des­tins par le corps de garde-fron­tières et garde côtes fait l’objet de fortes attaques. Le site d’information Eurac­tiv nous informe le 29 octo­bre que « Brux­elles veut des expli­ca­tions de Fron­tex », qui est accusé « de procéder à des refoule­ments illé­gaux de migrants ». L’observateur atten­tif aura noté que ce sont les refoule­ments qui sont qual­i­fiés d’illégaux et pas les clandestins…

Plus récem­ment, Ouest-France nous apprend le 12 jan­vi­er que « l’office européen de lutte antifraude, a ouvert une enquête con­tre Fron­tex ». « Une perqui­si­tion a été menée dans les locaux de l’agence européenne basée à Varso­vie ». Voilà une affaire ron­de­ment menée…

Alors que les refoule­ments sem­blent ban­nis par l’Union européenne, les éloigne­ments des étrangers en sit­u­a­tion irrégulière sont ren­dus dif­fi­ciles pour une autre rai­son : Infomi­grants nous apprend le 13 août que « «  beau­coup de pays ont effet fer­mé leurs fron­tières en rai­son de la crise du Covid-19 ». Mais ras­surez-vous, les pays dont il est ques­tion, ce ne sont pas les pays européens, ce sont les pays d’origine des migrants qui refusent de voir revenir leurs ressortissants.

Ce qui amène une inter­venante juridique en cen­tre de réten­tion à indi­quer à Infomi­grants en août : «  Ces per­son­nes (en cen­tres de réten­tion admin­is­tra­tive NDLR) con­tin­u­ent d’être enfer­mées et n’ont pas de per­spec­tive d’éloigne­ment ».

Redoublement du déferlement migratoire en perspective

Et la sit­u­a­tion ne devrait qu’empirer en 2021 : on apprend dans plusieurs arti­cles que les bateaux des ONG croisant en méditer­ranée pour amen­er les migrants en Ital­ie sont de plus en plus nom­breux : Sea Eye 4, Open arms, Mare Jonio 2, Ocean Viking. Les arti­cles nous appren­nent que ces bateaux ont des capac­ités accrues par rap­port à précédem­ment et davan­tage de moyens tech­nologiques, grâce notam­ment à des aides publiques, comme le souligne Le Télé­gramme.

Ces infor­ma­tions sont-elles inquié­tantes ? Ras­surez-vous, l’attention des médias sur la migra­tion a forte­ment dimin­uée en Ital­ie selon une étude faite par une fon­da­tion présen­tée par Infomi­grants.

C’est bien en mode vibreur que l’immigration clan­des­tine va pou­voir redou­bler dans un con­ti­nent européen mis à l’arrêt en rai­son de la crise san­i­taire. Ne comp­tons pas sur les médias dom­i­nants pour présen­ter ces incur­sions clan­des­tines négativement.

La deux­ième par­tie de cette revue de presse sera fort logique­ment con­sacrée à la cou­ver­ture médi­a­tique de la répar­ti­tion des migrants sur le ter­ri­toire français. A suivre.

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