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La crise au Média s’intensifie, la rédaction coupée en deux camps

20 août 2018

Temps de lecture : 10 minutes
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La crise au Média s’intensifie, la rédaction coupée en deux camps

Temps de lecture : 10 minutes

La gauche radicale semble peu capable de gouverner. Que ce soit sur une ZAD ou sous la houlette du leader Maximo Mélenchon, ça finit presque toujours en castagne. Le Média, la TV Mélenchon qui se défendait de l’être, était entrée dans l’été avec une très forte crise interne. Notamment parce qu’il perdait de l’argent, près de 32.000 euros par mois, beaucoup plus que ce qui a été annoncé aux socios. Ces derniers, sortes de sociétaires censés être propriétaires sans l’être vraiment, mais bons pour payer toujours.

Pis, l’ancienne présidente Sophia Chikirou, proche de Mélenchon, était accusée par Aude Lancelin la nouvelle directrice, d’avoir tenté de soutirer 130.000 € en 48 heures au bénéfice de sa société de communication, Mediascop, qui lui donnait des conseils en tant que présidente. Un premier chèque de 64.119 € a été accepté, un autre de 67.000 € refusé par la banque. Conflit d’intérêts assuré.

Tentative de médiation

Devant la grav­ité des accu­sa­tions, Sophia Chikirou appelle à une médi­a­tion portée par Bruno Gac­cio, ancien scé­nar­iste des Guig­nols de l’Info avant 2007  : « Je pro­pose ici que des socios et des per­son­nal­ités, comme par exem­ple Bruno Gac­cio, puis­sent con­stituer un groupe de médi­a­tion indépen­dant. Car sans médi­a­tion, nous ne sor­tirons pas de la crise […] la com­mu­ni­ca­tion est coupée entre Aude [Lancelin, la nou­velle prési­dente], Gérard[Miller], Hervé [Jacquet, prési­dent de l’as­so­ci­a­tion “LeMé­dia”], Stéphanie [Ham­mou, nou­velle prési­dente de la société de production]et moi », relève-t-elle.

D’autres, dont Hen­ri Poulain, cofon­da­teur du Média, accusent Sophie Chikirou de tout faire pour que le Média ne sur­vive pas à son départ. « C’est toi qui as décidé de par­tir, arrête de con­sid­ér­er a pri­ori que rien de bon ne peut te sur­vivre », s’est exclamé Gérard Miller sur le compte Face­book des socios. Et il bal­aie l’existence d’une « con­ven­tion » entre Médi­as­cop et Le Média dont a fait état Sophia Chikirou pour jus­ti­fi­er les 130.000 euros payés : « tu étais prési­dente de la Société de pro­duc­tion, tu as établi puis reçu cette pre­mière fac­ture de Medi­as­cop, c’est toi et per­son­ne d’autre qui as signé le chèque cor­re­spon­dant et c’est toi et per­son­ne d’autre qui l’as encais­sé — point final ».

L’Express a inter­rogé un ancien jour­nal­iste, vite par­ti : « rien n’a été géré comme dans une entre­prise cen­sée s’in­staller. Quand je pense aux jeunes jour­nal­istes qui com­men­cent leur car­rière là-bas… déplore celui qui est par­ti du Média il y a plusieurs mois. Ils ont volé mes rêves, mais au moins j’é­tais payé. Les socios, eux, non ».

Pour les socios, difficile de résilier, encore plus de renoncer à être socio

Cer­tains socios en ont assez et veu­lent arrêter leur sou­tien. Or s’il est assez dif­fi­cile mais pos­si­ble d’arrêter la con­tri­bu­tion men­su­elle ver­sée par vire­ment automa­tique – par let­tre recom­mandée avec accusé de récep­tion, envoyée avant le 23 du mois courant – il sem­ble dif­fi­cile de se débar­rass­er du titre de socio, con­sid­éré comme un (faux) titre de pro­priété inces­si­ble, sauf aux descendants.

Pis, si les socios sont bons pour pay­er, ils ne con­trô­lent rien en réal­ité… et voient avec inquié­tude et dés­ap­pro­ba­tion anci­enne et nou­velle direc­tion se déchir­er en ligne. Ces derniers lais­sent pour l’heure éclater leur colère sur inter­net – ce qui n’est pas aus­si sans con­séquence sur la (pos­si­ble encore) sai­son 2 du Média.

Pour le média indépen­dant libéral Con­tre­points, Le Média décou­vre le monde de l’entreprise et ne tardera pas à couler si la crise con­tin­ue : « par leurs con­tri­bu­tions volon­taires, les « socios » (à l’instar des sup­port­ers engagés pour leurs couleurs) décideront du sort à lui réserv­er. C’est très bien ain­si. La loi du marché finit tou­jours par s’appliquer ».

Nouveau rédac-chef et SDJ contestés : les « racisés » et le fake de Tolbiac ne passent pas

Par ailleurs Alex­is Poulin et trois autres jour­nal­istes (Serge Faubert, Julie Mau­ry, Léonard Vin­cent) ont lancé une nou­velle fronde en con­tes­tant la place de Théophile Kouamouo comme rédac-chef. Ils ont rap­pelé qu’il était le présen­ta­teur lorsque Le Média a annon­cé – sans véri­fi­er et par idéolo­gie – qu’il y avait un étu­di­ant de Tol­bi­ac dans le coma après l’évacuation par les forces de l’ordre de la fac­ulté occupée et saccagée.

Après avoir don­né des leçons à la presse main­stream, Le Média s’était en effet com­plète­ment plan­té avec Tol­bi­ac et avait tardé à s’excuser, déclen­chant un feu de bar­rage par­ti­c­ulière­ment nour­ri de la part de la presse qui se classe à gauche.

Dans leur com­mu­niqué, ils témoignent que la SDJ mise en place par Téophile Kouamouo et Aude Lancelin, « via la mes­sagerie What­sApp le dimanche 30 juin, n’a pas asso­cié l’ensemble des jour­nal­istes du Média. Face à l’opposition de plusieurs jour­nal­istes [ils] ont choisi d’exclure des jour­nal­istes et d’agir pré­cipi­ta­m­ment ».

Le racisme des anti-racistes

Le sémi­naire de la rédac­tion du Média début juil­let sem­ble aus­si ne pas s’être bien passé pour les fron­deurs, qui ont goûté à la démoc­ra­tie inclu­sive et mil­i­tante comme la gauche rad­i­cale sait si bien faire. « L’agressivité et les calom­nies ont du reste été la règle envers les jour­nal­istes ayant refusé d’en faire par­tie. Qual­i­fiés de « racistes », de « pau­vre mec », de « lâch­es », se voy­ant nier le droit à la parole (« tais toi tu n’as pas le droit de par­ler »), nous n’acceptons pas ces pra­tiques d’intimidation ni les men­aces qui pèsent sur nos emplois à la ren­trée ».

Ils s’en sor­tent bien du reste : sur la ZAD de Notre-Dame des Lan­des, le mode de règle­ment des con­flits est de tabass­er la cible, de le met­tre dans le cof­fre d’une voiture et de l’abandonner nu devant une gen­darmerie ou un hôpi­tal psy­chi­a­trique, comme le 20 mars dernier encore.

Pis, la ques­tion du racisme laisse aus­si éclater de très forts cli­vages : « la ques­tion répub­li­caine, de la lutte con­tre le racisme et le com­mu­nau­tarisme ne sont pas des valeurs négo­cia­bles […] Le Média, qui revendique de lut­ter con­tre le racisme, ne peut pas accepter que plusieurs jour­nal­istes se qual­i­fient eux-mêmes par le terme de « racisés ». Cette expres­sion est odieuse ! Au moment où le terme de race doit dis­paraître de la Con­sti­tu­tion, ils le revendiquent comme une iden­tité ! ».

Ou quand les bobos de gauche tombent de haut en décou­vrant le monde impi­toy­able de la gauche rad­i­cale qu’ils ont tou­jours feint d’ignorer : con­ver­gence avec les racailles, traf­ic de drogue pour pay­er les « luttes », réu­nions « non-mixtes » et inter­dites aux « non-racisés », autrement dit ségré­ga­tion mil­i­tante… sans oubli­er l’apartheid dans les squats qui recru­tent des « cis­gen­res non hétéros » et des « per­son­nes non blanches ».

Purge politique ?

En fil­igrane, ce sont aus­si les ori­en­ta­tions qui sont con­testées : fin du JT qui mangerait jusqu’à la moitié du bud­get, pour des résul­tats peu probants, inser­tion pos­si­ble d’un pay­wall réservé aux socios, report sine die de la trans­mis­sion du Média en coopéra­tive con­trôlée par les socios… avec l’introduction de la pub, c’est la fin qua­si totale des promess­es faites au départ. S’ajoutent à cela des ten­sions poli­tiques, avec d’un côté des accu­sa­tions con­tre « l’autoritarisme » d’Aude Lancelin, de l’autre une pos­si­ble « purge poli­tique » des proches de Mélenchon.

D’autres mil­i­tants de gauche n’ont pas fait par­tie de l’aventure, et se réjouis­sent main­tenant des déboires du Média… et à tra­vers celui-ci de la France Insoumise. « Plusieurs te l’avaient dit sur ta page FB dés le depart, com­ment ça pou­vait finir, entre une Greedy Sophia [Chikirou] qui a un pas­sif en or mas­sif et [Aude] Lancelin et ses ten­dances psy­cho rigides de rouge brune autori­taire », adresse l’un d’eux à Alex­is Poulin.

Vers un « Nouveau Média » et des problèmes similaires ?

Stop ou encore une farce potache ? Des « jeunes de gauche » incon­nus au batail­lon et anonymes ont annon­cé le lance­ment du Nou­veau Média. Qui aura comme objec­tifs de « rassem­bler toute la gauche cul­turelle et sociale » avec « d’anciens socios et jeunes de LFI » qui tra­vailleraient déjà à un site opéra­tionnel. Les stu­dios seraient « opéra­tionnels dès le 1er jan­vi­er 2019 ».

Ils enfon­cent quelques clous de plus dans le cer­cueil du Média : « expéri­ence mal­heureuse­ment vouée à l’échec en rai­son de l’égoïsme et de la mal­hon­nêteté de quelques uns ». Ils sem­blent en avoir tiré les leçons : « ce seront les socios qui choisiront via un vote l’affectation des dépens­es pour chaque nou­velle année. La tré­sorerie fera l’objet d’un con­trôle réguli­er ».

Ils risquent rapi­de­ment de retomber sur des prob­lèmes sim­i­laires. Et pas seule­ment parce que « là où il y a de l’homme il y a de l’hommerie », comme l’estimait Saint François de Sales repris par Péguy. Mais aus­si parce que le Média est la preuve patente du fonc­tion­nement de la gauche rad­i­cale, entre querelles de chapelles, cours­es à l’échalote inutiles entre agi­ta­teurs sou­vent ultra-minori­taires et car­i­ca­ture absolue de la démoc­ra­tie par­tic­i­pa­tive par des gens qui pro­fessent gauchisme, auto­ges­tion et bénévolat mais n’oublient pas de bien se pay­er sur le dos ici des socios, là des con­tribuables. Toute nou­velle aven­ture médi­a­tique au sein de la gauche rad­i­cale sem­ble con­damnée à finir tout aus­si mal.

À moins de n’être sub­ven­tion­née par le con­tribuable, à l’image de l’Humanité com­mu­niste tenue en laisse par les sub­ven­tions ou de nom­bre de radios « alter­na­tives » en province très peu pressées de cri­ti­quer ces pou­voirs publics locaux qui les financent.

« Le krach en direct de «la for­mi­da­ble aven­ture» promise par Le Média resterait anec­do­tique s’il ne révélait pas un biais fon­da­men­tal de cette gauche révo­lu­tion­naire. Adeptes de la vic­tim­i­sa­tion, friands de boucs émis­saires, habitués au déni de réal­ité, abon­nés au moral­isme et sen­si­bles au com­plo­tisme, ces hérauts du grand soir nav­iguent sans souci d’exemplarité, ni de respon­s­abil­ité. Pathé­tique et sans issue », assène ain­si L’Opinion.

L’appel de la nou­velle rédac­tion dans Libéra­tion pour un nou­veau départ ressem­ble à un mau­vais feuil­leton, n’est pas Net­flix qui veut pour les séries à succès.

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