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La folle semaine médiatique du voile

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28 octobre 2019

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Veille médias | La folle semaine médiatique du voile

La folle semaine médiatique du voile

Temps de lecture : 6 minutes

Vendredi 11 octobre, un élu du Conseil régional de Bourgogne-Franche Comté, Julien Odoul, a invité la Présidente de région à demander à une accompagnatrice scolaire voilée de retirer son voile islamique dans l’assemblée où elle se trouvait. Cette initiative a provoqué une tempête médiatique sur laquelle nous revenons. Celle-ci n’a pas été épargnée par des faux semblants et des protestations outragées largement médiatisées.

Les faits

Le 11 octo­bre 2019, lors de l’assemblée plénière du Con­seil région­al de Bour­gogne-Franche Comté, Julien Odoul, un élu du Rassem­ble­ment Nation­al, s’adresse à la Prési­dente de région dans un vacarme de protes­ta­tion. Il la presse d’intervenir pour deman­der à une femme voilée accom­pa­g­nant un groupe sco­laire « de bien vouloir retir­er son voile islamique » « au nom des principes de laïc­ité ».

Ce sera le début d’une tem­pête médi­a­tique qui ver­ra s’afficher des divi­sions au sein de la classe poli­tique et du par­ti prési­den­tiel et se mul­ti­pli­er force tri­bunes, débats et mêmes men­aces plus ou moins « voilées » dont seront vic­times tant le Min­istre de l’éducation que Julien Odoul.

Le 13 octo­bre, au jour­nal de TF1, nous apprenons que la vidéo de l’initiative de l’élu RN a été vue plus de 3 mil­lions de fois. « Cette pho­to a ému de nom­breux inter­nautes : un fils qui se réfugie dans les bras de sa mère » com­mente la jour­nal­iste Anne-Claire Coudray.

La couverture médiatique : la victimisation avant tout

Les médias de grand chemin ont cou­vert cet événe­ment dans l’immense majorité des cas sous l’angle d’une «  agres­sion » de l’élu région­al con­tre la femme voilée présente dans l’assemblée.

Le Parisien donne le 14 octo­bre la parole à l’accompagnatrice : « ils ont détru­it ma vie ». Devant un jour­nal­iste de France 3, elle donne son ressen­ti : « un rejet que je n’avais pas sen­ti avant ».

Le site des « maro­cains du monde » informe que sur CNews, « Lau­rence Fer­rari recadre un élu islam­o­phobe ». « Regardez cette pho­to, un petit enfant de huit ans qui pleure dans les bras de sa mère, est ce que vous êtes fier de vous ? N’avez-vous pas honte ? » lance Lau­rence Fer­rari à l’élu région­al sur le plateau de CNews. Pour de nom­breux médias, dont France Info et Europe 1, la femme voilée a été « prise à par­ti » et va dépos­er plainte.

Le 13 octo­bre, c’est selon Libéra­tion « honte au RN et à ses idiots utiles ».

Comme nous le rela­tions dans un récent arti­cle, Le Monde pub­lie le 15 octo­bre une tri­bune de 90 per­son­nal­ités dénonçant « la haine des musul­mans ».

Check­news (financé par Face­book, ne l’oublions pas) de Libéra­tion nous apprend le 17 octo­bre qu’il y a eu à cette date « 85 débats sur le voile » et zéro femme voilée invitée. Le Point évoque le 17 octo­bre « l’opportunisme dévoilé » de Julien Odoul, « habitué aux coups d’éclat médi­a­tiques ». Le Huff­in­g­ton post nous par­le le 18 octo­bre du « ras le bol de ces femmes musul­manes »

Le 18 octo­bre, Mar­i­anne estime que l’on est en présence d’ « une femme voilé humil­iée, les islamistes ravis ». Le 21 octo­bre, sur le plateau de LCI, une invitée com­pare l’accompagnatrice voilée à « une pieta, une  Rosa Parks », une mil­i­tant des droits civiques aux États-Unis dans les années 1960.

Le 22 octo­bre, 101 musul­mans de France sig­nent dans Mar­i­anne une tri­bune inti­t­ulée « le voile est sex­iste et obscu­ran­tiste ».

Agression verbale versus entrisme islamiste

Dans l’immense majorité des médias, la demande de Julien Odoul est présen­tée comme une agres­sion ver­bale à l’encontre de l’accompagnatrice voilée. La réac­tion néga­tive de son enfant est dev­enue un élé­ment majeur de cette ini­tia­tive. On est stricte­ment dans le reg­istre émo­tion­nel : un élu RN a fait pleur­er un enfant, il a fait preuve de cru­auté. C’est tout à fait con­damnable. CQFD. Le médi­a­tique est devenu émo­tique. Cette analyse, qui s’apparente à une réac­tion immé­di­ate, va être large­ment util­isée au point d’éluder tout élé­ment de con­texte ain­si que l’enjeu majeur de cette initiative.

 L’identité de la femme voilée

Alors que de nom­breux médias se sont enquis du ressen­ti de Fati­ma E, l’accompagnatrice voilée, après la demande de Julien Odoul, peu se sont inter­rogés sur son iden­tité. Le site de revue de presse Fdes­ouche s’interroge: « est-elle mem­bre d’un con­seil d’administration proche des islamistes ? » et apporte des élé­ments à ce sujet.

Mar­i­anne nous informe que Fati­ma E. a accordé un entre­tien exclusif au Comité con­tre l’islamophobie (CCIF), une asso­ci­a­tion proche des frères musul­mans. Très peu de médias relèvent cette ori­en­ta­tion mil­i­tante de l’accompagnatrice voilée.

Les précédents

Pra­tique­ment aucun média ne le souligne, la demande de dis­cré­tion rel­a­tive aux signes religieux dans une assem­blée représen­ta­tive de la République n’est pas une nou­veauté. Pour ne citer que deux exem­ples, en 2009, le Prési­dent de l’assemblée nationale rap­pelait suite à la venue d’une lycéenne voilée que le pub­lic doit se tenir à décou­vert au Par­lement, une pre­scrip­tion qui remonte « à une péri­ode où la déférence due à la représen­ta­tion nationale voulait qu’un homme retire son cou­vre-chef ». Le Prési­dent de l’assemblée nationale de l’époque ne don­nera pour­tant pas suite à la demande de tran­scrire cet usage en une loi pro­hibant les signes religieux au Parlement.

Le Figaro a con­sacré en 2000 un arti­cle à la demande de Lau­rent Fabius à un prêtre et à une religieuse de retir­er leur croix et leur voile pour s’assoir dans l’hémicycle de l’assemblée nationale. Hormis dans les réseaux soci­aux, ces précé­dents, qui n’ont alors pas sus­cité une telle vague d’indignation et de protes­ta­tions, ont été totale­ment passés sous silence. Il est vrai qu’ils auraient rel­a­tivisé l’initiative du con­seiller région­al en l’inscrivant dans un souhait large­ment partagé de dis­cré­tion rel­a­tive aux signes religieux dans une assem­blée de la République.

L’Islam militant, la pratique des petits pas

Peu de com­men­ta­teurs ont don­né une inter­pré­ta­tion politi­co-religieuse au port du voile par l’accompagnatrice présente au con­seil région­al de Bour­gogne Franche Comté. L’initiative de Julien Odoul a été présen­tée comme une agres­sion, alors qu’il ne s’est pas adressé directe­ment à la femme voilée. La réac­tion de l’enfant a été sur­ex­ploitée médi­a­tique­ment au point de sat­ur­er l’information sur cet événement.

Les voix de musul­mans ayant subi l’islamisme dans leur pays comme celle de Mohamed Sifaoui, (« Le voile n’est pas islamique mais islamiste ») et de Zineb El Razoui, etc., ont été bien dis­crète­ment relayées dans ce con­cert de pleureuses. « Le voile est un éten­dard mil­i­tant, c’est le cheval de Troie de l’idéologie islamiste. Cette année, il y a une offen­sive sur les sujets sco­laires. Il faut une ini­tia­tive ferme pour tarir ce vivi­er mil­i­tant », a rap­pelé oppor­tuné­ment la jour­nal­iste rescapée de Char­lie Heb­do, Zineb El Razoui.

Au final, l’émotion de l’accompagnatrice et les pleurs de son enfant auront relégué au sec­ond plan d’autres enjeux de société bien plus impor­tants. Sans par­ler d’éléments de con­texte plus que trou­blants. L’image qui restera sera l’enfant de la « pieta » en larmes et comme com­men­taire majeur le « sen­ti­ment de rejet » de sa mère. La sidéra­tion par l’émotion comme sol­de de tout compte de cet événe­ment large­ment médiatisé.