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Chiffres de l’immigration en 2019 : bidouillage, banalisation et absence d’esprit critique dans les médias

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3 février 2020

Temps de lecture : 7 minutes
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Chiffres de l’immigration en 2019 : bidouillage, banalisation et absence d’esprit critique dans les médias

Temps de lecture : 7 minutes

Comme chaque début d’année, le ministère de l’intérieur rend disponible sur son site internet les principaux chiffres sur l’immigration extra-européenne de l’année écoulée. Comme chaque année, le nombre d’étrangers ne fait que croître en France. En dépit son importance considérable, l’arrivée dans le pays de près de 400 000 étrangers extra-européens en 2019 est un quasi non-événement pour les médias français.

En 2019, la France a vu arriv­er près de 400 000 étrangers extra-européens. Au nom­bre des pre­miers titres de séjours délivrés (276 576), il faut ajouter les clan­des­tins, les mineurs étrangers et les 154 620 deman­deurs d’asile arrivés dans l’année, déduc­tion faite des 38 157 pre­miers titres de séjour délivrés pour motif human­i­taire et des régu­lar­i­sa­tions de clandestins.

Si les années précé­dentes, quelques jour­naux nous avaient fourni à l’occasion de la pub­li­ca­tion des chiffres annuels de l’immigration quelques enquêtes et analy­ses, cette année, alors que les flux d’arrivées sont con­sid­érables dans le pays, les médias de grand chemin se con­tentent pour la plu­part de recopi­er laborieuse­ment une dépêche de l’AFP.

La couverture médiatique des chiffres de l’immigration

Les chiffres des arrivées d’immigrés soumis à un titre de séjour en 2019 ont été mis en ligne sur le site du min­istère de l’intérieur le 21 jan­vi­er. Si l’information est présen­tée dans de nom­breux médias de grand chemin, les arti­cles con­sacrés à ce sujet sont tous assez lap­idaires (500 à 800 mots).

De nom­breux arti­cles repren­nent les 22 et 23 jan­vi­er les prin­ci­paux points de la dépêche de l’AFP au sujet des chiffres com­mu­niqués par le min­istère de l’intérieur. Nous détail­lons les élé­ments sail­lants présents dans 20 min­utes, Le Point , Le Parisien , Le Figaro, Les Échos, Actu­al­ités du droit et sur Euronews :

  • « Les deman­des d’asile ont aug­men­té de 7,3% en 2019 ». Tous les arti­cles le précisent.
  • « La demande d’asile est en hausse », une hausse qual­i­fiée de « mod­érée ».
  • Le nom­bre des deman­deurs d’asile qui est com­mu­niqué est celui annon­cé par l’OFRA : 132 614. Quelques titres pré­cisent qu’à ces 132 614, il con­vient d’ajouter les 39 630 per­son­nes rel­e­vant de la procé­dure dite Dublin ayant déposé une demande d’asile dans les Pré­fec­tures. C’est le cas notam­ment de 20 min­utes.
  • La France a dépassé l’Allemagne dans le nom­bre de deman­deurs d’asile.
  • Le grand nom­bre de deman­deurs d’asile géorgiens et albanais est plus rarement souligné, alors qu’ils sont issus de « pays sûrs ».
  • Les expul­sions de déboutés du droit d’asile et de clan­des­tins ont aug­men­té de 19%.
  • 276 576 pre­miers titres de séjour ont été délivrés.
  • Plusieurs titres don­nent la parole à un tiers qui com­mente les chiffres du min­istère de l’intérieur ou citent une autre source.

20 min­utes cite un rap­port par­lemen­taire selon lequel la demande d’asile explose en France.

Le Point reprend sans aucun com­men­taire les pro­pos du min­istère de l’intérieur : « Les deman­des d’asile pour­raient com­mencer à décroitre », pour ter­min­er l’article sur un autosat­is­fecit. Les chiffres de l’immigration qui explosent traduiraient « un engage­ment fort du gou­verne­ment pour garan­tir une poli­tique d’immigration , d’asile et d’intégration équili­brée, cohérente et ambitieuse».

Le Figaro donne la parole à Éric Ciot­ti, Guil­laume Lar­rivé et à Brice Hort­e­feux (LR) qui s’expriment au sujet des chiffres com­mu­niqués. Le directeur de la Direc­tion Générale des Étrangers en France com­mente en toute neu­tral­ité admin­is­tra­tive l’augmentation des expulsions.

On apprend dans Le Parisien que « les flux irréguliers ont beau­coup bais­sé en Europe » selon la Place Beau­vau et que la France est « un pays de rebond » pour les deman­deurs d’asile.

Bidouillage, banalisation et absence d’esprit critique

Le nom­bre d’arrivées d’étrangers extra-européens en France en 2019 est non seule­ment en forte hausse par rap­port aux années précé­dentes. Il est tout à fait con­sid­érable. Pour­tant, les arti­cles des médias de grand chemin qui sont cen­sés le relater sont mar­qués par une banal­i­sa­tion de l’ampleur des flux qui arrivent dans le pays et une absence d’esprit critique.

Le bidouillage du chiffre des demandeurs d’asile

Check­news de Libéra­tion l’a souligné le 20 jan­vi­er : l’Office sta­tis­tique européen (Euro­stat) aurait demandé aux autorités français­es de « revoir (leur) copie » sur le nom­bre de deman­deurs d’asile qui lui est remon­té. Euro­stat reproche au gou­verne­ment français de ne pas avoir inté­gré dans les sta­tis­tiques com­mu­niquées les deman­deurs d’asile sous procé­dure Dublin , « ce qui a pour effet de minor­er les chiffres ». La procé­dure Dublin prévoit que les per­son­nes arrivant en Europe doivent être pris­es en charge par le pays d’entrée dans l’Union européenne, ce qui n’est bien sou­vent pas le cas.

Chiffres sous-estimés

Il ne fal­lait pas faire de grandes recherch­es pour con­stater dans les sta­tis­tiques du min­istère de l’intérieur sur les deman­des d’asile que les chiffres mis en avant par le gou­verne­ment sont sous-estimés. En 3ème page du doc­u­ment, et cela depuis des années, il est indiqué que « la France pour­ra envis­ager de se con­former prochaine­ment aux exi­gences d’Eurostat » con­for­mé­ment à une Direc­tive européenne. Un engage­ment annon­cé chaque année et non suivi d’effet. En compt­abil­isant les deman­des déposées en Pré­fec­ture dans le cadre de la procé­dure Dublin, le nom­bre de deman­deurs d’asile est de 154 620, et non de 132 614 comme le titrent presque tous les médias de grand chemin.

Si cer­tains jour­naux men­tion­nent le nom­bre de deman­deurs d’asile « dublinés », le chiffre total des deman­deurs d’asile fig­u­rant en 3e page des sta­tis­tiques gou­verne­men­tales n’est que très rarement repris par les médias de grand chemin. Encore un effort, cama­rade jour­nal­iste, pour ne pas céder aux tours de manche du gou­verne­ment dans sa communication…

Une ampleur des flux banalisée

Si quelques médias soulig­nent que le nom­bre de deman­des d’asile déposées en France en 2019 est un « record », aucun ne souligne glob­ale­ment l’ampleur con­sid­érable du nom­bre d’arrivées d’extra-européens dans le pays : 154 620 deman­deurs d’asile, 276 576 pre­miers titres de séjour.

Il faut ajouter à ce chiffre:

  • les clan­des­tins, dont le gou­verne­ment ne com­mu­nique plus le chiffre depuis 2019. Pour mémoire, ils étaient selon le Pôle nation­al d’analyse migra­toire rat­taché au Min­istère de l’intérieur, cité par le Figaro le 19 mars 2018, 79 500 à être entrés sur le ter­ri­toire en 2017. Aucun média ne s’interroge sur la fin de la com­mu­ni­ca­tion des sta­tis­tiques à ce sujet.
  • les mineurs étrangers. Si les départe­ments n’ont pas encore com­mu­niqué sur le nom­bre de jeunes, sou­vent africains, qui se sont pressés aux guichets de l’aide sociale à l’enfance (ASE) en 2019, la presse locale fait état d’une explo­sion des deman­des d’ASE dans plusieurs départe­ments : + 49% entre 2017 et 2019 dans le départe­ment de l’Hérault selon Lengadoc info, + 50% entre 2017 et 2019 dans le Cher selon France bleu, + 7% par rap­port à 2018 dans les Vos­ges selon Vos­ges matin, + 167% entre 2015 et 2019 dans le départe­ment de la Loire selon France bleu, + 205% entre 2016 et 2019 dans le départe­ment de Seine Mar­itime selon Actu.fr, + 721% entre 2012 et 2019 en Mayenne selon France bleu, etc.

Par con­tre, presque tous les titres par­lent de l’augmentation du nom­bre des expul­sions, alors qu’elles ne représen­tent qu’une infime par­tie des déboutés du droit d’asile et de l’aide sociale à l’enfance qui devraient retourn­er dans leurs pays.

Une absence d’esprit critique de nombreux médias

Aucun média de grand chemin  ne le souligne : les flux con­sid­érables d’arrivées d’immigrés extra-européens arrivent à un moment où les usines fer­ment en France et où l’islamisme et le com­mu­nau­tarisme se propagent.

Il y a juste un an, plusieurs arti­cles dans les médias évo­quaient les 2,85 mil­lions de per­son­nes compt­abil­isées dans la pop­u­la­tion active, « ni en emploi, ni en études, ni en for­ma­tion ». Que le gou­verne­ment fasse de l’immigration sa pri­or­ité, comme en témoigne le bud­get dédié, et non du retour à l’emploi des désœu­vrés, n’appelle pas de com­men­taires de la part des médias dits main­stream. Tout comme le fait que les deman­des d’asile sont comme le rel­e­vait la cour des comptes en 2015 une porte d’entrée de l’immigration illé­gale en France n’est souligné par aucun média dom­i­nant. On n’en saura pas davan­tage sur les raisons pour lesquelles les deman­des d’asile bais­sent partout en Europe sauf en France.

La com­mu­ni­ca­tion lénifi­ante du gou­verne­ment pour­ra sans nul doute con­tin­uer l’année prochaine à endormir les citoyens en évo­quant, comme cette année, une  « pos­si­ble baisse » des deman­des d’asile l’année suiv­ante. Il y a fort à pari­er que les médias de grand chemin ne seront une nou­velle fois pas là pour alert­er les lecteurs et téléspec­ta­teurs sur la défer­lante migra­toire qui est en cours.