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Twitter au centre du « recalibrage » de la liberté d’expression par les démocraties libérales

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8 juillet 2023

Temps de lecture : 8 minutes
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Twitter au centre du « recalibrage » de la liberté d’expression par les démocraties libérales

Temps de lecture : 8 minutes

En mai 2022 au Forum économique mondial, elle appelait à un « recalibrage » des droits de l’homme et en particulier de la liberté d’expression dans notre monde connecté. Un an plus tard, le 21 juin dernier, la commissaire pour la « e‑Sécurité » (eSafety) du gouvernement australien, Julie Inman Grant, donnait à Twitter 28 jours pour mettre fin à la propagation des propos « haineux » sur sa plateforme. Faute de quoi, le média social d’Elon Musk se verra infliger une amende journalière de 700 000 dollars australiens, soit environ 425 000 €.

L’oiseau bleu en ligne de mire

Selon Mme Inman Grant, ce sont les change­ments engagés avec l’arrivée d’Elon Musk à la tête du média social à l’oiseau bleu qui seraient à l’origine du fait que son admin­is­tra­tion, eSafe­ty, aurait reçu depuis plus de plaintes con­cer­nant des cas de « haine en ligne » sur ce réseau social que sur n’importe quel autre réseau social.

« Au cours des 12 derniers mois, eSafe­ty a reçu plus de plaintes con­cer­nant la haine en ligne sur Twit­ter que sur toute autre plate­forme. En fait, près d’un tiers de toutes les plaintes déposées auprès d’eSafety au sujet de la haine en ligne l’ont été sur Twit­ter », écrivait Mme Inman Grant le 21 juin.

« Je crains que cela ne soit lié à l’“amnistie générale” de Twit­ter, offerte en novem­bre dernier à env­i­ron 62 000 tit­u­laires de comptes qui avaient été inter­dits de façon per­ma­nente. Pour être ban­ni défini­tive­ment de Twit­ter, il faut avoir com­mis des vio­la­tions répétées et fla­grantes des règles de Twit­ter. Soix­ante-quinze de ces tit­u­laires de comptes abusifs réin­té­grés auraient plus d’un mil­lion de suiveurs, ce qui sig­ni­fie qu’un petit nom­bre d’entre eux pour­rait poten­tielle­ment con­tribuer à un impact con­sid­érable sur la tox­i­c­ité de la plate­forme. Comme si cela ne suff­i­sait pas, Twit­ter a con­sid­érable­ment réduit ses effec­tifs au niveau mon­di­al. Cela inclut des coupes som­bres dans son per­son­nel chargé de la con­fi­ance et de la sécu­rité (à quel point, nous cher­chons à le savoir) et l’arrêt de toute représen­ta­tion de sa poli­tique publique locale ici en Aus­tralie. »

La ques­tion reste bien sûr de savoir ce que l’on définit comme étant des con­tenus « tox­iques », de la « haine en ligne », des pro­pos « haineux » ou un « dis­cours de haine »…

À Davos l’année dernière, cette anci­enne cadre de Twit­ter (en charge du développe­ment en Aus­tralie des poli­tiques, de la sécu­rité et des pro­grammes de phil­an­thropie) mais aus­si, aupar­a­vant, de Microsoft (en tant que « Direc­trice mon­di­al de la poli­tique de sécu­rité et de pro­tec­tion de la vie privée et de la sen­si­bil­i­sa­tion »), avait déclaré :

« Nous nous trou­vons dans une sit­u­a­tion où la polar­i­sa­tion aug­mente partout et où tout sem­ble binaire alors que ce n’est pas néces­saire. Je pense donc que nous allons devoir réfléchir à un recal­i­brage de toute une série de droits de l’homme qui s’exercent en ligne, de la lib­erté d’expression à la pro­tec­tion con­tre la vio­lence en ligne. »

Voir aus­si : Le « chemin clair mais dif­fi­cile » d’Elon Musk pour trans­former Twitter

L’Australie en pointe dans les restrictions des libertés

C’était à la sor­tie d’une péri­ode de pandémie de Covid-19 où l’Australie s’était dis­tin­guée par des restric­tions des droits et lib­ertés civiques dépas­sant large­ment ce qui s’était fait dans la plu­part des autres pays occidentaux.

On ne s’étonnera donc pas qu’une telle action con­crète de « recal­i­brage » de la lib­erté d’expression parte d’Australie même si, il faut le dire, elle ressem­ble beau­coup à l’action entre­prise en Europe après l’arrivée d’Elon Musk et le rétab­lisse­ment, dans une cer­taine mesure, de la lib­erté d’expression sur Twit­ter. Rap­pelons en effet que, en ver­tu du Dig­i­tal Ser­vices Act devant entr­er en vigueur en sep­tem­bre, Elon Musk a jusqu’au 25 août pour se met­tre en con­for­mité avec les exi­gences de l’UE con­cer­nant le con­trôle de ce qui est dit sur sa plateforme.

L’Union européenne n’est pas en reste

« Il fait ce qu’il veut jusqu’au 1er sep­tem­bre. Après, il fera ce qu’on lui deman­dera de faire s’il veut con­tin­uer à opér­er sur le ter­ri­toire européen », a prévenu en avril sur France Info le Français Thier­ry Bre­ton, com­mis­saire européen au Marché intérieur.

Des men­aces étaient égale­ment venues de sa très sorosi­enne col­lègue tchèque, la com­mis­saire en charge de la trans­parence (sic !) Věra Jourová, qui déclarait par exem­ple en jan­vi­er dernier à pro­pos des nou­velles règles européennes sur le numérique :

« Elles s’appliquent à Twit­ter, quel que soit son pro­prié­taire. M. Musk ne doit pas sous-estimer nos efforts visant à respon­s­abilis­er les grandes plate­formes ».

Poten­tielle­ment, les sanc­tions infligées par l’UE à Twit­ter pour­ront attein­dre 6 % de son chiffre d’affaires mon­di­al et la firme à l’oiseau bleu a été placée sous sur­veil­lance rap­prochée depuis que le mil­liar­daire améri­cain a com­mencé à met­tre fin à une cen­sure perçue par beau­coup comme étant de sen­si­bil­ité gau­cho-libérale au moins autant que dirigée con­tre les con­tenus et pro­pos véri­ta­ble­ment illicites. « Les régu­la­teurs sur­veil­lent déjà de près le respect des règles applic­a­bles en matière de pro­tec­tion des don­nées, et nous serons égale­ment en mesure d’appliquer la loi sur les ser­vices numériques [Dig­i­tal Ser­vices Act, DSA] plus tard dans l’année », a ain­si déclaré Mme Jourová en janvier.

« La lib­erté d’expression n’est ni un droit à la dés­in­for­ma­tion, ni un droit à la provo­ca­tion à la haine raciale ou religieuse. L’Europe a mis Twit­ter et les grandes plate­formes face à leur respon­s­abil­ité : il était temps », se défendait encore le min­istre délégué chargé, au sein du gou­verne­ment français, de la Tran­si­tion numérique et des Télé­com­mu­ni­ca­tions, Jean-Noël Bar­rot .C’était en réac­tion à un tweet d’Éric Zem­mour où celui-ci reprochait aux « censeurs Thier­ry Bre­ton et Jean-Noël Bar­rot » de chercher à « faire taire toute parole libre » « en voulant ban­nir Twit­ter ».

Les groupes LGBTQ+ à la manœuvre

L’Australienne Julie Inman Grant et le gou­verne­ment du tra­vail­liste Antho­ny Albanese sem­blent donc agir de manière sim­i­laire à ce qui se fait à Brux­elles ou à Paris. Mme Inman Grant soulig­nait d’ailleurs dans sa pub­li­ca­tion du 21 juin que « eSafe­ty est loin d’être seul à s’inquiéter des niveaux crois­sants de tox­i­c­ité et de haine sur Twit­ter, en par­ti­c­uli­er à l’encontre des com­mu­nautés mar­gin­al­isées. Le mois dernier, le groupe de défense améri­cain GLAAD a désigné Twit­ter, dans le cadre de son troisième index annuel des médias soci­aux, comme étant la plate­forme la plus haineuse à l’égard de la com­mu­nauté LGBTQ+. Une étude menée par le Cen­ter for Coun­ter­ing Dig­i­tal Hate (CCDH), basé au Roy­aume-Uni, a mon­tré que les insultes à l’encontre des Noirs améri­cains appa­rais­saient en moyenne 1 282 fois par jour sur Twit­ter avant que Musk ne prenne le con­trôle de la plate­forme. Par la suite, elles sont passées en moyenne à 3 876 fois par jour. Le CCDH a égale­ment con­staté que les per­son­nes qui payaient pour un badge bleu Twit­ter sem­blaient béné­fici­er d’une cer­taine impunité vis-à-vis des règles de Twit­ter régis­sant la haine en ligne, par rap­port aux util­isa­teurs qui ne payaient pas, et que leurs tweets étaient même ren­for­cés par l’algorithme de la plate­forme. L’Anti-Defamation League (ADL) a con­staté que les mes­sages anti­sémites avaient aug­men­té de plus de 61 % deux semaines seule­ment après l’acquisition de la plate­forme par Musk. »

Chose intéres­sante, mais surtout inquié­tante pour la lib­erté d’expression dans les démoc­ra­ties libérales, toutes ces organ­i­sa­tions citées par la respon­s­able de la cen­sure des réseaux soci­aux en Aus­tralie sont des organ­i­sa­tions d’extrême gauche qui voudraient inter­dire toutes sortes d’opinions sur Inter­net. GLAAD, par exem­ple, voudrait que les médias soci­aux cen­surent tout mes­sage cri­ti­quant le recours aux procé­dures médi­cales de change­ment de sexe ou de « genre » à l’intention des mineurs, de telles cri­tiques étant con­sid­érées comme un « dis­cours de haine » à l’égard des per­son­nes trans. Le CCDH aimerait de son côté que les médias soci­aux cen­surent les médias con­sid­érés comme niant les change­ments cli­ma­tiques, ce qui serait par exem­ple le cas, de l’avis du CCDH, du site Bre­it­bart News. Quant à l’Anti-Defamation League, Elon Musk lui-même pro­po­sait le 16 mai dernier qu’elle rem­place son sigle ADL sig­nifi­ant ligue anti-diffama­tion par DL pour ligue de diffama­tion. C’était après que l’ADL eut accusé le nou­veau pro­prié­taire de Twit­ter d’antisémitisme pour avoir cri­tiqué George Soros, le spécu­la­teur phil­an­thrope améri­cain d’origine juive hon­groise. Pré­cisons ici que la cri­tique de Musk à l’encontre de Soros était sans rap­port aucun avec les orig­ines juives de ce dernier.

Le prob­lème pour nous, Français, c’est qu’en Europe aus­si, les censeurs brux­el­lois et parisiens s’appuient exclu­sive­ment sur des médias libéraux lib­er­taires et des organ­i­sa­tions de gauche, voire d’extrême gauche, pour lut­ter con­tre la « dés­in­for­ma­tion » et les « dis­cours de haine ».

Voir aus­si : Et main­tenant un Obser­va­toire de la haine