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Une loi pour protéger les journalistes et la liberté de la presse, votée contre la Hongrie, utilisable en France ?

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22 avril 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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Une loi pour protéger les journalistes et la liberté de la presse, votée contre la Hongrie, utilisable en France ?

Temps de lecture : 5 minutes

Mercredi 13 mars 2024, les députés du Parlement européen ont définitivement adopté, par 464 voix pour, 92 contre et 65 abstentions, une loi protégeant les journalistes et les médias de l’Union européenne contre les ingérences politiques et économiques. Si cette loi est explicitement conçue contre certains pays conservateurs peu appréciés de l’Union Européenne, notamment la Hongrie, elle contient des articles intéressants, qui pourraient permettre une meilleure lecture des médias dans leur ensemble.

Une loi partiale ?

À la lec­ture non-exhaus­tive des dis­cours qui ont accom­pa­g­né le vote de la loi européenne de pro­tec­tion des jour­nal­istes et de la lib­erté de la presse, on sourit légère­ment. Lors du débat en assem­blée plénière, Sabine Ver­heyen, députée alle­mande du groupe PPE, dont font notam­ment par­tie les LR, et rap­por­teur de la com­mis­sion de la cul­ture et de l’éducation, affir­mait que « La lib­erté de la presse est men­acée dans le monde entier, y com­pris en Europe : en témoignent les men­aces à la lib­erté de la presse en Hon­grie. » Ramona Stru­gar­iu, députée roumaine de Renew et rap­por­teur de la com­mis­sion des lib­ertés civiles, déclarait, elle, que « Ce règle­ment est une réponse à Orbán, Fico, Janša, Pou­tine et à tous ceux qui veu­lent trans­former les médias en out­ils de pro­pa­gande ou dif­fuser des fauss­es nou­velles et désta­bilis­er nos démoc­ra­ties. »

Voir aus­si : Sit­u­a­tion de la presse en Hon­grie : une impi­toy­able guerre de tranchées. Troisième partie

Ce que l’on reproche à la Hongrie

En Hon­grie, le prési­dent Vik­tor Orbán est régulière­ment accusé d’ingérences dans les médias. Reporters sans fron­tières, qui a prou­vé sa neu­tral­ité au début de l’année avec un rap­port sur l’indépendance de CNews, affirme que « le Pre­mier min­istre Vik­tor Orbán a con­stru­it un véri­ta­ble empire médi­a­tique soumis aux ordres de son par­ti. » Est-ce à dire que les seuls médias à avoir voix au chapitre sont ceux qui le sou­ti­en­nent ? Non, les médias indépen­dants exis­tent et même « déti­en­nent d’importantes posi­tions sur le marché », mais « ils sont exposés à des pres­sions poli­tiques, économiques et régle­men­taires. » Les finances publiques des médias seraient asséchées par une « attri­bu­tion dis­crim­i­na­toire de la pub­lic­ité de l’É­tat au prof­it des médias pro-gou­verne­men­taux », ce qui per­me­t­trait ensuite à des « oli­gar­ques proches du Fidesz, le par­ti au pou­voir », de racheter les titres. De son côté, le gou­verne­ment Orbán accuse les médias d’être financés par la fon­da­tion Soros. Une accu­sa­tion qui n’a rien de rocam­bo­lesque, le mil­liar­daire étant d’origine hon­groise et fon­cière­ment opposé à Orbán. RSF alias Rap­por­teurs sans Fron­tières, con­clut en notant que « les reporters hon­grois ne font pas l’objet – ou rarement – de vio­lences physiques ou d’interpellations injus­ti­fiées », mais qu’ils ont été arbi­traire­ment sur­veil­lés par le logi­ciel Pegasus.

Voir aus­si : Christophe Deloire, portrait

Sur ce dernier point, la loi nou­velle­ment adop­tée prévoit une lim­i­ta­tion de l’usage des logi­ciels espi­ons selon les critères suiv­ants, « au cas par cas et sous réserve de l’autorisation d’une autorité judi­ci­aire chargée d’enquêter sur les infrac­tions graves pas­si­bles d’une peine pri­v­a­tive de lib­erté. Même dans ces cas, les per­son­nes con­cernées auront le droit d’être infor­mées une fois la sur­veil­lance réal­isée et pour­ront la con­tester devant les tri­bunaux. »

Et si les pays non-conservateurs balayaient devant leur porte ?

Vu le plébiscite qu’a recueil­li la loi, on peut sup­pos­er que tous les députés esti­maient qu’il fal­lait, enfin, que soient libérés les médias hon­grois. Ils pour­raient pour­tant être sur­pris. La loi stip­ule que « les fonds publics des­tinés aux médias ou aux plate­formes en ligne devront être alloués selon des critères publics, pro­por­tion­nés et non dis­crim­i­na­toires. Les infor­ma­tions sur les dépens­es pub­lic­i­taires d’État seront ren­dues publiques, y com­pris le mon­tant total annuel et le mon­tant par média. » Est-ce la fin de la rente de jour­naux comme L’Humanité ou Libéra­tion, per­fusés aux sub­ven­tions publiques qu’ils reçoivent mal­gré des tirages très faibles ? Les aides directes à la presse, que compt­abilise et dif­fuse le gou­verne­ment, per­me­t­tent ain­si à L’Humanité de recevoir 40 cen­times par exem­plaire ven­du. À titre de com­para­i­son, en 2022, Valeurs Actuelles rece­vait 0,07 centimes.

La censure sur les réseaux sociaux, de l’histoire ancienne ?

La loi européenne sur la lib­erté des médias s’attaque égale­ment à la cen­sure sur les réseaux soci­aux. Ain­si, « les médias devront être infor­més de l’intention de la plate­forme de sup­primer ou de restrein­dre leur con­tenu et dis­poseront de 24 heures pour réa­gir. La plate­forme ne pour­ra sup­primer ou restrein­dre le con­tenu, s’il n’est tou­jours pas con­forme à ses con­di­tions, qu’après la réponse (ou l’absence de réponse) du média con­cerné. » Il faut recon­naître que la dis­po­si­tion a de quoi sur­pren­dre. X (ex-Twit­ter) a été large­ment cri­tiqué pour avoir lais­sé dif­fuser ce que l’on appelle les fauss­es nou­velles. Inverse­ment, à l’époque de l’élection améri­caine de 2016, puis lors de la crise san­i­taire, les plate­formes étaient accusées de cen­sur­er les pub­li­ca­tions pro-Trump ou les remis­es en cause des vac­cins. Des pra­tiques qui ne seraient plus aus­si sim­ples avec la nou­velle loi, votée pour­tant par des per­son­nes que l’on ne saurait soupçon­ner d’être trump­istes ou antivaxx.

Le financement des médias surveillé : la fin des ingérences étrangères ?

La loi prévoit égale­ment que « les médias devront égale­ment ren­dre compte des fonds provenant de la pub­lic­ité publique et des aides finan­cières d’État qu’ils perçoivent, y com­pris de pays tiers. » Étant don­né qu’il n’est pas pré­cisé que les médias doivent être publics, cela pour­rait per­me­t­tre aux États, et même aux citoyens, de sur­veiller les médias poten­tielle­ment sous con­trôle étranger, y com­pris améri­cain. Restent aux gou­verne­ments et aux citoyens à respecter les devoirs que cette loi impose, mais aus­si à utilis­er les droits qu’elle pro­cure. Car l’indépendance des médias est aus­si garantie par la vig­i­lance de leurs usagers. Un con­cept que maîtrise la gauche, d’une façon qui con­fine à la mau­vaise foi, et que la droite sem­ble par­fois avoir oublié.

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