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Royaume-Uni : faux « lanceurs d’alerte », vrais agents d’influence au service de l’État profond

29 juin 2022

Temps de lecture : 19 minutes
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Royaume-Uni : faux « lanceurs d’alerte », vrais agents d’influence au service de l’État profond

Temps de lecture : 19 minutes

Imaginons – imaginons seulement – que l’on apprenne qu’Edwy Plenel, Laure Mandeville ou Marie Mendras travaillent en sous-main pour des officines étatiques, et l’on peut aisément deviner le scandale qui en découlerait. Blague à part, c’est ce qui est arrivé en Grande-Bretagne, où il a été révélé que deux journalistes très en vue sont entrés au service d’agences de renseignement pour une opération de guerre de l’information, jetant le discrédit sur l’ensemble de la profession. Le texte qui suit est une traduction en français d’un article du journaliste anglais Jonathan Cook, paru dans MintPress le 21 juin 2022. Certains intertitres sont de notre rédaction.

Les événe­ments de ces derniers jours sug­gèrent que le jour­nal­isme bri­tan­nique – le soi-dis­ant qua­trième pou­voir – n’est pas tout à fait ce qu’il pré­tend être, à l’opposé même du rôle de vigie que l’on pour­rait en attendre.

Journalistes cooptés par les services de renseignement

Tout a com­mencé avec le procès en diffama­tion de la chroniqueuse du Guardian Car­ole Cad­wal­ladr, à l’issue duquel des cour­riels piratés de Paul Mason, pili­er de longue date de la BBC, de Chan­nel 4 et du Guardian, ont été ren­dus publics. Ces mes­sages révè­lent que ces deux célèbres jour­nal­istes, Cad­wal­ladr et Mason, tra­vail­laient comme recrues d’une guerre infor­ma­tion­nelle menée par les agences de ren­seigne­ment occidentales.

S’ils avaient fait preuve d’honnêteté à ce sujet, cette col­lu­sion n’au­rait peut-être pas eu autant d’importance. Après tout, peu de jour­nal­istes sont aus­si neu­tres ou impar­ti­aux que la pro­fes­sion aime à le pré­ten­dre. Mais comme beau­coup de leurs col­lègues, Cad­wal­ladr et Mason ont brisé ce qui devrait être un principe fon­da­men­tal du jour­nal­isme : la transparence.

Le rôle des jour­nal­istes sérieux est d’amen­er dans l’e­space pub­lic des ques­tions essen­tielles pour débat et exa­m­en. Ceux d’entre eux qui ont un esprit suff­isam­ment cri­tique aspirent à oblig­er les déten­teurs de l’autorité – prin­ci­pale­ment les agences gou­verne­men­tales – à ren­dre des comptes en par­tant du principe que, sans un exa­m­en pub­lic minu­tieux, le pou­voir cor­rompt rapi­de­ment. Le but du vrai jour­nal­isme – par oppo­si­tion aux com­mérages, aux diver­tisse­ments et au style télé­graphique relatif à la sécu­rité nationale qui passent générale­ment pour du jour­nal­isme – est de frap­per vers le haut, pas vers le bas.

Et pour­tant, cha­cun de ces jour­nal­istes, nous le savons désor­mais, s’en­tendait active­ment, ou cher­chait à s’en­ten­dre, avec des acteurs éta­tiques qui préfèrent opér­er dans l’om­bre, à l’abri des regards. Les deux jour­nal­istes ont ain­si été coop­tés pour faire avancer les objec­tifs des ser­vices de ren­seigne­ment. Pire : cha­cun d’eux a soit cher­ché à devenir un inter­mé­di­aire, soit à par­ticiper active­ment à des cam­pagnes secrètes de diffama­tion menées par les ser­vices de ren­seigne­ment occi­den­taux con­tre d’autres journalistes.

Ce qu’ils fai­saient – ​​avec tant d’autres jour­nal­istes de l’estab­lish­ment – ​​est l’an­tithèse même du jour­nal­isme. Ils con­tribuaient non seule­ment à dis­simuler le fonc­tion­nement du pou­voir pour le ren­dre plus dif­fi­cile à con­trôler mais encore essayaient d’af­faib­lir leurs col­lègues déjà mar­gin­al­isés qui lut­taient pour deman­der des comptes à l’État.

Complicité russe bidon

Plusieurs fac­teurs ont per­mis de met­tre en évi­dence la col­lu­sion entre Cad­wal­ladr et ser­vices de ren­seigne­ment bri­tan­niques. Point de départ : un procès en diffama­tion inten­té par l’homme d’af­faires Arron Banks, prin­ci­pal dona­teur de la cam­pagne réussie du Brex­it pour que la Grande-Bre­tagne quitte l’U­nion européenne, con­tre Car­ole Cadwalladr.

Que s’est-il passé ? Il faut revenir à l’année 2016. Dans une sorte d’ex­ten­sion transat­lan­tique de l’hys­térie du Rus­si­a­gate aux États-Unis après l’élec­tion de Don­ald Trump, Cad­wal­ladr a accusé Banks d’avoir men­ti sur ses liens avec la Russie. Selon le tri­bunal, elle a égale­ment sug­géré qu’il avait enfreint les lois sur le finance­ment des élec­tions en rece­vant de l’ar­gent russe à l’ap­proche du vote sur le Brex­it, tou­jours en 2016.

Cette année-là sert en quelque sorte de point zéro aux pro­gres­sistes qui craig­nent pour l’avenir de la “démoc­ra­tie occi­den­tale” — soi-dis­ant men­acée par les “bar­bares mod­ernes aux portes”, tels que la Russie et la Chine – et la capac­ité des États occi­den­taux à défendre leur pri­mauté à tra­vers des guer­res d’a­gres­sion néo­colo­niales dans le monde entier. La Russie aurait ain­si orchestré une dou­ble opéra­tion de sub­ver­sion en 2016 : d’un côté de l’At­lan­tique, l’élection de Don­ald Trump à la prési­dence des États-Unis ; de l’autre côté, les Bri­tan­niques, dupés pour se tir­er une balle dans le pied – et saper l’Eu­rope – en votant pour quit­ter l’UE.

Au cours du procès, Cad­wal­ladr n’a pu soutenir ses allé­ga­tions con­tre Banks. Néan­moins, le juge s’est pronon­cé con­tre l’ac­tion en diffama­tion de Banks – au motif que les affir­ma­tions de la jour­nal­iste n’avaient pas suff­isam­ment nui à sa répu­ta­tion. Le même juge a égale­ment statué, de façon assez per­verse, que Cad­wal­ladr avait des “motifs raisonnables” pour pub­li­er ses affir­ma­tions selon lesquelles Banks avait reçu des “faveurs” de la part de la Russie, même si “elle n’avait vu aucune preuve qu’il avait con­clu de tels accords”. Une enquête menée par la Nation­al Crime Agency n’a rien trou­vé non plus con­tre lui.

Alors, compte tenu des cir­con­stances, sur quoi repo­saient ses accu­sa­tions con­tre Banks ? Le modus operan­di jour­nal­is­tique de Cad­wal­ladr, dans ses efforts de longue date pour sug­gér­er une ingérence général­isée de la Russie dans la poli­tique bri­tan­nique, est mis en évi­dence dans sa déc­la­ra­tion de témoin à la cour.

Elle y fait référence à une autre de ses his­toires du style Rus­si­a­gate de 2017, où elle ten­tait de reli­er le Krem­lin à Nigel Farage, ancien homme poli­tique pro-Brex­it du par­ti UKIP et proche asso­cié de Banks, et le fon­da­teur de Wik­iLeaks Julian Assange, pris­on­nier poli­tique au Roy­aume-Uni pen­dant plus d’une décennie.

À cette époque, Assange était con­finé dans une cham­bre indi­vidu­elle à l’am­bas­sade d’Équa­teur après que le gou­verne­ment équa­to­rien lui ait offert l’asile poli­tique. Il y avait cher­ché refuge, craig­nant d’être extradé vers les États-Unis après des révéla­tions de Wik­iLeaks selon lesquelles les États-Unis et le Roy­aume-Uni avaient com­mis des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan.

Wik­iLeaks avait égale­ment pro­fondé­ment embar­rassé la CIA en pour­suiv­ant la pub­li­ca­tion de doc­u­ments divul­gués sous le nom de Vault 7, exposant les crimes de l’agence.

La semaine dernière, le min­istre de l’In­térieur du Roy­aume-Uni, Pri­ti Patel, a approu­vé l’ex­tra­di­tion vers les États-Unis qu’As­sange craig­nait et qui l’a con­duit à l’am­bas­sade d’Équa­teur. Une fois extradé aux États-Unis, il risque jusqu’à 175 ans d’isole­ment com­plet dans une prison de sécu­rité maximale.

Voir aus­si : Quand Libéra­tion se fait le relais des ser­vices secrets bri­tan­niques via Bellingcat

Complot en vue d’un assassinat

Nous savons désor­mais, grâce à une enquête de Yahoo News, que jusqu’en 2017, la CIA a élaboré divers strat­a­gèmes pour assas­sin­er Assange ou le kid­nap­per dans l’une de ses opéra­tions illé­gales « d’extradition extra­or­di­naire », afin qu’il puisse être enfer­mé défini­tive­ment aux États-Unis.

Nous pou­vons pré­sumer que la CIA croy­ait égale­ment qu’elle devait pré­par­er le ter­rain pour une opéra­tion aus­si véreuse en impli­quant l’opinion publique. Selon l’en­quête de Yahoo, la CIA pen­sait que la cap­ture de Julian Assange pour­rait néces­siter une fusil­lade dans les rues de Londres.

C’est à ce stade, sem­ble-t-il, que Cad­wal­ladr et le Guardian ont été encour­agés à peser en vue de retourn­er davan­tage l’opin­ion publique con­tre Assange.

Selon sa déc­la­ra­tion de témoin, « une source con­fi­den­tielle aux [États-Unis] » a sug­géré – au moment même où la CIA réfléchis­sait à ces dif­férentes intrigues – qu’elle écrive sur une sup­posée vis­ite de Farage à Assange à l’am­bas­sade. L’his­toire a été pub­liée dans le Guardian sous le titre “Quand Nigel Farage a ren­con­tré Julian Assange”.

Dans l’ar­ti­cle, Cad­wal­ladr donne un indice fort sur qui la traitait comme une con­fi­dente : la seule source men­tion­née dans l’ar­ti­cle est « un con­tact haute­ment placé ayant des liens avec les ser­vices de ren­seigne­ment améri­cains ». En d’autres ter­mes, la CIA lui a presque cer­taine­ment souf­flé quoi écrire.

Dans l’ar­ti­cle, Cad­wal­ladr relie ses affir­ma­tions et celles de la CIA à « un aligne­ment poli­tique entre l’idéolo­gie de Wik­iLeaks, l’idéolo­gie de l’UKIP et l’idéolo­gie de Trump ». Dans les couliss­es, sug­gère-t-elle, se trou­vait la main cachée du Krem­lin, les guidant tous dans un com­plot malveil­lant visant à saper fatale­ment la démoc­ra­tie britannique.

Elle cite son “con­tact haut placé” affir­mant que la pré­ten­due ren­con­tre en face-à-face entre Farage et Assange était néces­saire pour trans­met­tre des infor­ma­tions sur leur com­plot infâme « de manière et dans des endroits qui ne peu­vent pas être sur­veil­lés ».

Sauf que, comme le savait son “con­tact haut placé” – et comme nous le savons désor­mais grâce aux révéla­tions du site Gray­zone – c’é­tait un men­songe. Par­al­lèle­ment à son com­plot visant à tuer ou à kid­nap­per Assange, la CIA a illé­gale­ment instal­lé des caméras à l’in­térieur et à l’ex­térieur de l’am­bas­sade. Cha­cun de ses mou­ve­ments dans l’am­bas­sade était sur­veil­lé – même dans le bloc sanitaire.

La réal­ité était que la CIA met­tait sur écoute et fil­mait toutes les con­ver­sa­tions d’As­sange à l’am­bas­sade, même celles en face-à-face. Si la CIA dis­po­sait réelle­ment d’un enreg­istrement d’As­sange et Farage se ren­con­trant et dis­cu­tant d’un com­plot inspiré par le Krem­lin, elle aurait trou­vé un moyen de le ren­dre pub­lic à ce jour.

Bien plus plau­si­ble est ce que dis­ent Farage et Wik­iLeaks : une telle ren­con­tre n’a jamais eu lieu. Farage s’est ren­du à l’am­bas­sade pour ten­ter d’in­ter­view­er Assange pour son émis­sion sur LBC Radio, mais s’en est vu refuser l’ac­cès. Cela peut être facile­ment con­fir­mé car à ce moment-là, l’am­bas­sade équa­to­ri­enne s’é­tait rap­prochée des États-Unis et refu­sait à Assange tout con­tact avec des vis­i­teurs en dehors de ses avocats.

Néan­moins, Cad­wal­ladr con­clut : « Dans la tem­pête par­faite de fauss­es nou­velles, de dés­in­for­ma­tion et de médias soci­aux dans laque­lle nous vivons main­tenant, Wik­iLeaks est, à bien des égards, le vor­tex tour­bil­lon­nant au cen­tre de tout. »

Voir aus­si : Belling­cat : Le Monde vic­time de la pro­pa­gande bri­tan­nique, ou complice ?

Vortex tourbillonnant”

L’his­toire de la ren­con­tre Farage-Assange mon­tre com­ment les agen­das de la CIA et de Cad­wal­ladr ont par­faite­ment coïn­cidé dans leur pro­pre “vor­tex tour­bil­lon­nant” de fauss­es nou­velles et de désinformation.

Cad­wal­ladr voulait reli­er la cam­pagne du Brex­it à la Russie et sug­gér­er que quiconque souhai­tant défi­er les piétés pro­gres­sistes qui cou­vrent les crimes com­mis par les États occi­den­taux doit néces­saire­ment appartenir à un réseau de con­spir­a­teurs, de gauche et de droite, orchestré depuis Moscou.

La CIA et d’autres agences de ren­seigne­ment occi­den­tales, quant à elles, voulaient ren­forcer l’im­pres­sion du pub­lic selon laque­lle Julian Assange était un agent du Krem­lin – et que la révéla­tion par Wik­iLeaks des crimes com­mis par ces mêmes agences n’é­tait pas une ques­tion d’intérêt général mais en réal­ité une attaque russe con­tre la démoc­ra­tie occidentale.

Le tra­vail de sape con­tre la répu­ta­tion d’Assange avait déjà été large­ment entre­pris auprès du pub­lic améri­cain lors de la cam­pagne du Rus­si­a­gate aux États-Unis. Les ser­vices de ren­seigne­ment, ain­si que la direc­tion du Par­ti démoc­rate, avaient élaboré un réc­it conçu pour obscur­cir les révéla­tions de Wik­iLeaks rel­a­tives au trucage de la pri­maire par le camp d’Hillary Clin­ton en 2016 afin d’empêcher Bernie Sanders de rem­porter l’in­vesti­ture prési­den­tielle du par­ti. Au lieu de cela, ils ont redirigé l’at­ten­tion du pub­lic sur des affir­ma­tions sans preuves selon lesquelles la Russie avait “piraté” les e‑mails.

Pour Cad­wal­ladr et la CIA, la fausse nou­velle à pro­pos de Farage ren­con­trant Assange pour­rait être présen­tée comme une preuve sup­plé­men­taire que « l’ex­trême gauche » et « l’ex­trême droite » étaient de con­nivence avec la Russie. Leur mes­sage était clair : on ne pou­vait faire con­fi­ance qu’aux seuls cen­tristes – et à la Sécu­rité nationale – pour défendre la démocratie.

Une histoire fabriquée de toutes pièces

La cam­pagne de diffama­tion d’As­sange par Cad­wal­ladr est entière­ment liée à l’offensive con­tre Wik­iLeaks orchestrée par les médias de gauche aux­quels elle appar­tient. Son jour­nal, The Guardian, a eu Assange dans le col­li­ma­teur depuis une brouille à pro­pos de leur pub­li­ca­tion con­jointe de jour­naux de guerre en Irak et en Afghanistan en 2010.

Un an après l’ar­ti­cle diffam­a­toire de Cad­wal­ladr, le Guardian pour­suiv­ra sa dia­boli­sa­tion d’Assange en coopéra­tion avec les ser­vices de ren­seigne­ment en dif­fu­sant une his­toire tout aus­si fab­riquée – cette fois à pro­pos d’un haut respon­s­able améri­cain proche de Trump, Paul Man­afort, et de divers “Russ­es” non iden­ti­fiés ren­con­trant secrète­ment Assange à l’am­bas­sade d’Équateur.

L’his­toire était si improb­a­ble qu’elle a été ridi­culisée au moment même de sa pub­li­ca­tion. Encore une fois, l’opéra­tion d’es­pi­onnage illé­gale de la CIA à l’in­térieur et à l’ex­térieur de l’am­bas­sade sig­nifi­ait qu’il était impos­si­ble que Man­afort ou des “Russ­es” aient secrète­ment vis­ité Assange sans que ces réu­nions soient enreg­istrées. Néan­moins, le Guardian n’a jamais retiré son papi­er diffamatoire.

L’un des auteurs de cet arti­cle, Luke Hard­ing, a été en pre­mière ligne des affir­ma­tions du Guardian con­cer­nant le Rus­si­a­gate et de ses efforts pour dif­famer Assange. Ce faisant, il sem­ble s’être forte­ment appuyé sur les ser­vices de ren­seigne­ment occi­den­taux pour ses his­toires et s’est avéré inca­pable de les défendre quand cela fut néces­saire.

Luke Hard­ing, aidé par l’un de ses col­lègues du Guardian, David Leigh, a ajouté à ses accu­sa­tions visant à jeter le dis­crédit sur Assange la pub­li­ca­tion d’un livre (imprimé par le Guardian) qui con­te­nait un mot de passe secret pour accéder aux doc­u­ments de Wik­iLeaks, per­me­t­tant ain­si leur divul­ga­tion aux ser­vices de sécu­rité du monde entier.

L’af­fir­ma­tion de la CIA selon laque­lle la pub­li­ca­tion de ces doc­u­ments met­tait en dan­ger ses infor­ma­teurs – que même des respon­s­ables améri­cains ont été con­traints de réfuter – a été portée con­tre Assange pour jus­ti­fi­er son empris­on­nement. Mais si quelqu’un est à blâmer, ce n’est pas Assange mais Hard­ing, Leigh et le Guardian.

Incitation à la censure

Le cas de Paul Mason, qui a tra­vail­lé de nom­breuses années comme jour­nal­iste senior à la BBC, est encore plus révéla­teur. Les cour­ri­ers élec­tron­iques trans­mis à Gray­zone mon­trent que le jour­nal­iste vétéran et auto­proclamé « de gauche » coopère secrète­ment avec des per­son­nal­ités alignées sur les ser­vices de ren­seigne­ment bri­tan­niques. Objec­tif ?  Créer un réseau de jour­nal­istes et d’u­ni­ver­si­taires afin de salir et de cen­sur­er les médias indépen­dants qui con­tes­tent les réc­its des agences de ren­seigne­ment occidentales.

Les préoc­cu­pa­tions de Mason à pro­pos de l’in­flu­ence de la gauche sur l’opin­ion publique sont allées crois­santes au fur-et-à-mesure qu’il a été la cibles de cri­tiques — venant juste­ment de la gauche bri­tan­nique — pour son sou­tien fer­vent et incon­di­tion­nel à l’OTAN et qu’il a fait pres­sion pour une plus grande ingérence occi­den­tale en Ukraine. Ce sont deux objec­tifs qu’il partage avec les ser­vices de ren­seigne­ment occidentaux.

Avec les médias de l’estab­lish­ment, Mason a appelé à envoy­er des armes de nou­velle généra­tion à Kiev, sus­cep­ti­bles d’aug­menter les pertes humaines pour les bel­ligérants et de provo­quer une con­fronta­tion nucléaire entre l’Oc­ci­dent et la Russie.

Dans les échanges ren­dus publics, Mason sug­gère de nuire et de “déplate­former sans relâche” les sites de médias d’in­ves­ti­ga­tion indépen­dants — tels que Gray­zone, Con­sor­tium News et Mint­Press — qui accueil­lent des jour­nal­istes indépen­dants. Lui et ses cor­re­spon­dants débat­tent égale­ment de l’op­por­tu­nité d’in­clure dans leur liste Declas­si­fied UK et Open­Democ­ra­cy. L’un de ses co-con­spir­a­teurs sug­gère de les “atom­iser légale­ment pour les asséch­er finan­cière­ment”.

Mason lui-même pro­pose de priv­er ces sites web de revenus en faisant secrète­ment pres­sion sur Pay­Pal pour empêch­er les lecteurs de faire des dons pour soutenir leur travail.

Il con­vient de not­er que, à la suite de la cor­re­spon­dance de Mason, Pay­Pal a effec­tive­ment lancé une telle répres­sion, y com­pris con­tre Con­sor­tium News et Mint­Press, après avoir précédem­ment ciblé Wik­iLeaks.

On trou­ve par­mi les cor­re­spon­dants de Mason deux per­son­nal­ités intime­ment liées au ren­seigne­ment bri­tan­nique : le pre­mier est Amil Khan, décrit par Gray­zone comme « un obscur four­nisseur de ser­vices de ren­seigne­ment » ayant des liens avec le Con­seil de sécu­rité nationale du Roy­aume-Uni. Khan a fondé Valent Projects, étab­lis­sant ses références dans une sale guerre de pro­pa­gande en faveur de groupes dji­hadistes coupeurs de têtes essayant de faire tomber le gou­verne­ment syrien soutenu par la Russie.

« Clusters » clandestins

L’autre agent du ren­seigne­ment est quelqu’un que Mason nomme son « ami » : Andy Pryce, le chef de l’unité ténébreuse de Counter Dis­in­for­ma­tion and Media Devel­op­ment (CDMD) du min­istère des Affaires étrangères, fondée en 2016 pour « con­tre-atta­quer la pro­pa­gande russe ». Mason et Pryce passent une grande par­tie de leur cor­re­spon­dance à dis­cuter du moment où se retrou­ver dans les pubs de Lon­dres pour pren­dre un verre, selon Gray­zone.

Le min­istère des Affaires étrangères a réus­si à garder secrète l’ex­is­tence de l’u­nité CDMD pen­dant deux ans. Le gou­verne­ment bri­tan­nique a refusé de divulguer des infor­ma­tions de base sur le CDMD pour des raisons de sécu­rité nationale, bien que l’on sache main­tenant qu’il est super­visé par le Con­seil de sécu­rité nationale.

L’ex­is­tence du CDMD a été révélée à la suite de fuites con­cer­nant une autre opéra­tion secrète de guerre de l’in­for­ma­tion, l’In­tegri­ty Ini­tia­tive. L’In­tegri­ty Ini­tia­tive a été menée entre autres sur la base de « clus­ters » clan­des­tins, en Amérique du Nord et en Europe, de jour­nal­istes, d’u­ni­ver­si­taires, de politi­ciens et de respon­s­ables de la sécu­rité avançant des réc­its partagés avec les agences de ren­seigne­ment occi­den­tales pour dis­créditer la Russie, la Chine, Julian Assange et Jere­my Cor­byn, l’an­cien dirigeant de gauche du Par­ti travailliste.

Cad­wal­ladr a été nom­mée dans le clus­ter bri­tan­nique, avec d’autres jour­nal­istes émi­nents : David Aaronovitch et Dominic Kennedy du Times ; Natal­ie Nougayrede et Paul Can­ning du Guardian ; Jonathan Mar­cus de la BBC ; Neil Buck­ley du Finan­cial Times ; Edward Lucas du Econ­o­mist ; et Deb­o­rah Haynes de Sky News.

Dans ses e‑mails, Mason sem­ble vouloir non seule­ment renou­vel­er ce type de tra­vail mais aus­si diriger ses éner­gies plus spé­ci­fique­ment vers les médias indépen­dants et dis­si­dents nuis­i­bles – avec comme cible pri­or­i­taire Gray­zone, qui a joué un rôle essen­tiel dans la dénon­ci­a­tion de l’In­tegri­ty Ini­tia­tive.

« L’a­mi » de Mason – le chef du CDMD, Andy Pryce – « fig­u­rait en bonne place » dans les doc­u­ments relat­ifs à l’In­tegri­ty Ini­tia­tive, observe Gray­zone.

Ce con­texte n’est pas per­du pour Mason. Il note dans sa cor­re­spon­dance le dan­ger que son com­plot visant à “déplate­former” les médias indépen­dants puisse “se retrou­ver avec le même prob­lème que State­craft” — référence à l’In­sti­tute of State­craft, organ­i­sa­tion car­i­ta­tive mère de l’In­tegri­ty Ini­tia­tive, que Gray­zone et d’autres ont dénon­cé. Il met en garde : “L’op­po­si­tion n’est pas stu­pide, elle peut repér­er une opéra­tion d’in­for­ma­tion — donc plus c’est conçu pour être organique, mieux c’est.”

Pryce et Mason dis­cu­tent de la créa­tion d’une organ­i­sa­tion de la société civile Astro­turf qui mèn­erait leur « guerre de l’in­for­ma­tion » dans le cadre d’une opéra­tion qu’ils appel­lent la « Brigade inter­na­tionale de l’information ».

Mason sug­gère la sus­pen­sion des lois sur la diffama­tion pour ce qu’il appelle les “agents étrangers” — ce qui sig­ni­fie vraisem­blable­ment que la Brigade de l’in­for­ma­tion serait en mesure de dif­famer les jour­nal­istes indépen­dants en tant qu’a­gents russ­es, faisant écho au traite­ment d’As­sange par les médias de l’estab­lish­ment, sans crainte de pour­suites judi­ci­aires qui mon­tr­eraient il s’agis­sait d’accusations sans preuves.

Infosphère de Poutine”

Une autre cor­re­spon­dante, Emma Bri­ant, uni­ver­si­taire qui pré­tend se spé­cialis­er dans la dés­in­for­ma­tion russe, offre un aperçu de la façon dont elle définit l’en­ne­mi pré­sumé à l’in­térieur : les “proches de Wik­iLeaks”, quiconque “trolle Car­ole [Cad­wal­ladr]”, et les médias « décourageant les gens de lire le Guardian ».

Mason lui-même pro­duit un tableau en toile d’araignée épous­tou­flant et dess­iné par lui-même de la soi-dis­ant « infos­phère pro-Pou­tine » au Roy­aume-Uni, embras­sant une grande par­tie de la gauche, y com­pris Cor­byn, le mou­ve­ment Stop the War, ain­si que les com­mu­nautés noires et musul­manes. Plusieurs sites de médias sont men­tion­nés, dont Mint­Press et Novara Media, site web bri­tan­nique indépen­dant sym­pa­thisant avec Corbyn.

Khan et Mason réfléchissent à la manière dont ils peu­vent aider à déclencher une enquête du gou­verne­ment bri­tan­nique sur les médias indépen­dants afin qu’ils puis­sent être éti­quetés comme “médias affil­iés à l’É­tat russe” afin de les invis­i­bilis­er davan­tage sur les réseaux sociaux.

Mason déclare que l’ob­jec­tif est d’empêcher l’émer­gence d’une “iden­tité de gauche anti-impéri­al­iste”, qui, craint-il, “sera attrac­tive parce que le libéral­isme ne sait pas com­ment la con­tr­er” — un aveu révéla­teur de ce qu’il croit au sujet des cri­tiques émanant de la gauche authen­tique sur la poli­tique étrangère occi­den­tale, qui ne peu­vent être traitées par une réfu­ta­tion publique, mais unique­ment par des cam­pagnes secrètes de désinformation.

Il appelle à des efforts pour réprimer non seule­ment les médias indépen­dants et les uni­ver­si­taires « voy­ous », mais aus­si l’ac­tivisme poli­tique de gauche. Il iden­ti­fie Cor­byn comme une men­ace par­ti­c­ulière, qui a déjà été lésé par une série de cam­pagnes de dés­in­for­ma­tion, y com­pris des affir­ma­tions sans fonde­ment selon lesquelles le Par­ti tra­vail­liste est devenu pen­dant son man­dat un foy­er d’an­tisémitisme. Mason craint que Cor­byn ne crée un nou­veau par­ti de gauche indépen­dant. Il est impor­tant, note Mason, de « met­tre en quar­an­taine » et de « stig­ma­tis­er » une telle idéologie.

En bref, plutôt que d’u­tilis­er le jour­nal­isme pour gag­n­er l’ar­gu­ment et la bataille de l’opin­ion publique, Mason souhaite utilis­er les arts som­bres de la Sécu­rité nationale pour nuire aux médias indépen­dants, ain­si qu’aux uni­ver­si­taires dis­si­dents et à l’ac­tivisme poli­tique de gauche. Il ne veut aucune influ­ence sur le pub­lic qui ne soit pas étroite­ment alignée sur les objec­tifs fon­da­men­taux de la poli­tique étrangère de l’É­tat profond.

La cor­re­spon­dance de Mason fait allu­sion à la réal­ité der­rière l’af­fir­ma­tion de Cad­wal­ladr selon laque­lle Assange était le “vor­tex tour­bil­lon­nant au cen­tre de tout”. Assange sym­bol­ise ce “vor­tex tour­bil­lon­nant” pour les jour­nal­istes de l’estab­lish­ment alignés sur le ren­seigne­ment unique­ment parce que Wik­iLeaks a pub­lié de nom­breuses infor­ma­tions exclu­sives qui exposent les reven­di­ca­tions occi­den­tales au lead­er­ship moral mon­di­al comme une mas­ca­rade com­plète — et les jour­nal­istes qui ampli­fient ces reven­di­ca­tions comme de purs charlatans.

Dans une deux­ième par­tie (à venir), Jonathan Cook exam­in­era pourquoi des jour­nal­istes comme Mason et Cad­wal­ladr prospèrent dans les médias de l’estab­lish­ment ; la longue his­toire de col­lu­sion entre les agences de ren­seigne­ment occi­den­tales et les médias de l’estab­lish­ment ; et com­ment cette col­lu­sion mutuelle­ment béné­fique devient de plus en plus impor­tante pour cha­cun d’eux.

Jonathan Cook est un con­tribu­teur de Mint­Press. Cook a rem­porté le prix spé­cial Martha Gell­horn de jour­nal­isme. Ses derniers livres sont Israel and the Clash of Civil­i­sa­tions: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Mid­dle East (Plu­to Press) et Dis­ap­pear­ing Pales­tine: Israel’s Exper­i­ments in Human Despair (Zed Books). Son site web : www.jonathan-cook.net

Source : mintpressnews.com. Tra­duc­tion : Ojim. Si cette tra­duc­tion vous a plu et que vous trou­vez le tra­vail de l’O­jim utile, n’hésitez pas à faire un don (défis­cal­isé) !

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