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[Dossier] Mur des cons : quand les journalistes règlent leurs comptes…

29 mai 2013

Temps de lecture : 9 minutes
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[Dossier] Mur des cons : quand les journalistes règlent leurs comptes…

Temps de lecture : 9 minutes

Images filmées en cachette, scandale, députés qui interpellent un ministre, auteur anonyme d’une vidéo qui finit par être découvert, juges mis en causes par des avocats et des journalistes ou défendus par les mêmes… Et pour compliquer l’affaire, le conflit israélo-palestinien qui s’invite dans l’histoire… L’affaire du « mur des cons » est un feuilleton à épisodes avec tous les ingrédients pour un succès médiatique. Hélas, les vraies questions liées à l’impartialité de la justice ont été occultées par un grand règlement de compte idéologique.

Une drôle d’affaire

Le 24 avril dernier, le pure play­er gra­tu­it (ten­dance droite libérale) Atlanti­co pub­li­ait sur son site une vidéo, filmée dans les locaux du syn­di­cat de la mag­i­s­tra­ture où l’on pou­vait voir « un gigan­tesque pan­neau dans la salle prin­ci­pal du local syn­di­cal, sur­plom­bé d’une affichette sur laque­lle était écrit “Mur des cons” ». Sur ce mur : des pho­tos de per­son­nal­ités épinglées, par­fois accom­pa­g­nées d’un com­men­taire désoblig­eant. Ain­si, on y trou­vait-on, pêle-mêle, des hommes poli­tiques, pour la plu­part mem­bres de l’UMP, des anciens min­istres, des patrons de presse (Éti­enne Mougeotte, Patrick Le Lay), des jour­nal­istes (David Pujadas, Éric Zem­mour, Béa­trice Schoen­berg, Robert Ménard, Alexan­dre Adler, Yves Thréard etc.), mais aus­si deux pères de vic­times, le général Schmitt, père de la jeune Anne-Lor­raine, assas­s­inée en 2007 et Jean-Pierre Escarfil, père de Pas­cale, tuée par Guy Georges en 1979. Pour Atlanti­co, « ce petit “pilori privé”, instal­lé dans un local syn­di­cal — au sein d’un bâti­ment du min­istère de la jus­tice ! — est une for­fai­ture qui décon­sid­ère ceux qui en sont à l’o­rig­ine. Ce mur de la honte con­stitue une faute grave ».

Bien enten­du, les réac­tions ne se font pas atten­dre, notam­ment chez les poli­tiques dont beau­coup annon­cent vouloir dépos­er plainte. Le jour même de la dif­fu­sion des images, Chris­tiane Taubi­ra, min­istre de la Jus­tice est inter­pel­lée à l’Assem­blée nationale par Luc Cha­tel. Le garde des Sceaux, qui avait pour­tant ouvert le con­grès du syn­di­cat en novem­bre dernier, est con­traint de se démar­quer, qual­i­fi­ant ce mur des cons d’ « action mal­heureuse » et rap­pelant que « les per­son­nes qui se trou­vent sur ce pan­neau sont par­faite­ment fondées à dépos­er plainte ». Le lende­main, elle annonce saisir le con­seil supérieur de la mag­i­s­tra­ture. A lui d’es­timer s’il y a eu manque à la déon­tolo­gie des juges ou non.

Le Syn­di­cat de la Mag­i­s­tra­ture se défend, évo­quant un « exu­toire satirique con­finé dans un espace privé », « pour beau­coup, ali­men­té sous l’ère Sarkozy ». L’af­faire aurait pu en rester là si la ques­tion de l’au­teur de la vidéo ne s’é­tait pas posée (www.leparisien.fr).

L’auteur est découvert : c’est un journaliste !

Dès le 26 avril, soit deux jours après les faits, Libéra­tion annonce la couleur : « un jour­nal­iste de France 3 au pied du “Mur des cons” : des “faits con­ver­gents” pointent un jour­nal­iste de la chaîne, édi­to­ri­al­iste en charge de la jus­tice. Con­tac­té par Libéra­tion, l’in­téressé nie : “Il y a une rumeur stu­pide et malveil­lante qui cir­cule sur mon compte, que j’ai démen­tie. C’est tout. Je suis totale­ment étranger à cette affaire” ». Cepen­dant, con­clut Libéra­tion, « plusieurs élé­ments le con­fondent ». Si l’i­den­tité du jour­nal­iste n’est pas révélée, Libéra­tion prend soin de pré­cis­er qu’il s’ag­it d’un jour­nal­iste « déon­tologique­ment prob­lé­ma­tique », « notam­ment con­tro­ver­sé pour avoir “mené la cam­pagne con­tre Charles Ender­lin” cor­re­spon­dant de France 2 à Jérusalem, qu’il accuse d’avoir truqué les images d’un sujet sur la mort d’un enfant pales­tinien en 2000 ». Une sim­ple recherche inter­net per­met de décou­vrir son iden­tité : Clé­ment Weill-Ray­nal. Pen­dant trois jours, jusqu’au lun­di 29 avril, celui-ci va pour­tant nier les faits.

Mal­gré cela, dès le 27 avril, il est présen­té comme l’au­teur du film. Pour Rue 89, il s’ag­it d’un jour­nal­iste « bien con­nu pour ses mul­ti­ples cas­quettes con­tro­ver­sées ». Pour « plusieurs mem­bres de la rédac­tion de France 3 », cités par Le Parisien, ce jour­nal­iste est «engagé à droite». France 3 ouvre une enquête interne.

Journalistes contre journalistes

Inter­rogé le 28 avril, Joy Baner­jee, chef de la file de la CGT France 3, estime que Clé­ment Weill-Ray­nal « a instru­men­tal­isé ses col­lègues à des fins poli­tiques ». Il demande « la con­vo­ca­tion d’un con­seil de dis­ci­pline pour obtenir des sanc­tions ». « Il a sali la rédac­tion », con­clut-il.

Le même jour, nou­veau rebondisse­ment, le SNJ pub­lie un com­mu­niqué s’él­e­vant con­tre « le mau­vais procès fait au Syn­di­cat de la Mag­i­s­tra­ture ». « Le SNJ rap­pelle que l’u­til­i­sa­tion d’im­ages volées dans un lieu privé, en l’oc­cur­rence les locaux du SM, est con­traire à la déon­tolo­gie pro­fes­sion­nelle la plus élé­men­taire ». Le SNJ dénonce ensuite une « pseu­do-infor­ma­tion […] pro­duite par un site con­nu pour ses sym­pa­thies “con­ser­va­tri­ces”, avant d’ap­porter « son plus total sou­tien au Syn­di­cat de la Mag­i­s­tra­ture ». A not­er que pour le SNJ, une infor­ma­tion pro­duite par un site « con­ser­va­teur » sem­ble être néces­saire­ment une « pseudo-information ».

Ce n’est que le lun­di suiv­ant, au lende­main du com­mu­niqué très médi­atisé du SNJ que Clé­ment Weill-Ray­nal avoue être l’au­teur de la fameuse vidéo, tout en niant l’avoir trans­mise à Atlanti­co. Le pure-play­er con­firme d’ailleurs « que c’est bien par le biais d’un mag­is­trat que cette vidéo lui est par­v­enue ».

Dans un entre­tien paru sur le même site, le jour­nal­iste « assume par­faite­ment » et se dit « fier » d’avoir filmé le mur des cons : « je n’ai fait que mon tra­vail. Je suis tombé sur le “Mur des cons” le 3 avril dernier alors que je réal­i­sais une inter­view de la prési­dente du Syn­di­cat de la mag­i­s­tra­ture, Françoise Martres. […] J’ai agi spon­tané­ment, le déclic a été rapi­de. J’ai sen­ti qu’il fal­lait révéler ces images au pub­lic ». Et de con­clure : « je suis heureux d’avoir révélé une pra­tique scan­daleuse au pub­lic. Je n’ai fait que rem­plir mon devoir d’in­for­ma­tion ».

Avec les aveux de Clé­ment Weill-Ray­nal, les réac­tions redou­blent. Dans un com­mu­niqué qual­i­fié de « froid, admin­is­tratif et pré­cau­tion­neux » par Rue89, France Télévi­sions annonce l’ou­ver­ture d’une procé­dure dis­ci­plinaire à l’en­con­tre du jour­nal­iste, mais « unique­ment sur le com­porte­ment du jour­nal­iste dans sa rela­tion à son employeur », pré­cise Pas­cal Golom­er, directeur de la rédac­tion nationale de France 3. « Il n’a jamais infor­mé sa hiérar­chie qu’il déte­nait ces images ni évo­qué avec elle l’op­por­tu­nité ou non de les dif­fuser en exclu­siv­ité ».

Bruno Roger-Petit, chroniqueur sur Le Plus du Nou­v­el Obs, com­para­nt les aveux du jour­nal­iste… à ceux de Jérôme Cahuzac, estime que « France télévi­sions est obligé de sanc­tion­ner Clé­ment Weill-Ray­nal », parce que celui-ci est entré « délibéré­ment dans le champ poli­tique, quit­tant le champ jour­nal­is­tique ».

Des voix dis­cor­dantes se font cepen­dant enten­dre. Ain­si, Causeur, d’Élis­a­beth Levy, lance une péti­tion de sou­tien à Clé­ment Weill-Ray­nal, « au nom de la lib­erté d’in­former ». Par­mi les 10 000 sig­nataires, on trou­ve des jour­nal­istes, notam­ment ceux épinglés par le syn­di­cat de la mag­i­s­tra­ture. Robert Ménard relaie, quant à lui, l’ini­tia­tive sur Boule­vard Voltaire. De même, Renaud Rev­el, rédac­teur en chef de L’Express.fr estime que cette affaire est « le monde à l’en­vers » : « qu’un jour­nal­iste pointe du doigt cette opéra­tion (le mur des cons), pour le moins mal­saine à bien des égards, relèverait de la faute pro­fes­sion­nelle ! C’est inouï ». Et de dénon­cer le SNJ qui « ne s’honore pas dans ce rôle de juge ». Même au sein de la rédac­tion de Rue 89, on avoue que « le com­mu­niqué fait débat ».

Une argumentation légère

Il est vrai que les indig­na­tions du SNJ sem­blent être à géométrie vari­able. Si le syn­di­cat dénonce aujourd’hui des « images volées », cela n’a pas tou­jours été le cas. Ain­si, au mois de juil­let dernier, le même syn­di­cat se réjouis­sait d’une « vic­toire pour la lib­erté d’in­for­ma­tion », dans le procès qui oppo­sait Rue89 et la direc­tion de France3 au sujet de la dif­fu­sion d’im­ages de Nico­las Sarkozy quelques min­utes avant le début d’une inter­view sur la chaîne publique, en juil­let 2008, vidéo que Rue89 s’é­tait « procurée en exclu­siv­ité ».

Pour Antho­ny Bel­langer, prési­dent du SNJ, la dif­férence entre les deux vidéos réside dans le fait qu’il y a « un vrai tra­vail de jour­nal­iste avec une enquête der­rière » chez Rue89. Une réponse en forme de com­pli­ment pour le pure play­er de gauche… Mais, l’ar­gu­ment sem­ble un peu faible, quand on com­pare les deux arti­cles, celui d’Atlanti­co et celui de Rue89.

Dans Le Figaro du 6 mai, Gilles-William Gold­nadel, avo­cat du jour­nal­iste mis en cause, fait égale­ment remar­quer que le SNJ « n’a pas eu un mot pour ses con­frères jour­nal­istes estampil­lés, tels que David Pujadas ou Eti­enne Mougeotte ». Deux poids, deux mesures ?

Un vieux dossier : l’affaire al-Dura

Mais très rapi­de­ment, avant même que Clé­ment Weill-Ray­nal con­firme être l’au­teur de la vidéo, les vieux dossiers ressor­tent. « Le con­flit entre le jour­nal­iste et la CGT France Télévi­sions ne date pas d’hi­er », explique Rue 89, dès le 29 avril. L’af­faire al-Dura fait son appari­tion dans l’affaire du « mur des cons ».

Le 30 sep­tem­bre 2000, Charles Ender­lin, cor­re­spon­dant de France 2 à Jérusalem, fil­mait la mort d’un enfant pales­tinien, tué par lors d’un échange de tirs entre sol­dats pales­tiniens et israéliens, dans la bande de Gaza, images dif­fusées à la télévi­sion qui provo­quèrent une grande émo­tion. Mais la ver­sion offi­cielle, qui fait des Israéliens les respon­s­ables des tirs, est depuis con­testée par un cer­tains nom­bre de per­son­nes, dont Clé­ment Weill-Rayanal.

En 2011, sous le pseu­do­nyme de Daniel Vavin­sky, celui-ci avait pub­lié dans Actu­al­ités juives, un arti­cle qui « remet­tait en cause le tra­vail de Charles Ender­lin, con­va­in­cu d’une gigan­tesque manip­u­la­tion des images ». Un procès pour diffama­tion avait opposé les deux jour­nal­istes. Weill-Ray­nal avait per­du. La CGT de France Télévi­sions s’en était réjouie.

De même, Rue 89 rap­pelle qu’une tri­bune de Clé­ment Weill-Ray­nal, inti­t­ulée « Quand France Inter crache sur les juifs » avait fait polémique en 2011. Voilà pourquoi, Libéra­tion le présen­tait, comme un jour­nal­iste « déon­tologique­ment prob­lé­ma­tique ».

Que conclure ?

Il est encore trop tôt pour tir­er toutes les leçons de cette affaire du mur des cons. Cepen­dant, on peut déjà faire remar­quer que le fond de l’af­faire, l’ex­is­tence du mur des cons lui même et toutes les ques­tions qu’il pose au sujet du tra­vail et de la par­tial­ité des juges, notam­ment des mem­bres du syn­di­cat de la mag­i­s­tra­ture, ne fait plus guère l’actualité.

En lançant sa péti­tion, Causeur esti­mait que « cette ques­tion majeure [risquait] d’être occultée par un règle­ment de comptes interne à France Télévi­sions ». On voit aujourd’hui que c’est effec­tive­ment le cas.

Crédit pho­to : DR

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