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Le grand numéro d’équilibriste du Figaro entre LR et « Z »

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9 décembre 2021

Temps de lecture : 8 minutes
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Le grand numéro d’équilibriste du Figaro entre LR et « Z »

Temps de lecture : 8 minutes

Le Figaro demeure pour beaucoup une référence en matière de presse nationale. Disposant de l’un des sites d’information le plus maniable pour les utilisateurs, il diffuse également bien sa version papier, talonnant Le Monde en matière de ventes sans bénéficier à l’étranger du quasi statut de journal officiel dont s’était paré le quotidien référence de centre gauche depuis plusieurs décennies, un statut écorné depuis. À regarder de près, le journal vit aujourd’hui un numéro d’équilibriste permanent et sa ligne devient de plus en plus difficile à cerner. En toile de fonds de ce brouillard éditorial, les luttes intestines d’un journal qui aura bientôt deux cent ans et dont les jeunes générations rejouent l’immémoriale guerre des générations.

Un média qui tient bon dans la crise de la presse

Dans une péri­ode de crise du média papi­er, Le Figaro sem­ble avoir bien résisté, et a conçu un site à la fois d’aspect élé­gant et facile d’utilisation qui le place régulière­ment à la pre­mière place des sites d’information, même si la crise  san­i­taire a poussé les résul­tats vers le rouge.

Une numéri­sa­tion réus­site qui passe aus­si par­fois par une ten­dance à pro­duire du con­tenu racoleur pour génér­er du flux. Si le con­tenu de type « tabloïds » est incon­tourn­able sur inter­net, le prob­lème du Figaro sem­ble davan­tage résider dans l’équilibre édi­to­r­i­al entre les dif­férentes sen­si­bil­ités de la rédaction.

Voir aus­si : Alex­is Brézet, portrait

Des syndicats gauchers face à la « zemmourisation »

Le Syn­di­cat nation­al des jour­nal­istes (SNJ), affil­ié à la très gauchère et gauchiste Union syn­di­cale Sol­idaires, présent dans le jour­nal dénonce, à l’instar d’autres cen­trales, la nature de la ges­tion du jour­nal. Réu­ni en con­grès nation­al du 20 au 22 octo­bre 2021 à Stras­bourg, le SNJ dénonçait la « zem­mouri­sa­tion » de la cam­pagne prési­den­tielle. Une inquié­tude qui a atteindrait (sans preuves) jusqu’aux rives de la rédac­tion, à en croire un com­mu­niqué de presse com­mun de la CFE-CGC, de la CFTC, de la CGT et du SNJ, en date du 18 octobre.

Dans la mis­sive envoyée à la direc­tion et au per­son­nel, l’intersyndicale demande des clar­i­fi­ca­tions quant à la ligne édi­to­ri­ale. Le directeur des rédac­tions, Alex­is Brézet, est ain­si mis en cause dans le cadre de la sus­pen­sion du con­trat de tra­vail d’Éric Zem­mour en rai­son de la « pro­mo­tion de son livre ». Les syn­di­cats sus­men­tion­nés s’inquiétaient alors du fait que cette déci­sion ait été annon­cée à la Société des Jour­nal­istes (SDJ) plutôt qu’à eux. Évo­quant une baisse d’audience, le com­mu­niqué déplore une ligne édi­to­ri­ale qui serait trop com­pat­i­ble avec le polémiste, pas encore offi­cielle­ment en cam­pagne au moment des faits.

Le 7 décem­bre, le syn­di­cat s’est adressé aux salariés pour les informer d’avoir inter­pel­lé Alex­is Brézet sur la sit­u­a­tion de leur ancien col­lègue : « appar­tient-il tou­jours au Figaro ? » et d’embrayer sur ce dernier qui aurait « men­acé les jour­nal­istes qui le suiv­aient avec une arme » à l’occasion du salon de l’armement avant de s’en pren­dre aux « jour­nal­istes dans leur ensem­ble » lors de son meet­ing de Villepinte du 5 décembre.

Pour être bien assuré que le polémiste ne revien­dra pas, le syn­di­cat lib­er­ti­cide insiste ensuite sur son atti­tude qui serait « en con­tra­dic­tion absolue avec les valeurs du Figaro » et d’enchaîner sur le ton lar­moy­ant « Nous subis­sons tous, chaque jour, le fait d’être con­sid­éré comme tra­vail­lant pour le « jour­nal de Zem­mour » ». (sic).

Vidéo : ces jour­nal­istes qui veu­lent faire taire Zemmour

Peur Covidienne dans le journal

Dans un reg­istre plus « pra­tique », les syn­di­cats regret­tent le recours au télé­tra­vail pour les jour­nal­istes de plumes une seule journée par semaine. Cette inquié­tude « covi­di­enne » sem­ble d’ailleurs plus tenir en haleine les syn­di­cats que la ligne poli­tique et les com­mu­niqués dans ce sens sont récur­rents. Le 8 sep­tem­bre, le SNJ envoy­ait déjà un com­mu­niqué inti­t­ulé « Covid : l’inquiétante stratégie de la direc­tion du Figaro ».

En toile de fond de ces cri­tiques sur la ges­tion san­i­taire, s’ajoute tou­jours un défaut de com­mu­ni­ca­tion que dénonce le syn­di­cat qui déplore d’être infor­mé par l’AFP de l’évolution de la sit­u­a­tion de leur col­lègue Éric Zem­mour. Un mois plus tard, ils reprocheront au directeur des rédac­tions de s’être adressé au Parisien pour expli­quer que le polémiste ne reviendrait pas au Figaro s’il se présen­tait. Là encore un prob­lème de choix d’interlocuteur agace… sans doute une manière de com­penser une représen­ta­tiv­ité très faible.

La contradiction en action

Si les cour­ri­ers du SNJ témoignent d’une activ­ité syn­di­cale somme toute assez banale dans la presse, ils s’inscrivent dans le cas du Figaro dans une oppo­si­tion d’idées interne au média.

Ain­si, les dif­férents titres du jour­nal entrent bien sou­vent en con­tra­dic­tion les uns avec les autres.

Le Figaro Mag­a­zine, repris sur le site web du jour­nal, titrait en une le 12 novem­bre : « Ecole — com­ment on endoc­trine nos enfants » avec en sous-titre : « antiracisme, idéolo­gie LGBT+, décolo­nial­isme… Enquête sur une dérive bien organ­isée ». Un titre qui ne ferait pas rou­gir Valeurs Actuelles et qui a provo­qué l’ire du seg­ment asso­ci­atif pro­gres­siste aimable­ment repris par la presse leur étant acquise, le Huff­in­g­ton Post notamment.

Si un tel dossier fait frémir les adeptes de la mode trans­genre pour tous, d’autres con­tenus pour­raient, eux, avoir leur place dans Libé ou le Huff­in­g­ton Post. Il en va ain­si d’un arti­cle paru le 7 sep­tem­bre 2021 dans lequel la jour­nal­iste Stéphany Gardier (par ailleurs adepte d’écriture inclu­sive) reprend un thème cher à la presse pro­gres­siste : celui des par­ents qui regret­tent d’avoir eu des enfants. Un sujet abor­dé avec qua­tre ans de retard sur la presse pro­gres­siste. Le retard en matière socié­tale est d’ailleurs une spé­cial­ité que l’on retrou­ve sou­vent dans une large par­tie de l’hémisphère poli­tique droit en France, qui court après ce que la gauche lui indique comme étant le pro­grès. Dans le reg­istre de la famille, la jour­nal­iste Ségolène For­gar a grat­i­fié ses lecteurs d’un papi­er évo­quant ces fratries où les gens ne s’aiment pas. Là encore il s’agira de par­ler de retard à l’allumage, Néon l’ayant traité il y a sept ans… Cen­sé cass­er un tabou, ce type de papi­er guère intéres­sant mais qui pour­suit une idéolo­gie de décon­struc­tion sont hon­nis par d’autres com­posantes du Figaro.

Figaro Vox, Hors-série, des déclinaisons droitières

A côté de con­tenus pro­gres­sistes que l’on peut aus­si bien trou­ver sur le site ou dans le for­mat papi­er, c’est le Figaro Madame qui est générale­ment le plus en pointe. On peut y trou­ver des ovnis d’opinion comme cet entre­tien sur­réal­iste avec Mélanie Lau­rent qui se veut un plaidoy­er pour le fémin­isme depuis les Émi­rats Arabes Unis… Un con­tenu aux antipodes des posi­tions de cer­tains jour­nal­istes vedettes du jour­nal, à l’image d’Eugénie Bastié. Cette dernière a fait ses armes au Figaro Vox, le pro­longe­ment des pages opin­ion du jour­nal perçu par cer­tains médias de gauche comme la « droite dure du Figaro ». Sur une ligne con­ser­va­trice, ces pages dirigées par Alexan­dre Devec­chio, sont à l’opposé de cer­tains arti­cles du Figaro.

D’autres branch­es du Figaro sont aus­si mar­quées par une cer­taine forme de con­ser­vatisme de bon aloi avec le Hors-série dirigé par Vin­cent Tré­mo­let de Villers, passé par Le Spec­ta­cle du Monde. Un titre comme Le Figaro His­toire pro­pose égale­ment tous les deux mois des dossiers de qual­ité et plutôt peu per­méables au « poli­tique­ment correct ».

Une guerre générationnelle ?

À en croire cer­tains témoignages, il exis­terait au cœur de la rédac­tion du Figaro, des ten­sions entre les divers­es ten­dances poli­tiques. Très sché­ma­tique­ment, la jeune généra­tion, de droite et plutôt décom­plexée n’entend pas se laiss­er dicter sa loi par la pen­sée dom­i­nante. La mon­tée en puis­sance de fig­ures jeunes, tal­entueuses et peu regar­dantes des codes étab­lis par un monde médi­a­tique longtemps ancré à gauche sem­ble par­ticiper de ce mouvement.

Récem­ment, c’est un jeune nor­malien qui a béné­fi­cié de plus d’éclairage médi­a­tique, Paul Sugy, auteur d’un livre remar­qué sur les « anti­spé­cistes ». Cette nou­velle généra­tion médi­a­tique mul­ti­plie les plateaux et donne une image assez droitière du jour­nal. A cela s’ajoute la récente mise en orbite de l’ancien con­frère devenu can­di­dat à l’élection prési­den­tielle, Éric Zem­mour. Un ancien col­lègue jugé un peu trop encom­brant pour l’aile gauche du jour­nal et par­ti­c­ulière­ment pour les « anciens » du jour­nal restés dans le mode libéral lib­er­taire de leurs con­frères du Monde.

Reste à présent à voir com­ment évolueront les dif­férents sup­ports du jour­nal au gré de la cam­pagne. Un prob­lème qu’a d’ailleurs soulevé Libéra­tion mi-novem­bre et qui n’en con­stituera peut-être pas un, à con­sid­ér­er la longue his­toire de ce jour­nal qui sait depuis longtemps faire cohab­iter des sen­si­bil­ités divers­es. Tout porte à croire qu’il n’y aura pas d’arbitrage pour tel ou tel camp. Une cer­taine lib­erté qui fait hon­neur au Figaro, un titre dans lequel les jour­nal­istes sont finale­ment assez libres tant qu’ils ne touchent pas aux intérêts financiers de la main qui les nour­rit !