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LCP-Assemblée nationale et Public Sénat : une chaîne de trop ?

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25 mai 2015

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | LCP-Assemblée nationale et Public Sénat : une chaîne de trop ?

LCP-Assemblée nationale et Public Sénat : une chaîne de trop ?

Temps de lecture : 7 minutes

Fin janvier 2015, le bureau du Sénat rejetait la fusion des deux chaînes parlementaires françaises, LCP-Assemblée Nationale et Public Sénat. Ces deux chaînes se partagent le même canal, une exception française, mais il y a dans leur gestion de nombreux doublons, une masse salariale pléthorique et un budget conséquent. La comparaison avec la chaîne parlementaire européenne laisse songeur…

Fin avril 2015, l’eu­rodéputé picard Gilles Pargneaux pub­li­ait sur son blog ses remar­ques sur son rap­port au sujet de la décharge budgé­taire du Par­lement Européen pour 2013. Par­mi les “suc­cès de notre admin­is­tra­tion” qu’il tenait “à saluer”, l’on trou­vait : “la diminu­tion du bud­get d’Europarl TV (8 mil­lions d’eu­ros en 2013 con­tre 5 mil­lions d’eu­ros en 2014)” et l’aug­men­ta­tion du nom­bre des vidéos con­sultées : “entre 2012 et 2014 le nom­bre de vidéos vues est passée de 5 000 à 400 000″. Le par­lement européen dis­pose en effet d’une TV, mais il a fait délibéré­ment le choix d’une plate-forme de dif­fu­sion et non d’une chaîne, afin de lim­iter les coûts.

Lancée en 2008, Europarl TV dif­fuse en con­tinu les ses­sions par­lemen­taires et les réu­nions des dif­férents comités, ain­si que des vidéos « éduca­tives », sous-titrées ou traduites dans une des 22 langues de l’U­nion. Plusieurs émis­sions (« Back­stage », « A‑Z » et « Eure­ka ») sont des­tinées aux jeunes ; des inter­views ou des reportages de 1 à 5 min­utes sont aus­si disponibles sur des sujets d’ac­tu­al­ité. D’autres émis­sions décryptent le fonc­tion­nement du Par­lement et l’his­toire des insti­tu­tions européennes. Deux entre­pris­es extérieures sont impliquées dans l’or­gan­i­sa­tion de la chaîne : Twofour, une entre­prise de web­d­if­fu­sion basée à Ply­mouth, en Angleterre, gère le site web, les serveurs et le stream­ing. Les con­tenus sont pro­duits par l’a­gence de com­mu­ni­ca­tion brux­el­loise ICF Mostra. Celle-ci pro­duit aus­si des appli­ca­tions et des con­tenus médias pour divers organ­ismes européens.

Bien que n’ayant pas d’ob­jec­tifs chiffrés en matière d’au­di­ence, Europarl TV essaie d’amélior­er ses chiffres depuis plusieurs années. En 2012, son audi­ence était estimée à 1612 vues par jour, mieux que l’an­née précé­dente (697 vues par jour) mais encore net­te­ment insuff­isante. En 2013 le nom­bre de vidéos vues était estimé à 17 800 par mois (soit 213 600 par an) et en 2014, comme Gilles Pargneaux le men­tionne, ce nom­bre avait atteint 400 000 vidéos par an. Par ailleurs la chaîne a dévelop­pé près de 200 parte­nar­i­ats avec des médias dans et hors UE.

Les chaînes parlementaires en France : beaucoup de moyens, peu de résultats

Au vu des bud­gets des chaînes par­lemen­taires en France, les moyens alloués à la chaîne du Par­lement Européen sont mis­érables. Et pour­tant, les résul­tats ne sont guère au ren­dez-vous en France. En novem­bre 2014, Claude Bar­tolone (PS), qui pré­side l’Assem­blée nationale, avait écrit au nou­veau prési­dent de droite du Sénat, Gérard Larcher, pour envis­ager une fusion des deux chaînes par­lemen­taires. Objec­tif : économiser 5 à 7 mil­lions d’eu­ros. Le Sénat, qui chiffrait de son côté les économies à seule­ment un mil­lion d’eu­ros, a rejeté cette fusion fin jan­vi­er 2015.

Créée en 1999, LCP dis­pose du canal 13 de la TNT depuis son lance­ment en 2005, et le partage avec Pub­lic Sénat. La chaîne dis­pose d’un bud­get de 16,8 mil­lions d’eu­ros (16 834 000 en 2015) pour une audi­ence de 0,4%, qui aug­mente certes mais bien moins vite que le bud­get qui a, lui, aug­men­té de 8,8% depuis 2010. Il y a 66 salariés en CDD ou CDI et 10 salariés inter­mit­tents ou pigistes. Le détail du bud­get, disponible dans le rap­port de Marc Le Fur (PDF) dédié aux mis­sions budgé­taires des Pou­voirs publics indique qu’en 2014 un quart du bud­get était con­sacré aux coûts de dif­fu­sion (4,5 mil­lions d’eu­ros) et 30 % à la masse salariale.

Créée en 2000, Pub­lic-Sénat dis­pose d’un bud­get de 18,4 mil­lions d’eu­ros (2014). Une note du Sénat (PDF) donne le mon­tant du bud­get 2015 de la chaîne : 19 108 000 euros dont un quart (4,5 mil­lions d’eu­ros) est absorbé par les frais de dif­fu­sion et 59% par les frais de la grille (11 mil­lions d’eu­ros). La dota­tion de la chaîne a aug­men­té de 20,6% sur la péri­ode 2010–2014. Il y a 61 salariés, dont 34 tit­u­laires de la carte de presse ; un prestataire extérieur gère le plateau et les moyens de pro­duc­tion, à rai­son de 10 jours-homme pour 44 semaines par an.

Les audi­ences de Pub­lic-Sénat ne sont habituelle­ment pas com­mu­niquées, offi­cielle­ment pour des raisons de coût des études Médi­amétrie, ce qui paraît éton­nant au vu de son bud­get. L’a­van­tage, c’est que Pub­lic Sénat peut maîtris­er sa com­mu­ni­ca­tion à ce sujet : en 2011 Gilles Leclerc don­nait ain­si sur des records d’au­di­ence lors des élec­tions séna­to­ri­ales : 2,2 mil­lions de téléspec­ta­teurs dans la pre­mière par­tie de soirée et 330 000 con­nex­ions sur Inter­net. Mais quid des audi­ences habituelles ? Pour l’heb­do­madaire économique Chal­lenges, qui con­sacrait un arti­cle au vit­ri­ol à la ques­tion en mars 2015 : “sur la box d’un des opéra­teurs de télé­phonie, qui tient à rester anonyme, la Chaîne Par­lemen­taire”, c’est à dire le canal qui regroupe LCP-AN et Pub­lic Sénat, “affiche en moyenne 0,25% de l’au­di­ence télévisée nationale. Soit le niveau d’Eu­rosport (0,2%), la moitié d’i>Télé ou cinq fois moins que BFM”. La moitié des résul­tats d’i>Télé (40 mil­lions d’€ de bud­get) alors que la dota­tion cumulée des deux chaînes par­lemen­taires atteint 35 mil­lions d’euros…

Des doublons à tous les étages

Plus grave, la grille est illis­i­ble et les dou­blons sont nom­breux. Con­séquence d’une excep­tion française qui veut que deux chaînes à l’ob­jet sim­i­laire se parta­gent le même canal. Chal­lenges relève : “les JT dou­blon­nent, l’un à 19 heures, l’autre à 19 h 30. Les émis­sions se ressem­blent”. Au sujet des médias, « Medi­apol » sur LCP-AN répond à « La Poli­tique c’est net » sur Pub­lic Sénat. Con­cer­nant l’in­for­ma­tion générale, « Ques­tions d’in­fos » sur LCP-AN est très sem­blable à « Preuves par 3 » sur Pub­lic Sénat. Pour les livres, Jean-Pierre Elk­a­b­bach, ancien prési­dent et créa­teur de Pub­lic Sénat, ani­me « Bib­lio­thèque Médi­cis » tan­dis que LCP-AN cou­vre le même sujet avec « La Cité du Livre ».

Certes, les événe­ments poli­tiques de pre­mier plan sont cou­verts ensem­ble. Mais il n’y a que trois émis­sions com­munes, « Par­lement Heb­do », « Europe Heb­do », « Les Clés de la République ». La com­mu­ni­ca­tion, la pro­duc­tion, les frais généraux ne sont pas mutu­al­isés, ce qui avait con­duit Marc Le Fur à con­clure : “eu égard notam­ment à la dérive des dota­tions de Pub­lic Sénat, il faut saisir l’oc­ca­sion du renou­velle­ment du Sénat pour fusion­ner les deux chaînes, la réponse con­sti­tuée par la mutu­al­i­sa­tion n’é­tant qu’un faux sem­blant”.

Une indépendance en question

Par ailleurs, si les con­di­tions de fonc­tion­nement des deux chaînes sem­blent claire­ment à revoir alors que le pays, con­fron­té à d’im­por­tantes dif­fi­cultés économiques, cherche partout à réduite la voil­ure, l’indépen­dance des deux chaînes par rap­port au pou­voir est elle aus­si questionnée.

L’Obs relaie ces doutes, en met­tant en cause la désig­na­tion du nou­veau PDG de Pub­lic Sénat – où c’est finale­ment Emmanuel Kessler, ancien du pôle économie de LCI, qui a été choisi. Selon cet arti­cle, c’est Jean-Pierre Elk­a­b­bach qui se trou­vait der­rière la déci­sion de Gérard Larcher de faire vot­er à bul­letin secret les 26 mem­bres du bureau du Sénat pour départager les deux derniers can­di­dats – dont une can­di­date d’Europe 1. Ancien directeur de Pub­lic Sénat de 1999 à 2009, le jour­nal­iste a été plusieurs fois mis en cause pour son indépendance.

Du reste, LCP-AN n’est pas non plus à l’abri des reproches puisque la nom­i­na­tion de Marie-Eve Mal­ouines à la tête de la chaîne a aus­si posé ques­tion. Marc Bau­driller, chef de rubrique médias à Chal­lenges, par­le même de “fait du prince” dans l’ar­ti­cle qui met en lumière le rôle trou­ble de Frédéric Haz­iza et la volon­té de Claude Bar­tolone de bom­barder coûte que coûte une femme à la tête de l’in­sti­tu­tion, au risque de faire accroire que “les jeux sont faits”. Une impres­sion qui est d’au­tant plus gênante que les deux chaînes ont pour mis­sion de réc­on­cili­er les citoyens avec les insti­tu­tions républicaines.