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Le Grand Remplacement sur LCP, approximations et manipulations

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11 avril 2022

Temps de lecture : 7 minutes
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Le Grand Remplacement sur LCP, approximations et manipulations

Temps de lecture : 7 minutes

La télévision est souvent à l’aune de la société, elle est transformée par celle-ci et la modèle à son tour, parfois à travers un discours construit, mensonger et contraire au réel. L’émission Le Grand Remplacement : histoire d’une idée mortifère diffusée le 4 avril 2022 sur la chaîne parlementaire LCP en est une illustration parfaite.

Un documentaire bien soutenu

Ce pro­gramme de la série Débat­Doc est com­posé d’un doc­u­men­taire de 54 min­utes de Thomas Zribi et Nico­las Lebourg pro­duit par Car­o­line du Saint pour Nova Pro­duc­tion, suivi d’un débat, « Que cache le Grand Rem­place­ment ? ». Libéra­tion, Le Monde, entre autres, ont con­vié leurs lecteurs à ne pas man­quer ce doc­u­men­taire qui veut « don­ner des clés de com­préhen­sion his­torique et poli­tique de ce con­cept en France et dans le monde occi­den­tal ». France Inter a invité en avant-pre­mière la pro­duc­trice et Nico­las Lebourg pour les féliciter d’avoir mis en garde con­tre « cette mon­strueuse banal­i­sa­tion médiatique ».

Recon­nais­sons à la chaîne le mérite d’une approche his­torique. Du cap­i­taine Dan­rit (L’invasion noire 1995, L’Invasion jaune 2005) à Éric Zem­mour en pas­sant par la Grande Guerre, Jean Ras­pail et Renaud Camus, la théorie et son suc­cès actuel sont le fruit d’une ges­ta­tion his­torique plus que cen­te­naire à tra­vers laque­lle elle s’élabore, se for­malise, et se répand dans la société.

Reductio ad hitlerum d’emblée

Mal­heureuse­ment le doc­u­men­taire dans le souci de dénon­ci­a­tion que man­i­feste son titre mul­ti­plie les amal­games. La réduc­tion ad hitlerum s’opère dès les pre­mières min­utes, avec le long plan sur la croix gam­mée pour exter­min­er le « com­plot juif ». Suiv­ent les mas­sacres per­pétrés par Anders Breivik en Norvège et Bren­ton Tar­rant en Nou­velle-Zélande dont il tente laborieuse­ment de démon­tr­er qu’ils sont des con­séquences de cette théorie mor­tifère. Puis le néo-nazi de Char­lottesville qui fonce sur la foule, Pitts­burgh, El Paso… tous évène­ments générés par « l’accélérationnisme » des fièvres supré­ma­tistes et racial­istes dans le monde et notam­ment dans l’extrême-droite française.

Renaud Camus, coupable levez-vous !

Il faut faire par­ler Renaud Camus, pour l’« objec­tiv­ité » de l’émission. La chaîne s’est donc invitée dans le château-fort ger­sois du « maître des lieux » . Le doc­u­men­taire qui lui donne la parole met immé­di­ate­ment les point sur les i. « Sa vision est con­tred­ite par toutes les études sci­en­tifiques mais pour lui la sci­ence n’est qu’un détail ». Off the record, Renaud Camus qui a pris soin de faire enreg­istr­er l’entretien pour éviter les mon­tages assas­sins ajoute qu’il est « non-vio­lent » mais « pas paci­fiste ». Provo­ca­tion étudiée ou naïveté coupable ? C’est donc, se hâte de soulign­er le com­men­ta­teur, que le Grand Rem­place­ment est une guerre, que l’auteur la souhaite et recon­nait sa respon­s­abil­ité dans les crimes com­mis au nom de cette théorie. CQFD.

Ses idées ont généré une telle réso­nance dans la pop­u­la­tion qu’elles ont « infec­té » toute la société française selon le sondage Har­ris Inter­ac­tive d’octobre 2021 : 61% des Français croient à un Grand Rem­place­ment et 67% s’en inquiè­tent. Hor­reur ! Mais France-Inter avait don­né l’explication. La ques­tion posée par les son­deurs « avait oublié de pré­cis­er qu’il s’agissait d’une thèse d’extrême-droite ». Ben voyons ! comme aurait dit Zem­mour, par ailleurs large­ment présent à l’image avec infla­tion de procédés décrédi­bil­isant le can­di­dat : de pro­fil, couché sur ses notes, en image fixe avec dis­cours en off, en live avec com­men­taires de la chaîne.

Un débat sans débat

Le débat qui suit se déroule entre le réal­isa­teur, une jour­nal­iste, et un démo­graphe, pour prou­ver la diver­sité de l’approche. Ils sont d’accord sur tout et rebondis­sent avec gour­man­dise sur les ques­tions fausse­ment naïves du présen­ta­teur, Jean-Pierre Gratien.
Nico­las Lebourg, qui a mil­ité à Ras l’Front, puis à la Gauche Pop­u­laire, think tank proche du par­ti social­iste, écrit dans Medi­a­part, Libéra­tion, Slate, copi­lote des pro­grammes de recherch­es sur la rad­i­cal­ité poli­tique et tra­vaille pour la Fon­da­tion Jean-Jau­rès. Plusieurs con­frères témoignent de son « hon­nêteté intel­lectuelle ». Le mon­tage habile du film sem­blerait indi­quer le con­traire. Camille Vigogne-Le Coat, jeune jour­nal­iste définie comme libérale-lib­er­taire après avoir pigé à Slate, à Libé et aux Inrocks, est entrée à France 5 pour l’émission C poli­tique puis à L’Express où elle s’occupe des réseaux de l’extrême droite et notam­ment de ceux d’Éric Zem­mour qui, en riposte, la trait­ent de « syco­phante ».

Hervé Le Bras, propagandiste

Quant à Hervé Le Bras, le démo­graphe présent dans le doc­u­men­taire et sur tous les plateaux de la pen­sée dom­i­nante dès qu’il est ques­tion d’immigration, il vient de pub­li­er chez Gras­set un ouvrage péremp­toire, Il n’y a pas de Grand Rem­place­ment, qui rap­pelle ses déc­la­ra­tions tout aus­si péremp­toires sur « L’immigration est sta­ble depuis 10 ans » en 2006 au jour­nal 20 min­utes. Ce chercheur de 78 ans, tou­jours alerte, et à la pro­duc­tion boulim­ique, con­nu pour son oppo­si­tion aux sta­tis­tiques eth­niques, n’hésite pas à met­tre en bal­ance « 100.000 immi­grés de plus par an » et « 67 mil­lions de Français ». On ne lui fera pas l’injure de croire qu’il ignore la dif­férence entre les flux et les stocks. Il s’agit donc d’un dis­cours de pro­pa­gande qui s’inscrit dans la grande manip­u­la­tion de l’INSEE sur le sol­de migra­toire annuel qui sous­trait le nom­bre de ceux qui par­tent de France de ceux qui y arrivent alors que ce ne sont pas du tout les mêmes caté­gories de personnes.
On rap­pellera que la démarche sci­en­tifique con­siste à compt­abilis­er d’une part le nom­bre des étrangers (prin­ci­pale­ment immi­grés) qui arrivent, dimin­ué de ceux qui repar­tent pour établir le sol­de migra­toire de l’immigration, et d’autre part le nom­bre des expa­triés (prin­ci­pale­ment français) qui quit­tent leur pays d’origine, dimin­ué de ceux qui revi­en­nent pour établir le sol­de migra­toire de l’expatriation. L’addition des deux, con­juguée au dif­féren­tiel de fécon­dité des enfants d’immigrés — dont une par­tie, issue d’un mariage mixte, n’est compt­abil­is­able que pour moitié — peut per­me­t­tre de mesur­er, avec les pré­cau­tions d’usage, quelle est pour une péri­ode don­née la réal­ité, la dynamique et la valid­ité du Grand Remplacement.

Une « poutinisation » de l’information

Bref on aurait pu débat­tre de façon sci­en­tifique et sere­ine de la théorie du Grand Rem­place­ment et de la fais­abil­ité de la « rem­i­gra­tion » que ses thu­riféraires veu­lent instituer, voire les com­bat­tre, sans tomber dans la caricature.

En réal­ité, ce type de pro­gramme dif­fusé sur des chaînes offi­cielles sem­ble ten­dre vers une “pou­tin­i­sa­tion” de l’information que ces mêmes médias dénon­cent en Russie. Il attaque vio­lem­ment Éric Zem­mour et de façon plus insi­dieuse Marine le Pen en pleine péri­ode élec­torale où s’impose l’égalité des temps de parole. Mais aucun risque de remon­trances puisque cette chaîne, détenue à 100% par l’Assemblée Nationale à majorité macro­niste, n’est pas soumise au con­trôle du CSA. Ce n’est pas fini puisqu’on nous promet une red­if­fu­sion de ce pro­gramme le 11 avril ! C’est qu’il faut, pour le sec­ond tour, ramen­er au bercail les bre­bis égarées.

Emmanuel Macron avait stig­ma­tisé, dans son show de La Défense-Are­na le 2 avril, le « poli­tique­ment cor­rect » et le « poli­tique­ment abject ». Un tel pro­gramme qui relève de ces deux for­mu­la­tions, mon­tre qu’on ne peut guère, sauf mir­a­cle, compter sur lui pour réus­sir dans les 5 ans qui vien­nent, ce qu’il n’a pu ou voulu assur­er dans les cinq ans écoulés : une infor­ma­tion plurielle digne d’un pays démocratique.

Jean-Paul Gourévitch
Jean-Paul Gourévitch est auteur (entre autres) de La ten­ta­tion Zem­mour et le Grand Rem­place­ment (édi­tions Ova­dia, novem­bre 2021)

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