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La chimère du vivre ensemble et les médias face aux émeutes

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5 juillet 2023

Temps de lecture : 7 minutes
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La chimère du vivre ensemble et les médias face aux émeutes

Temps de lecture : 7 minutes

Depuis une cinquantaine d’années, le journalisme de grand chemin est un outil indispensable pour véhiculer le fantasme du vivre-ensemble. Cette chimère a du plomb dans l’aile depuis les émeutes qui ravagent notre pays depuis le mercredi 28 juin 2023. Malgré ces événements, certains médias s’attachent à cette utopie tandis que la presse est parfois prise pour cible lors de ces affrontements. Entre gymnastique mentale et incohérences flagrantes, petit tour d’horizon de la presse française en période de préguerre civile.

Des journalistes pris pour cibles

Dans ce cli­mat de chaos, les pho­tographes, cam­era­men et reporters sont les plus exposés. En tout, ce sont près d’une dizaine de jour­nal­istes qui ont été agressés, volés et tabassés durant ces émeutes. Venus de rédac­tions très dif­férentes, nous obser­vons que ces jour­nal­istes ont été pris pour cible car ils étaient sur les lieux des émeutes, par­fois con­fon­dus avec un polici­er. Ain­si, un jour­nal­iste du Point, deux jour­nal­istes du Figaro, un pho­tographe de Libéra­tion et deux jour­nal­istes d’Al Jazeera ont été visés. La presse locale a elle aus­si été ciblée : des jour­nal­istes d’un média de Besançon et enfin un jour­nal­iste de Ouest-France ont eux aus­si fait les frais du chaos. Cer­taines agres­sions ont été par­ti­c­ulière­ment vio­lentes. Le pho­tographe de Libéra­tion a été frap­pé avec un pavé à l’arrière de la nuque, le jour­nal­iste du Point a été tabassé à coups de pier­res par cer­tains émeu­tiers. Notons que même des rédac­tions « indul­gentes » — pour ne pas dire plus — avec les émeu­tiers, comme Libéra­tion ou Al Jazeera, ont été ciblées. Sou­vent le réc­it est le même : ces jour­nal­istes étaient présents dans un point chaud, sou­vent après le départ de la police, et pre­naient des pho­tos lorsqu’ils ont été pris pour cible.

Les vidéos cachées par les autorités

Si elle est mal­menée par le bas, la presse est aus­si mal­menée par le haut avec le gou­verne­ment. Face à une sit­u­a­tion qui lui échappe, le gou­verne­ment a voulu fein­dre la maîtrise de la sit­u­a­tion en con­trôlant les images qui étaient postées sur les réseaux soci­aux. C’est dans cette optique que les ser­vices du min­istère de l’Intérieur sont ren­trés en con­tact avec le directeur adjoint de Cer­fia, l’un des comptes Twit­ter les plus pop­u­laires qui dif­fusé des vidéos des émeutes, per­me­t­tant aux usagers de voir ces dernières autrement que par le prisme des chaînes d’information ou de la presse main­stream. Comme l’explique Pierre Del­combel, directeur adjoint de Cer­fia, à Libéra­tion : « Ils [les ser­vices du min­istère de l’Intérieur] nous ont demandé notre sou­tien pour faire pass­er un peu les bonnes infos et apais­er la sit­u­a­tion. ». Si rien n’obligeait Cer­fia à accepter cette demande, le sim­ple fait de vouloir con­trôler l’information fait tache dans un pays où l’indépendance de celle-ci est érigée en dogme. Rien de nou­veau pour nos lecteurs assidus.

Les réseaux sociaux révèlent le réel que L’Obs veut cacher

Les réseaux soci­aux ont été une source pri­mor­diale d’informations durant ce chaos. Comme l’a souligné Pierre Sautarel, de FdeS­ouche, sur son compte Twit­ter, durant cette péri­ode l’information a été avant tout l’apanage d’une poignée d’anonymes sur des canaux Telegram. La presse de gros tirages était occupée à min­imiser les événe­ments. Un exem­ple nous est fourni avec L’Obs. Dans un papi­er pub­lié dimanche 2 juil­let 2023, le jour­nal titre : « aucun inci­dent majeur n’a été recen­sé dans la nuit de same­di à dimanche ». Un con­stat très loin de la réal­ité, mais en accord avec le réc­it gou­verne­men­tal. Dans la nuit de same­di à dimanche 2 juil­let 2023, le maire de la com­mune de L’Haÿs-les-Roses, Vin­cent Jean­brun, a été vic­time d’une attaque à la voiture béli­er enflam­mée à son pro­pre domi­cile. Sa femme a eu le tib­ia cassé, ses enfants étaient égale­ment présents. Durant cette même nuit, à Mul­house, six pom­piers ont été vic­times d’une ten­ta­tive d’assassinat. Ajou­tons des pil­lages encore nom­breux ain­si que des affron­te­ments ten­dus à Mar­seille et vous aurez ce que L’Obs appelle une nuit sans « aucun inci­dent majeur ». Sans doute sous la pres­sion de ses lecteurs, ou dans un instant de lucid­ité, le jour­nal a renom­mé son arti­cle « Pre­mière nuit d’accalmie dans la nuit de same­di à dimanche ». Un réa­juste­ment qui colle davan­tage à la réal­ité, mais qui euphémise la réal­ité. Notons que l’article ne par­le pas de l’attaque de Vin­cent Jeanbrun.

La cagnotte comme dérivatif

Lorsqu’elle n’euphémise pas la vio­lence de ces émeutes, une par­tie de la presse cherche d’autres cibles. L’une d’elles est la cagnotte mise en place pour soutenir la famille du polici­er ayant tué Nahel (nous écrivons bien Nahel et non pas Naël comme cer­tains l’ont repris fau­tive­ment). Le Monde, dans un papi­er du 3 juil­let 2023, se demande « com­ment l’extrême droite instru­men­talise la cagnotte de sou­tien à la famille du polici­er ? ». Comme un chat qui retombe tou­jours sur ses pattes, qu’importe le con­texte, une par­tie de la presse revient tou­jours sur l’hydre qu’est l’extrême droite. Libéra­tion a lui aus­si fait son petit com­men­taire sur cette cagnotte. Dans un arti­cle du 2 juil­let, le jour­nal note que l’idée de cette cagnotte « ne vient pas de n’importe qui : Jean Mes­si­ha, sou­tien d’Éric Zem­mour et agi­ta­teur approx­i­matif des plateaux de télévi­sion ». Nous retombons dans la tam­bouille que nous avait faite France 5 il y a quelque temps. Le même arti­cle souligne que Jean Mes­si­ha a dû se tourn­er vers la plate­forme GoFundMe, un organ­isme améri­cain, après avoir vu sa pre­mière cagnotte blo­quée par Tipeee. Enfin, Libéra­tion évoque la ten­ta­tive des Sleep­ing Giants de blo­quer cette cagnotte, un sujet que nos lecteurs con­nais­sent bien. Hélas pour les censeurs, le site améri­cain a jugé la cagnotte en accord avec les ter­mes d’utilisation de son site.

Voir aus­si : Sleep­ing Giants ou le total­i­tarisme « soft » qui veut tuer

Deux claques et au lit

Une déc­la­ra­tion a fait couin­er Libéra­tion, la phrase du préfet de l’Hérault, Hugues Moulouh, qui a pré­con­isé « deux claques et au lit » aux par­ents des jeunes émeu­tiers afin de calmer les ardeurs de leur progéni­ture. Dès lors, il n’en fal­lait pas plus pour que Libéra­tion, dans un arti­cle du 3 juil­let, par­le de « méth­ode forte ». Citant quelques per­son­nes proches de La France Insoumise, l’article par­le de « phrase-choc », tan­dis que la fin du papi­er souligne les liens du préfet avec Nico­las Sarkozy. Mater des émeutes, des pil­lages, des attaques et des ten­ta­tives d’assassinat par « deux claques », une méth­ode-choc selon Libéra­tion. Voilà qui ferait une belle synthèse.

Un autre élé­ment qui a fait réa­gir est la con­sti­tu­tion de groupes de défense dans cer­taines villes pour faire face aux pilleurs. Cer­tains, issus de l’extrême droite, ont per­mis à la presse main­stream de retomber dans son jar­gon habituel de lutte con­tre cette men­ace fan­tôme en met­tant sous le tapis les débor­de­ments en banlieues.

Le NYT plus réaliste

Dans ce cli­mat ten­du, la presse inter­na­tionale n’a pas man­qué de réa­gir. Dans un arti­cle, le New York Times par­le de « prob­lèmes qui traî­nent depuis longtemps ». L’article fait le lien entre les émeutes et des prob­lèmes d’identités latents depuis plusieurs années en France, évo­quant les minorités qui rési­dent dans les quartiers qui se révoltent. De manière glob­ale, peu de papiers font le lien entre ces émeutes et les minorités immi­grées. Sou­vent, ce lien est fait seule­ment pour insis­ter sur le racisme de la police française et de l’État.

Nous auri­ons pu soulign­er d’autres élé­ments. Comme le silence relatif sur les appels — à moitié voilés — à la révolte que fait La France Insoumise, encour­ageant sans le dire les émeu­tiers, requal­i­fiés en « révo­lu­tion­naires poli­tiques ». La presse de grand chemin et le gou­verne­ment préfèrent lut­ter con­tre les « vraies men­aces », comme le col­loque de l’Action française ou une journée d’hommage à Dominique Ven­ner au nom de ce qui « pour­rait » y être dit.

Voir aus­si : Police de la pen­sée : de Médi­a­part à l’interdiction d’un col­loque de l’Institut Iliade