Les affaires de Dreyfuss
Le benjamin de l’état-major de Patrick Drahi n’en finit pas de monter dans la hiérarchie d’Altice. De directeur de la communication, il est devenu responsable de la branche médias du groupe (BFMTV, RMC) en pas moins de six ans. Il est même pressenti pour être le successeur d’Alain Weill à la tête de la branche française d’Altice.
Ce jeune premier est le rejeton d’une lignée de primeurs colmariens aussi investis dans la communauté juive que dans la politique. Le précoce communicant, qui porte le prénom de son grand-père, est le réceptacle d’une histoire douloureuse. Sa famille est quasiment décimée lors de la Seconde Guerre mondiale ; certains sont déportés à Auschwitz tandis que d’autres sont assassinés par la Gestapo, tel Marcel Dreyfuss dont le nom orne une plaque du 6e arrondissement de Lyon. À l’instar de Tristan Mendès France ou de Claude Askolovitch, une conscience malheureuse du judaïsme informe sa sensibilité et son fil Twitter, dont les gazouillis antérieurs à 2014, par trop militants, ne sont plus visibles.
Il est le fils de Marcel Dreyfuss, président du consistoire israélite de Lyon de 2001 à 2020, et le neveu de Jacques Dreyfuss, décédé en 2020, ancien président du Parti radical du Haut-Rhin et vice-président du conseil régional d’Alsace. Le grand-père, fondateur d’une entreprise de fruits et légumes qu’ont repris ses héritiers, a reçu la Légion d’honneur des mains de Charles de Gaulle tandis que ses deux fils ont reçu la même distinction (1987 pour le second, 2007 pour le premier). Le jeune Dreyfuss grandit à Cassis, une banlieue cossue de Marseille, puis sa famille déménage à Lyon, où il effectuera son cycle secondaire. Au Collège Vendôme d’abord, puis au prestigieux Lycée du Parc. Il en ressort bachelier (Baccalauréat scientifique) en 2003.
Formation universitaire
Il est titulaire d’un master de droit public à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas et d’un master de droit public des affaires de l’Université Paris 1 Sorbonne. Avant cela, il avait obtenu une licence Droit-Économie à l’Université Jean Moulin de Lyon (Lyon III).
De son propre aveu, il n’était pas un élève très assidu. C’est son militantisme qui le propulse à des postes à haute responsabilité. Il est déjà familier des cabinets ministériels alors qu’il n’a pas encore terminé ses études. Son ancien collaborateur, Guillaume Didier, a bataillé ferme pour qu’il termine son études de droit : « Je devais me battre pour qu’il aille à la fac […] J’ai dû convoquer sa grande sœur au ministère pour que sa famille lui dise d’aller en cours ! C’était la condition sine qua non pour qu’il reste au cabinet ».
Parcours militant
Lors de ses études à Lyon-III, son engagement communautaire en faveur de la communauté juive et d’Israël ne passe pas inaperçue, autant sur le campus que sur les réseaux sociaux. En effet, à cette période, la faculté est dépeinte comme un bastion d’extrême-droite et négationniste depuis plusieurs décennies. Faurisson y a enseigné et Bruno Gollnisch est toujours en poste lorsqu’Arthur Dreyfuss est encore étudiant.
Président de la section lyonnaise de l’Union des Étudiants Juifs de France, il organise avec l’association Hippocampe, fondée en 1993 par des étudiants en histoire révoltés par la rhétorique négationniste, les Universités de la Mémoire dans les locaux de la faculté. Il s’agit alors, via ce cycle de conférences où sont invités des rescapés comme Benjamin Orenstein, Bernard Kouchner ou encore Alain Jakubowicz de « s’engager pour un dialogue et une construction collective des mémoires » dans ce lieu où « certains ont gravement failli à leur devoir de tolérance et d’objectivité. »
Il est membre du conseil d’administration de l’association qui gère de Musée Mémorial des enfants d’Izieu dans l’Ain. Ce musée a notamment vu le jour au milieu des années 1990 grâce aux efforts d’Alain Jakubowicz, alors adjoint au maire de Lyon en tant que délégué aux droits de l’homme.
En 2009, il figure sur la liste des invités du dîner annuel du Crif rendue publique par Faits et Documents.
Parcours professionnel
Lors de l’inauguration d’un mémorial du génocide arménien à Lyon, il rencontre Dominique Perben, alors ministre des Transports. Le jeune Dreyfuss tape dans l’œil du ministre qui nourrit des ambitions politiques dans la capitale des Gaules. Il se voit alors proposer un stage en cabinet en tant que chargé de communication au ministère. Après une expérience de sept mois, il enchaîne sur un second stage place Vendôme au ministère de la Justice, où il restera finalement près de quatre ans., Le poste de porte-parole du ministère est crée pour lui par celui sera son maître de stage, puis son collaborateur, le magistrat Guillaume Didier, alors conseiller en communication du ministère de la Justice.
Les ministres passent mais le binôme Dreyfuss-Didier résiste aux vents capricieux des valses d’administrations. Auréolé de cette longévité peu commune dans ses sphères, il est affecté au Quai d’Orsay pour s’occuper encore et toujours de la communication en tant que chargé d mission. Malheureusement, la révolution de jasmin en Tunisie aura raison de Michèle Alliot-Marie et de ses équipes.
L’homme ne se laisse pas démonter et, fort du carnet d’adresses qu’il s’est constitué, il rebondit chez Havas où il est recruté par Stéphane Fouks en personne en tant que directeur conseil.
Chez Havas, Fouks entend profit des cinq ans d’expérience d’Arthur Dreyfuss dans les cabinets ministériels pour le mobiliser sur des dossiers très variés. Il a par exemple travaillé sur la campagne de Geoffroy Roux de Bézieux pour la présidence du Medef en 2013. Cette même année, il fait la connaissance de Patrick Drahi en le conseillant sur la stratégie à adopter lors de l’introduction en Bourse de Numericable. Fouks confesse a posteriori qu’il s’attendait perdre son poulain en lui confiant ce brûlant dossier : « La seule chose qui m’avait fait hésiter avant d’en faire mon n°2 sur l’opération Numericable-SFR, c’était la probabilité qu’il soit recruté par Patrick Drahi. J’en avais pris le pari avec Arthur. C’était évident que leurs personnalités allaient matcher ».
Comme Guillaume Didier avait créé pour lui le porte-parole au ministère de la Justice, l’homme d‘affaires franco-israélien lui crée le poste de directeur de la communication d’Altice. Le titan des médias, qui a pour habitude de travailler avec une équipe très resserrée, avait totalement négligé cet aspect depuis la création d’Altice en 2001, ne le jugeant pas essentiel. Comme gage de fidélité, Arthur Dreyfuss accompagne son patron à Genève, dans les bureaux d’Altice, et résidera en Suisse jusqu’en 2017.
Drahi sait récompenser ses maréchaux et Dreyfuss monte dans l’organigramme a la vitesse de l’éclair : il se retrouve secrétaire général d’Altice en février 2018, puis est nommé directeur général d’Altice Médias (BFMTV, RMC Sport, Libération) en janvier 2020, en remplacement de Damien Bernet, un proche d’Alain Weill). Cette nomination s’inscrit dans un contexte d’évincement des hommes acquis à Alain Weill dans l’organigramme d’Altice par Drahi, qui préfère placer des cadres de SFR à tous les étages de sa fusée. L’homme d’affaires, qui met un point d’honneur à détenir la majorité des voix aux conseils d’administrations de ses sociétés, entend bien régner seul. Surtout depuis que la branche médias du groupe a perdu du terrain face à la branche opérateurs, comme en témoigne la cession de l’Express à Next Participations, le transfert de Libération à un fonds de dotation ou la reculade sur les droits sportifs de la Ligue des Champions (diffusée sur RMC Sport) consécutive à la pandémie. À l’été 2021, Alain Weill annonce qu’il quitte le groupe Altice. En conséquence, la branche médias d’Altice appartient désormais en totalité à Patrick Drahi, qui n’en était jusque là que l’actionnaire minoritaire (49 %). C’est donc sans surprise qu’Arthur Dreyfuss lui succède à la présidence d’Altice Médias.
Ainsi, Dreyfuss a pour missions principales de renforcer les synergies entre SFR et Altice, de consolider la première place de BFMTV parmi les chaînes d’informations et d’approfondir la couverture 5G dans l’Hexagone.
Parallèlement, il est élu président de la Fondation française des télécoms (FFT) pour un an le 14 mai 2019. Il en est vice-président depuis 2020. Cette instance regroupe les principaux opérateurs français en activité et a pour mission de défendre les intérêts économique de ses membres tout en communiquant sur les actions menées dans le secteur des télécommunications.
Vie privée
Il est marié depuis 2012 à Jennifer Sellem-Dreyfuss, avocate au barreau de Paris originaire de Toulouse. Son père est, Serge Sellem, est chef d’entreprise, fondateur des éditions BUCEREP. Tout comme Marcel Dreyfuss, il est membre du Consistoire central israélite de France.
Spécialiste en propriété intellectuelle et en droit des nouvelles technologies, elle exerce à son cabinet du XVIIe arrondissement de Paris. Lorsque le couple emménage en Suisse pour suivre Drahi à Genève, l’avocate travaille au service de la Swiss Chambers’ Arbitration Institution, organisation à but non-lucratif proposant des solutions d’arbitrages aux principales chambres de commerces helvétiques, située elle aussi dans la cité de Calvin. Ils résideront à Genève entre 2014 et 2017.
En tant que membre de la commission juridique de la LICRA, « elle défend les intérêts de personnes victimes de délits de presse à caractère raciste (injure, diffamation, incitation à la haine) ». Elle est également membre de l’Association des juristes marocains (AJAM).
Ensemble, ils ont un fils prénommé David.
Il l’a dit
« Nous ne refusons pas le progrès, au contraire, nous l’accompagnons. Ce sont des entreprises françaises, responsables qui investissent, qui s’engagent, qui accompagnent ce progrès pour les territoires. Je crois que cela doit être une satisfaction pour l’ensemble de nos concitoyens, qui sont également l’ensemble de nos clients », Audition à la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, 24/11/2020.
Au sujet de la compagnie chinoise Huawei : « Ça fait dix ans qu’on travaille avec eux, ça fait dix ans qu’il n y a jamais eu le moindre problème de sécurité […] Mais si demain, Huawei devait, en tout ou partie, être interdit sur le territoire national, nous prendrions des retards considérable en matière de déploiement et en matière de qualités du service que nous offrons à nos clients », Europe1, 17/12/2019.
« J’ai commencé à entendre l’expression “nouvel antisémitisme” en 2000. Nous sommes en 2018, ce “nouvel antisémitisme” est donc desormais majeur. Pour fêter son entrée dans l’âge adulte, faisons simple et appelons le « antisémitisme », Twitter, 01/02/2018.
« Depuis 3 jours, toutes les 10 minutes en moyenne, le Hamas bombarde les villes d’Israël avec des roquettes. Qui accepterait cette situation? », Twitter , 10/07/2014
« À l’heure où la bataille des mémoires fait rage, où la concurrence des mémoires se développe, il est de notre devoir étudiant et citoyen de s’engager pour un dialogue et une construction collective des mémoires […] À l’heure où les communautés se replient sur elles mêmes, où le racisme et l’antisémitisme ne cessent de s’accroître, nous voulons œuvrer, notamment au sein des universités lyonnaises, pour que les mémoires soient source de dialogue et non plus de tensions », Communiqué de presse de la deuxième édition des Universités de la mémoire, 11/03/2006.
Nébuleuse
Patrick Drahi : « Il court d’un rendez-vous à l’autre en taxi, généralement accompagné de son banquier d’alors Bernard Mourad, et de l’homme de la communication, Arthur Dreyfuss » (Les Échos). Le patron est dithyrambique sur son employé : « Avec talent et gentillesse, Arthur réussit tout ce qu’il entreprend » (Le Figaro).
Stéphane Fouks : « Un combattant dans un corps de diplomate ». Chez Havas, il a conservé des liens d’amitié avec Anne-Sophie Bradelle, actuelle conseillère technique en communication internationale d’Emmanuel Macron, et de son compagnon Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles.
Malo Corbain : directeur financier d’Altice, ancien vice-président chargé des fusions-acquisitions à la banque Lazard avec lequel il fait connaissance au siège genevois du groupe, dont il n’est alors que le directeur de la communication
Alain Weill : les deux hommes, qui partagent la même origine juive alsacienne, et se rencontrent en 2015, année du « mariage » unissant Weill à Drahi. Selon La Lettre de l’Audiovisuel, ce dernier « a noué une relation de confiance avec Arthur Dreyfuss, tout en lui faisant partager son expérience dans les médias. Tous deux ont ainsi sillonné la France dans le but de remporter des appels d’offres et déployer la fibre optique de SFR dans l’Hexagone ».
Dreyfuss n’ayant plus le temps pour remplir sa fonction initiale de directeur de la communication, c’est Nicolas Chalin, ancien directeur de la communication externe de SFR, qui s’en charge. Les deux hommes travaillent en étroite collaboration.
Guillaume Didier : directeur général délégué du cabinet de conseil Vae Solis.
Il soigne ses relations avec les ministres qu’il servi pendant son expériences dans les cabinets ministériels, que ce soit Dominique Perben, Rachida Dati ou bien Michèle Alliot-Marie. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer nommé par Macron, est un ami de longue date. Ils se sont rencontrés lors de leurs études à la Sorbonne, où il fait également la connaissance de celle qui sera son épouse.
Alexis Jakubowicz, a été le témoin de mariage d’Arthur Dreyfuss. Les deux hommes se sont connus à la section lyonnaise de l’UEJF, que Dreyfuss présidait tandis que Jakubowicz avait le rôle de délégué à la communication et à la presse. Il est le fils d’Alain Jakubowicz, avocat médiatique et ancien président de la Licra (2010–2017). La famille Jakubowicz est originaire de Villeurbanne, la banlieue de Lyon où la famille d’Arthur Dreyfuss s’est installée à son adolescence. Les deux familles sont des habituées de la Grande Synagogue de Lyon, que le père d’Arthur Dreyfuss a administré pendant près de vingt ans.
Il rend hommage sur Radio J à Benjamin Orenstein lors de son décès en 2021. Cette personnalité de la ville de Lyon, où il s’est installé après la seconde Guerre Mondiale après une courte expérience dans le jeune état d’Israël, était un rescapé d’Auschwitz. Il était impliqué dans le projet d’établissement d’un Mémorial de la Shoah à Lyon. Arthur Dreyfuss l’avait invité à la seconde Université de la mémoire à Lyon III en 2006 afin de livrer son témoignage sur l’expérience concentrationnaire. Neuf ans plus tard, il est décoré de la Légion d’honneur par Marcel Dreyfuss.
Ils ont dit
« L’affaire du restaurant dans lequel les hiérarques de BFM mangeaient malgré la pandémie, révélée par le Canard enchaîné, n’en finit pas de faire des remous. Le journaliste de Capital Grégory Raymond l’a appris à ses dépens jeudi 4 mars, lorsque BFM Business a brutalement interrompu sa collaboration tous les vendredis dans l’émission Les Pros des Cryptos, suite à la parution d’un article de son magazine économique reprenant et enrichissant les informations du Canard enchaîné. Selon nos informations, même la chaîne n’a pas eu son mot à dire, car la décision est venue de très haut, plus précisément du directeur général d’Altice Media, Arthur Dreyfuss. L’entourage de Drahi a en effet une dent contre Capital, dont les enquêtes économiques sur les sociétés du magnat des médias déplaisent fortement », Arrêt sur images, 12/03/2021.
« Nous ne refusons pas le progrès, au contraire, nous l’accompagnons. Ce sont des entreprises françaises, responsables qui investissent, qui s’engagent, qui accompagnent ce progrès pour les territoires. Je crois que cela doit être une satisfaction pour l’ensemble de nos concitoyens, qui sont également l’ensemble de nos clients », Audition à la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, 24/11/2020.
« Quand Rachida Dati s’est déplacée en Israël et dans les territoires palestiniens, c’est lui qui avait tout organisé, explique ce dernier. Du haut de ses vingt-trois ans, c’était le sherpa de la délégation. Et tout s’est remarquablement bien passé, à Tel-Aviv comme à Ramallah », Les Échos, 05/03/2018.