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Comment Schengen permet de bannir discrètement les journalistes étrangers dérangeants

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27 mai 2023

Temps de lecture : 7 minutes
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Comment Schengen permet de bannir discrètement les journalistes étrangers dérangeants

Temps de lecture : 7 minutes

On ne se rend pas toujours compte à quel point le fonctionnement de l’Union européenne est structurellement antidémocratique. Un nouvel exemple de cet état de choses nous est donné par un événement dont sans doute aucun lecteur de l’Observatoire du Journalisme ni personne en France ou en Europe n’a entendu parler : le 12 mai dernier, le rédacteur en chef d’un média Internet américain de droite, American Renaissance, était refoulé à l’aéroport de Zurich, en Suisse, alors qu’il y avait atterri en provenance des États-Unis afin de prendre une correspondance pour l’Estonie, pour un cycle de dix jours de podcasts, d’interviews et de conférences.

Qui est Jared Taylor ?

Il s’agit de Jared Tay­lor, un essay­iste de la mou­vance nation­al­iste blanche améri­caine, qual­i­fié de « supré­ma­tiste blanc » par les grands médias, ce que l’intéressé récuse fermement.

L’analyse de ses arti­cles ain­si que des arti­cles à son sujet ain­si qu’un échange avec lui nous per­met de le qual­i­fi­er de racial­iste. Un racial­iste blanc et de droite, certes, alors que nous sommes plus habitués chez nous aux racial­istes de couleur (les « racisés », comme on dit aujourd’hui) et de gauche, tel le racial­isme affiché par notre actuel min­istre de l’Éducation Pap Ndi­aye ou notre jour­nal « de référence » nation­al, Le Monde. Jared Tay­lor et sa mou­vance enten­dent défendre les intérêts des Améri­cains de peau blanche qu’ils esti­ment aujourd’hui opprimés par les minorités et leurs représen­tants dans les rouages du pou­voir comme d’autres défendre les intérêts des Améri­cains de peau noire (les « Afro-Améri­cains ») ou d’autres minorités raciales, sex­uelles ou autres qu’ils esti­ment eux aus­si opprimées.

Soit dit en pas­sant, M. Tay­lor, qui s’exprime dans un excel­lent français, a été élevé au Japon (dont il par­le égale­ment très bien la langue) et est un ancien de Sci­ences Po Paris. Il est égale­ment diplômé de la pres­tigieuse uni­ver­sité de Yale et a tra­vail­lé plusieurs années dans les pays fran­coph­o­nes d’Afrique de l’Ouest.

Une approche mesurée et polie

Une approche dénuée de tout racisme nous oblige à traiter le racial­isme blanc de Jared Tay­lor et ses amis de la même manière que l’on traite le racial­isme noir soutenu par les grands médias améri­cains et français, puisque la couleur de peau des uns et des autres ne saurait avoir une influ­ence quel­conque sur le juge­ment que nous por­tons à leur égard. Mais surtout, l’activité de Jared Tay­lor et du site Amer­i­can Renais­sance (« Renais­sance améri­caine ») est légale et M. Tay­lor expose ses idées de manière polie, sans agres­siv­ité et sans jamais appel­er à la haine ou à la vio­lence. Et s’il existe de nom­breux arti­cles de la presse améri­caines cri­ti­quant ses vues, on n’y trou­ve pas trace sur Inter­net d’une quel­conque con­damna­tion de M. Tay­lor par la jus­tice de son pays ni par celle d’aucun pays d’Europe.

Pourquoi donc, dans ce cas, les autorités suiss­es ont-elles inter­dit à ce racial­iste améri­cain de se ren­dre en Estonie alors que l’on n’a jamais enten­du par­lé d’une telle procé­dure à l’encontre de racial­istes améri­cains de peau noire qui n’auraient jamais com­mis de délit. Rap­pelons d’ailleurs à ce titre que le racial­isme est une idée ouverte­ment défendue par une par­tie des députés au Par­lement européen, comme ceux de LFI, par exem­ple, mil­i­tant pour la créoli­sa­tion du monde qui en est une forme.

L’exemple polonais

En fait, les mésaven­tures subies par cet essay­iste améri­cain vien­nent de l’Office des étrangers de la République de Pologne qui l’a inscrit dans la liste des per­son­nes dont la présence sur le ter­ri­toire polon­ais est jugée indésir­able et l’a égale­ment inscrit à ce titre dans le sys­tème Schen­gen. La Suisse faisant par­tie de l’espace Schen­gen, les autorités aéro­por­tu­aires suiss­es ont sig­nifié à M. Tay­lor qu’il allait être mis dans un avion le ramenant aux États-Unis en l’informant que c’est à la demande de la Pologne mais sans pou­voir lui dire pour quels motifs.

Jared Tay­lor avait déjà été refoulé en 2019 au même aéro­port de Zurich et pour la même rai­son : son inscrip­tion par la Pologne au reg­istre Schen­gen. Comme les Suiss­es l’avaient infor­mé que cette inscrip­tion com­por­tait une inter­dic­tion d’entrer dans l’espace Schen­gen pour trois ans, il espérait pou­voir se ren­dre cette fois en Estonie. Mal lui en a pris : il a appris le 12 mai à l’aéroport de Zurich que cette inscrip­tion avait été pro­longée par les autorités polon­ais­es pour deux ans.

Con­tac­té par l’Observatoire du Jour­nal­isme, M. Tay­lor a affir­mé avoir dépen­sé près de 1600 $ en bil­lets d’avion et 200 $ en réser­va­tions d’hôtel, non rem­boursables. Soit près de 1800 $ de per­dus sans qu’il soit ques­tion d’une quel­conque com­pen­sa­tion de la part des autorités.

Schengen, un système trop commode

Il sem­ble qu’un étranger inscrit dans le sys­tème Schen­gen par un des 27 pays de cet espace n’en est pas infor­mé et l’apprend au moment de son refoule­ment sans que les motifs de cette inter­dic­tion lui soient don­nées ni qu’il soit ques­tion d’un quel­conque rem­bourse­ment de ses frais. Et les autorités des 26 autres pays n’ont pas leur mot à dire : ils doivent refouler cet étranger, même si elles ne savent pas pourquoi. C’est donc bien pra­tique pour un quel­conque pays de l’espace Schen­gen qui souhaite ban­nir d’Europe les jour­nal­istes étrangers qui les dérangent, qu’il s’agisse de racial­istes blancs ou noirs ou même qu’il ne s’agisse pas de racial­istes du tout.

Tay­lor n’est certes pas tit­u­laire d’une carte de presse, mais il n’empêche qu’il venait en Europe en tant qu’auteur et rédac­teur en chef d’un média pour réalis­er des pod­casts, don­ner des inter­views et faire des inter­ven­tions dans des conférences.

Chose intéres­sante, quand il s’était adressé aux autorités polon­ais­es en 2019 et notam­ment à l’ambassade de Pologne à Wash­ing­ton pour con­naître les caus­es de son pre­mier refoule­ment, M. Tay­lor dit n’avoir obtenu aucune réponse.  Mais quand le cor­re­spon­dant de l’Observatoire du Jour­nal­isme en Pologne a fait les mêmes démarch­es ce mois-ci en tant que tit­u­laire d’une carte de presse polon­aise, il a été immé­di­ate­ment ori­en­té vers l’Office des étrangers de la République de Pologne qui lui a répon­du qu’il ne pou­vait pas lui délivr­er ces infor­ma­tions mais lui a tout de même indiqué la procé­dure à suiv­re par l’intéressé pour obtenir cette infor­ma­tion et pou­voir, s’il le souhaite, exercer un recours con­tre cette décision.

Inscription mystérieuse sur liste noire… par le pouvoir polonais

Une déci­sion prise par on ne sait qui au sein du pou­voir polon­ais peut après que l’Américain fut venu s’exprimer en Pologne, en 2018, auprès d’une organ­i­sa­tion nation­al­iste catholique, la Jeunesse pan-polon­aise (Młodzież Wszech­pol­s­ka). Pré­cisons ici que cette organ­i­sa­tion nation­al­iste polon­aise est tout à fait légale et a pignon sur rue, et qu’en out­re elle n’est ni raciste ni racial­iste puisqu’elle affiche un nation­al­isme non pas racial mais chré­tien (vigoureuse­ment pro-vie, entre autres car­ac­téris­tiques). Apparem­ment, jamais Jared Tay­lor n’a fait l’objet de pour­suites de la part des autorités polon­ais­es suite à son séjour sur leur ter­ri­toire ni d’une quel­conque sanc­tion hormis cette mys­térieuse inscrip­tion dans le sys­tème Schen­gen dont il n’a eu vent que quand les autorités suiss­es l’ont refoulé une pre­mière fois en 2019.

On note en revanche une nou­velle fois que le pou­voir social-con­ser­va­teur polon­ais, qui se réclame de la démoc­ra­tie chré­ti­enne mais qui est régulière­ment taxé par nos médias français de « nation­al­iste », « ultra-nation­al­iste » ou « ultra-con­ser­va­teur », s’en prend plus facile­ment aux jour­nal­istes et aux médias nation­al­istes qu’à ceux de gauche. On note aus­si que quand les médias et jour­nal­istes plus à droite que le gou­verne­ment polon­ais son cen­surés, cela se passe dans l’indifférence générale des médias occi­den­taux et des insti­tu­tions brux­el­lois­es pour­tant hys­tériques face aux moin­dres attaques réelles ou imag­i­naires con­tre les médias de gauche.

Autre ironie de la sit­u­a­tion, les mêmes médias polon­ais de droite qui s’étaient indignés du refoule­ment par les autorités bri­tan­niques d’un jour­nal­iste et essay­iste polon­ais de droite, Rafał Ziemkiewicz, ne dis­ent mot de l’interdiction d’entrée pronon­cée par la Pologne en ver­tu d’une déci­sion admin­is­tra­tive à l’encontre du jour­nal­iste et essay­iste améri­cain Jared Taylor.

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