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Le totalitarisme « trans » à la télévision polonaise TVN

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27 juin 2023

Temps de lecture : 8 minutes
Accueil | Veille médias | Le totalitarisme « trans » à la télévision polonaise TVN

Le totalitarisme « trans » à la télévision polonaise TVN

Temps de lecture : 8 minutes

Après la « marche des fiertés » (on a la fierté qu’on peut) à Paris et ailleurs, le 24 juin 2023, il est opportun de revenir sur un nouveau phénomène que l’on doit bien appeler le nouveau totalitarisme du monde dit « trans ». Un exemple polonais récent est particulièrement illustratif.

C’est au nom de la lib­erté de la presse et du plu­ral­isme que les États-Unis sont inter­venus plus d’une fois ces dernières années pour défendre le groupe de télévi­sion libéral-lib­er­taire polon­ais TVN, pro­priété de la société améri­caine Warn­er Bros. Dis­cov­ery, Inc. (voir par exem­ple ici sous la prési­dence Trump et ici sous la prési­dence Biden).

TVN, la chaîne polonaise (groupe Discovery) à la gauche du spectre libéral libertaire

Très engagée poli­tique­ment con­tre les gou­verne­ments con­ser­va­teurs sous la houlette du par­ti Droit et Jus­tice (PiS), apôtre du wok­isme et de l’idéologie du genre en Pologne, grande pro­motrice des droits réclamés par le lob­by LGBT, cham­pi­onne de la tolérance, de l’inclusivité et du poli­tique­ment cor­rect, et bien enten­du pro-UE et pro-migrants : telle est en gros la ligne des chaînes de ce groupe de pro­priété améri­caine qui est un des trois grands groupes de télévi­sion en Pologne. Mais les Polon­ais décou­vrent aujourd’hui les lim­ites de cette tolérance et de cette inclu­siv­ité gau­cho-libérale, et aus­si les lim­ites de la lib­erté d’expression et du plu­ral­isme quand on est un média pro­gres­siste. Surtout après qu’un humoriste se fut per­mis une petite plaisan­terie à pro­pos du phénomène « trans­genre » dans une émis­sion de TVN24, la chaîne d’information en con­tinu du groupe de TVN, face à un jour­nal­iste de cette chaîne.

Réaction hystérique du lobby trans, le journaliste évincé

La réac­tion hys­térique du lob­by trans à cette plaisan­terie fait réa­gir jusque dans le camp de TVN, avec deux autres humoristes qui ont décidé de ne plus par­ticiper à l’émission con­cernée sur TVN24, « Verre de con­tact » (pol. Szkło Kon­tak­towe), suite à l’éviction de l’auteur de la plaisan­terie « trans­pho­be », tan­dis qu’un allié tra­di­tion­nel de la cause LGBT, le jour­nal­iste et com­men­ta­teur Tomasz Lis (jusqu’à récem­ment rédac­teur en chef de Newsweek Pol­s­ka, un heb­do­madaire du groupe Ringi­er Axel Springer devenu très anti-PiS, anti-cléri­cal et pro-LGBT sous sa direc­tion), exprime aujourd’hui son inquié­tude face à la dérive total­i­taire de son bord.

Folie du politiquement correct

Tomasz Lis a en effet réa­gi sur Twit­ter le 18 juin avec ces mots :

« La folie du poli­tique­ment cor­rect est allée trop loin. Les vach­es sacrées et les activistes à qua­tre let­tres veu­lent décider qui peut tra­vailler et qui doit par­tir. »

Et Lis d’ajouter cette petite réflex­ion le lendemain :

« Il sem­blerait qu’un homme qui fait car­rière en jouant la vic­time ait, avec l’aide d’une activiste con­nue pour son besoin pathologique d’autopromotion, con­tribué à achev­er un col­lègue, qu’il ait pra­tique­ment fait capot­er toute une émis­sion télévisée. Ter­ror­isme de l’autopromotion, du chan­tage affec­tif et du poli­tique­ment cor­rect. »

La blagounette qui fâche

L’humoriste attaqué aujourd’hui pour trans­pho­bie après des années passées dans le camp du bien, celui des pro­gres­sistes pro-LGBT, s’appelle Krzysztof Dauk­szewicz. Depuis 2005, année de créa­tion de l’émission, il était régulière­ment invité dans cette émis­sion « Verre de con­tact » où l’on passe son temps prin­ci­pale­ment à tourn­er en déri­sion le PiS et son chef, Jarosław Kaczyńs­ki, ain­si que les min­istres les plus con­ser­va­teurs du gou­verne­ment Moraw­iec­ki. Émise à par­tir de 22h, elle fai­sait en moyenne 5,8% d’audience de jan­vi­er à mai de cette année, soit 577.000 téléspec­ta­teurs en moyenne. Dans l’émission « Verre de con­tact » du 15 mai, Dauszkiewicz se moquait, en com­pag­nie du présen­ta­teur de l’émission, des plaisan­ter­ies et des lap­sus de Kaczyńs­ki et de cer­tains mem­bres de son par­ti sur la ques­tion des « trans­gen­res ». C’est alors que devait inter­venir par liai­son vidéo un jour­nal­iste de TVN dont le fils se con­sid­ère juste­ment comme une fille et est traité comme telle par son père. L’humoriste s’est alors per­mis un trait d’humour en para­phras­ant Jarosław Kaczyńs­ki et il a demandé de quel sexe était ce jour­nal­iste « aujourd’hui ». Le jour­nal­iste en ques­tion, Piotr Jacoń, s’est alors mon­tré très énervé et a coupé court à son inter­ven­tion au bout de quelques dizaines de sec­on­des. Dauszkiewicz s’est ensuite excusé auprès de lui après l’émission, alors qu’on l’avait enten­du dire en direct, quand il croy­ait son micro coupé : « Je crois bien que j’ai dit une grosse connerie ».

Et en effet, sa par­tic­i­pa­tion à l’émission a d’abord été sus­pendue par la chaîne TVN, puis c’est l’humoriste lui-même qui a annon­cé au bout de quelques semaines qu’il ne reviendrait pas car on ne lui pro­po­sait plus qu’une par­tic­i­pa­tion réduite.

La chaîne américaine bat sa coulpe

Dès le lende­main du crime de lèse-majesté, la chaîne avait pub­lié un com­mu­niqué pour bat­tre sa coulpe : « La rédac­tion de TVN 24 défend et con­tin­uera à défendre de tout cœur les droits des minorités vic­times de dis­crim­i­na­tions. Nous présen­tons nos excus­es à tous nos téléspec­ta­teurs, en par­ti­c­uli­er à la com­mu­nauté LGBT+, pour les pro­pos tenus dans l’émission « Verre de con­tact » d’hier ». Le même jour, le jour­nal­iste et père d’un garçon s’identifiant en tant que fille se lamen­tait sur Insta­gram pour décrire la vague d’émotions que cette petite blague avait sus­cité chez lui :

« L’indignation col­lec­tive sus­citée par les pro­pos de Krzysztof pour­rait en fait me réjouir. Même la droite polon­aise a com­pris que la soi-dis­ant blague sur les trans­gen­res n’en était pas une. Sou­venez-vous de mon vis­age. C’est le vis­age de la colère et de l’impuissance. Avec aus­si un dilemme : com­ment expli­quer à ma famille, qui rit dans le meilleur des cas d’une énième blague d’un mon­sieur mous­tachu, pourquoi j’ai les larmes aux yeux ? Com­ment le faire sans qu’on me dise que je gâche la fête et que j’exagère ? Au-delà de mes émo­tions, la sit­u­a­tion d’hier est une par­faite démon­stra­tion de ce à quoi aboutit l’introduction du lan­gage de haine dans les salons (y com­pris dans les salons de mon milieu). Met­tre des cita­tions du prési­dent Kaczyńs­ki ou du min­istre Wój­cik, qui se moquent directe­ment des per­son­nes trans­gen­res, à l’antenne sur « Verre de con­tact », juste pour le plaisir, c’est accou­tumer à la trans­pho­bie (…) ».

En fait d’indignation col­lec­tive, elle s’est can­ton­née à une cer­taine gauche, mais l’entrée en action du lob­by LGBT et de ses sou­tiens a fait le reste pour lancer une grande cam­pagne de haine (de gauche) con­tre cet humoriste (égale­ment de gauche).

En Pologne aussi…

Expli­quant son refus de revenir par­ticiper à l’émission « Verre de con­tact « quand cela lui fut pro­posé quelques semaines plus tard, à la mi-juin, l’humoriste en ques­tion a écrit sur son compte Facebook :

« C’était une gaffe pour laque­lle je me suis immé­di­ate­ment excusé. Je n’avais pas de mau­vais­es inten­tions. Piotr Jacoń n’a pas, ain­si qu’il l’a dit lui-même, accep­té ces excus­es “rapi­des”, mais que devais-je faire ? Je suis allé le voir après l’émission et je me suis excusé. Plus tard, lorsqu’il m’a appelé, il est rapi­de­ment apparu qu’il n’appelait pas pour résoudre le con­flit mais juste pour écrire un autre man­i­feste sur Inter­net. »

« J’apprécie la main ten­due par TVN, je remer­cie [l’animateur de l’émission] Tomasz Sia­nec­ki et mes col­lègues pour leur sou­tien, mais je crois qu’après ce que moi et ma famille avons vécu ces dernières semaines, rien ne sera plus comme avant », a encore déclaré l’humoriste.

Culture de l’effacement à la sauce américaine

La morale de cette his­toire, c’est que quand on est dans le « camp du bien » en Pologne, mieux vaut se sur­veiller, au risque de tomber vic­time de la Can­cel Cul­ture à l’américaine. À droite, les langues sont net­te­ment plus déliées, et l’on a en effet enten­du Jarosław Kaczyńs­ki plaisan­ter en pub­lic pour cri­ti­quer cette idéolo­gie du genre « qui com­mence à se répan­dre comme une épidémie ». « C’est évidem­ment une mode, c’est un non-sens, c’est la destruc­tion de la société, et c’est pourquoi nous voulons nous y oppos­er. Nous voulons nous oppos­er à cette révo­lu­tion », déclarait-il ain­si devant un groupe d’électeurs » en décem­bre dernier, avant d’ajouter, sus­ci­tant les rires de la salle : « Je ne veux pas trop plaisan­ter, car cer­tains me cri­tiquent à ce sujet, mais je peux vous dire, même si ce ne sera peut-être pas aux prochaines élec­tions, que si [le chef du par­ti libéral PO Don­ald] Tusk devait être encore là aux élec­tions suiv­antes, il s’y présen­tera alors prob­a­ble­ment en tant que femme. »

Il y a un an, le leader du par­ti au pou­voir depuis 2015, qui est aujourd’hui vice-pre­mier min­istre du gou­verne­ment Moraw­iec­ki, avait dit : « Nous devons faire en sorte, même si c’est peut-être la chose la plus dif­fi­cile, que la vérité revi­enne. Bien sûr, on peut ne pas être d’accord avec nous, avoir des opin­ions de gauche, penser que cha­cun d’entre nous peut dire à un moment don­né, comme main­tenant, à six heures et demie : “j’étais un homme et main­tenant je suis une femme”. »

À vrai dire, en Pologne, la plaisan­terie de l’humoriste Krzysztof Dauk­szewicz ne lui aurait causé aucun prob­lème dans bien d’autre médias de son pays, mais pas dans un média de gauche qui appar­tient de sur­croît à un groupe médi­a­tique améri­cain acquis au wok­isme. Après avoir con­nu le marx­isme-lénin­isme venu de l’Est, les Polon­ais décou­vrent aujourd’hui les joies des nou­velles idéolo­gies libérales venues de l’Ouest.

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