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Conflits_FR sur Twitter : le buzz à tout prix ?

15 avril 2020

Temps de lecture : 9 minutes
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Conflits_FR sur Twitter : le buzz à tout prix ?

Temps de lecture : 9 minutes

Un nouveau venu sur la twittosphère a récemment attiré l’attention de Numérama, qui, dans un article très documenté de François Manens du 16 mars 2020, s’est intéressé au compte Twitter @Conflits_FR. Se présentant comme traquant « les conflits autour du globe en temps réel & en français. (Géo)politique, terrorisme, espionnage, cyber-sécurité (…) », Conflits_FR est suivi par — tenez-vous bien — 250.000 abonnés en quatre mois d’existence. De quoi intriguer l’Ojim qui a voulu en savoir un peu plus.

Le buzz à tout prix ?

Avec plusieurs dizaines de tweets par jour retweet­és des dizaines voire des cen­taines de fois, en majeure par­tie sur l’épidémie de coro­n­avirus, le compte Twit­ter @Conflits_FR est devenu une force de frappe incon­tourn­able sur la twit­tosphère fran­coph­o­ne. Il est d’ailleurs suivi par un cer­tain nom­bre de jour­nal­istes sur le réseau social. Il ne pro­duit aucun con­tenu orig­i­nal et fonc­tionne comme une revue de presse. Chaque Tweet est précédé d’un “URGENT”, “FLASH”, don­nant l’im­pres­sion d’une infor­ma­tion exclu­sive. Ce compte se dis­tingue par sa cadence de pub­li­ca­tion extrême­ment élevée et le taux d’en­gage­ment très impor­tant généré par chaque tweet.

Le créa­teur de Conflits_FR serait un étu­di­ant de 21 ans, Stanis­las Racine, habi­tant Sar­rebruck. Il serait épaulé par deux étu­di­ants en jour­nal­isme. « La seule chose qui nous motive, c’est d’être lu », con­fie-t-il, avec une cer­taine fran­chise à Clé­ment Pétreault, jour­nal­iste au Point.

Le nom de Malik Mahieu, mil­i­tant à Debout La France, cir­cule égale­ment (à not­er que tous ses pro­fils soci­aux — Insta­gram, Face­book, Twit­ter ont récem­ment dis­paru de la toile). [Conflits_FR nous informe que Malik Mahieu a été viré de l’équipe, qui com­porte désor­mais 6 personnes].

Un qua­trième étu­di­ant a quit­té le groupe après avoir sup­primé les con­tenus en ligne et en ayant tem­po­raire­ment changé tous les mots de passe, ce qui a don­né lieu à un échange pour le moins cocasse entre les dif­férents protagonistes.

Un compte très act­if donc, ani­mé par des très jeunes gens, avec peu ou pas de véri­fi­ca­tion des infor­ma­tions relayées, ce qui les a amenés à pub­li­er un cer­tain nom­bre d’in­for­ma­tions erronées, comme récem­ment l’annonce de la mort du chef de ser­vice de réan­i­ma­tion de l’hôpital de Col­mar due au Coro­n­avirus. Abon­dam­ment partagée, la fausse nou­velle a eu le temps de faire le tour du Net avant d’être démen­tie par l’hôpital de Col­mar. Il n’en sont pas à leur pre­mier loupé, la prop­a­ga­tion de “fake news” leur avait valu une sus­pen­sion par Twit­ter en jan­vi­er dernier.

À leur décharge toute­fois, ils ne sont pas les seuls à répan­dre des con­trevérités (une bien faible pro­por­tion en regard de la masse de con­tenus relayés), Le Monde, France Cul­ture ou l’AFP le font égale­ment très bien sur de nom­breux sujets, et même le gou­verne­ment.

Contrefaçon de marque déposée

Et si nous util­i­sions le nom « Danone » sur Twit­ter pour par­ler de pro­duits laitiers ? La bonne idée ! C’est exacte­ment ce qu’ont fait nos jeunes amis. Un exa­m­en atten­tif de la toile leur eut per­mis de décou­vrir l’existence d’une revue papi­er et inter­net inti­t­ulée Con­flits exis­tant depuis 2014 et trai­tant de… géopoli­tique. Ajoutez au nom iden­tique et à l’objet iden­tique un logo et des codes couleur très proches à quelques détails près (fond noir dans les deux cas, couleur jaune vs. couleur orange, typo sérif vs. typo sans sérif), et nous avons là un bel exem­ple de contrefaçon.

Les créa­teurs de @Conflits_FR, que nous avons con­tac­tés, expliquent avoir décou­vert Con­flits (la revue) après coup, et ne pas savoir qu’il s’agit d’une mar­que déposée. Il se défend­ent bien sûr de toute con­tre­façon, il n’y a selon eux absol­u­ment aucun rap­port entre “Conflits_FR” (Con­flits France sur leur site inter­net) et Con­flits (la revue). Stanis­las Racine (pour­tant étu­di­ant en droit) expli­quait au jour­nal Le Point avoir voulu copi­er le mod­èle du compte Twit­ter anglo-sax­on Con­flicts News qui dif­fuse à un rythme aus­si effréné des infor­ma­tions sur des sujets géopoli­tiques. Une inter­pré­ta­tion pour le moins élas­tique du droit des marques…

Bien nombreux followers

Là aus­si, la quan­tité plutôt que la qual­ité ? Nous l’écrivions plus haut : 250.000 fol­low­ers en qua­tre mois d’existence. Sur la twit­tosphère fran­coph­o­ne, par­venir à un tel résul­tat en si peu de temps, c’est une belle prouesse. Si l’appétit du grand pub­lic pour l’information anx­iogène et le con­texte par­ti­c­uli­er de la crise san­i­taire en cours expliquent cer­taine­ment le suc­cès numérique ren­con­tré par Conflits_FR, il peut être intéres­sant de se pencher sur leurs followers.

De quoi par­le-t-on ? Dans le monde dig­i­tal, l’influence se résume sou­vent à des chiffres. Qui est suivi le sera encore davan­tage, c’est l’effet boule de neige. Un compte à 200.000 abon­nés fait égale­ment autorité (et vous per­met d’in­ter­pel­er l’Élysée, par exem­ple). Il peut donc être ten­tant de gon­fler ses sta­tis­tiques par un procédé vieux comme Twit­ter : tech­nique mar­ket­ing assez datée et très mal vue, l’achat de fol­low­ers est à la portée de n’importe qui. Même d’un Prési­dent de la République (ou dis­ons de son équipe de com­mu­ni­ca­tion), épinglé pour avoir triché sur ses fol­low­ers Twit­ter comme n’importe quelle star­lette du show bizz (sur ce sujet, voir aus­si l’analyse con­tra­dic­toire de Quentin Sai­son qui arrive à une con­clu­sion dif­férente con­cer­nant Emmanuel Macron, et très intéres­sante pour son mode de cal­cul) ? Pour moins de 300 €, vous pou­vez ain­si « ampli­fi­er votre crois­sance sociale » à coup de 50.000 fol­low­ers et faire croire à qui vous voulez que vous « pesez » sur la toile. Un site comme « Fol­low­ers par chers » vous vend non seule­ment les faux abon­nés, mais l’activité qui va avec (likes, retweets).

Il faut bien enten­du not­er que tous les comptes Twit­ter ont, au bout d’un cer­tain temps des fol­low­ers « bidons », cela est même nor­mal après plusieurs années d’existence (à l’inverse, c’est sur­prenant pour un nou­veau venu) : quelques bots aux­quels per­son­ne n’a rien demandé et un cer­tain nom­bre de comptes peu act­ifs ou devenus inac­t­ifs, con­sid­érés par les algo­rithmes des out­ils d’audit comme « bidons ». À not­er égale­ment que tout est une ques­tion de pro­por­tion et de durée. Cer­tains out­ils en ligne per­me­t­tent même de faire le ménage.

Nous avons donc procédé de deux façons dif­férentes : notre pre­mier réflexe a été d’aller voir du côté des out­ils d’audit. Nous en avons sélec­tion­nés deux qui sont assez con­nus, Twit­ter­Au­dit et SparkToro.

Sur Twit­ter­Au­dit, le rap­port d’audit indique 4% de fol­low­ers bidons. À titre de com­para­i­son, il en est de même pour l’Ojim, 4%. D’autres tests don­nent des chiffres dépas­sant rarement les 6%, quel que soit le compte analysé (4% pour le pro­fesseur Didi­er Raoult, 5% pour « L’ataman du Point » Éti­enne Ger­nelle, 3% pour les Watch­ing Giants, 2% pour Olivi­er Bis­caye, etc…). La marge devient beau­coup plus élevée pour les comptes des grands péri­odiques, dont le nom­bre de fol­low­ers se chiffre à plusieurs mil­lions et qui pour cer­tains ont plus de dix ans d’existence).

Sur Spark­Toro, nous avons des résul­tats très dif­férents. L’analyse des fol­low­ers de @Conflits_FR nous donne 21,6% de fol­low­ers bidons (pour rap­pel, 4 mois d’existence, chiffres du 13/04/2020). Le même out­il donne, pour l’Ojim, 19,3% (8 ans d’existence, chiffres du 13/04/2020). Nous sommes donc à plus ou moins 20% dans les deux cas.

Quel crédit don­ner à ces chiffres ? Sont-ils fiables ? Qu’est-ce qui est con­sid­éré comme « fol­low­er bidon » d’un côté, et « vrai » de l’autre ? Cela sig­ni­fie-t-il un achat de fol­low­ers ? Pas néces­saire­ment (l’O­jim par exem­ple dépasse tout juste les 6.000 abon­nés sur Twit­ter). Dans l’un et l’autre cas, ce sont des algo­rithmes qui déter­mi­nent si tel pro­fil est classé comme « faux » ou pas (les critères sont par exem­ple la pho­to de pro­fil, l’URL, l’activité, etc…). L’écart est tel entre les deux out­ils qu’il nous sem­ble dif­fi­cile de nous baser sur l’un ou sur l’autre pour en déduire quoi que ce soit.

Faute de pou­voir exploiter le résul­tat d’audits générés automa­tique­ment, nous avons passé en revue “à la main” leurs fol­low­ers. Et c’est là que le bât blesse : une liste qua­si­ment inin­ter­rompue de pro­fils inco­hérents, très peu act­ifs (ou bien à inter­valles très irréguliers), retwee­t­ant des con­tenus dont les sujets n’ont aucun rap­port les uns avec les autres (foot­ball, Koh Lan­ta, Net­flix, Conflits_FR, foot­ball, Koh Lan­ta…), des biogra­phies absur­des, ce qui laisse pré­sumer de l’achat mas­sif de comptes. Nous avons posé la ques­tion de façon directe à notre inter­locu­teur de Conflits_FR (il n’a pas souhaité don­ner son nom, préférant sign­er “L’équipe Con­flits”) sur Twit­ter : il s’est défendu d’une telle pra­tique, « qu’il ne tolère ni n’adopte ». Soit.

Les ani­ma­teurs de Conflits_FR sem­blent avoir de grandes ambi­tions puisqu’ils sont aus­si sur Insta­gram (7 pho­tos, 4163 abon­nés au 13/04/2020 et cela con­tin­ue de croître à grande vitesse alors qu’il n’y a aucune mise à jour…, même genre de pro­fils abscons par­mi les fol­low­ers), YouTube (6 vidéos de 50 sec­on­des qui ne cassent pas des briques, 2000 abon­nés au 13/04/2020), ont lancé un appel aux dons et ont déposé les noms de domaine conflits.info et conflits.news. Les requêtes Who is sur ces noms de domaine ne per­me­t­tent pas d’en iden­ti­fi­er le pro­prié­taire, qui a soigneuse­ment organ­isé son anonymat.

Con­flits (la revue, donc, gare à ne pas con­fon­dre), que nous avons égale­ment con­tac­tée, nous informe avoir demandé il y a plusieurs semaines aux ani­ma­teurs de Conflits_FR de bien vouloir chang­er de nom, leur expli­quant qu’ils ne pou­vaient exploiter un nom iden­tique au leur. Sans résul­tat apparem­ment, bien au contraire.

Entre con­tre­façon de mar­que déposée, très prob­a­ble achat mas­sif de fol­low­ers sur leurs pro­fils soci­aux et course effrénée au buzz, sans par­ler de sérieux doutes quant à l’i­den­tité réelle des ani­ma­teurs de @Conflits_FR, voilà une rude entrée dans le web pour ce nou­veau venu !

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