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Alain de Benoist et les médias, crise de la presse, internet et le pluralisme en question

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30 décembre 2018

Temps de lecture : 6 minutes
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Alain de Benoist et les médias, crise de la presse, internet et le pluralisme en question

Temps de lecture : 6 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 12/10/2018 — L’Observatoire du jour­nal­isme (Ojim) se met au régime de Noël jusqu’au 5 jan­vi­er 2019. Pen­dant cette péri­ode nous avons sélec­tion­né pour les 26 arti­cles de la ren­trée qui nous ont sem­blé les plus per­ti­nents. Bonne lec­ture, n’oubliez pas le petit cochon de l’Ojim pour nous soutenir et bonnes fêtes à tous. Claude Chol­let, Président

Le philosophe et essayiste Alain de Benoist est un des intellectuels européens les plus féconds depuis plus de cinquante ans. Malgré un silence médiatique qui commence à s’effriter, son influence s’exerce aussi bien en France qu’en Italie et au-delà. Avec l’autorisation de nos confrères de Boulevard Voltaire, nous reproduisons un de ses entretiens parus sur ce site début octobre 2018.

Ce n’est un secret pour personne : les quotidiens nationaux se vendent de moins en moins, certains étant même, tels Libération et L’Humanité, artificiellement maintenus sous perfusion financière. Il est, pourtant, des pays où la presse papier reste florissante. Comment expliquer ce paradoxe ?

Deux remar­ques pour com­mencer. D’abord, quand on par­le de la crise de la presse française, c’est en fait de la presse parisi­enne qu’on veut par­ler. La presse régionale se porte un peu moins mal, bien qu’elle soit en général peu attrac­tive. Tra­di­tion jacobine oblige, tout ce qui se veut d’audience « nationale » se doit d’être à Paris. Deux­ième remar­que : les jour­naux emploient des jour­nal­istes, mais il y a longtemps que ceux-ci ne les pos­sè­dent plus. Dix mil­liar­daires, marchands d’armes, ban­quiers, représen­tants de l’industrie du luxe ou du bâti­ment pos­sè­dent, à eux seuls, 89,9 % des quo­ti­di­ens nationaux. Pourquoi Das­sault, Bouygues, Lagardère, Drahi, Niel, Bernard Arnault investis­sent-ils dans la presse ? Cer­taine­ment pas par phil­an­thropie. Ils se tar­guent tous, la main sur le cœur, de ne pas peser sur les choix rédac­tion­nels, mais ils n’ont nul besoin le faire : il leur suf­fit de s’assurer que ne seront jamais recrutés des adver­saires de l’idéologie dom­i­nante (ce qui leur est assez facile, puisque les écoles de jour­nal­isme for­ment déjà à cela).

Pourquoi la presse se porte-t-elle si mal ? D’abord, bien sûr, parce qu’elle est mal faite. Quand on les com­pare à la presse quo­ti­di­enne ital­i­enne ou alle­mande, le car­ac­tère mis­érable des quo­ti­di­ens français saute aux yeux. Mais la cause prin­ci­pale, c’est évidem­ment la défi­ance envers les médias. Elle est, aujourd’hui, générale, mais elle est par­ti­c­ulière­ment sig­ni­fica­tive quand elle s’exerce vis-à-vis de ceux qui sont cen­sés informer. Les gens con­sta­tent que l’information est biaisée et qu’elle ne reflète en aucun façon ce qu’ils voient tous les jours autour d’eux. Les jour­nal­istes ne jouis­sent plus de la moin­dre autorité morale, la preuve en étant sur un cer­tain nom­bre de prob­lèmes-clés, au moins 80 % d’entre eux pensent exacte­ment le con­traire de ce que pensent 80 % des Français. Com­ment s’étonner de cette désaf­fec­tion quand, comme le dis­ait Guy Debord, « le vrai n’est plus qu’un moment du faux » ?

Autrefois, les journaux professaient des idées différentes. Aujourd’hui, on a l’impression qu’ils disent tous plus ou moins la même chose. Pourquoi ?

Jour­naux, télévi­sions, par­tis poli­tiques : depuis trente ans, tous dis­ent plus ou moins la même chose parce que tous raison­nent à l’intérieur du même cer­cle de pen­sée. On zappe sans cesse, mais on n’entend qu’une voix. La pen­sée unique est d’autant plus omniprésente dans les médias qu’elle s’exerce dans un microm­i­lieu où tout le monde a les mêmes références (les valeurs économiques et les « droits de l’homme »), où tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom, où les mêmes rela­tions inces­tueuses unis­sent jour­nal­istes, hommes poli­tiques et show-busi­ness. Pour ces gens-là, le monde extérieur, le monde réel, n’existe tout sim­ple­ment pas.

Et comme leur dis­cours ne passe plus, ils sont de plus en plus haineux, de plus en plus hargneux. La cam­pagne visant à faire en sorte qu’Éric Zem­mour ne soit plus invité par aucun média en est un exem­ple par­mi bien d’autres (sou­venons-nous de l’affaire Richard Mil­let). Les pyro­manes jouent aux pom­piers, et les por­teurs de fauss­es nou­velles font sem­blant de s’en pren­dre aux « fake news » pour mieux s’ériger en tri­bunal. On assiste à ce spec­ta­cle incroy­able de jour­nal­istes qui dénon­cent leurs con­frères et pointent du doigt ceux qu’il faut ostracis­er. Ayant déjà per­du le pou­voir cul­turel, ils s’efforcent de con­stituer un con­tre-pou­voir, non plus face à la puis­sance d’État, mais face aux pen­sées non con­formes, ce qui les trans­forme en petits flics, en curés inquisi­teurs, en pro­cureurs au petit pied pour le compte de l’idéologie dom­i­nante, c’est-à-dire, comme tou­jours, de la classe dom­i­nante. Autre­fois, la presse était vic­time de la cen­sure. Aujourd’hui, elle est dev­enue le vecteur prin­ci­pal de la cen­sure. « Le prob­lème, dit Frédéric Tad­deï, aujourd’hui exilé sur RT France, c’est que vous n’avez plus de vrai débat à la télévi­sion française et que ça n’a l’air de gên­er aucun jour­nal­iste. » Der­rière tout cela, il y a de la peur. La peur d’une vague qui monte et que rien, bien­tôt, ne pour­ra plus endiguer.

Il est souvent prétendu qu’à sa manière, Internet réhabiliterait la lecture, et qu’en fait les Français liraient de plus en plus. Pieuse illusion ?

Le ciné­ma n’a pas tué le théâtre, la pho­to n’a pas tué la pein­ture. On sait bien, aus­si, qu’Internet et le papi­er se com­plè­tent plus encore qu’ils ne se font con­cur­rence. Mais il ne faut pas tout con­fon­dre. Quand on par­le de la lec­ture dans le grand pub­lic, il faudrait déjà savoir qui lit quoi. Le lecteur de Clos­er et celui du Débat n’ont pas tout à fait le même pro­fil ! Quand on dit que 91 % des Français lisent des livres, ce qui place la France au neu­vième rang des pays qui lisent le plus (les États-Unis n’occupant que la 24e place), on ne sait pas tou­jours si ce sont des polars ou des œuvres lit­téraires de haute volée.

Ensuite, la lec­ture à l’écran est très dif­férente de la lec­ture d’un livre imprimé. Out­re que la pre­mière est cause d’une fatigue visuelle beau­coup plus intense, la façon dont l’œil se déplace en lisant n’est pas la même. La lec­ture numérique est sou­vent inter­ac­tive ; con­traire­ment à la lec­ture papi­er, elle ne se lim­ite pas à une seule tâche à la fois. Les spé­cial­istes de psy­cholo­gie cog­ni­tive l’ont observé : à l’écran, la lec­ture se fait en diag­o­nale et par sac­cades, dans l’immédiateté, ce qui inter­dit le retour en arrière, la pen­sée pro­fonde et la réflex­ion cri­tique. Les cir­cuits neu­ronaux doivent s’adapter à cette perte des repères spa­ti­aux, due à la dis­pari­tion d’un lien logique dans la lec­ture. Si Inter­net « réha­bilite la lec­ture », c’est donc d’une autre lec­ture qu’il s’agit. Les enseignants ne devraient pas l’oublier.

Entre­tien réal­isé par Boule­vard Voltaire.