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6 mars 2023

Temps de lecture : 12 minutes

6 mars 2023

Accueil | Portraits | Cory Le Guen

Cory Le Guen

Temps de lecture : 12 minutes

Mytho spé mitard

« À ce moment-là, j’étais dans un par­cours de men­songe, ça ne veut pas dire que je suis dans le men­songe en général, dans ma vie », Libéra­tion, 16/01/2023

Si d’aucuns maquillent ou inventent des informations, l’aspirant journaliste Cory Le Guen a quant à lui porté l’art de la falsification à un tout autre niveau. Affabulateur compulsif et mythomane diagnostiqué, l’homme s’est fait passer tout au long de son sinueux « parcours » pour le fils de Jean-Marie Le Guen, le neveu d’Emmanuel Macron ou l’assistant de Bernard Arnault. Armé de son culot et d’un goût certain pour les mondanités, il parvient à duper des rédactions entières pour obtenir des avantages en nature ou une carte de presse. Condamné dix-huit fois et totalisant vingt-deux mois de détention, le profil de l’homme détonne dans les milieux journalistiques et c’est sans surprise qu’il se spécialise dans le domaine qu’il connaît le mieux, le milieu carcéral. Au début de l’année 2023, il passe de l’ombre à la lumière en voulant confondre Damien Rieu sur Twitter.

Alors que Damien Rieu relaie des vidéos de prières sauvages de musul­mans, en des lieux sou­vent inso­lites comme les couloirs du métro, Cory Le Guen se pho­togra­phie en train de prier, de dos, à l’intérieur d’un tri­bunal. L’image parvient jusqu’à Rieu qui la relaie, sans chercher à prou­ver l’authenticité de celle-ci. L’affaire est dans le sac pour le Sarthois qui en prof­ite pour met­tre en lumière le manque de sérieux de l’activiste qu’il vient de piéger dans une vidéo vision­née des mil­lions de fois sur le réseau social. Qu’importe la mal­hon­nêteté fon­cière du procédé, une invi­ta­tion dans « Touche Pas à Mon Poste » vien­dra récom­penser ce morceau de bravoure. Mais il faut peu de temps avant que son passé, exhumé par de vig­i­lants twit­tos dont Hanouna se fait le porte-voix sur son plateau, resur­gisse et que son éthique jour­nal­is­tique soit dis­créditée avant même d’avoir été reconnue.

Formation

Né au Mans en 1986, Cory Le Guen a gran­di dans le quarti­er pop­u­laire des Sablons. Selon ses dires, il est élevé par une mère céli­bataire et battue par un beau-père vio­lent, il est hap­pé dans une spi­rale délin­quante qui l’éloigne tôt des bancs de l’école.

Il est con­damné l’année de ses 18 ans et en entre en prison pour la pre­mière fois, ce qui l’empêche de pass­er l’examen du baccalauréat.

Parcours professionnel

  • 2003 : pre­mière con­damna­tion pronon­cée par le tri­bunal pour enfants pour escroquerie.
  • Fin 2004-début 2005 : il purge trois mois et une semaine de déten­tion pro­vi­soire à Rennes.
  • Été 2005 : il purge cinq mois à la prison de Caen, tou­jours pour escroquerie.
  • 2006–2011 : il tra­vaille quelque temps comme représen­tant com­mer­cial d’une mar­que de maro­quiner­ie avant d’ouvrir une société spé­cial­isée dans l’événementiel qui fera long feu. Par­al­lèle­ment, il est con­damné à des travaux d’intérêt général et rep­longe pour deux mois à la prison du Mans
  • 2011–2014 : il se rend à Munich afin de pass­er les exa­m­ens pour devenir stew­ard chez Emi­rates. Il tra­vaillera trois ans pour la com­pag­nie aérienne.
  • 2014–2015 : après son départ d’Emirates, il vit entre Paris et Lis­bonne et part tra­vailler briève­ment à Zanzibar
  • 2015–2018 : il entre au ser­vice de plusieurs sociétés libanais­es. Une d’entre elles, la société de con­seil en immo­bili­er Fon­cia, finit par porter plainte con­tre lui pour recel d’escroquerie et abus de con­fi­ance à la fin de l’année 2015. Il lui est notam­ment d’avoir fal­si­fié un CV (où il pré­tendait avoir été l’assistant de Bernard Arnault), des let­tres de recom­man­da­tion et une attes­ta­tion sol­lic­i­tant le paiement de ses arriérés de loy­er. Il passera à nou­veau deux mois en déten­tion mais son procès débouchera sur un non-lieu.

Parcours médiatique

  • 2004 : L’année de ses 18 ans, il fait ses deux pre­mières appari­tions sur le petit écran. La pre­mière sous sa vraie iden­tité dans « Y’a que la vérité qui compte » (TF1) où, crâneur, il se présente comme un garçon qui« n’aime pas avouer ses men­songes». Peu de temps après, on le retrou­ve sur le plateau de Jean-Luc Delarue pour « Ça se dis­cute » (France2), où il se fait pass­er pour un fils de chef d’État étranger. « Ce n’est pas quelque chose qui m’a servi pour plus tard, se défend-il aujourd’ C’était pour démon­tr­er qu’ils ne véri­fi­aient pas qui étaient leurs invités ».
  • 2019 : il crée le compte Twit­ter Syn­di­cat des détenu(e)s où il rédi­ge de tweets sous le pseu­do­nyme de Kozam. Par ce moyen, il espère devenir le fer de lance des mil­i­tants anti­car­céraux sur le réseau social et n’hésite pas à fer­railler avec la « fachos­phère » sur ce thème. Puis, à force de décompter minu­tieuse­ment les décès sur­venus en prison et de ren­dre compte de nom­breuses affaires d’abus ou de mal­trai­tances sur les détenus, il gagne vite des mil­liers de fol­low­ers, par­mi lesquels des juristes, des députés ou des jour­nal­istes en vue. Il passe par deux fois sous les fourch­es caudines des fact-checkeurs de Libéra­tion, une fois en 2020, et la sec­onde en 2022, après qu’il a relaté à tort que des sur­veil­lants péni­ten­ti­aires auraient refusé d’avertir le Samu de l’AVC d’un détenu.
  • Novem­bre 2019 : il devient l’assistant de la prési­dente de RT France, Xenia Fedoro­va et gère son agen­da pen­dant huit mois. Par la suite, il occu­pera les fonc­tions de coor­di­na­teur à la direc­tion des pro­grammes, où il est chargé de trou­ver des invités, en juin 2020, puis à celui d’assistant sur la mati­nale. Pour décrocher le poste, l’homme a enjo­livé son CV dans les grandes largeurs et est sus­pec­té d’avoir répon­du lui-même aux mails de véri­fi­ca­tion envoyés par la rédac­tion de RT France.
  • 2021–2022 : il com­mence à piger pour Street­press, Slate ou encore Reporterre et réalise des duplex pour la chaîne turque anglo­phone TRT World. Une seule chose est sûre : Cory Le Guen obtient sa pre­mière carte de presse en 2021. En ce deux­ième semestre2021, après deux tests de présen­ta­tion ratés à BFMTV en 2021 et en 2022 il se lance dans la chronique judi­ci­aire sur son compte Twit­ter. À ce titre, il tient une chronique aux Actu­al­ités sociales heb­do­madaires à par­tir de l’été 2021.
  • Févri­er-mars 2022 : il pro­pose à un réal­isa­teur de sa con­nais­sance de l’accompagner en Ukraine en vue de tourn­er un doc­u­men­taire sur la guerre qui vient d’éclater. « C’était impres­sion­nant, ça fait mal de le dire, mais il m’a séduit, con­cède auprès des Jours l’homme que Cory LeGuen va appel­er au début du con­flit. En voulant franchir la fron­tière il est incar­céré en Pologne pen­dant un mois en con­séquence d’une fiche rouge établie à son encon­tre par Inter­pol à la demande du juge libanais suite à la plainte de Fon­cia. Une cagnotte est alors ouverte par un des ses alias, Kozam, pour aider « un ancien jour­nal­iste de RT France vic­time de per­sé­cu­tion poli­tique en Pologne ».

Coups d’éclat

  • Mars 2018 : il usurpe l’identité du directeur de cab­i­net de Brigitte Macron, Pierre-Olivi­er Cos­ta et se fait pass­er pour le neveu de la pre­mière dame, afin de sol­liciter divers­es presta­tions de luxe. Il pré­tend être extrême­ment con­cerné par le sort de la minorité rohingya per­sé­cutée en Bir­manie. C’est à ce titre qu’il est reçu à l’ambassade de France au Bangladesh où se trou­ve un camp de réfugiés rohingyas qu’il vis­ite après avoir diné avec l’ L’appétit venant en mangeant, il ten­tant de se faire inviter au Grand Prix d’Australie ou de réserv­er à prix réduits dans des hôtels cinq-étoiles à Hong-Kong. A son retour en France, il est inter­pel­lé et placé en déten­tion à Fleury-Mér­o­gis pen­dant onze mois avant d’être libéré en mars 2019. A l’issue de son procès en 2021, il est con­damné à un an de prison ferme, une peine qu’il effectuera pour moitié en déten­tion, et l’autre moitié, domi­cile, sur­veil­lé par un bracelet électronique.
  • Mai 2019 : il tente de refour­guer au média lux­em­bour­geois L’Essentiel un scoop ren­ver­sant sous le nom de James Alstin, pré­ten­du­ment employé de TMZ, le média peo­ple améri­cain de référence. Sous cette cou­ver­ture, il annonce à un jour­nal­iste de la rédac­tion que l’actrice Char­l­ize Theron serait en cou­ple avec un dandy fran­co-lux­em­bour­geois répon­dant au nom de Cory Le Guen.
  • Été 2021 : alors que son arti­cle sur la con­di­tion des trans­sex­uels en prison n’est pas retenu par la rédac­tion de Têtu, il va se venger de façon assez sin­gulière. Ain­si, il n’hésite pas à s’accréditer à plusieurs événe­ments cul­turels (fes­ti­vals, opéras) au nom du mag­a­zine, sans son accord.
  • Novem­bre 2021 : très peu de temps après sa con­damna­tion dans l’affaire du neveu de Brigitte Macron, il adopte la même tech­nique et prend part à un voy­age de presse en Guade­loupe. Cette fois, il per­suade une agence de com­mu­ni­ca­tion qu’il tra­vaille pour Condé Nast, le groupe améri­cain d’édition pro­prié­taire de Van­i­ty Fair.

Ce qu’il gagne

Lorsqu’il est employé par une société libanaise entre 2015 et 2016, il perçoit une rémunéra­tion de 6250 euros par mois.

Suite à son ren­voi de Rus­sia Today, il perçoit le fruit de ses piges, soit 1700 euros par mois, assor­ti de l’allocation chômage.

Parcours militant

À 21 ans, il se présente en tant que can­di­dat divers gauche aux can­tonales de 2008 pour Le Mans ville-est, où il obtient 7 % des suf­frages. Quelques années plus tôt, encore lycéen, il était élu vice-prési­dent du con­seil départe­men­tal des jeunes.

Sa nébuleuse

Il s’auto-accrédite en tant que jour­nal­iste de Street­Press pour cou­vrir la vis­ite du min­istre de la Jus­tice Éric Dupond-Moret­ti à Mar­seille. Fort de cette expéri­ence et de sa con­nais­sance intime du monde car­céral, il est choisi par des per­son­nal­ités poli­tiques de pre­mier plan pour les accom­pa­g­n­er lors de vis­ites d’établissements péni­ten­ti­aires. Par­mi eux la séna­trice PS Vic­toire Jas­min et les députés Julien Bay­ou (EELV) et Ségolène Amiot (LFI). Cette dernière, inter­rogée par Check­news, ne tar­it pas d’éloges à son sujet : « Son passé judi­ci­aire, il en a par­lé dès notre pre­mière ren­con­tre. Il m’a aidée à pré­par­er la pre­mière vis­ite. C’est quelqu’un de sou­tenant et d’actif dans la vis­ite. Je n’ai jamais eu à le décon­seiller ». Il effectuera à ce titre pas moins de trente vis­ites entre juil­let et décem­bre 2002

Con­tin­u­ant sur sa lancée, il est invité à une réu­nion-débat chez Les Jeunes Écol­o­gistes sur le thème « À quoi sert la prison ? » puis par une asso­ci­a­tion de La Sor­bonne pour une con­férence inti­t­ulée « L’affaire Kohlant­ess : la prison pour réprimer ou réinsérer ».

Les Jours rap­porte notam­ment qu’il « s’encanaille avec des fils et filles de bonnes familles, avo­cats, poli­tiques ou jour­nal­istes télé ».

Il l’a dit

« On me pointe du doigt parce que je me réin­sère et si je ne me réin­sère pas, on me pointe aus­si du doigt. Quoi que je fasse, on pointe du doigt des gens qui ont des dif­fi­cultés de réin­ser­tion. C’est la vérité ! Non mais balek total ! », Touche pas à mon Poste, 14/01/2023.

« La qua­si-majorité de ces con­damna­tions, ce sont des faits qui datent de mes 18, 19 ans. Des hôtels dont je pars sans pay­er, une voiture que j’asperge d’essence. J’étais dans un con­texte de fugues et de vio­lences com­mis­es par mon beau-père », Libéra­tion, 16/01/2023.

« Je suis un jeune trente­naire blanc, j’ai gran­di dans une cité. Mais, à la Bour­dieu, je m’en suis sor­ti par les livres. J’ai une appé­tence extrême pour la cul­ture, le théâtre et l’opéra », Généra­tion Jus­tice, 26/01/2023.

« En prison on retrou­ve les per­son­nes les plus opprimées et exploitées : der­rière les bar­reaux ce sont sou­vent des per­son­nes pau­vres, racisées, peu qual­i­fiées. Cela ne veut pas dire que ces per­son­nes là sont naturelle­ment des «crim­inels» mais plutôt qu’elles sont davan­tage ciblées par la police, puis par la Jus­tice. En effet la répres­sion ne s’opère pas de la même manière partout, ni pour tout le monde. On voit qu’il y a une présence poli­cière beau­coup plus grande dans les quartiers pop­u­laires, que les per­son­nes racisées sont sou­vent ciblées par la police (par des con­trôles d’identité arbi­traires et répétés, des dél­its de faciès) que les dél­its liés à la pau­vreté sont plus sévère­ment punis par la loi et beau­coup plus vis­i­bil­isés », Twit­ter, 19/02/2023.

Ils l’ont dit

« Le prévenu a assuré qu’il n’avait pas agi « pour l’argent » ou « pour faire du tort », mais pour « le statut, le pres­tige, les priv­ilèges ». Il avait été qual­i­fié, dans le rap­port psy­chologique, de « menteur pathologique » et de « mythomane affab­u­la­teur », sans pour autant con­clure à un trou­ble psy­chi­a­trique avéré », Le Parisien, 27/10/2021.

« En mars 2021, un jour­nal­iste de gauche dif­fame mon his­toire sur Twit­ter, une his­toire recréée de toutes pièces racon­tant mon agres­sion sex­uelle. His­toire qui a été démen­tie par l’avocat de mon agresseur, Maître Eolas. La vic­time dans cette his­toire c’est encore moi. Après avoir subi un trau­ma­tisme, j’ai dû être con­fron­tée à des réc­its affreux me faisant pass­er pour l’horrible menteuse qui porte plainte juste pour l’argent. Oui mon­sieur Cory Le Guen, je par­le de vous. Mythomane et ancien détenu qui essaye de don­ner bonne con­science à la gauche juste pour le buzz », une vic­time d’agression sex­uelle dont Cory Le Guen admet avoir « romancé » le procès dans un live-tweet dif­fusé sur son compte, Twit­ter, 11/01/2023.

« Il n’a pas de tabou sur les erreurs de son passé » Son avo­cat, de son côté, pré­cise que «depuis 2019, il n’y a pas eu une seule garde à vue, rien». Et affirme : «On n’a pas le droit d’empêcher une per­son­ne de s’amender », son avo­cate Lin­da Tagh­bit, Libéra­tion, 16/01/2023.

« Il utilise habile­ment le réseau de ses nou­veaux amis », une con­nais­sance, Ibid.

« Il est red­outable et très habile, capa­ble de par­ler de gens réelle­ment en poste au tri­bunal comme s’il les con­nais­sait. Quand on prend du recul ensuite, on se rend compte que c’était des banal­ités, mais sur le moment, on peut dif­fi­cile­ment douter de ce qu’il racon­te », Fran­ce­In­fo, 02/02/2023.

« Il fai­sait bien son taf, il avait énor­mé­ment de con­tacts, souligne l’un de ses col­lègues. Il nous avait par exem­ple sor­ti d’on ne sait où un chef d’Amazonie », Les Jours, 13/02/2023.

« La direc­tion avait vrai­ment la haine mais ils voulaient cacher s’être fait avoir comme des bleus, ils n’ont rien dit. Le mec a quand même réus­si à arna­quer la prési­dente de la chaîne russe, il a eu accès à son agen­da, à ses doc­u­ments per­sos. Ça la fout mal », Ibid.

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