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Coups de projecteur sur la participation citoyenne aux États Généraux de l’Information : conclusion

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28 avril 2024

Temps de lecture : 11 minutes
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Coups de projecteur sur la participation citoyenne aux États Généraux de l’Information : conclusion

Temps de lecture : 11 minutes

Ce sixième article achève l’exercice de recension du rapport publié en février par le CESE sur la participation citoyenne aux EGI 2024. Il propose un double coup de projecteur, un premier sur les modalités retenues pour cette participation citoyenne ainsi que sur les enseignements que l’on peut tirer de ses résultats, le second tirant quelques premiers enseignements du processus politique des États généraux de l’information avant même de connaître son issue (recommandations et décisions politiques y afférentes).

Les modalités de la participation

1° Que peut-on retenir des modal­ités comme des résul­tats de la par­tic­i­pa­tion citoyenne aux États généraux de l’information lors de la con­sul­ta­tion en ligne ?

Il est incon­testable que les rédac­teurs du rap­port établi par le CESE se sont employés à ren­dre compte à la fois le plus fidèle­ment pos­si­ble, et le plus lis­i­ble­ment pos­si­ble pour le plus grand nom­bre, des don­nées réu­nies lors des deux exer­ci­ces de con­sul­ta­tion publique en ligne (hors audi­tions) entre­pris sous la respon­s­abil­ité des mem­bres des groupes de tra­vail con­sti­tués pour la con­duite des EGI. Notre coup de pro­jecteur se con­cen­tre donc sur les exer­ci­ces eux-mêmes, leur intérêt sur le plan poli­tique et leurs lacunes.

De l’intérêt de telles consultations en ligne

L’espace infor­ma­tion­nel nation­al est désor­mais soumis aux effets con­jugués de la guerre de l’information, de l’algorithmisation crois­sante des proces­sus de pro­duc­tion de don­nées brutes, d’informations et de con­nais­sances, de la poussée de l’intelligence arti­fi­cielle généra­tive, de l’abandon de nom­breux pan de la sou­veraineté numérique nationale au prof­it d’acteurs multi­na­tionaux non européens agis­sant comme four­nisseurs d’accès à inter­net, hébergeurs ou édi­teurs de con­tenus[1], ain­si que, plus insi­dieuse­ment, aux boule­verse­ments con­sé­cu­tifs à la général­i­sa­tion des proces­sus de régu­la­tion et de gou­ver­nance par la donnée.

Les pou­voirs publics si soucieux d’encourager la dématéri­al­i­sa­tion de leurs rap­ports avec la société dans tous les reg­istres où ils inter­vi­en­nent, ne pou­vaient se dis­penser de procéder à des États généraux de l’information faisant appel à des con­sul­ta­tions en ligne par­ti­c­ulière­ment con­som­ma­tri­ces en ressources d’expertises pour en dégager une « sub­stan­tifique moelle ».

Si le débat en ligne ne sem­ble présen­ter que peu d’intérêt, le recours à une con­sul­ta­tion en ligne sur la base de ques­tions fer­mées ouvertes et de ques­tions ouvertes a per­mis de dégager des élé­ments d’analyse d’autant plus sub­stantiels que la pos­si­bil­ité offerte de poster des ver­ba­tims a per­mis d’identifier de manière très claire et sans biais des pistes de solu­tions aux prob­lèmes iden­ti­fiés, dans le cadre toute­fois restreint par la nature même des ques­tions soumis­es en cohérence avec les 6 thèmes retenus pour ces EGI. Des élé­ments de con­sen­sus et de dis­sensus ont ain­si pu être iden­ti­fiés qui éclairent utile­ment les pou­voirs publics.

Des inter­ro­ga­tions demeurent néan­moins quant à l’intérêt que porteront les instances en charge de la pro­duc­tion et de la dif­fu­sion de l’information au sein des dif­férents médias publics et privés, indépen­dants ou non, français ou étrangers (qui ont la maitrise des infor­ma­tions qui cir­cu­lent sur les écrans numériques) aux propo­si­tions et obser­va­tions for­mulées par les par­tic­i­pants et la manière dont elles les pren­dront éventuelle­ment en compte. Les logiques économiques et com­mer­ciales (vis-à-vis des annon­ceurs pub­lic­i­taires) con­tin­ueront de guider leurs com­porte­ments sans se souci­er vrai­ment de par­faire la qual­ité de ce qu’ils diffusent …

Le recours à l’humour et aux humoristes pour capter les atten­tions des con­som­ma­teurs d’information aux heures où les audi­ences sont les plus élevées pour les grands médias audio­vi­suels en dit long sur leurs stratégies.

Lacunes et biais méthodologiques

Comme men­tion­né dans le rap­port du CESE, rien n’indique que les per­son­nes ayant répon­du puis­sent être con­sid­érées comme représen­ta­tives de l’ensemble de la population.

Cela était inévitable dès lors qu’aucun organ­isme de mesures d’opinion n’a été asso­cié à ces exer­ci­ces pour met­tre en œuvre leurs méth­odes sta­tis­tiques d’investigation sur la base d’échantillons représen­tat­ifs. Bien évidem­ment, cela rel­a­tivise très forte­ment la valeur sci­en­tifique autant que la portée sociopoli­tique des résul­tats obtenus. Or, de toute évi­dence, les regards portés par les dif­férentes généra­tions sur les thé­ma­tiques retenues diffèrent.

Comme le souligne l’article sur l’état de l’information et du jour­nal­isme en France pub­lié par l’OJIM en prélude de ce dossier sur les EGI (Un dossier sur les États-généraux de l’information), des enquêtes expertes ont été entre­pris­es par ailleurs qui auraient dû motiv­er une seg­men­ta­tion de ces con­sul­ta­tions en ligne sur la base de critères d’âge[2].

Avoir pris le par­ti de ne pas impli­quer dans l’organisation de ces exer­ci­ces les dif­férents syn­di­cats de jour­nal­isme présents sur le ter­ri­toire nation­al et qui représen­tent une pro­fes­sion riche de ses 35 000 déten­teurs d’une carte de presse pro­fes­sion­nelle, pour ne mobilis­er en réal­ité qu’un pub­lic bien moin­dre, con­stitue une lacune qui ne peut être ignorée.

Des questions cruciales ignorées

Par ailleurs, et bien que les thèmes des ques­tions pro­posées bal­aient un spec­tre de ques­tion­nement à la fois éten­du et per­ti­nent, d’autres thèmes revê­tant une impor­tance cru­ciale auraient cer­taine­ment dû faire l’objet de ques­tions fer­mées ou ouvertes sup­plé­men­taires. D’autres ques­tions déduites des ver­ba­tims ou des États généraux de la presse indépen­dante (qui se sont tenus à la fin de l’année 2023) auraient notam­ment mérité d’être pro­posées dans une sec­onde phase de con­sul­ta­tion, et ce d’autant plus néces­saire­ment que la perte de con­fi­ance crois­sante dans l’information dif­fusée dans les médias publics ou sub­ven­tion­nés favorise le développe­ment d’audiences sans cesse plus impor­tantes au prof­it de nou­veaux acteurs indépen­dants pro­fes­sion­nels ou non pro­fes­sion­nels. Enfin, des ques­tions cru­ciales auraient dû être soumis­es aux par­tic­i­pants qui tien­nent à la fatigue infor­ma­tion­nelle et à son impact sur la fatigue démoc­ra­tique que l’on observe en France.

Comme par exemple :

  • l’architecture de la régu­la­tion et la gou­ver­nance, aux niveaux nation­al, européen et inter­na­tion­al, favorise-t-elle la con­fi­ance des Français dans le rôle de la puis­sance publique pour définir les meilleures con­di­tions per­me­t­tant l’accès de tous à l’information et à la par­tic­i­pa­tion au débat pub­lic, dans le respect de la lib­erté d’expression et d’opinion ?
  • les médias publics rem­plis­sent-ils con­ven­able­ment leurs mis­sions de ser­vice pub­lic audio­vi­suel et numérique ? quelles réformes envis­ager à leur égard ?
  • de quelle nature d’information les citoyens ont-ils besoin pour pou­voir exercer en pleine con­nais­sance, en pleine respon­s­abil­ité et en con­science, leurs droits, leurs lib­ertés et leurs oblig­a­tions légales, dans le con­texte d’une infla­tion nor­ma­tive qui ne garan­tit aucune sécu­rité juridique et d’une infobésité qui brouille le paysage ?[3]
  • les médias indépen­dants sont-ils indis­pens­ables au bon fonc­tion­nement de la société et de la démocratie ?
  • quelle place occupe l’information dans le développe­ment insi­dieux non seule­ment d’une pro­fonde fatigue démoc­ra­tique mais égale­ment de frac­tura­tions de la société et de leurs tra­duc­tions sur les reg­istres civiques et poli­tiques (perte de con­fi­ance dans la com­mu­ni­ca­tion insti­tu­tion­nelle, non inscrip­tion sur les listes élec­torales, absten­tions aux élec­tions, insoumis­sions, )?
  • com­ment lut­ter con­tre la fatigue infor­ma­tion­nelle qui touche toutes les caté­gories d’âge ? Le recours sys­té­ma­tique dès la plus ten­dre enfance dans le sys­tème édu­catif aux écrans et aux tech­nolo­gies numériques à visée éduca­tive ou ludique ne con­court-il pas à ali­menter ce fac­teur socié­tal des plus inquié­tant[4]?

Enfin, ces exer­ci­ces de con­sul­ta­tion en ligne auraient cer­taine­ment pu être améliorés en pro­posant des mod­ules d’information sur les actions entre­pris­es par la puis­sance publique au cours des dernières années dans les dif­férents reg­istres entre­tenant des liens étroits avec les 6 thé­ma­tiques retenues : objets et références des nou­veaux règle­ments et direc­tives européens, lois et régle­men­ta­tions nationales entrés en vigueur ou en cours d’examen ; objets et références des dif­férente instances publiques agis­sant pour le compte de l’État dans ces domaines, etc.[5]

Un point d’étape avant les recommandations

2° Que penser des États généraux de l’information 2024 avant la pub­li­ca­tion de leurs recom­man­da­tions et conclusions ?

Les expéri­ences d’autres États généraux ou con­ven­tions nationales entre­pris­es depuis plusieurs années en France n’ont pas démon­tré un intérêt poli­tique autre que cos­mé­tique, en don­nant lieu à des exer­ci­ces de com­mu­ni­ca­tion poli­tique cher­chant à hon­or­er un engage­ment élec­toral sans chercher réelle­ment à associ­er la société aux déci­sions, ne débouchant que très excep­tion­nelle­ment sur des tra­duc­tions poli­tiques con­crètes des recom­man­da­tions pro­duites mal­gré les promess­es for­mulées à cet égard à la tête de l’État.

Le rythme des inno­va­tions tech­nologiques étant bien plus soutenu que celui des inno­va­tions juridiques ou poli­tiques au point de frag­ilis­er l’État de droit dans un con­texte où les États se sont dépos­sédés de toute capac­ité à agir en acteur stratégique sou­verain, notam­ment dans ce reg­istre de l’information, cette sit­u­a­tion con­court indu­bitable­ment à créer les con­di­tions d’un illibéral­isme poli­tique général­isé à la planète entière.

La fabrique du consentement

La fab­rique du con­sen­te­ment qu’exige l’exercice des plus hautes respon­s­abil­ités au sein de la puis­sance publique sem­ble jus­ti­fi­er des pra­tiques nou­velles qui ajoutent aux effets de l’implication désor­mais sys­té­ma­tique d’organismes d’études d’opinion aux côtés des rédac­tions des prin­ci­paux médias « grand pub­lic » ain­si que de la mobil­i­sa­tion de jour­nal­istes et d’experts « starisés » inter­venant de manière récur­rente comme véri­ta­bles « chiens de garde » d’un prêt-à-penser aux con­tenus for­matés en amont, qui ne visent en réal­ité, comme le souligne le jour­nal­iste Brice Cou­turi­er, qu’à une « améri­can­i­sa­tion des esprits » par la pro­mo­tion d’idéologies (wok­isme, can­cel cul­ture, Gen­der stud­ies) ou de pos­tures géopoli­tiques importées d’un étranger dominateur.

Coups de projecteur sur la participation citoyenne aux États Généraux de l’Information

Le recours à des influ­enceurs adhérant aux thès­es con­cernées, comme les ten­ta­tives de muse­lage des cri­tiques et pos­tures alter­na­tives par recours à des proces­sus lég­is­lat­ifs et régle­men­taires élar­gis­sant les pou­voirs de l’État en ter­mes de col­lecte et d’usage de don­nées, et l’autorisant par exem­ple à retir­er des con­tenus médi­a­tiques pro­duits ou sus­cep­ti­bles d’être pro­duits par des vecteurs de pro­pa­gande et des­tinés à la dés­in­for­ma­tion du pub­lic au regard de l’objectif de valeur con­sti­tu­tion­nelle de sauve­g­arde de l’ordre pub­lic, et de l’objectif con­sis­tant à garan­tir la sécu­rité nationale, la sûreté publique et la pro­tec­tion de la morale, sont devenus des instru­ments quo­ti­di­ens de l’exercice du pou­voir poli­tique dans le reg­istre de l’information.

Un exercice finalement factice ?

Si la qual­ité des per­son­nes audi­tion­nées jusqu’ici par les mem­bres des dif­férents groupes de tra­vail (par­lemen­taires, hauts fonc­tion­naires, chercheurs, écon­o­mistes, juristes, pub­li­cistes, etc.) con­firme l’importance portée à une mobil­i­sa­tion la plus large des regards et des attentes à l’égard de l’ambition affichée d’élaborer au tra­vers de cet exer­ci­ce un « plan stratégique » de réforme « struc­turantes » de « l’espace infor­ma­tion­nel », les dif­fi­cultés ren­con­trées par de nom­breux syn­di­cats ou col­lec­tifs de jour­nal­istes pour être audi­tion­nés de manière atten­tive comme la pos­si­bil­ité qu’une par­tie des 59 recom­man­da­tions for­mulées à l’issue des États généraux de la presse indépen­dante[6] ne soit pas prise en con­sid­éra­tion, font crain­dre que les réformes pro­posées par une large par­tie de la pro­fes­sion ne soient retenues ou mêmes seule­ment exam­inées. Ces EGI n’auraient alors servi qu’à occul­ter der­rière un nou­v­el exer­ci­ce fac­tice des déci­sions arrêtées ou en passe d’être arrêtées dans d’autres enceintes.

Le très haut niveau des respon­s­abil­ités exer­cées par les per­son­nal­ités et les hauts fonc­tion­naires appar­tenant aux grands corps de l’État qui ont accep­té de s’investir dans la gou­ver­nance des dif­férents travaux accom­plis plaide plutôt en faveur d’une autre issue poli­tique, bien plus féconde.

Quoi qu’il en soit, restons lucides. Déci­sions poli­tiques en rap­port avec ces EGI ou pas, l’information demeur­era la ressource stratégique d’enjeux de pou­voirs et de puis­sance qui trou­veront dans de nou­veaux modes de pro­duc­tion et de dif­fu­sion les ressorts néces­saires pour échap­per aux con­traintes et obsta­cles que les puis­sances publiques nationales et supra­na­tionales pour­raient être ten­tés de dress­er pour en garder la maitrise.

Patrice Car­dot

Notes

[1] et leurs corol­laires en ter­mes de perte par­tielle de la maîtrise des flux d’information par l’État, bien que ces agents soient sou­vent util­isés comme sup­plétifs des ser­vices de sécu­rité au titre de leurs oblig­a­tions con­tractuelles et légales avec les États situés sur les ter­ri­toires où ils opèrent leur prestations

[2] Cf. par exem­ple l’enquête exclu­sive « Jeune(s) en France » réal­isée en octo­bre 2023 pour The Con­ver­sa­tion France par le cab­i­net George(s). Une étude auprès d’un échan­til­lon représen­tatif de plus de 1000 per­son­nes qui per­met de mieux cern­er les engage­ments des 18–25 ans, les caus­es qu’ils défend­ent et leur vision de l’avenir.

[3] Notons à cet égard que des sites en ligne offi­ciels comme services-publics.fr„ vie-publique.fr, data.gouv.fr, ou encore les sites des dif­férents départe­ments min­istériels et insti­tu­tions de la République, pro­duisent quo­ti­di­en­nement de telles informations.

[4] La con­som­ma­tion du numérique sous toutes ses formes — smart­phones, tablettes, télévi­sion, etc. — par les nou­velles généra­tions est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occi­den­taux cumu­lent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frô­lent les 6 h 45. En cumuls annuels, ces usages représen­tent autour de 1 000 heures pour un élève de mater­nelle (soit davan­tage que le vol­ume horaire d’une année sco­laire), 1 700 heures pour un écol­i­er de cours moyen (2 années sco­laires) et 2 400 heures pour un lycéen du sec­ondaire (2,5 années scolaires).
L’abus d’écrans a de lour­des con­séquences : sur la san­té (obésité, développe­ment car­dio-vas­cu­laire, espérance de vie réduite…), sur le com­porte­ment (agres­siv­ité, dépres­sion, con­duites à risques…) et sur les capac­ités intel­lectuelles (lan­gage, con­cen­tra­tion, mémori­sa­tion…). Autant d’at­teintes qui affectent forte­ment la réus­site sco­laire des jeunes.

Source : Michel Desmur­get – La Fab­rique du crétin dig­i­tal – Les dan­gers des écrans pour nos enfants -

[5] Cf. l’article de l’OJIM cité plus haut

[6] 59 propo­si­tions pour libér­er l’information :

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