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Accueil | Veille médias | Viktor Orbán encore pire que le coronavirus ?

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4 avril 2020

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Veille médias | Viktor Orbán encore pire que le coronavirus ?

Viktor Orbán encore pire que le coronavirus ?

Temps de lecture : 9 minutes

Y a‑t-il plus inquiétant que le coronavirus ? L’Union européenne, cette herbivore dans un monde de carnivores, semble bien impuissante et est en position de spectatrice face à la crise sanitaire. Pas tout-à-fait pourtant car Ursula von der Leyden s’est découvert un ennemi encore plus dangereux pour les Européens, la Hongrie de Viktor Orbán. Revue de la presse européenne sur le sujet.

À en croire Libéra­tion, « C’est dans les crises que les car­ac­tères se révè­lent, dans l’épreuve que l’on juge les gou­ver­nants. Cela vaut pour les dirigeants démoc­ra­tiques qui font en per­ma­nence l’objet de débats ser­rés et sévères. Cela vaut, a for­tiori, pour les dirigeants pop­ulistes qu’une forte houle a portés récem­ment au pou­voir. Pour eux, il s’agit du pre­mier grand test de leur apti­tude, du pre­mier grand exa­m­en con­cret de leur per­for­mance. Le résul­tat est acca­blant. On se doutait bien que la dém­a­gogie et le nation­al­isme qui leur ont valu la vic­toire ne les pré­paraient pas à l’exercice des respon­s­abil­ités. On n’imaginait pas que leur fail­lite serait aus­si immé­di­ate et spec­tac­u­laire. » Suit une liste des dirigeants pop­ulistes dont la fail­lite face à la pandémie actuelle serait, selon Libéra­tion, « spec­tac­u­laire » (au con­traire de celle des anti-pop­ulistes au pou­voir en France, en Ital­ie et en Espagne ?) : Trump et Bol­sonaro, qui ont trop longtemps refusé de voir venir la cat­a­stro­phe (au con­traire de Con­te, de Sánchez et du tan­dem Macron-Philippe?), et aus­si bien enten­du les dirigeants polon­ais et hon­grois. « À force de trich­er per­pétuelle­ment avec les faits, les gou­ver­nants pop­ulistes finis­sent apparem­ment par croire à leurs pro­pres men­songes. La ten­ta­tion de l’autoritarisme voire de l’autocratie les saisit de nou­veau dans la crise et leur nation­al­isme les aveu­gle. Les deux gou­verne­ments de l’Union européenne dirigés par les pop­ulistes l’illustrent une fois de plus. En Hon­grie, Vik­tor Orbán se saisit de l’épidémie pour impos­er le recours aux ordon­nances sans lim­i­ta­tion de temps, ce qui en somme équiv­aut à un arti­cle 16 per­ma­nent et presque à un con­sulat, le tout en con­tra­dic­tion fla­grante avec les règles européennes. Quant à la Pologne, elle a préféré se claque­mur­er et s’opposer le plus pos­si­ble aux mesures de sol­i­dar­ités européennes en débat. Égoïsme nation­al d’abord. »

Pour­tant, quoi qu’en dise Libéra­tion, en ce qui con­cerne la lutte con­tre la pandémie, la Hon­grie et la Pologne, comme les autres pays du Groupe de Viseg­rád, s’en sor­tent pour le moment beau­coup mieux que la France, l’Italie et l’Espagne, et ce avec des mesures moins strictes de con­fine­ment et donc des restric­tions moins pesantes des lib­ertés individuelles.

En revanche, l’autre accu­sa­tion de Libéra­tion mérite que l’on se penche dessus car elle était présente dans bien d’autres médias européens, y com­pris dans ceux de ces trois pays qui sont en Europe les plus grave­ment affec­tés par la prop­a­ga­tion du coro­n­avirus : « En Hon­grie, Vik­tor Orbán se saisit de l’épidémie pour impos­er le recours aux ordon­nances sans lim­i­ta­tion de temps, ce qui en somme équiv­aut à un arti­cle 16 per­ma­nent et presque à un con­sulat, le tout en con­tra­dic­tion fla­grante avec les règles européennes ».

Dans un autre arti­cle inti­t­ulé « En plein coro­n­avirus, Vik­tor Orbán s’attribue les pleins pou­voirs en Hon­grie » et pub­lié le 30 mars, Libéra­tion, sous la plume de sa cor­re­spon­dante Flo­rence La Bruyère, écrit par ailleurs :

« En plein coro­n­avirus, Vik­tor Orbán s’attribue les pleins pou­voirs en Hon­grie. Un mys­térieux virus rav­age la planète. Sous pré­texte de pro­téger son pays, le dirigeant d’une petite nation fait parad­er des blind­és dans la cap­i­tale, nomme des mil­i­taires à la direc­tion logis­tique des hôpi­taux et s’octroie les pleins pou­voirs pour une durée illim­itée. Le tour­nage d’une nou­velle fic­tion ? Non, ça se passe en ce moment même, en plein cœur de l’Europe, en Hon­grie. Lun­di, le Pre­mier min­istre sou­verain­iste Vik­tor Orbán a fait vot­er par sa majorité de droite nation­al­iste une loi pro­longeant l’état d’urgence san­i­taire instau­ré le 11 mars. Le gou­verne­ment pour­ra légifér­er sur tous les sujets par décret, sus­pendre les élec­tions et déroger à n’importe quelle loi… pour une péri­ode indéfinie. »

Le Figaro, s’il n’adopte pas ce ton apoc­a­lyp­tique, par­lait quant à lui le 1er avril d’un « nou­v­el aver­tisse­ment pour le pre­mier min­istre hon­grois, Vik­tor Orbán, qui a fait vot­er lun­di une loi lui don­nant les pleins pou­voirs sans lim­i­ta­tion de durée. »

« Dans une déc­la­ra­tion com­mune, treize pays de l’UE, met­tent en garde la Hon­grie tout en se gar­dant bien d’écrire son nom noir sur blanc. ‘Dans cette sit­u­a­tion sans précé­dent, il est légitime que les États mem­bres adoptent des mesures extra­or­di­naires pour pro­téger leurs citoyens et sur­mon­ter la crise. Nous sommes toute­fois pro­fondé­ment préoc­cupés par le risque de vio­la­tions des principes de l’État de droit, de la démoc­ra­tie et des droits fon­da­men­taux résul­tant de l’adoption de cer­taines mesures d’urgence’, écrivent les sig­nataires, par­mi lesquels la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, la Grèce, la Fin­lande et la Belgique.»

Le jour­nal espag­nol ABC, de cen­tre-droit, évo­quait lui aus­si le 2 avril ce com­mu­niqué des « gou­verne­ments d’Allemagne, de Bel­gique, du Dane­mark, de Fin­lande, de France, de Grèce, d’Irlande, d’Italie, du Lux­em­bourg, de Hol­lande, d’Espagne, du Por­tu­gal et de Suède », dans lequel ils se dis­ent « pro­fondé­ment préoc­cupés ». Mais, fait remar­quer ABC, « s’ils affir­ment qu’il est ‘légitime’ de faire front avec des mesures excep­tion­nelles face à cette ‘sit­u­a­tion sans précé­dent’ et s’ils ne men­tion­nent pas directe­ment Vik­tor Orbán, on com­prend qu’ils se réfèrent à ce qui vient d’être approu­vé par le par­lement de Budapest et ils par­lent ‘du risque de vio­la­tion des principes de l’État de droit, de la démoc­ra­tie et des droits fon­da­men­taux’ ». Dans un autre arti­cle pub­lié le 31 mars, ABC explique le prob­lème à ses lecteurs : la loi d’exception hon­groise «va beau­coup plus loin que les mesures san­i­taires ou de con­fine­ment. Elle per­me­t­tra au pre­mier min­istre hon­grois de gou­vern­er par décrets, sans con­trôle par­lemen­taire, de faire taire les médias et de pro­longer l’état d’urgence pen­dant cinq ans. Ce sont des mesures qui instau­rent dans la pra­tique un régime à car­ac­tère dictatorial.»

Le jour­nal ital­ien de gauche La Repub­bli­ca a choisi d’interroger l’ancien pre­mier min­istre social­iste hon­grois (de 2004 à 2009) Fer­enc Gyurcsány, ex-cadre des jeuness­es com­mu­nistes devenu oli­gar­que après le pas­sage à l’économie de marché, qui s’était dis­tin­gué par la vio­lence des répres­sions con­tre les gross­es man­i­fes­ta­tions pop­u­laires de 2006 (des répres­sions dont les médias européens n’avaient que très peu par­lé), en reprenant en titre la cita­tion suiv­ante tirée de l’entretien avec Gyurcsány : « Orbán veut gou­vern­er comme un mil­i­taire. Nous sommes dans un état de guerre ».

Le jour­nal ital­ien de droite Il Gior­nale, dans un édi­to­r­i­al pub­lié le 1er avril, est quant à lui très méfi­ant face aux accu­sa­tions de dic­tature portées à l’encontre du dirigeant hongrois :

« Les mêmes jour­naux et les mêmes politi­ciens qui accusent Orbán aujourd’hui sont, dans bien des cas, ceux qui qual­i­fi­aient de dic­ta­teur un grand ami du pre­mier min­istre hon­grois, Sil­vio Berlus­coni, qui a été com­paré dans le passé non seule­ment à Mus­soli­ni mais aus­si à Kad­hafi, à Hitler et même aux despotes communistes ».

Il Gior­nale énumère ensuite les trois con­di­tions qui per­me­t­tent de par­ler de dic­tature – l’absence d’élections libres, la con­cen­tra­tion des pou­voirs entre les mains d’une seule per­son­ne ou d’un seul organe de pou­voir, et la vio­lence poli­tique con­tre les opposants – pour con­stater qu’aucune de ces con­di­tions n’est rem­plie aujourd’hui en Hon­grie. Et le jour­nal ital­ien d’évoquer l’éditorial du quo­ti­di­en hon­grois Nep­sza­va, « le plus proche des soci­aux-démoc­rates dans l’opposition, qui fai­sait l’éloge de Con­te. Ce même Con­te qui a recou­ru aux pleins pou­voirs avant de con­vo­quer le par­lement et non pas après, comme l’a fait Orbán ».

Mar­ta Par­davi, coprési­dente du Comité Helsin­ki en Hon­grie, une ONG spé­cial­isée sur les droits de l’homme (et cofi­nancée par l’Open Soci­ety Foun­da­tions de George Soros), explique le vrai prob­lème aux lecteurs français du Figaro : « Ce que cette loi dit, c’est que toute action gou­verne­men­tale doit avoir un rap­port avec la crise ou ses con­séquences. Pour rester con­sti­tu­tion­nelle, celle-ci doit être néces­saire et pro­por­tion­nelle. Mais pour s’assurer qu’elle le reste bien, il faudrait un con­trôle, du Par­lement par exem­ple, ce qui ne se pro­duira sans doute pas, étant don­né la répar­ti­tion des forces politiques. »

En Hon­grie, la coali­tion gou­verne­men­tale for­mée par le Fidesz avec ses alliés chré­tiens-démoc­rates (KDNP) détient une majorité des deux tiers qui lui per­met de vot­er n’importe quelle loi et même de chang­er la con­sti­tu­tion, si elle le désir­ait. « Par con­séquent », explique le média spé­cial­isé dans l’actualité d’Europe cen­trale Viseg­rád Post dans un arti­cle inti­t­ulé « Non, Vik­tor Orbán n’a pas instau­ré la dic­tature en Hon­grie », le gou­verne­ment hon­grois « ne dis­po­sait déjà d’aucune entrave par­lemen­taire à tout pro­jet lég­is­latif qu’il aurait voulu voir entr­er en vigueur. Cela se passe ain­si car les électeurs hon­grois l’ont voulu (en 2018, le par­ti d’Orbán a obtenu 49% des suf­frages, tan­dis que le pre­mier par­ti d’opposition cul­mi­nait à 19%). » Le Viseg­rád Post pré­cise encore que, en don­nant au gou­verne­ment le pou­voir de gou­vern­er par décrets pour toute la durée de l’épidémie (mais unique­ment dans le domaine con­cerné par la lutte con­tre l’épidémie), « les dirigeants hon­grois ont activé l’article 53 de la Con­sti­tu­tion » et que « en com­para­i­son, l’article 16 de la Con­sti­tu­tion française instau­rant les pou­voirs excep­tion­nels est beau­coup plus éten­du que l’article 53 de la Con­sti­tu­tion hon­groise relatif à l’état de danger. »

La pseu­do men­ace de dic­tature en Hon­grie sem­ble être en toutes cir­con­stances une excuse bien utile des grands médias d’Europe occi­den­tale pour ne pas s’intéresser de trop près aux man­que­ments dont se ren­dent coupables les dirigeants dans leur pro­pre pays. Lais­sons donc le mot de la fin au Viseg­rád Post : « Les cen­taines de Français Gilets Jaunes éborgnés et mutilés par la police aux ordres de Macron ? Le main­tien crim­inel (déjà plusieurs morts par­mi ceux qui ont tenu les bureaux de vote !) des élec­tions munic­i­pales français­es en pleine pandémie ? Le tri trag­ique des patients à l’hôpital en fonc­tion de leur âge en rai­son de l’insuffisance de lits ou de res­pi­ra­teurs ? Tout cela est sans impor­tance, ce qui men­ace l’Europe c’est Vik­tor Orbán ! »

Crédit pho­to : Wiki­me­dia (cc)

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