Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Les correspondants de presse en Europe centrale : Pologne (I)

13 juin 2022

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Dossiers | Les correspondants de presse en Europe centrale : Pologne (I)

Les correspondants de presse en Europe centrale : Pologne (I)

Temps de lecture : 9 minutes

À journal libéral-libertaire, point de vue libéral-libertaire, et c’est bien normal. Ne nous attendons donc pas de la part du Monde ou de Libération à des articles et analyses rédigés de manière impartiale et non engagée, mais on serait malgré tout en droit d’attendre de la rigueur et de l’honnêteté de la part de leurs correspondants. Qui sont-ils ?

Le Monde

En ce qui con­cerne le jour­nal Le Monde, nous avions déjà briève­ment évo­qué la per­son­ne de Jakub Iwa­niuk dans notre descrip­tion des cor­re­spon­dants de presse français en Pologne, pub­liée en 2017.

Rap­pel de ce que nous écriv­ions il y a cinq ans, tou­jours val­able aujourd’hui, puisqu’Iwaniuk con­tin­ue de pub­li­er des bil­lets et reportages sur la Pologne dans Le Monde :

« On ne s’étonnera bien sûr pas que dans un jour­nal de gauche comme Le Monde le jour­nal­iste Piotr Smo­lar, fils d’Aleksander Smo­lar, un ancien com­mu­niste aujourd’hui prési­dent de la Fon­da­tion Ste­fan Bato­ry financée par George Soros et proche du jour­nal Gaze­ta Wybor­cza (lui aus­si financé par George Soros) ait été rem­placé, après avoir cou­vert la Pologne pen­dant plusieurs années, par un pro­duit des écoles français­es, Jakub Iwa­niuk (IUT de jour­nal­isme à Cannes et Sci­ences Po Stras­bourg, selon son pro­fil Face­book) qui partage comme son prédécesseur les mêmes idées que son employeur et ne présen­tera donc jamais les argu­ments et le point de vue du camp con­ser­va­teur, pour­tant majori­taire au pays de Jean-Paul II. On rap­pellera au pas­sage que Le Monde a un parte­nar­i­at avec plusieurs jour­naux de gauche européens, dont Gaze­ta Wybor­cza, dans le cadre du réseau Europa, ce qui explique peut-être pourquoi M. Iwa­niuk rap­porte à ses lecteurs com­ment le jour­nal Gaze­ta Wybor­cza est étouf­fé par le pou­voir con­ser­va­teur en oubliant de pré­cis­er que le même traite­ment (absence d’abonnements et d’annonces pub­lic­i­taires de la part du secteur pub­lic) était réservé aux jour­naux con­ser­va­teurs sous les gou­verne­ment libéraux précé­dents. »

L’empreinte du Courrier d’Europe centrale

Sans sur­prise, Jakub Iwa­niuk col­la­bore égale­ment avec le Cour­ri­er d’Europe cen­trale dont nous avons récem­ment souligné le rôle pour ali­menter les grands médias français en infor­ma­tions sur les pays du Groupe de Viseg­rád (V4). Tout comme l’autre cor­re­spon­dante du Monde en Pologne, Hélène Bien­venu (voir son por­trait sur le site de l’Observatoire du Jour­nal­isme), qui a inté­gré la rédac­tion du Cour­ri­er d’Europe cen­trale en 2018. Dans le cadre des syn­er­gies qui car­ac­térisent la grande presse française, pour ne pas dire les médias main­stream dans leur ensem­ble – des syn­er­gies facil­itées par l’homogénéité idéologique de nos grands médias, a con­trario des médias dans les pays du V4 –, Hélène Bien­venu tra­vaille aus­si, comme nous le sig­nalions dans notre récent arti­cle sur les cor­re­spon­dants de presse en Hon­grie, Tchéquie et Slo­vaquie, pour Le Figaro et Médi­a­part.

Tou­jours cri­tique vis-à-vis des gou­verne­ments du PiS accusés, entre autres choses, de restrein­dre la lib­erté de la presse (voir plus haut à pro­pos de Gaze­ta Wybor­cza, mais aus­si ses arti­cles « L’offensive du gou­verne­ment polon­ais con­tre les médias privés » ou « En Pologne, un giron de la presse régionale passe dans le giron du pou­voir »), Jakub Iwa­niuk ne voy­ait rien à redire quand le site en langue française du légendaire syn­di­cat polon­ais Sol­i­dar­ité a dû être fer­mé sous la pres­sion des syn­di­cats français. En bon cor­re­spon­dant de presse de gauche, il fait par ailleurs sys­té­ma­tique­ment la con­fu­sion entre l’obédience con­ser­va­trice et chré­ti­enne-démoc­rate revendiquée par un par­ti Loi et Jus­tice (PiS) qui a tou­jours été un fer­vent par­ti­san de l’appartenance de la Pologne à l’Union européenne (même s’il ne partage pas le rêve fédéral­iste d’Emmanuel Macron) et le camp nation­al­iste en Pologne, qui reste assez mar­gin­al sur le plan élec­toral et qui est dans l’opposition. Iwa­niuk qual­i­fie sys­té­ma­tique­ment le PiS de par­ti « nation­al­iste » ou « nation­al-con­ser­va­teur » quand il ne par­le pas des « ultraconservateurs ».

Réalité déformée

Favor­able au libre accès à l’avortement, Hélène Bien­venu n’a pas peur de déformer la réal­ité, comme lorsqu’elle affirme dans un arti­cle inti­t­ulé « En Pologne, des réfugiées ukraini­ennes con­fron­tées à l’accès restreint à l’IVG » que, en Pologne, « une femme a pleine­ment le droit de procéder à un avorte­ment médica­menteux chez elle, à l’aide de pilules pré­con­isées par l’OMS jusqu’à la 12e semaine de grossesse, et que des ONG basées hors de Pologne comme Women on Web ou Women Help Women font par­venir à domi­cile en une semaine ». En fait l’avortement est inter­dit en Pologne sauf en cas de viol ou d’inceste ou bien de dan­ger pour la vie ou la san­té de la femme enceinte, et il n’est pas autorisé de pren­dre des pilules abortives pour con­tourn­er cette inter­dic­tion, leur vente étant par ailleurs inter­dite. La seule chose, c’est que la loi polon­aise de prévoit pas de sanc­tion con­tre la femme qui avorte illé­gale­ment, mais unique­ment con­tre les per­son­nes tierces qui réalisent cet avorte­ment ou qui aident à sa réal­i­sa­tion. La con­tre-vérité n’est pas ici inno­cente, puisqu’elle per­met de présen­ter en vic­time des agisse­ments illé­gaux du pou­voir une mem­bre d’une organ­i­sa­tion fémin­iste rad­i­cale (qui vante l’avortement comme étant quelque chose de « cool », ce que la plu­part des par­ti­sans de l’IVG con­testeraient prob­a­ble­ment) qui a juste­ment fourni des pilules abortives à la femme en question :

« Justy­na Wydrzyn­s­ka en a fait les frais : elle est accusée par le par­quet d’avoir aidé une Polon­aise en sit­u­a­tion d’urgence lui adres­sant directe­ment, par la poste, l’un des principes act­ifs d’une IVG médica­menteuse ».

Deux­ième bobard de la cor­re­spon­dante du Monde : « en sit­u­a­tion d’urgence ». L’affaire con­cerne en fait une Polon­aise qui souhaitait se faire avorter mais qui n’était pas en sit­u­a­tion d’urgence, en dehors du fait qu’elle ne voulait pas de cet enfant. En out­re, il ne s’agissait pas d’un acte isolé de Justy­na Wydrzynska.

Comme on pou­vait le lire le 27 avril dans le jour­nal Présent dont le cor­re­spon­dant en Pologne, Olivi­er Bault, col­la­bore non pas avec le Cour­ri­er d’Europe cen­trale mais avec le site con­ser­va­teur Viseg­rád Post, « La mil­i­tante encourt trois ans de prison. Elle est accusée par le par­quet d’avoir dis­tribué des pro­duits phar­ma­ceu­tiques sans autori­sa­tion et d’avoir fourni une aide pour réalis­er un avorte­ment illé­gal. Son organ­i­sa­tion, l’Abortion Dream Team, agit au grand jour et fait notam­ment la pub­lic­ité d’un numéro de télé­phone per­me­t­tant d’obtenir une assis­tance pour se faire avorter à l’étranger. »

Changement chez Libération

Chez Libéra­tion, on ne trou­ve plus d’articles signés de la plume de la très gauchiste Maja Zolkows­ka (« Żółkows­ka » pour les Polon­ais) que nous avions évo­quée dans notre arti­cle de 2017 sur les cor­re­spon­dants des médias français en Pologne, alors qu’elle cou­vrait ce pays pour le jour­nal de gauche français depuis fort longtemps : c’était déjà elle qui y dis­ait du mal des pre­miers gou­verne­ments (de coali­tion) du PiS en 2005-07.

Maja Zolkows­ka a été rem­placée par un jour­nal­iste cana­di­en, Patrice Séné­cal, qui tra­vaille égale­ment pour le quo­ti­di­en québé­cois Le Devoir.  Au risque de se répéter, on pré­cis­era ici que « sans sur­prise, Patrice Séné­cal col­la­bore égale­ment avec le Cour­ri­er d’Europe cen­trale dont nous avons récem­ment souligné le rôle pour ali­menter les grands médias français en infor­ma­tions sur les pays du Groupe de Visegrád ».

Les verts allemands à la rescousse

Il est donc bon de savoir que, quand ils ne repro­duisent pas les mêmes dépêch­es de l’AFP, l’agence de presse publique dont le biais libéral lib­er­taire n’est un secret pour per­son­ne, les grands jour­naux français ont recours aux ser­vices de cor­re­spon­dants tra­vail­lant ensem­ble au sein d’un même média de gauche financé par le gou­verne­ment alle­mand par le biais d’une fon­da­tion poli­tique alle­mande affil­iée aux Verts alle­mands (Bünd­nis 90/Die Grünen).

Bien évidem­ment, les angles de ces cor­re­spon­dants ne dif­fèrent pas vrai­ment, comme on le con­stat­era aisé­ment dans l’article « Les réfugiées ukraini­ennes con­traintes à avorter dans la clan­des­tinité en Pologne » signé de la plume de Patrice Séné­cal dans Le Devoir. Pas éton­nant que la loi polon­aise sur l’avortement le choque puisque dans son pays, le Cana­da, l’IVG (l’interruption volon­taire de grossesse, hein, pas l’IMG) est autorisée jusqu’au neu­vième mois de ges­ta­tion, c’est-à-dire tant que le bébé n’est pas entière­ment sor­ti du ven­tre de sa mère, comme c’est aus­si le cas en Chine ou en Corée du Nord. Et donc pour Séné­cal, « Le cal­vaire de cer­taines réfugiées se pro­longe au-delà des fron­tières de leur Ukraine en guerre. Elles pen­saient pou­voir retrou­ver une rel­a­tive sérénité, loin des bom­barde­ments, dans un pays frontal­ier mem­bre de l’Union européenne ; en vain. Elles décou­vrent la réal­ité nation­al-con­ser­va­trice de la Pologne et, avec elle, sa loi sur l’avortement, l’une des plus sévères d’Europe. » Quant au lob­by pro-vie très présent en Pologne, il n’est pas appelé « pro-vie » par Séné­cal mais sim­ple­ment « lob­by anti­choix ».

On notera au pas­sage le qual­i­fi­catif « nation­al-con­ser­va­teur », le même que celui util­isé par le cor­re­spon­dant du Monde Jakub Iwa­niuk, son col­lègue du Cour­ri­er d’Europe cen­trale.

Même ton de Séné­cal dans les colonnes de Libéra­tion, sous le titre « Droits des femmes – IVG en Pologne: «Quand j’ai appris que j’étais enceinte, c’était la fin du monde» » (à pro­pos d’un drame expliqué sous un autre angle par le Viseg­rád Post, dans l’article : « La Pologne injuste­ment attaquée par les par­ti­sans de l’avortement après le décès d’une femme enceinte »).

Dans d’autres domaines, le cor­re­spon­dant de Libéra­tion n’affiche pas un point de vue moins engagé con­tre le gou­verne­ment con­ser­va­teur polon­ais que ses con­cur­rents du Monde (et col­lègues du Cour­ri­er d’Europe cen­trale) dont il sem­ble partager les vues, que ce soit à pro­pos de « l’implacable machine à refoule­ment des gardes-fron­tières polon­ais » à l’automne dernier con­tre les vagues de migrants moyen-ori­en­taux envoyées par la Biélorussie (« Entre Pologne et Bélarus, des migrants «en hypother­mie, affamés et déshy­dratés» ») ou à pro­pos des réformes de la jus­tice au cen­tre de la dis­pute avec Brux­elles (« Résis­tance – Face aux dérives du PiS, les juges polon­ais se met­tent hors la loi »).

Fin de la pre­mière par­tie. À suivre.

Voir aus­si : Les cor­re­spon­dants de presse en Europe cen­trale : Hon­grie, Tchéquie, Slo­vaquie (I)

Vidéos à la une

Derniers portraits ajoutés