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Le “tribunal révolutionnaire” de la SDJ du Figaro s’en prend (de nouveau) à Zemmour

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4 juin 2021

Temps de lecture : 7 minutes
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Le “tribunal révolutionnaire” de la SDJ du Figaro s’en prend (de nouveau) à Zemmour

Temps de lecture : 7 minutes

La Société de journalistes (SDJ) du Figaro a demandé à s’entretenir avec Alexis Brézet, directeur des rédactions du journal, afin d’évoquer le cas d’Éric Zemmour. Le rendez-vous a eu lieu le 2 juin 2021. Selon Mediapart, le but était d’évoquer les “accusations de violences sexuelles” dont fait l’objet le journaliste et “sa participation à la manifestation de policiers le 19 mai”. Retour sur les faits.

L’Affaire Zemmour”

Depuis la pos­si­ble can­di­da­ture du jour­nal­iste aux élec­tions prési­den­tielles de 2022, c’est le fes­ti­val des révéla­tions con­cer­nant des pro­pos déplacés ou des agres­sions sex­uelles dont il serait l’auteur. La pre­mière accu­sa­tion a été faite par une élue social­iste d’Aix-en-Provence, Gaëlle Lenfant, lors d’une pub­li­ca­tion Face­book en avril 2021. Celle-ci racon­te qu’en 2004 (ou 2006 ?), le jour­nal­iste l’aurait attrapée par le cou et embrassée de force lors d’un dîn­er ayant eu lieu la veille de l’Université d’été annuelle du PS. Qu’est-ce qui l’a poussé à par­ler tant de temps après ? Selon ses dires, la dif­fu­sion dans sa ville, d’une ban­de­role sou­tenant la can­di­da­ture de Zem­mour à la prési­den­tielle, qui lui rap­pelle le “dégoût” qu’elle porterait en elle depuis cet épisode.

Suite à ce pre­mier épisode, d’autres femmes, jour­nal­istes ou attachées de presse, y vont de leurs “révéla­tions”. Deux autres inci­dents auraient eu lieu à iTélé / CNews, en 2006 et 2019. Medi­a­part aurait encore reçu d’autres témoignages, qu’ils évo­quent dans un arti­cle du 30 mai 2021.

C’est dans ce con­texte que la SDJ du Figaro aurait demandé à s’entretenir avec Brézet. La par­tic­i­pa­tion du jour­nal­iste à la man­i­fes­ta­tion des policiers du 19 mai 2021 serait aus­si un sujet de préoc­cu­pa­tion pour ces derniers…

Société de journalistes (SDJ), de quoi parle-t-on ?

Dans la presse, la Société de jour­nal­istes, SDJ, représente les jour­nal­istes (ou une par­tie d’entre eux) auprès de la direc­tion, des action­naires. Ses mem­bres sont élus par leurs pairs. La SDJ s’occupe de garan­tir “l’indépendance jour­nal­is­tique”, notam­ment vis-à-vis des ten­ta­tives d’interférences de cer­tains action­naires, et le respect de la charte déon­tologique des journalistes.

Le rôle de la SDJ est donc habituelle­ment d’être dans le camp des jour­nal­istes, tel un syn­di­cat interne. La SDJ du Figaro avait par exem­ple soutenu Judith Wain­traub, jour­nal­iste au sein de ce dernier, lorsqu’elle avait été men­acée de mort sur les réseaux soci­aux après un tweet polémique sur une étu­di­ante voilée. La SDJ avait argué que “la lib­erté d’expression ne se négo­cie pas en France”. Sauf quand cela con­cerne Zem­mour sem­ble-t-il, puisque dans son cas, la Société sem­ble oubli­er la même lib­erté d’expression.

La SDJ du Figaro, un collège de 6 membres

La SDJ du Figaro est aujourd’hui dirigée par 6 mem­bres élus.

Pierre de Gue­heneuc de Boishue est celui qui est présent depuis le plus longtemps dans la direc­tion de la Société. Il en est mem­bre depuis juil­let 2016.

Ensuite, c’est Jean-Bap­tiste Garat qui est présent depuis la plus longue péri­ode (sep­tem­bre 2018). Il est rédac­teur en chef adjoint au ser­vice cul­ture du Figaro, c’est lui le prési­dent de la SDJ du jour­nal. En novem­bre 2020, il avait par exem­ple insisté sur l’importance de filmer les inter­ven­tions poli­cières pour dénon­cer les vio­lences lors de ces dernières. Pour illus­tr­er cela, il avait évo­qué l’intérêt d’avoir filmé l’arrestation polémique du pro­duc­teur de musique Michel Zecler et celle de “l’évacuation vio­lente” de clan­des­tins qui blo­quaient la Place de la République à Paris.

En jan­vi­er 2021, 4 nou­veaux mem­bres ont pris place dans la direc­tion de la SDJ. Il s’agit des jour­nal­istes Paul Delort ; Anne de Guigné, spé­cial­isée dans “la poli­tique économique et Bercy”, et passée par Sci­ences-Po, HEC et le monde de la banque ; Jean-Marc Leclerc, rédac­teur en chef adjoint au jour­nal, spé­cial­isé dans les thé­ma­tiques de sécu­rité intérieure, affaires judi­ci­aires et immi­gra­tion ; et Sophie de Ravinel, grand reporter au ser­vice poli­tique et spé­cial­iste des sujets poli­tiques liés à la gauche comme en témoignent ses retweets de Jean-Luc Mélen­chon, Raphaël Glucks­mann et cie. Lors de l’opposition entre Gérald Dar­manin et Audrey Pul­var, elle avait d’ailleurs essen­tielle­ment partagé les infor­ma­tions favor­ables à cette dernière.

Tout ce petit monde com­pose aujourd’hui la tête de la SDJ du Figaro qui, une fois de plus, sem­ble gênée par Zem­mour. Pour exprimer leurs inter­ro­ga­tions, ils se sont entretenus avec Alex­is Brézet, qui avait déjà fait “savoir sa répro­ba­tion” à Zem­mour lors de sa prise de parole à la tri­bune de la Con­ven­tion de la droite en 2019. A l’occasion de cette même Con­ven­tion, alors que les organ­isa­teurs refu­saient des jour­nal­istes de Libéra­tion, L’Opinion, etc., Alex­is Brézet avait d’ailleurs indiqué que Le Figaro boy­cotterait cet événe­ment si ces derniers ne changeaient pas d’avis…

La SDJ du Figaro, garante du politiquement correct dans le journal

Que la SDJ soit à l’origine de cet entre­tien ne sur­prend pas quand on regarde le pas­sif de cette dernière.

En 2012, elle avait adop­té à l’unanimité une motion pour dénon­cer les pris­es de posi­tion trop favor­ables à Nico­las Sarkozy et trop cri­tiques vis-à-vis du PS, pro­fessées par le jour­nal. Eti­enne Mougeotte, directeur des rédac­tions du Figaro en 2012, leur avait alors dit que s’ils n’étaient “pas con­tents”, ils n’ont “qu’à aller tra­vailler à Libéra­tion”.

Plus récem­ment, en 2018, la SDJ s’était par exem­ple, “désol­i­darisée” offi­cielle­ment du jour­nal alors que ce dernier demandait sur Twit­ter aux lecteurs, s’ils étaient “favor­ables à l’enseignement de l’arabe en option au sein des écoles publiques”. Sim­ple sondage qui méri­tait au moins la dés­ap­pro­ba­tion de la SDJ. Con­cer­nant le cas Zem­mour, cette dernière réag­it aus­si très régulière­ment pour le dénon­cer dès qu’elle en a l’occasion.

La SDJ comme tribunal

En 2018, Zem­mour s’était fait remar­quer pour avoir cri­tiqué le prénom d’Hapsatou Sy lors de l’émission Salut les Ter­riens. La SDJ avait alors fait cir­culer un email en interne dénonçant le manque de respect par Zem­mour de la charte déon­tologique du Figaro. Il avait alors dénon­cé le rôle de “tri­bunal révo­lu­tion­naire” que s’attribue la Société pour juger ses pro­pos, qui comme il le rap­pelle, “n’ont pas été pub­liés dans Le Figaro et n’engagent aucune­ment le jour­nal”. Il aurait défini­tive­ment mieux fait de s’appeler Judith Wain­traub et d’être men­acé de mort.

En 2019, lors de la Con­ven­tion de la droite où Éric Zem­mour a longue­ment pris la parole et qui était dif­fusé sur LCI, SOS-Racisme l’avait attaqué pour “sa vio­lente charge con­tre l’islam et les immi­grés”. De nou­veau, la SDJ du Figaro s’en était aus­si prise à lui, le trai­tant de “ren­tier de la polémique” et deman­dant “instam­ment à la direc­tion de la rédac­tion de met­tre un terme à cette sit­u­a­tion ambiguë” (l’idée d’un appel au licen­ciement ne sem­ble pas loin…), Zem­mour se défen­dant de son côté en arguant que ses pris­es de posi­tion à l’extérieur ne regar­dent pas ses employeurs et col­lègues de travail.

En 2020, suite à des pro­pos de Zem­mour sur CNews, lors desquels il dis­ait qu’il fal­lait que “ces jeunes, comme le reste de l’immigration, ne vien­nent plus” car “ils n’ont rien à faire ici”, “ils sont voleurs, ils sont assas­sins, ils sont vio­leurs”, la SDJ avait de nou­veau pub­lié un com­mu­niqué.

Cette demande d’entretien émanant de la SDJ n’a rien de sur­prenant. Elle offre une occa­sion de plus à l’organisation — proche du milieu libéral lib­er­taire, le milieu moyen des jour­nal­istes- et pseu­do garante du respect des sacro-saintes chartes, de dénon­cer un col­lègue dont elle cherche à obtenir la tête depuis plusieurs années. Une sorte d’esprit con­frater­nel, mais à l’envers. Et à dimen­sions variables.