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Histoires d’une nation ou France 2 au pays des Soviets. Troisième partie

25 octobre 2018

Temps de lecture : 10 minutes
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Histoires d’une nation ou France 2 au pays des Soviets. Troisième partie

Temps de lecture : 10 minutes

Troisième volet de notre décryptage du doc­u­men­taire « His­toires d’une nation ». Une analyse en cinq par­ties. Par­tie 3 : His­toires d’une nation, décryptage de l’épisode 2/4, Des héros dans la tour­mente (1927–1954).

Le troisième volet de la série documentaire de France 2, intitulé « Des héros dans la tourmente », ne déroge pas au ton des deux premiers : Histoires d’une nation est un outil de propagande. Après avoir analysé la raison d’être de la série, puis décrypté le premier épisode, l’OJIM plonge dans les images d’un épisode 3 dont le maître mot est amalgames en chaîne.

Notons-le, ce que l’OJIM révélait en sa pre­mière analyse est con­fir­mé : His­toires d’une nation n’est pas seule­ment un doc­u­men­taire poli­tique­ment et idéologique­ment ori­en­té afin de réécrire l’histoire d’une France qui serait née de l’immigration, c’est aus­si un out­il de pro­pa­gande à des­ti­na­tion des jeunes et des étab­lisse­ments sco­laires : ain­si, le 18 octo­bre 2018, France.tv édu­ca­tion con­sacrait l’essentiel de sa newslet­ter, avant tout des­tinée aux enseignants et aux par­ents d’enfants sco­lar­isés, à « regardez le nou­veau doc­u­men­taire His­toires d’une nation » sur Lesite.tv. Autrement dit, la plate­forme « éduca­tive » (com­prenez réé­d­uca­tive ) pro­pose « la série événe­ment de France 2 util­is­able en classe ». Ces trois derniers mots, au vu du con­tenu, indiquent le retour d’une véri­ta­ble volon­té des médias d’État de réé­du­quer nos chères têtes anci­en­nement blondes, en parte­nar­i­at act­if avec l’Éducation Nationale.

Aus­si éton­nant que cela puisse paraître, il y a pire : la newslet­ter indique « Par­ents, par­lez-en aux pro­fesseurs de vos enfants ». Le mot « par­ents » est en gras. L’injonction aux par­ents est pro­pre­ment extra­or­di­naire. Elle a évidem­ment pour fonc­tion de cul­pa­bilis­er les par­ents (qui ne ver­raient pas l’importance d’apprendre aux enfants que la France serait née de l’immigration à par­tir de 1870) et par leur inter­mé­di­aire les enseignants, lesquels ne sont déjà pas à la peine quant à l’idéologie qu’on leur demande d’inculquer dans les classes.

Les héros seraient dans la tourmente

Les « héros », ce sont les étrangers et les Français issus des migra­tions. La « tour­mente », c’est le sort que la France leur fait, au lieu de les accueil­lir sans rechign­er. C’est l’objet de cet épisode 2 de la série. Cet épisode com­mence par des images au sujet de la pub­lic­ité pour le savon Cad­um, longtemps célèbre et dont le « bébé Cad­um » fut une célébrité, un bébé devenu sym­bole de la mar­que et choisi à l’époque, en 1925, sur la base d’un con­cours. Les mots sont clairs :

« L’image type de nos chères têtes blondes est née d’un père roumain et d’une mère polon­aise, il est juif et Français ». Même lui, oui, même le bébé Cad­um est venu d’ailleurs. L’amalgame com­mence d’emblée : la qual­ité (religieuse et spir­ituelle de juif) est ici amal­gamée avec une nation­al­ité et avec une qual­ité d’étranger . C’est la rhé­torique des Indigènes de la République qui arrive sur les écrans des foy­ers, mais aus­si, par la grâce de Francetvé­d­u­ca­tion et de son con­trôle parental en forme d’injonction, dans les class­es des lycées et col­lèges. Pour les auteurs de la série, le bébé est « le sym­bole d’un immense espoir », « l’assimilation paraît un rêve à portée de main » mais c’est une his­toire « de promess­es et de trahisons » (par la France, pour le sec­ond mot). D’autant que les enfants nés de migrants roumains réus­sir­aient mieux à l’école, la preuve par Charpak, futur Nobel, en un temps où pour­tant obtenir une carte de tra­vail était « une brimade ».

L’heure pressait

1927, les temps som­bres approchaient. La parole est donc don­née à Alain Minc, aux par­ents venus de Pologne, men­acés pour « mil­i­tan­tisme com­mu­niste ». C’est l’autre aspect de ce nou­v­el épisode : out­re le fait que la France serait née des migra­tions, cet enfan­te­ment n’aurait été pos­si­ble que par la béné­dic­tion de bonnes âmes du camp du Bien, autrement dit les com­mu­nistes de l’époque. Pas un mot n’est pronon­cé au sujet du devenir de la Pologne en pays total­i­taire. Des per­son­nes étrangères, migrantes, accueil­lies comme « réfugiées » poli­tiques pour leur com­bat en faveur de l’un des plus grands drames de l’histoire de l’humanité, le com­mu­nisme total­i­taire, sont présen­tées juste­ment comme des « héros dans la tour­mente ». Pour l’heure cepen­dant, en 1929, la France mène une poli­tique favor­able aux migrants (sans quoi les par­ents de Minc eussent migré ailleurs). Pourquoi ? Non parce qu’elle serait un pays accueil­lant, avec une pop­u­la­tion de souche frater­nelle, mais parce que la France n’est pas encore touchée par la crise. Pourquoi, alors, n’est-elle pas encore touchée par la crise ? Car elle a un Empire colo­nial, et « ses richess­es ». Nou­v­el amal­game dans le doc­u­men­taire, après la con­fu­sion entre juif, nation­al­ité et étrangers, vient cette autre con­fu­sion en habi­tants des colonies, étrangers et migrants.

Reste que si la France a pu alors accueil­lir Alain Minc, ce serait grâce à l’exploitation raciste des richess­es colo­niales. Pour être cer­tain de ne pas se tromper, le doc­u­men­taire se cen­tre alors sur l’exposition colo­niale de 1931 où des « indigènes sont exhibés à demi nus ». Sauf amal­game, la rela­tion entre immi­gra­tion et exhi­bi­tion de colo­ni­aux en 1931 n’est pas évi­dente. En 1931, la crise de 1929 touche la France (mal­gré ses richess­es colo­niales ?), provo­quant un « repli nation­al » (syn­onyme de racisme) et des « quo­tas d’étrangers », une loi pour laque­lle seuls les gen­tils, c’est-à-dire les social­istes et les com­mu­nistes de l’Assemblée Nationale, s’abstiennent. La haine est donc là, d’autant plus qu’éclate l’Affaire Stavisky, un « tour­nant », dont se saisir­ait l’extrême droite pour s’en pren­dre à « un juif, un réfugié », « comme ceux qui fuient Hitler ». Il pou­vait sem­bler à un his­to­rien que Stavisky était avant tout un escroc ayant attaqué la République de l’intérieur en cor­rompant des hommes poli­tiques. Non, depuis Drey­fus, quand « l’extrême droite prend les juifs pour cible, c’est la République qui est visée ». Face aux pres­sions des xéno­phobes du 6 févri­er 1934, la France aurait alors mis en place des poli­tiques s’en prenant non aux immi­grés mais aux « réfugiés », le terme désig­nant alors dans le doc­u­men­taire tous les immi­grés vivant en France, même les ital­iens ou les polon­ais instal­lés là depuis la fin du 19e siè­cle, usage du mot « réfugié » qui est le même aujourd’hui quand il s’agit de désign­er un migrant. Des Polon­ais sont expul­sés : « Cet enfant que l’on ren­voie, c’est Mozart que l’on assas­sine » (sic), cite l’auteur du documentaire.

L’honneur de la France sauvé par la gauche !

Le Front pop­u­laire survient et l’honneur est sauf (pour peu de temps, il y a des nuages en Espagne). « La par­en­thèse enchan­tée du Front pop­u­laire va inté­gr­er les étrangers comme jamais ». Plus de Polon­ais, plus de Français, une « grande cama­raderie ». Mir­a­cle de l’idéal com­mu­niste et social­iste. Sans compter que « 1936 a été l’agence mat­ri­mo­ni­ale » : les ital­iens, ne lais­sant pas sor­tir leurs filles au bal , épousent des Français­es et font des bébés (cad­um) mul­ti­cul­turels. Il y a donc de l’espoir aujourd’hui, bien que les filles musul­manes restent à la mai­son avec leur voile.

Cette « par­en­thèse enchan­tée » est de courte durée, les ténèbres men­a­cent, à com­mencer en Espagne vers 1936 et après, et les pre­miers « camps de con­cen­tra­tion » s’ouvrent, en France, pour con­cen­tr­er, juste­ment, les héros des brigades inter­na­tionales, rejetés par la république. La France, qui décidé­ment n’en rate pas une, a ouvert des cen­taines de « camps de con­cen­tra­tion », sinon avant, du moins en même temps que l’Allemagne. Comme quoi, en réal­ité, le cou­ple fran­co-alle­mand c’est de l’histoire anci­enne. Une époque où la France « fiche » et « trie » les étrangers, « un savoir faire promis à un bel avenir ».

Et « gare à ceux qui aident les étrangers ! ». On ne peut s’empêcher de penser en 2018 au passeur Cédric Her­rou, devenu la coqueluche des médias. Pour­tant, tan­dis que la France trie, fil­tre, fiche, enferme (les juifs Français en par­ti­c­uli­er, ici amal­gamés aux étrangers de nation­al­ité), « eux », les étrangers, « s’engagent ». Pourquoi ? Pour sauver cette France qu’ils ont enfan­tée  Ils « défend­ent les valeurs de la République » con­tre Pétain et son régime. C’est sim­ple les his­toires, non ?

L’heure est sombre mais l’étranger veille

« Le maréchal met en pra­tique pour la pre­mière fois le pro­gramme de la France aux Français », enten­dez celui des sou­verain­istes ou des iden­ti­taires de main­tenant ; pas une référence évidem­ment au fait que le pro­gramme en ques­tion sera celui du par­ti com­mu­niste quelques années plus tard. Les com­mu­nistes, ils sont gen­tils, ils résis­tent pour sauver la république, et la plu­part du temps ils ne sont pas que com­mu­nistes, ils sont étrangers aus­si. Or, l’heure est grave : Pétain instau­re le « statut des juifs » en 1940, loi claire­ment anti­sémite. Quel rap­port avec le thème général de la série, con­sacrée aux immi­grés ? On ne sait. On com­prend mieux que même Le Monde se soit offusqué du côté réduc­teur de la présen­ta­tion faite de l’histoire dans la série, ce qui n’empêche pas ladite série de devenir une source de savoir insti­tu­tion­nal­isée dans l’Éducation Nationale. Anti­sémitisme d’État, fichi­er des juifs, dépor­ta­tion, pho­tos des camps, du Vel d’Hiv’, « une logique d’exclusion déjà mise en œuvre par les derniers gou­verne­ments de la IIIe République ». La France est raciste et xéno­phobe, d’après His­toires d’une nation, mais pas seule­ment elle, la République un peu aus­si. Dif­fi­cile de ne pas voir dans ce type de réc­it une cri­tique sous-jacente de la sit­u­a­tion actuelle et du pré­ten­du rejet par la même République des minorités, à com­mencer par les gen­tils musul­mans eux-aus­si venus ici pour enfan­ter une nou­velle France. Notons qu’un témoin fait pleur­er les téléspec­ta­teurs en racon­tant que sa grand-mère juive a été sauvée par un polici­er… « Mais le polici­er était com­mu­niste ». Ain­si, « c’est la France qui a fait cela », il y a une France pos­i­tive, celle de la diver­sité, et une France néga­tive, celle du refus de la diver­sité. A ce moment pré­cis, de la doxa bien-pen­sante dif­fusée par ce doc­u­men­taire de pro­pa­gande est lancé le Chant des par­ti­sans. La résis­tance, c’est la diver­sité. Les col­la­bos, ce sont les Français non immi­grés. Suit un peu de Manouch­i­an et d’affiche rouge, his­toire de mon­tr­er qui est mort pour la France : les immi­grés résis­tants, mais aus­si les sol­dats colo­ni­aux (dont on se demande tou­jours en quoi ils s’agit d’immigrés ayant con­stru­it la nation France). Cita­tion : « L’Afrique est venue soutenir la France dans son com­bat con­tre l’obscurantisme ». La preuve ? À Mar­seille, en 1944, 25 % des résis­tants attaquant la pré­fec­ture étaient « étrangers ». « Ain­si, les métèques et les colo­ni­aux, ces sauvages que l’on exhibait au zoo sont devenus nos libéra­teurs ». Le lecteur ne s’y trompera pas, il s’agit bel et bien d’une cita­tion du texte du documentaire.

Alors ? La France n’aurait pas été recon­nais­sante, mas­sacrant des colo­ni­aux dès la fin de la guerre, avant de s’engager en Indo­chine con­tre ces peu­ples qui l’auraient sauvée et sans lesquels elle ne serait même pas née. Con­clu­sion ? « Les immi­grés qui ont résisté dis­parais­sent du tableau patri­o­tique ». Immi­grés, juifs et colo­ni­aux, tous migrants ! Et tous vic­times de la méchante France. Vous en repren­drez bien un peu de cette nou­velle his­toire édi­fi­ante de la France dont vous ne saviez rien, mal­gré tout ce temps passé à user vos culottes cour­tes sur les bancs de l’école ? Épisode 4 de notre décryptage de ces His­toires d’une nation des­tinées à l’endoctrinement soft des con­sciences sous peu.

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