Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
France Inter fait son zoom contre le complotisme

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

16 mai 2021

Temps de lecture : 5 minutes
Accueil | Veille médias | France Inter fait son zoom contre le complotisme

France Inter fait son zoom contre le complotisme

Temps de lecture : 5 minutes

Les médias officiels n’oublient plus leur principal marronnier : le « complotisme ». Jusqu’à présent, les marronniers revenaient annuellement dans les différents médias, à peu près à la même époque, et servaient à remplir des pages, faire des couvertures frappantes et, surtout : vendre.

Mar­ronnier extrater­restres, mar­ronnier franc-maçon­ner­ie, mar­ronnier extrême-droite (fréquent), mar­ronnier anti­sémitisme, mar­ronnier « vivons ensem­ble », mar­ronnier « argent pub­lic ».  Avec le « com­plo­tisme », le mar­ronnier, c’est partout et tout le temps.

Le « com­plo­tisme », il y a des maisons pour cela. A com­mencer par une Mai­son de la Radio et Radio France où les émis­sions dédiées à la dénon­ci­a­tion de toute pen­sée non con­forme et/ou non con­formiste se multiplient.

L’OJIM en a pro­posé des analy­ses récemment :

  • Sur RFI : « Traque des Fake news, RFI s’engage à fond ».
  • Sur France Inter : « Pour France Inter, l’antidote au com­plo­tisme, c’est la censure ».
  • Fran­ce­in­fo, quant à elle, fait son « com­plo­rama » régulier.

Ce ne sont que des exem­ples par­mi des dizaines, en général, sur les antennes de Radio France en particulier.

Le zoom du matin ne veut pas rater un complot

La « lutte con­tre le com­plo­tisme », comme il s’agit de sauver l’humanité, voire l’univers entier, com­mence dès l’aurore des mati­nales sur les ondes de la plu­part des radios de grand chemin.

Sur France Inter, lors de la mati­nale, il y a un « Zoom ». Et, le mer­cre­di 28 avril, ce zoom s’intéressait à ce thème : « Vivre avec un com­plo­tiste ». En début d’année 2021, Le Monde et Fran­ce­in­fo ont con­sacré des dossiers à la même prob­lé­ma­tique. Une préoc­cu­pa­tion nationale, un marronnier.

Le zoom de France Inter reprend les mêmes idées et inquié­tudes, et la même prob­lé­ma­tique que ses con­frères : « Lappari­tion de la Covid-19, avec la peur et les avis diver­gents des médecins, a fait émerg­er des dizaines de théories et de croy­ances, en divisant sou­vent les familles. » La « néces­sité » de lut­ter con­tre le « com­plo­tisme » ira jusqu’à sauver cha­cun, dans sa famille.

France Inter ne se demande cepen­dant pas où ont été enten­dus les « avis diver­gents des médecins » depuis un an.

Vivre avec un complotiste, mode d’emploi

« Vivre avec un com­plo­tiste » c’est — d’abord — iden­ti­fi­er : « Com­plo­tiste : ce musi­cien, instal­lé en région parisi­enne, ne se recon­naît pas dans le terme. « Cest quelquun qui dénonce des com­plots qui nexis­tent pas. Et il y a des com­plots qui exis­tent », explique-t-il. Pour ne pas être iden­ti­fié, il ne donne pas son prénom et utilise sur les réseaux soci­aux un pseu­do­nyme pour poster des mes­sages et des vidéos, la plu­part du temps liés au coro­n­avirus et au vac­cin. « Il est clair que les gens sont util­isés comme cobayes alors quil y a une énorme sus­pi­cion », avance-t-il. » Le témoignage ressem­ble à s’y mépren­dre à celui d’un cer­tain Noël sur Fran­ce­in­fo.

Com­plo­tiste ? En gros, celui qui racon­te n’importe quoi sur un sujet grave, selon France Inter. Le témoin ici cité ne fait pour­tant qu’exprimer une opin­ion personnelle.

Doux dingues, sectaires et antisémites sont dans un bateau

Le fonc­tion­nement de ce genre d’émission est tou­jours le même : l’émission com­mence par retir­er toute légitim­ité au témoin (un doux dingue en somme) sur un sujet qui con­cerne tout le monde. Ici les vac­cins. Puis, elle avance pro­gres­sive­ment jusqu’à pra­ti­quer l’amalgame : ce com­plo­tiste qui évoque les vac­cins serait aus­si opposé aux tests « qui pour­raient servir à implanter dans le nez des patients des micro-puces », il dénonce « le réseau mon­di­al d’hommes poli­tiques pédophiles » (ce qui per­met de le reli­er à QAnon et indi­recte­ment au méchant Trump, sou­vent ensuite à l’antisémitisme) et… « Une vérité cachée der­rière la plu­part des sujets, y com­pris l’interdiction des regroupe­ments liée à l’épidémie ».

Le témoin est aus­si for­cé­ment « bar­ré » sur le plan des croy­ances, quelque part entre le développe­ment per­son­nel, la secte et l’orient. Il croit par exem­ple au car­ac­tère sacré des nom­bres. Un peu comme Pythagore, mais France Inter n’a pas repéré le « com­plot pythagoricien » qui, pour­tant et évidem­ment, se cache der­rière cette évocation…

Un animal destructeur

Surtout le « com­plo­tiste » détru­it sa famille. Et cela doit nous alert­er, nous arracher une larme. Les témoignages fusent : ayant le sen­ti­ment d’être bridé et cen­suré, le « com­plo­tiste » s’énerve, devient agres­sif. Ses échanges avec ses amis sur les réseaux soci­aux sont houleux, en famille les dis­cus­sions devi­en­nent impos­si­bles et c’est un cer­cle vicieux : de plus en plus isolé, le « com­plo­tiste » s’enfermerait dans des réseaux eux-mêmes de plus en plus isolés. La sit­u­a­tion est grave à un point tel qu’aucun des proches du témoin ne « veut évo­quer le sujet ». L’ombre dan­gereuse tisse ain­si sa toile puisque d’après un sondage du Cevipof de Sci­ences Po Paris, évo­qué dans ce Zoom, « 42 % des per­son­nes inter­rogées esti­ment que la crise san­i­taire donne locca­sion au gou­verne­ment de con­trôler les citoyens, 36 % jugent prob­a­ble que le min­istère de la Santé soit de mèche avec lindus­trie pharmaceutique. »

Sans oublier le copain expert

La lutte ne peut avoir lieu si elle ne s’appuie pas sur des per­son­nal­ités intel­lectuelles « recon­nues », faisant par­tie du milieu et légitimées par la fréquence de leur présence dans les médias. Le Zoom du 28 avril a donc con­vo­qué l’un de ces intel­lectuels à tout faire, Gérald Bron­ner : « Le grand dan­ger, cest quil y ait une séces­sion cog­ni­tive, intel­lectuelle, entre nos conci­toyens. Cer­tains qui vivent dans un monde et dautres qui vivent dans un monde alter­natif », explique l’au­teur d’Apoc­a­lypse Cognitive. » 

Vu sous un autre angle, il y a ici une déf­i­ni­tion du monde médi­a­tique con­tem­po­rain. Ce qui est beau­coup plus inquié­tant, au regard des lib­ertés, que des élu­cubra­tions mon­tées en épin­gle. A moins que ce ne soient pas des élu­cubra­tions et que… chuuuuuut !