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Dossier : Calais, le peuple en angle mort [rediffusion]

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7 août 2015

Temps de lecture : 16 minutes
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Dossier : Calais, le peuple en angle mort [rediffusion]

Temps de lecture : 16 minutes

Ini­tiale­ment pub­lié le 19/11/2014

Pour les médias dominants, la situation dramatique dans laquelle se trouve la ville de Calais présente un acteur incompréhensible : le peuple de Calais.

En 1973, Jean Ras­pail décrivait dans son roman Le Camp des saints, parabole prophé­tique rééditée en 2012 par Robert Laf­font pour cause d’actualité prég­nante, les côtes français­es assail­lies par un mil­lion de migrants échoués sur ses plages, et évo­quait les cas de con­science trag­iques qu’une telle sit­u­a­tion impli­quait. L’état de la ville de Calais depuis quelques mois sem­ble une illus­tra­tion cru­elle­ment réelle de l’anticipation qu’avait réal­isée le romanci­er. Il n’y a qu’un seul point, cepen­dant, sur lequel Jean Ras­pail se trompait dans sa pré­dic­tion du désas­tre : si le gou­verne­ment et les médias regret­tent que la sit­u­a­tion s’embourbe, ils n’expriment pour­tant aucun cas de con­science. Tout juste avouent-ils un malaise. Car le con­flit cornélien que le romanci­er expo­sait tenait au choc de deux exi­gences : la pre­mière impli­quait, selon le pacte fon­da­men­tal noué dès l’origine entre les citoyens et l’État, la pro­tec­tion de ces derniers con­tre toute men­ace extérieure. La sec­onde rel­e­vait de l’impératif moral, chré­tien ou sim­ple­ment human­iste, de sol­lic­i­tude envers les mal­heureux et les exilés. En somme, il y avait autant de raisons morales de tir­er sur les envahisseurs pour défendre le pays et sa pop­u­la­tion, que de sec­ourir les migrants. Mais le pre­mier terme de cette con­tra­dic­tion ter­ri­ble a été com­plète­ment évac­ué de la con­science des élites médi­a­tiques et poli­tiques con­tem­po­raines. Si bien que le seul prob­lème qui demeure revient à savoir gér­er des flux migra­toires présen­tées au mieux comme « une chance pour la France », au pire comme inélucta­bles. Les citoyens qui y sont con­fron­tés ne sont plus les pre­miers acteurs légitimes du débat, mais les fig­u­rants d’un événe­ment sup­posé fatal. La souf­france du peu­ple n’est plus le souci car­di­nal, mais le dom­mage col­latéral d’un proces­sus de mon­di­al­i­sa­tion économique pro­mu par l’idéologie qu’appliquent les gou­verne­ments et que matraque­nt les médias aux ordres. Cette révolte des élites con­tre les pop­u­la­tions qui amène les pre­mières à trahir l’intérêt des sec­on­des, théorisée par Christo­pher Lasch et démon­trée au sein du best-sell­er d’Éric Zem­mour, Le Sui­cide français, se trou­ve illus­trée à Calais de manière exem­plaire. Si bien que les médias, lorsqu’ils se penchent sur cette sit­u­a­tion calaisi­enne invraisem­blable, don­nent l’étrange impres­sion de ne plus savoir quoi faire du peu­ple. C’est lui, et non l’étranger, qui est devenu incom­préhen­si­ble et dont on inter­roge la légitim­ité. Revenons sur cette remar­quable inver­sion du champ et du contre-champ.

Le migrant comme icône

Étrange­ment, dans le dis­cours des médias, l’un des acteurs du drame est par­faite­ment iden­ti­fié, quoi qu’il devrait au con­traire être celui qui soulève le plus de ques­tions, qui implique le plus de nuances et qui exige le plus de recherch­es, de pré­cau­tions, de com­plex­ité d’analyse : le migrant. Qu’il soit orig­i­naire de si loin­tains et si divers pays comme le Soudan, l’Érythrée, l’Éthiopie, la Syrie ou l’Afghanistan ; qu’il fuit un pays en guerre, un régime réelle­ment dic­ta­to­r­i­al ou seule­ment vécu comme tel ; ou encore qu’il s’abandonne sim­ple­ment à l’illusion de l’El Dora­do bri­tan­nique, et qu’il s’y aban­donne par détresse, pour avoir été manip­ulé, par naïveté, par bêtise ou par un mélange de tout cela ; qu’il s’agisse d’un aven­turi­er doué de toutes ses forces ou d’une femme cher­chant à assur­er un avenir meilleur à son enfant, qu’importe : il est le migrant et, en tant que tel, il entre dans une case prédéfinie de l’idéologie dom­i­nante, sa réal­ité humaine par­ti­c­ulière n’ayant aucune impor­tance. En tant que migrant, il est l’icône de sub­sti­tu­tion d’une gauche ayant jeté le pro­lo dans les poubelles de l’Histoire, lesquelles, comme ce dernier, étant rance et moisi. Il est l’incarnation de la souf­france et de l’injustice du monde qu’il résume et hyper­bolise à l’exclusion de tout autre. En con­séquence de quoi, d’où qu’il vienne et quelles que soient ses moti­va­tions, quel que soit son com­porte­ment, il doit sus­citer l’empathie. Quiconque se sous­trait à cet impératif moral, à cette émo­tion oblig­a­toire, et même s’il le fait seule­ment pour ten­ter de réfléchir raisonnable­ment aux cir­con­stances, est immé­di­ate­ment perçu comme abject.

Orienter l’empathie

Ain­si, le migrant, humain incon­nu mais fig­ure rhé­torique achevée, doit être le vecteur absolu de l’empathie. Il s’agit là d’un impératif pré­con­stru­it qui ne souf­fre aucune déro­ga­tion et les médias vont donc sys­té­ma­tique­ment ori­en­ter vers lui l’empathie des foules. Cela fera office d’analyse et de réflex­ion. Dans le reportage de Sept à Huit, sur TF1, dif­fusé en octo­bre dernier sur le sujet, la manœu­vre est on ne peut plus vis­i­ble. En effet, les jour­nal­istes, par­mi tous les pro­tag­o­nistes du prob­lème, vont se focalis­er sur une mère et son enfant éry­thréens. Pour­tant, cette mère et son enfant, sont en eux-mêmes une excep­tion, la plu­part des migrants étant des hommes comme le stip­ule le com­men­taire. Lors des dis­tri­b­u­tions de nour­ri­t­ure, les femmes, si rares, ont l’autorisation de couper la file. Autrement dit, l’histoire de cette femme reste mar­ginale, mais c’est pour­tant cette his­toire qui va être dévelop­pée au détri­ment des autres, pour des raisons évi­dentes de cast­ing. Qui, en effet, aurait le cœur de ne pas s’émouvoir devant une femme seule et son enfant ? Même si le reportage bal­aiera ensuite les dif­férents aspects du prob­lème calaisien, il s’achèvera par une image de cette femme et de son enfant marchant seuls dans la nuit et sur un fond musi­cal pro­pre à inten­si­fi­er encore l’émotion légitime que ces deux êtres sus­ci­tent. Pour­tant, ce n’est pas, a pri­ori, d’une inva­sion de femmes et d’enfants facétieux dont la pop­u­la­tion calaisi­enne souf­fre et qui pro­duit son exas­péra­tion… Alors quelle est l’utilité de cette séquence, hormis ce qu’elle peut avoir d’émouvant, pour com­pren­dre les enjeux aux­quels sont con­fron­tés les Calaisiens ? Si ce n’est, bien sûr, de martel­er de la sorte, par un angle biaisé et par la pente d’une empathie naturelle, l’idée qu’il n’existe dans cette affaire qu’un seul type de vic­time qui devrait être pris en compte par l’opinion : le migrant.

Les bénévoles

Autres pro­tag­o­nistes du drame ser­vant le même objec­tif : les bénév­oles inter­rogés. Val­orisés par les reportages (ils ont un nom, une his­toire, con­traire­ment à la plu­part des autres Calaisiens), ces bénév­oles exem­plaires doivent ori­en­ter l’empathie pour les migrants par mimétisme avec celle qu’eux-mêmes éprou­vent. Dans le reportage de TF1, on nous présente ain­si Michel, un bénév­ole de l’association Salam. Étrange nom, d’ailleurs, pour une asso­ci­a­tion française de défense des migrants, que ce mot « paix » en arabe qui sug­gère curieuse­ment que le migrant viendrait avec l’intention d’en découdre… Michel emmène la femme éry­thréenne et son fils pren­dre une douche dans sa mai­son. Il ne va pas, cepen­dant, jusqu’à les héberg­er. Il con­serve donc un instinct de pro­priété privée, de fron­tière ; mais la fron­tière, si elle ne doit pas s’appliquer pour le pays, doit néan­moins être restau­rée à l’entrée de sa pro­pre mai­son. D’un autre côté, un élu munic­i­pal éti­queté au Front de gauche fait cir­culer une péti­tion per­me­t­tant aux divers com­merçants dont les affaires péri­cli­tent à cause des migrants de pro­test­er. Michel, lui, ne con­naît pas ce genre de soucis et pour cause : il est à la retraite. Comme Brigitte Lips, que nous mon­tre un reportage de France 2, et qui, quant à elle, recharge les porta­bles des exilés. Elle retrou­ve les migrants au por­tail devant le jardin de sa mai­son où elle échange tick­ets et télé­phones rechargés. La fron­tière existe aus­si pour elle, mar­quée par ce por­tail que, vis­i­ble­ment, les migrants ne fran­chissent jamais. Elle se mon­tre out­rée par les réac­tions d’exaspération qu’elle entend dans la ville de toute part. Comme Michel, si elle éprou­ve une empathie immé­di­ate pour les migrants, la réac­tion des Calaisiens lui demeure incom­préhen­si­ble, voire sus­pecte. Seule la souf­france des migrants existe, et seule celle-ci est légitime, comme l’expose égale­ment ce client d’un super­marché inter­rogé dans le reportage de France 2, lais­sant enten­dre que si on com­pare leur sit­u­a­tion au dénue­ment des migrants, les Calaisiens n’ont aucune rai­son de se plain­dre. Certes, mais à ce compte-là, on espère qu’il tien­dra le même dis­cours à ses enfants le jour où ils se fer­ont dépouiller. Encore une fois, de deux exi­gences morales con­flictuelles, celle de la sol­i­dar­ité nationale, de la défense des siens, et celle de l’accueil de l’autre, la sec­onde a sim­ple­ment annulé la pre­mière. Ce qui morale­ment n’est pas plus sat­is­faisant que s’il s’était agi de l’inverse.

Légitimité des migrants

Pour­tant, cette légitim­ité des migrants à ne capter que l’empathie, et à la capter toute, est-elle si absolue qu’on nous le présente ? Elle n’est en tout cas jamais inter­rogée. Tout d’abord, aus­si mal­heureux fussent-ils, lorsqu’ils sont inter­dits de super­marché dans le reportage de France 2 et que les jour­nal­istes « piè­gent » le vig­ile en caméra caché pour qu’il révèle les vrais raisons de ce qui sem­ble dénon­cé comme un intolérable apartheid, le vig­ile expose que les migrants n’auraient pas été refoulés s’ils s’étaient con­tentés de vol­er de la nour­ri­t­ure, mais qu’ils avaient pris l’habitude de s’approprier de la bière, du vin rosé ou du cham­pagne… C’est d’ailleurs parce qu’ils arrivent nom­breux, alcoolisés, qu’ils impor­tunent les clients et déclenchent des bagar­res qu’ils se font égale­ment refouler des bars, après quoi les patrons des étab­lisse­ments sont mal­gré tout con­traints de se jus­ti­fi­er d’une réac­tion qui paraî­trait absol­u­ment naturelle si elle con­cer­nait leurs com­pa­tri­otes. « Avant les Français étaient bons avec nous, explique un migrant éry­thréen au micro de France 2, main­tenant, il y a beau­coup de racistes dehors. » Le com­porte­ment sou­vent déplorable des migrants ain­si que leur nom­bre expo­nen­tiel éclairent pour­tant de manière limpi­de la remar­que intriguée et désolée du jeune Éry­thréen, mais ces évi­dences ne sont pas pris­es en compte. Si le Calaisien accueille, il est bon, s’il se reb­iffe même pour les raisons les plus légitimes : il est raciste. Donc crim­inel. En revanche, le migrant, quoi qu’il fasse, demeure tou­jours l’ « humil­ié. » Dans le reportage de France 2, après qu’un cafeti­er a mon­tré une vidéo de sur­veil­lance où l’on voit un migrant jeter au vis­age de la bar­maid le café qu’elle n’a accep­té de lui servir que dans un verre en car­ton (à emporter), la voix off enchaîne avec cette expres­sion : « Migrants humil­iés con­tre pop­u­la­tion dépassée. » Mais qui vient, sous nos yeux, d’humilier qui ? Sans compter qu’au-delà d’un com­porte­ment aus­si peu respectueux des pop­u­la­tions locales, il peut arriv­er que des jeunes Calaisiens soient car­ré­ment lynchés par des groupes de migrants. Auquel cas, la presse locale, comme Nord Lit­toral, dément — le témoignage avait été rap­porté par radio6. Puis les preuves fournies démon­trent la cen­sure à laque­lle la presse se livre. Aus­si le jour­nal région­al évit­era-t-il de dis­simuler en revanche l’agression sex­uelle sur une jeune Calaisi­enne dont se sont ren­dus respon­s­ables des migrants le 12 novembre.

Responsabilité historique

Légitim­ité absolue à sus­citer l’empathie, quelles que soient les cir­con­stances, pour le migrant. Mais au-delà, c’est le fait même de la migra­tion qui est d’emblée présen­té comme une action légitime. Le prési­dent de France Terre d’Asile félicite d’ailleurs les jour­nal­istes de France 24, dans l’émission qui le reçoit, d’avoir per­mis aux migrants de jus­ti­fi­er leur tra­jec­toire : « Dans mon pays on vous tue si vous ne rejoignez pas les Tal­ibans. », affirme le pre­mier. « Dans mon pays il n’y pas de démoc­ra­tie. Je veux vivre comme vous, en société. Je suis aus­si un être humain. », argue le sec­ond. Et per­son­ne, bien sûr, d’analyser le bien fondé de tels argu­ments. Ain­si l’Afghan serait autorisé à fuir les Tal­ibans plutôt que de les com­bat­tre aux côtés de sol­dats français qui sont venus mourir sur sa terre tan­dis que lui trou­verait refuge sur la nôtre. Ain­si l’Africain con­sid­ér­erait que sa qual­ité d’être humain suf­fit à lui don­ner un passe­port européen pour y « vivre en société », et le dis­penserait d’avoir à fonder la sienne, dans son pays. À ce compte-là, un mil­liard de Chi­nois, humains égale­ment, et souf­frant de la dic­tature com­mu­niste, pour­raient légitime­ment venir s’entasser à l’Ouest du con­ti­nent eurasien… On entre là dans le domaine des respon­s­abil­ités historiques.

Alors que nous fêtons le cen­te­naire de la pre­mière guerre mon­di­ale, faut-il rap­pel­er que près de deux mil­lions de jeunes français ont péri au cours de ce con­flit pour ne s’être pas (de gré ou de force) défauss­er de leur respon­s­abil­ité his­torique ? Que ces jeunes gens n’ont peut-être pas eu le courage, comme les migrants, de tra­vers­er des con­ti­nents dans des con­di­tions atro­ces, mais ont en revanche mon­tré celui d’affronter les déluges de shrap­nells. Au lieu de défendre ou de chang­er son pays, on change de pays. Voilà une ten­ta­tion tout à fait com­préhen­si­ble et humaine, bien enten­du, qu’il serait odieux de juger avec sévérité lorsqu’on se trou­ve dans la par­tie priv­ilégiée de la planète. Néan­moins, cette fuite devant sa respon­s­abil­ité his­torique ne peut pas non plus se par­er d’une légitim­ité indiscutable.

Consommateurs post-nationaux

Mais alors que ces migrants vien­nent de pays où leur vie, pour cer­tains, serait men­acée, les voilà, une fois saufs, à Calais, se trans­for­mant en con­som­ma­teurs. Ils man­i­fes­tent con­tre la police pour réclamer des droits alors qu’ils ne sont même pas cen­sés être éli­gi­bles à celui d’être où ils sont. Quand ils ne se plaig­nent pas de n’obtenir qu’un seul repas par jour, comme si celui-là seul leur était dû, ils refusent de manger en rai­son d’un manque d’assaisonnement. Ils se plaig­nent égale­ment des squats insalu­bres où ils s’entassent, comme si l’État français eût été som­mé de béton­ner la côte d’opale afin de les accueil­lir dans des con­di­tions décentes…

Mais le pire reste que des récla­ma­tions aus­si invraisem­blables soient presque toutes relayées par les médias comme si elles étaient recev­ables ! En réal­ité, cette atti­tude sous-tend toute la logique en œuvre. Autant que des exilés mal­heureux, les migrants incar­nent des con­som­ma­teurs post-nationaux. Dans un monde post-nation­al où les notions de « respon­s­abil­ité his­torique » ou de « sol­i­dar­ité nationale » doivent dis­paraître, ne demeurent que des indi­vidus con­som­ma­teurs qui, sur le super­marché des ter­ri­toires exis­tant sur toute la sur­face de la Terre, auraient cha­cun un droit impre­scriptible à choisir celui qui leur con­vient, et sans que l’hérédité des uns con­tre­vi­en­nent à ce nou­veau droit conçu comme sacré. Et c’est bien cette vision du monde que le migrant comme icône est cen­sé divulguer en sai­sis­sant la com­pas­sion du citoyen, d’autant que cette vision est pré­cisé­ment celle des élites post-nationales qui ont elles-mêmes aban­don­né la respon­s­abil­ité his­torique qui était la leur, celle de défendre un peu­ple qui, comme sa nation, est aujourd’hui som­mé de disparaître.

Le peuple en angle mort

Si le migrant est absol­u­ment légitime dans sa souf­france comme dans sa migra­tion, la légitim­ité de la souf­france du Calaisien comme celle de son droit à être pro­tégé par l’État en tant que citoyen d’un pays par­ti­c­uli­er lui sont refusés. Comme nous l’avions noté dans notre dossier sur Le Grand Jour­nal, ce peu­ple était sim­ple­ment absent du « scoop » présen­té par Karim Ris­souli le 9 sep­tem­bre. Ce que le jour­nal­iste avait remar­qué d’inquiétant à Calais c’était la présence de… fachos. Face aux­quels se trou­vaient donc de pau­vres migrants à défendre. Quand le délabre­ment très con­cret de la ville de Calais, de son économie, de son état san­i­taire (réin­tro­duc­tion de la galle) et sécu­ri­taire (police débor­dée), quand le cauchemar quo­ti­di­en vécu par les routiers ont fini par oblig­er les médias à pren­dre en compte la souf­france intolérable des Calaisiens, même Le Grand Jour­nal, le 13 octo­bre, s’est mis à évo­quer la chose, avouant par là l’arnaque com­plète de la per­spec­tive qu’avait employée cette même émis­sion un mois plus tôt. Heureuse­ment, la co-réal­isatrice du film de pro­pa­gande sans-papiériste Sam­ba, était là pour remet­tre les pen­d­ules à l’heure. L’idéologie en place, quand ce n’est pas le politi­cien qui la divulgue, c’est le jour­nal­iste, quand ce n’est pas le jour­nal­iste, c’est le cul­tureux « engagé » qu’il inter­roge. La souf­france des Calaisiens était ain­si présen­tée comme illégitime, voire odieuse, par la grande âme. Mais quand il faut tout de même la pren­dre en compte un min­i­mum, elle se résume à « une exas­péra­tion ». Un sen­ti­ment à demi légitime, qui frôle l’absurde colère. Les élé­ments de lan­gage répétés par tous les médias, seront d’opposer des « migrants dés­espérés » à une « pop­u­la­tion exas­pérée ». Un choix de mots tout sauf anodin. Car on pour­rait très bien par­ler de « migrants agres­sifs et invasifs » face à une « pop­u­la­tion dés­espérée ». Ce qui serait en l’occurrence plus en accord avec la réal­ité des faits rapportés.

Un choix moral rentable

D’un prob­lème moral com­plexe, les médias ont donc fait une chose sim­ple en déni­ant à leurs pro­pres com­pa­tri­otes la légitim­ité que leur con­fère leur citoyen­neté française. Au lieu de pren­dre en compte toutes les don­nées du drame, ils se sont rangés en masse der­rière la seule exi­gence morale d’accueillir les migrants et ont passé à la trappe celle qui leur récla­mait de défendre les Calaisiens. Non seule­ment ce choix moral a l’avantage d’être aisé et d’évacuer la con­tra­dic­tion, mais de sur­croît il sert in fine l’établissement d’un marché mon­di­al post-nation­al sur les ruines des anci­ennes patries dont toutes les élites, aux­quelles ils appar­ti­en­nent, se trou­vent être béné­fi­ci­aires. En plus des béné­fices issus du phénomène, ces élites s’accordent donc une bonne con­science tout en exerçant sur le peu­ple trahi un chan­tage moral com­plète­ment fal­lac­i­eux, afin de lui faire accepter sans révolte sa pro­pre dis­so­lu­tion. Voici donc à par­tir de quelle chaire tombent sur les têtes autant de leçons de vertu.


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