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Chronique médiatique du confinement au 26 mars

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26 mars 2020

Temps de lecture : 10 minutes
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Chronique médiatique du confinement au 26 mars

Temps de lecture : 10 minutes

Alors que les Français commencent à s’habituer tant bien que mal au confinement, cette période de réclusion administrée pourrait durer plus longtemps que les 15 jours annoncés initialement. Cette drôle de guerre décrétée par le président Macron est riche en actualité. Avec le présent article, l’OJIM relève quelques éléments saillants dans l’actualité des médias. Le croisement des sources et la juxtaposition des éléments permettent de relever des contradictions et des oppositions dans la « guerre » contre le virus, pas forcément relevées par les médias de grand chemin. Cette chronique est un point d’étape au 26 mars.

Les frontières vraiment fermées ?

Au plus fort de l’épidémie du coro­n­avirus en Chine, la qua­si absence de con­trôle des Chi­nois arrivant par avion en France avait ému l’opinion publique. Le 26 jan­vi­er, Ouest-France nous apprend que cela éton­nait déjà cer­tains voyageurs. Tout comme le déplace­ment à Lyon le 26 févri­er de mil­liers de sup­port­ers ital­iens à l’occasion d’un match de foot­ball. Le gou­verne­ment français a été un des derniers pays européens à annon­cer la « fer­me­ture » des fron­tières intérieures du pays, comme le relayait France Info le 16 mars. Des per­son­nal­ités poli­tiques soulig­nent notam­ment sur Twit­ter qu’ils ont demandé cette mesure depuis longtemps, sous les rail­leries du Min­istre de la san­té et de nom­breux médias, notam­ment du Monde et du Figaro. Pas de mea cul­pa en vue pour le moment…

La réal­ité des con­trôles aux fron­tières annon­cés par le min­istre de l’intérieur sem­ble un angle mort des médias. C’est dans les réseaux soci­aux que des par­ti­c­uliers témoignent récem­ment de l’absence de con­trôle à la fron­tière fran­co-alle­mande et à l’aéroport de Rois­sy en prove­nance d’Asie.

Un confinement à géométrie variable

Si les fron­tières français­es sem­blent bien poreuses et échap­per aux con­trôles san­i­taires, le con­fine­ment imposé aux Français est à géométrie vari­able. Alors que le JDD nous informe que 104 villes ont instau­ré un cou­vre-feu, cette mesure qui vise à inter­dire tout déplace­ment la nuit ne serait pas en Seine-Saint-Denis « la réponse adap­tée » selon la Pré­fec­ture, citée par Le Parisien. Les maires de ce départe­ment, très majori­taire­ment de gauche, ne seraient pas « deman­deurs ». Le quo­ti­di­en région­al ne rap­pelle pas que 10% des infrac­tions aux règles de con­fine­ment y ont été relevées. Même déci­sion (ou absence de déci­sion) à Trappes où des inci­dents vio­lents ont pour­tant eu lieu depuis le début de la péri­ode de con­fine­ment. Réagis­sant au non-respect du con­fine­ment dans cer­tains quartiers, Michel Onfray écrit sur son blog :

« il suf­fit qu’une cen­taine de tribus de ces zones per­dues refuse le con­fine­ment pour que la total­ité du con­fine­ment ne serve plus à rien pour le reste des Français ».

Des réquisitions plus prioritaires que d’autres

RFI souligne que le con­fine­ment est impos­si­ble pour les sans-domi­cile-fixe en France, notam­ment pour les « mil­liers de migrants, dont le quo­ti­di­en dépend des asso­ci­a­tions ». Pour que celui-ci soit appliqué par tout le monde, y com­pris par les sans-domi­cile-fixe, l’État a annon­cé le 19 mars la réqui­si­tion de cham­bres d’hôtel, nous informe L’Union.

Il n’aura échap­pé à per­son­ne que la France subit une immi­gra­tion mas­sive depuis plusieurs années. Cer­tains migrants dor­ment dans des bâti­ments squat­tés et des campe­ments de for­tune. À Rennes, reprenant au bond l’annonce du gou­verne­ment, la maire invite dès le 18 mars l’État à réqui­si­tion­ner des hôtels pour y loger des migrants, selon Ouest-France. Ceci alors que 850 migrants sont déjà hébergés par la munic­i­pal­ité à l’hôtel, nous apprend le quo­ti­di­en régional.

La Croix souligne le 19 mars que 500 migrants vivent dans des tentes à Paris. Ils seront bien­tôt « mis à l’abri ». La France sem­ble se trans­former en une vaste terre d’asile inca­pable de soign­er tous ses citoyens. Info migrants nous apprend que qua­tre gym­nas­es ont été ouverts, afin d’héberger familles, mineurs étrangers et réfugiés. Un terme euphémique pour désign­er des clan­des­tins. D’autres ouver­tures sont prévues, mais « il manque de tra­vailleurs soci­aux ».

Le 23 mars, alors que BFMTV cou­vre une vis­ite du Prési­dent Macron dans un hôtel dont des cham­bres ont été réqui­si­tion­nées, le directeur de l’hôtel par­le de « poudrière » à cause du con­fine­ment et de « com­mu­nautés ». Grand moment de gêne, BFMTV et le prési­dent Macron passent rapi­de­ment à un autre sujet.

La lutte con­tre le coro­n­avirus ne passe pas que par la réqui­si­tion de cham­bres d’hôtel et la « mise à l’abri » dont le prési­dent Macron s’est fait le cham­pi­on. D’autres réqui­si­tions sont néces­saires, mais n’ont pas encore été faites au 24 mars. Il y aurait des réqui­si­tions plus pri­or­i­taires que d’autres peut-être.

CNews nous apprend le 22 mars que des anesthé­sistes réan­i­ma­teurs du privé deman­dent à être réqui­si­tion­nés. Le même jour, c’est la Fédéra­tion des hôpi­taux privés qui demande que les hôpi­taux privés soit réqui­si­tion­nés selon le Huff­Post, afin d’épauler l’hôpital pub­lic arrivé en cer­tains endroits à saturation.

Des tests pour les « happy few »

Sur les réseaux soci­aux, des per­son­nal­ités poli­tiques — notam­ment la secré­taire d’État Emmanuelle War­gon et Michel Barnier — évo­quent leur résul­tat au test du coro­n­avirus. Un vrai exer­ci­ce de trans­parence et d’humanité. Ils ont été testés posi­tifs. De nom­breux com­men­taires sur Twit­ter sont acerbes, comme celui de Gilles Sacaze :

« Mer­ci de ces bonnes nou­velles Mon­sieur Barnier. Sincère­ment et respectueuse­ment ravi pour vous. Une petite pen­sée pour nos conci­toyens qui ont les mêmes symp­tômes, mais qui ren­trent chez eux en famille, sans avoir été testé (faute de test) sans masque (faute de masque)… ».

Des masques en abondance

Le 10 mars, le min­istre de la san­té affirme qu’ « il n’y a pas de pénurie de masques » de pro­tec­tion, nous informe France Info. La radio d’État nous donne un autre motif de sat­is­fac­tion : « les gels hydroal­cooliques ne con­nais­sant pas non plus de pénurie ». Comme le dit l’expression, c’est l’hilarité générale sur les bancs de l’assemblée. Une semaine plus tard, le 18 mars, le directeur général de la san­té mod­ère ces annonces. Il affirme que le gou­verne­ment achem­ine vers les phar­ma­cies plus de 12 mil­lions de masques. Il ajoute, selon Le Point, « plus d’une dizaine de mil­lions de masques vont aus­si être livrés vers les hôpi­taux ».

Cela n’empêche pas des pro­fes­sion­nels de la san­té de con­tin­uer à se plain­dre du manque de masques. Comme ce médecin qui pose nu pour dénon­cer le manque de pro­tec­tion, selon Ouest-France le 24 mars.

«  En même temps », un reportage de France Bleu nous apprend que des masques en quan­tité abon­dante sont disponibles en Chine, mais que pour des raisons de lour­deur admin­is­tra­tive en France, leur achem­ine­ment en France n’est pas organ­isé. Pour pal­li­er cette iner­tie met­tant en dan­ger les soignants et la pop­u­la­tion, « LVMH offre 10 mil­lions de masques et Bouygues 1 mil­lion  (…) dans les prochains jours » selon Cap­i­tal le 23 mars. Une affaire ron­de­ment menée.

Le jour­nal­iste de Médi­a­part Fab­rice Arfi relaie sur son compte Twit­ter une com­mu­ni­ca­tion de l’ambassade de France à Hong Kong con­cer­nant la préven­tion de la con­t­a­m­i­na­tion, bien dif­férente de celle en vigueur en métro­pole : out­re les gestes bar­rière, « les armes en sont sim­ples : por­tons un masque, con­for­mons-nous scrupuleuse­ment aux règles de quar­an­taine pour ceux qui ont voy­agé récem­ment ».

Des prisonniers et des clandestins libérés par milliers

Le Monde nous informe que des clan­des­tins détenus dans des cen­tres de réten­tion sont pro­gres­sive­ment libérés. Le gou­verne­ment sem­ble aban­don­ner l’objectif d’expulser ceux qui se main­ti­en­nent illé­gale­ment sur le ter­ri­toire, dans une indif­férence générale.

La libéra­tion des délin­quants ne con­cerne pas que les clan­des­tins. Selon le site actupenit.com le 23 mars, la min­istre de la jus­tice va autoris­er la libéra­tion de 5 000 détenus en fin de peine. Des instruc­tions seraient égale­ment don­nées pour l’on ne « mette pas à exé­cu­tion les cour­tes peines d’emprisonnement ». L’objectif serait de « désen­gorg­er les pris­ons » en cette péri­ode de con­fine­ment. Le Figaro a recueil­li la réac­tion d’un offici­er de ter­rain. Il craint que ces mesures « ne vien­nent encore étof­fer une faune déjà bien vénéneuse ».

Alors que l’on s’apprête à libér­er une « faune vénéneuse », ce sont les Français qui font une entorse aux règles de con­fine­ment qui pour­raient se retrou­ver en prison. C’est en tout cas ce que veut la min­istre de la jus­tice. Le respect du con­fine­ment au domi­cile est une pri­or­ité pour la min­istre de la jus­tice. Lors du débat par­lemen­taire sur l’état de siège san­i­taire, elle plaide pour que les infrac­tions répétées aux règles de con­fine­ment soient lour­de­ment sanc­tion­nées. « Six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende » nous apprend LCI. Un député rap­pelle à la Garde des Sceaux que… « les pris­ons sont pleines ». La Min­istre, tout à son empresse­ment de libér­er les délin­quants, revient finale­ment sur son objec­tif d’incarcérer ceux qui enfreignent les règles de confinement.

Une communication surabondante

Alors que le bud­get de l’État et des départe­ments dédiés à l’immigration a con­sid­érable­ment aug­men­té ces dernières années, il n’en est pas de même pour l’hôpital pub­lic. À cha­cun ses pri­or­ités. Un sci­en­tifique présente sur le blogue Anthro­po-logique l’évolution du nom­bre de lits en soins inten­sifs en France depuis 1998. Non seule­ment ce nom­bre ne fait que baiss­er, mais il place la France à l’avant dernier rang dans le classe­ment des 5 pays retenus. Dans ces con­di­tions, la pandémie actuelle sat­ure les struc­tures hos­pi­tal­ières publiques. La con­struc­tion d’un hôpi­tal de for­tune à Mul­house fait l’objet d’un abon­dant sto­ry­telling dans les jour­naux télévisés. Chaque étape du mon­tage des tentes est présen­tée. Ce qui amène un abon­né à Twit­ter à faire ce com­men­taire :

« Chine : 10 jours pour con­stru­ire un hôpi­tal de 1 000 lits.
Macron : 15 jours pour con­stru­ire 5 pau­vres tentes de 30 lits ».

Les com­mu­ni­ca­tions calami­teuses de la porte-parole du gou­verne­ment font l’objet le 23 mars d’une vidéo lors de l’émission Quo­ti­di­en. Elle met en lumière de nom­breuses con­tra­dic­tions, con­trevérités et un manque cer­tain d’anticipation.Les élé­ments de lan­gage guer­ri­ers choi­sis par le Prési­dent de la République lors de son allo­cu­tion télévisée le 16 mars sont repris par le staff gou­verne­men­tal. Sur CNews le 23 mars, le fait de voir le Prési­dent sans masque et sans dis­tance de sécu­rité lors de ses déplace­ments étonne les inter­venants. Un jour­nal­iste cite des pro­pos tenus à l’Elysée :

« Il va fal­loir vous habituer à voir le prési­dent de la république au con­tact sur le ter­rain, c’est Clemenceau dans les tranchées ». Per­son­ne sur le plateau n’a l’outrecuidance d’évoquer un cos­tume trop grand pour le prési­dent Macron…

Il y aurait tant à dire encore sur les réac­tions médi­a­tiques face à, en vrac : la polémique entre les États-Unis et la Chine sur l’origine du virus ; la stratégie de plus en plus décriée des autorités français­es de con­fine­ment sans recours mas­sif aux tests et à l’isolement des per­son­nes con­t­a­m­inées ; les modal­ités du recours à la chloro­quine par les autorités français­es, etc. Mais il faut en garder pour les prochains jours. En cette « drôle de guerre », il y a fort à crain­dre que tant la com­mu­ni­ca­tion que la stratégie du gou­verne­ment dans la lutte con­tre le coro­n­avirus soient une source inépuis­able d’étonnements par médias inter­posés… À suivre.