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Alba Ventura, pour une fois politique militante sur RTL ?

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25 juin 2018

Temps de lecture : 6 minutes
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Alba Ventura, pour une fois politique militante sur RTL ?

Temps de lecture : 6 minutes

La matinale d’Yves Calvi n’est pas la plus inintéressante du paysage radiophonique, au contraire. Rythmée, diversifiée et donnant différents points de vue, elle échappe en général aux travers de celles de France Inter ou Europe 1. Pourtant, le 21 juin 2018, le naturel politique a repris le dessus.

Chaque matin, durant cette mati­nale de « la pre­mière radio de France », Alba Ven­tu­ra présente une chronique inti­t­ulée « L’édito poli­tique ». L’appellation « édi­to­r­i­al » pour une chronique poli­tique est ce qui per­met dans le micro­cosme jour­nal­is­tique de dévelop­per ses pro­pres opin­ions ou de provo­quer, plutôt que de garder une cer­taine objec­tiv­ité ou hon­nêteté. Out­re avoir tra­vail­lé pour Europe 1, France 2, RMC ou dans Zem­mour et Naul­leau, la jour­nal­iste est dev­enue chef du ser­vice poli­tique sur RTL, puis a rem­placé, ce n’est pas rien, vu le pas­sif, Alain Duhamel pour l’éditorial poli­tique quo­ti­di­en. Elle a ain­si apporté un souf­fle de nou­veauté qui était devenu plus que néces­saire. Notons que son époux, Lau­rent Bazin, offi­cie chaque soir sur Europe 1, ce qui ne peut que con­firmer com­bi­en le monde des médias français est une grande famille. Force est cepen­dant de con­stater qu’Alba Ven­tu­ra pro­pose chaque matin une chronique où une cer­taine dose d’honnêteté prime sur l’opinion et les engage­ments per­son­nels, même si elle ne manque pas de piquant. La jour­nal­iste a par­fois été surnom­mée « l’impertinente », et ce surnom qui est plus une qual­ité qu’un défaut n’est pas infondé. C’est du reste ce qui fait la qual­ité et l’intérêt de sa chronique mati­nale : l’éditorial poli­tique signé Alba Ven­tu­ra n’est glob­ale­ment pas tou­jours poli­tique­ment car­i­cat­ur­al, ce dont ses divers con­frères et con­sœurs ne peu­vent pas for­cé­ment se tar­guer. Alors, que s’est-il passé le mer­cre­di 21 juin 2018 ?

Une chronique caricaturalement orientée

La chronique en forme d’éditorial d’Alba Ven­tu­ra ne sort habituelle­ment pas du cadre poli­tique­ment cor­rect qui domine dans les médias français, un cadre glob­ale­ment de cen­tre gauche. Cepen­dant, la jour­nal­iste tombe rarement dans la chas­se aux sor­cières binaire et ne traque pas tout ce qui est à droite de l’échiquier, ou pire pop­uliste, avec la même assiduité que Patrick Cohen (Europe 1), Léa Samalé (France Inter), Nico­las Demor­and (France Inter), Jean-Michel Aphatie (Fran­ce­in­fo) ou encore Thomas Legrand (France Inter), entre autres. Pour­tant, le 21 juin 2018, et donc de façon plutôt inhab­ituelle, Alba Ven­tu­ra a don­né à enten­dre une chronique poli­tique com­por­tant tous les pon­cifs de la tolérance (pré­ten­due) réelle­ment intolérante, cette manière de faire qui est dev­enue une car­ac­téris­tique des médias français. De quoi s’agissait-il ?

  • Le thème : « Enfants migrants séparés. Trump a besoin d’exciter ses électeurs ».
  • La perte de l’esprit cri­tique : La chronique s’ouvre sur un coup de pathos volon­taire con­tre Don­ald Trump, prési­dent des États-Unis, « fou » ici et là il y a peu, grand méchant en règle générale : « Les images et les enreg­istrements ont fait le tour du monde : des enfants en pleurs, séparés de leurs par­ents, mis en cage. Ce sont les con­séquences de la poli­tique “zéro tolérance” de la prési­dence Trump envers les immi­grés illé­gaux en prove­nance du Mex­ique. » Pas la con­séquence de la dérégu­la­tion général­isée et volon­taire des migrations.

Trump voilà l’ennemi

Le car­ac­tère d’ennemi de Trump fuse : « Cette idée de “sépar­er les enfants” ne vient pas du prési­dent améri­cain. Mais Don­ald Trump est telle­ment manip­u­la­ble, telle­ment influ­ençable, il a telle­ment peu de con­vic­tions pro­fondes, qu’il lui est facile de la porter. » C’est cela qui fait de Trump l’ennemi des médias offi­ciels : c’est un homme dif­férent, par sa con­cep­tion du monde et, juste­ment, ses con­vic­tions, de ce monde des médias offi­ciels. Ne pen­sant pas comme il con­vient de penser, le fait même de penser lui est dénié (dans un univers médi­a­tique qui a pour­tant sacral­isé les Lumières). Auteur d’un acte « hor­ri­ble », Trump serait bête et sous influ­ence, en par­ti­c­uli­er de l’un de ses con­seillers (« froid, arro­gant, cynique au plus haut point », « incar­na­tion de l’aile nation­al­iste de la Mai­son Blanche » — l’auditeur sup­pose que ce sont là des faits ?), un con­seiller qui a le plus haut tort d’être en plus l’ancien bras droit de Steve Ban­non (ce qui se ferait de pire out­re Atlan­tique, pour nos chroniqueurs matin­aux), un Ban­non dont Alba Ven­tu­ra n’omet pas de men­tion­ner une sup­posée « influ­ence » auprès de la Lega en Ital­ie (qu’elle con­tin­ue de nom­mer « Ligue du Nord », comme si l’on nom­mait encore SFIO le PS en France par exem­ple). Tant qu’à faire, autant que le mau­vais génie ayant con­duit le grand méchant Trump à la tête des États-Unis ait aus­si une part de respon­s­abil­ité dans la poli­tique ital­i­enne actuelle. Ce con­seiller de Trump, sous per­fu­sion de Ban­non , est un « exé­cu­teur de bass­es œuvres ». Dans le con­texte du jour, la sépa­ra­tion d’enfants migrants de leurs par­ents, l’expression sig­ni­fie Eich­mann (à Wash­ing­ton) ou quelque chose dans le genre. Ce que vient con­firmer l’utilisation (atten­due) du mot « camp » un peu plus avant dans la chronique.

Bien sûr, Trump ne pou­vant pas avoir d’idées poli­tiques ni de con­vic­tions, (croire à la néces­sité de fron­tières pour un pays, être patri­ote ou, par exem­ple, s’interroger sur les caus­es et les con­séquences des migra­tions au point de chercher à les réguler, ne saurait être de la pen­sée, sim­ple­ment du pop­ulisme, pour ne pas dire pire), sa déci­sion ne peut être qu’utilitariste : ce serait donc « un coup poli­tique » en vue des prochaines élec­tions. Le but ? « Remet­tre de la ten­sion dans la société améri­caine ». Autrement dit, Trump jouerait la carte de « l’insécurité cul­turelle », le tout « au nom de la Bible » (un autre « fait »  qui vient un peu comme un cheveu sur la soupe). Étant don­né la nature de cette chronique, il eut été sur­prenant que le grand méchant chris­tian­isme n’ait pas une petite respon­s­abil­ité dans le traite­ment inhu­main des enfants de migrants déportés (?) de leur pays d’origine.

Conception binaire du journalisme

Le 21 juin 2018, évo­quant Don­ald Trump, prési­dent élu du peu­ple améri­cain, Alba Ven­tu­ra a pour un moment oublié son statut de jour­nal­iste poli­tique et mul­ti­plié les out­rances, avec cul­ture mais sans vraie imper­ti­nence. Sans volon­té de nuire, mais plutôt, comme dans l’ensemble du paysage médi­a­tique français, par sim­ple inca­pac­ité à com­pren­dre deux choses :

  • Il est pos­si­ble de penser le monde autrement que selon la con­cep­tion binaire de la majorité des jour­nal­istes français. C’est le cas de Trump. Il est pos­si­ble de penser librement.
  • Dans des démoc­ra­ties, États-Unis ou Ital­ie par exem­ple, les politi­ciens élus appliquent la poli­tique voulue par leurs électeurs. Autrement dit, ils s’opposent à ces mêmes con­cep­tions libérales lib­er­taires qui ont, juste­ment, con­duit les migrants à vivre le drame humain que nous con­nais­sons actuelle­ment. Cette sit­u­a­tion dra­ma­tique n’incombe pas à ceux qui sont élus pour la juguler mais à ceux qui lui ont per­mis de prospér­er, et même l’ont choisie. Ce qu’Alba Ven­tu­ra ne sem­ble pas avoir remarqué.

Crédit pho­to : cap­ture d’écran vidéo RTL Tou­jours avec vous