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Vraiment : un nouvel hebdomadaire qui promet de ne pas être un journal d’opinion… quoique…

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28 mars 2018

Temps de lecture : 7 minutes
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Vraiment : un nouvel hebdomadaire qui promet de ne pas être un journal d’opinion… quoique…

Temps de lecture : 7 minutes

Témoin du bouillonnement qui se fait dans les médias français – avec l’apparition de Le Média, Ebdo, AOC à gauche, Putsch ou 8e étage au milieu, L’Incorrect ou le projet de la revue Recomposition à droite – un nouvel hebdomadaire paraît en mars, Vraiment. Lancé par le journaliste biarrot Jules Lavie, ex de France Info. Le projet : ne pas faire un journal d’opinion, ni d’actualité chaude.

Jules Lavie, 40 ans, le fondateur

For­mé à l’I­UT de Tours (1996–1998) où son mémoire de maîtrise porte sur L’ex­péri­ence des dernières nou­velles d’Al­sace – et retrace notam­ment son pas­sage au web grâce à une poignée de tech­ni­ciens pas­sion­nés qui « ont mis le site en ligne avant même que la direc­tion en soit infor­mée », Jules Lavie a com­mencé à RFO Saint-Pierre et Miquelon (1998–99), puis a fait un an à Medi 1 à Tanger avant de pass­er par quinze antennes régionales de Radio France entre 2000 et 2002. Il rejoint ensuite France Inter pen­dant six mois, de mai à octo­bre 2002, puis devient reporter à France Info jusqu’en 2010. Il est au ser­vice poli­tique pen­dant la cam­pagne prési­den­tielle de 2007. Ensuite il est présen­ta­teur sur France Info – et à par­tir de la ren­trée 2014 il présente la mati­nale week-end (6–10h) de France Info. C’est donc un pur pro­duit du ser­vice pub­lic radiophonique.

Le concept, plus de faits

« J’avais envie de pro­pos­er aujourd’hui autre chose. Vrai­ment veut se libér­er de l’actualité chaude pour aller chercher des sujets et les creuser en pro­fondeur, chaque semaine, et pro­pos­er des sujets qui sont peu traités ailleurs, sor­tir des sen­tiers bat­tus, et aller enquêter », explique Jules Lavie sur les ondes de son anci­enne mai­son mère. Avec comme cre­do « Plus de faits, moins d’opinion ». Et comme objec­tif de «faire un jour­nal séduisant qui devi­enne l’heb­do de coeur des nou­velles généra­tions ».

Et un autre : le refus de croire à la mort du papi­er : « Quand tout le monde dit ‘le papi­er est mort’, c’est faux, c’est une idée reçue », assène-t-il sur Europe 1. « On est vingt ans après l’ar­rivée de la presse sur Inter­net, et les ventes de livres papi­er se por­tent plutôt bien. Pour tout ce qui est assim­i­la­tion de la con­nais­sance, le papi­er marche bien ».

Pamela Rougerie, jour­nal­iste reporter à Vrai­ment, enfonce le clou pour le CFJ : « La grande dif­férence, c’est que l’on ne sera pas édi­to­ri­al­isés poli­tique­ment. On ne trou­vera pas dans nos pages un édi­to pour don­ner une con­signe de vote. Nous n’aurons pas d’orientation à gauche ou à droite. Nous ne fer­ons rien de trop mar­qué poli­tique­ment, mal­gré des sen­si­bil­ités pour l’environnement par exem­ple […] Notre grosse dif­férence c’est que l’on est détachés de l’actualité chaude. On ne réa­gi­ra jamais à une polémique qui tombe en milieu de semaine comme L’Obs ou L’Express ». Résul­tat et avan­tage d’être coupé de l’ac­tu chaude, « on a déjà trois ou qua­tre numéros d’avance presque final­isés ». Le choix des références n’est pas anodin et ne men­tionne ni Mar­i­anne, ni Valeurs Actuelles par exemple.

Par­mi les plumes, le lecteur trou­vera le jour­nal­iste spé­cial­isé police-jus­tice Thibault Raisse, tit­u­lar­isé au Parisien avec Ava Djamshi­di en 2011 et coor­don­na­teur notam­ment du hors-série spé­cial sur l’af­faire De Ligonnès. C’est Jules Lavie qui a recruté, explique Pamela Rougerie : « il y a énor­mé­ment de can­di­da­tures qui passent par le fil­tre de Jules Lavie. Il souhaite des pro­fils assez pré­cis de jour­nal­istes qui savent faire des longs for­mats en presse écrite et aiment faire des sujets d’analyse et de société ».

Des anciens de chez Michel Sapin à bord

Jules Lavie com­mu­nique moins sur le fait que les deux autres mem­bres fon­da­teurs sont d’an­ciens con­seillers min­istériels d’Em­manuel Macron et de Michel Sapin au min­istère de l’É­conomie : Julie Morel, 34 ans, et Julien Mendez, 36 ans. Valérie Brioux, ex-chef du ser­vice des infor­ma­tions générales du Parisien, sera rédac­trice en chef adjointe du mag­a­zine. Selon les fon­da­teurs du jour­nal, une cen­taine d’in­vestis­seurs ont pris par­tie au tour de table, dont Bernard Mourad, ban­quier d’af­faires libanais et ancien respon­s­able du pôle médias de SFR et fon­da­teur du nou­veau média vidéo Loop­sider, qui a apporté 300 000 €. Et qui a don­né un an pour arriv­er à l’équilibre.

Jules Lavie et Julien Mendez sont devenus amis « en fréquen­tant la même école. Celle de leurs enfants, à Mont­martre. Jules présente les jour­naux du week-end sur France Info. Julien est écon­o­miste et enseignant. Leur con­stat : aucun heb­do ne par­le à leur généra­tion », explique Grazia. « Ce qui nous réu­nit, c’est une préoc­cu­pa­tion pour l’in­térêt général. De là est née notre idée d’of­frir quelque chose qui fasse avancer la réflex­ion. Sans courir après l’ac­tu­al­ité. Nous promet­tons du nou­veau, pas les nou­velles. Un pro­jet raison­né qui rompt avec le mod­èle économique des vieux heb­dos », explique Julien Mendez.

Vraiment… les bonnes questions ?

Le nou­v­el heb­do­madaire coûte 4,50 euros, avec dix pages de pub­lic­ité (moins de 20% du chiffre d’af­faires), et a été lancé fin mars avec un tirage ini­tial de 100 000 exem­plaires – l’équili­bre serait atteint avec 45 000 exem­plaires vendus.

Un numéro 0 a paru le 8 févri­er 2018 dans une ving­taine de points de vente des grandes villes, nous l’avons acheté. En une, la dis­pari­tion de l’ar­gent liq­uide, un som­maire éclec­tique, avec un dossier sur les efforts de la fil­ière bovine pour main­tenir la con­som­ma­tion de viande auprès des français, qua­tre pages assez courageuses sur le risque d’un krach bour­si­er, une rubrique Monde qui oscille entre les vio­lences poli­cières en Tunisie et les tests tests ADN aux USA, un arti­cle intéres­sant sur Sci-Hub, pirate des pub­li­ca­tions sci­en­tifiques pour la bonne cause, et une grosse rubrique « au calme » avec des arti­cles écolo­gie, cui­sine, musique, livres, BD, jeux vidéo etc.

Le dia­ble comme sou­vent se cache dans les détails. Ne pas vouloir don­ner dans l’édi­to­ri­al­isme ou l’opin­ion n’empêche pas de pos­er les bonnes ques­tions. Ain­si, une société sans argent liq­uide, c’est aus­si une société sans con­fi­den­tial­ité – n’im­porte qui est traçable à n’im­porte quel moment grâce à son e‑portefeuille ou sa carte ban­caire. Certes, c’est pra­tique pour tra­quer un meur­tri­er en cav­ale ou un ter­ror­iste, mais ça l’est aus­si pour fli­quer un jour­nal­iste d’in­ves­ti­ga­tion qui dérange les politi­ciens ou faire chanter un mari volage en virée avec sa maîtresse. Ces ques­tions ne sont timide­ment abor­dées que dans un entre­tien en fin d’ar­ti­cle, qui priv­ilégie une présen­ta­tion émer­veil­lée de la société sans liquide.

Si le jour­nal ne veut pas pro­fess­er d’opinion il est dans le camp de ce que l’on pour­rait appel­er le macro­nisme de gauche. Comme a dit Bertrand Delais, que son admi­ra­tion pour Emmanuel Macron a porté à la tête de LCP-AN par le fait du prince, le « nou­veau monde » ressem­blant étrange­ment à l’an­cien, « cette espérance dans le pro­grès le met claire­ment dans le camp de la gauche ».

Haro, pas touche au totem de la théorie du genre

Mais c’est dans les brèves Monde qu’un cer­tain par­ti-pris tran­spire le plus. Une brève fait état de « relents con­ser­va­teurs dans les écoles paraguayennes ». On a échap­pé au terme « nauséabond », pon­cif des jour­nal­istes de gauche. Tout ça parce que le « min­istère de l’Éducation et des sci­ences a pris une réso­lu­tion […] qui ban­nit la dif­fu­sion et l’u­til­i­sa­tion de tout matériel relatif à l’idéolo­gie du genre ». Ce qui fait « bondir les organ­i­sa­tions inter­na­tionales » dont l’ONG Amnesty Inter­na­tion­al — citée abon­dam­ment dans l’ar­ti­cle – en l’absence d’un représen­tant du gou­verne­ment du Paraguay.

La sou­veraineté des États ? Pas un souci pour le représen­tant de l’ONG pour qui « l’é­d­u­ca­tion rel­a­tive à l’é­gal­ité et la dis­crim­i­na­tion est une oblig­a­tion inter­na­tionale ». Pas plus pour la jour­nal­iste Flo­ra Genoux, basée en Argen­tine, qui mul­ti­plie les références désoblig­eantes à l’é­gard du pays : « un des sys­tèmes sco­laires les plus médiocre­ment notés par le Forum économique mon­di­al », « le pays ne fait pas fig­ure d’ex­em­ple », « la cul­ture machiste règne, la sit­u­a­tion des minorités est déplorable et les groupes religieux accrois­sent leur influ­ence ». Pour un jour­nal « pas édi­to­ri­al­isé poli­tique­ment »

Le numéro 1, mis en vente le 21 mars 2018, titrait sur des sujets société, What­sApp, les tests ADN, le sens de la répar­tie, plus une accroche sur le pop­ulisme avec une vignette de Jean-Luc Mélen­chon. Dix pages de pub­lic­ité, de la vie quo­ti­di­enne (la primevère, le fro­mage Pélar­don, vis­iter Limo­ges), une offre de démar­rage à 10 € pour deux mois puis 14 € par mois les mois suiv­ants. Pas cer­tain que les dieux du jour­nal­isme évi­tent à Vrai­ment le sort du qua­si défunt Ebdo, dis­paru au bout de deux mois d’existence. Souhaitons-lui meilleur sort.