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Quand le « Petit Journal »  joue avec les faits

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7 mai 2015

Temps de lecture : 6 minutes
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Quand le « Petit Journal » joue avec les faits

Temps de lecture : 6 minutes

Depuis les incidents en marge du défilé du premier mai du FN on attendait les preuves, les communiqués faisant état d’un « violent passage à tabac » avec plainte devant la justice. Bilan : une grosse bousculade, quelques coups, des « courbatures »… des remises en question oubliées et des faits eux aussi bousculés.

Dans son édi­tion de lun­di, le « Petit Jour­nal » est revenu sur les molesta­tions subies par ses équipes lors du rassem­ble­ment du 1er mai, organ­isé par le Front Nation­al. Dimanche déjà, BFMTV avait dif­fusé des images mon­trant Bruno Goll­nish, député européen, agacé, se saisir d’une perche son à l’aide d’un para­pluie et frap­per la caméra des jour­nal­istes de Canal avec celui-ci.

Déjà les images avaient fait le tour des médias, qui évo­quaient en chœur une « agres­sion » d’une vio­lence inouïe. Invité sur France Inter lun­di matin, Yann Barthès lâche : « Ils vont beau­coup mieux. Ils ont eu des cour­ba­tures dimanche mais ça va mieux. »

Des cour­ba­tures ? Un peu léger pour un lyn­chage… Quoi qu’il en soit, le présen­ta­teur de l’émis­sion phare du médi­a­tique­ment cor­rect est allé plus loin, pré­cisant que « c’est la pre­mière fois qu’on est agressés à ce point », et que ce genre de choses n’ar­rivaient qu’avec le FN.

Ah ? En jan­vi­er dernier, les équipes du « Petit Jour­nal » n’avaient-elles pas déjà subi agres­sions ver­bales, claques, coups de poings, de pied et jet de canettes lors du « Jour de colère » ? N’ont-elles pas été égale­ment mal­menées par les Bon­nets Rouges ? Et par le ser­vice d’ordre du Front de Gauche ? Ou encore lors des man­i­fes­ta­tions d’op­po­si­tion au mariage dit pour tous ? Même lors de la cou­ver­ture de la man­i­fes­ta­tion « Mis­tral Gagnons » (pour s’opposer à la sus­pen­sion de la livrai­son d’un navire Mis­tral à la Russie), en sep­tem­bre, les jour­nal­istes de l’émis­sion avaient dû quit­ter les lieux face à l’hos­til­ité de la foule.

Mais le « Petit Jour­nal » n’al­lait pas pass­er à côté d’une nou­velle vic­tim­i­sa­tion. Ce lun­di donc, Yann Barthès a ain­si débuté la présen­ta­tion de son émis­sion le vis­age maquil­lé de sang et de coquards. Après avoir com­plaisam­ment invité les trois Femen qui avaient per­tur­bé la man­i­fes­ta­tion (dont Sarah Con­stan­tin, jour­nal­iste de France 24), les images tant atten­dues sont arrivées.

Sur celles-ci, out­re l’ accrochage avec Bruno Goll­nish, ont peut effec­tive­ment voir que lors de leur exfil­tra­tion, les jour­nal­istes de l’émis­sion ont été mal­menés par la foule. Bous­cu­lade, coups dans le dos et insultes sont bien vis­i­bles. Mais de là à par­ler de « tabas­sage » comme le fait Yann Barthès

D’ailleurs, le présen­ta­teur man­quait, sem­ble-t-il, telle­ment d’im­ages « vio­lentes » qu’il a util­isé le même extrait pour présen­ter deux « vic­times » dif­férentes, Paul Lar­routur­ou et Clé­ment Brelet, comme le mon­trent les cap­tures d’écran ci-dessous :

Quand le « Petit Journal » joue avec les faits

Quand le « Petit Journal » joue avec les faitsCela n’a pas empêché cer­tains médias d’en remet­tre une couche. Ain­si, L’Obs titre-t-il : « Yann Barthès, vis­age meur­tri, exhibe la face vio­lente du FN », quand Télé Loisirs évoque « les images (choquantes) de l’a­gres­sion ».

Quant au dis­cours de vierge effarouchée de l’an­i­ma­teur, feignant de ne pas com­pren­dre ce qu’est un « micro direc­tion­nel » sus­cep­ti­ble d’en­ten­dre les chu­chote­ments, il est tout sim­ple­ment mal­hon­nête lorsqu’on sait que ses équipes se sont faites une spé­cial­ité dans l’é­coute des con­ver­sa­tions privées et le har­cèle­ment, comme en févri­er 2014 avec Béa­trice Bourges.

Par ailleurs un témoin visuel interrogé par l’Ojim nous a précisé qu’il y avait eu deux incidents et non pas un :

La perche micro de Canal essayant de capter les con­ver­sa­tions de Bruno Goll­nish celui ci a demandé (avec véhé­mence) que cela cesse tout en assur­ant être dis­posé à don­ner un entre­tien au Petit Jour­nal alors que celui avait vu son accrédi­ta­tion refusée. Le calme revient.

Quelques min­utes plus tard et mal­gré cette promesse la perche micro con­tin­ue son jeu de récupéra­tion à dis­tance des dis­cus­sions. Bruno Goll­nish s’empare de la perche et un peu plus tard les jour­nal­istes sont bous­culés par des militants.

Mal­gré son air fausse­ment éton­né, Yann Barthès ne peut pas ignor­er que son émis­sion est dev­enue le sym­bole d’une cer­taine presse vide d’in­térêt et aux méth­odes intru­sives insup­port­a­bles. Du Front de Gauche au FN en pas­sant par les Bon­nets rouges, le « Petit Jour­nal » n’est plus le bienvenu.

Des mots que l’on a retrou­vé dans la bouche de Bruno Goll­nish d’ailleurs, qui pour jus­ti­fi­er son action a déclaré sur BFMTV : « Ce sont des gens qui utilisent des moyens que la déon­tolo­gie la plus élé­men­taire, la morale, la loi, les recom­man­da­tions du Con­seil de l’audiovisuel réprou­vent […]. J’ai sup­porté ça pen­dant un quart d’heure, une demi-heure, 20 min­utes. Et après, avec le para­pluie d’un de mes col­lègues, j’ai croché le micro et j’ai cassé le micro. »

Un con­stat qui n’empêche pas la direc­tion de l’émis­sion de con­tin­uer à envoy­er au casse-pipe des jeunes jour­nal­istes, des « goss­es » comme on a pu l’en­ten­dre le 1er mai dans la foule, facile­ment repérables grâce à leur micro rouge et lais­sés à la mer­ci de la vin­dicte croissante.

De là à penser que, chez Canal +, on n’at­tend que ça, il n’y a qu’un pas… Lun­di, le « Petit Jour­nal » a réal­isé un record d’au­di­ence avec près de 2 mil­lions de téléspec­ta­teurs, soit 7,6 % de part d’audience.

C’est sans doute ce qu’a voulu faire com­pren­dre Flo­ri­an Philip­pot, invité de « C à vous » sur France 5 mar­di soir. « Je con­damne toute vio­lence par principe mais il se trou­ve que Le Petit jour­nal est dans une stratégie de provo­ca­tion per­ma­nente. Ils cherchent l’in­ci­dent. Je les ai subis pen­dant tout le défilé, j’avais un micro col­lé à dix cen­timètres de moi alors que je leur dis­ais que je ne voulais pas leur par­ler », a expliqué le vice-prési­dent du FN.

Con­cer­nant le geste de Bruno Goll­nish, « cela fai­sait une demi-heure que Bruno Goll­nisch demandait au Petit jour­nal d’ar­rêter de les enreg­istr­er », a‑t-il rap­porté avant d’a­jouter : « La fois précé­dente au par­lement européen, ils avaient cap­té illé­gale­ment une con­ver­sa­tion privée de Bruno Goll­nisch et l’avaient retran­scrite à l’an­tenne. C’est totale­ment illégal. »

La seule ques­tion à se pos­er désor­mais, c’est de savoir jusqu’où va aller le « Petit Jour­nal » dans ses méth­odes de course à l’audience par la provo­ca­tion per­ma­nente et quelles en seront les conséquences…

Crédit pho­to : mon­tage Ojim (cc)