Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Télévision : la fin de l’infotainment et de la propagande organisée

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

2 février 2024

Temps de lecture : 5 minutes
Accueil | Veille médias | Télévision : la fin de l’infotainment et de la propagande organisée

Télévision : la fin de l’infotainment et de la propagande organisée

Temps de lecture : 5 minutes

Nous reprenons partiellement, en renvoyant à l’original, une remarquable tribune de Marc Alpozzo, philosophe et essayiste, parue dans le magazine Entreprendre le 16 janvier dernier.

Le départ de BFMTV de Lau­rent Ruquier, fin décem­bre 2023 suite à ses faibles audi­ences, mar­que un dou­ble tour­nant : d’abord, il prou­ve que CNews et Pas­cal Praud ont les reins bien plus solides qu’on ne veut le croire ailleurs mais c’est aus­si la fin de l’info-divertissement.

Les 4 minutes de haine bon teint

Les deux dernières décen­nies ont inven­té un pro­duit mar­ket­ing télévi­suel où l’on tour­nait tout en déri­sion, à la fois pour s’amuser mais aus­si pour se moquer de ce qui parais­sait trop sérieux ; pour dégon­fler la bau­druche et met­tre à terre ceux qui nous dépas­saient d’une tête. Thier­ry Ardis­son était cham­pi­on dans le domaine, puisqu’il rece­vait des invités, qu’il piégeait bien sou­vent, (voir Mau­rice G.Dantec, Alexan­dre Jardin, Mila Jovanovic, etc.) et tan­dis qu’ils répondaient à ses ques­tions, les invités étaient régulière­ment coupés par des blagues humiliantes faites pour les tourn­er en déri­sion et amuser le public.

C’était une sorte en lyn­chage par le rire. On assis­tait là à ces 4 min­utes de haine bon teint qui délec­taient une foule de gens anonymes, comme un bon moment cathar­tique où l’on pre­nait sa revanche sur les forts.

De la dérision à la désinformation

L’émission de Ruquier jouait sur cette même corde sen­si­ble, n’hésitant pas à mêler le gen­til et le méchant par­mi les jour­nal­istes qui inter­ro­geaient les invités (le camp du Mal : Éric Zem­mour et le camp du Bien : Michel Polac rapi­de­ment rem­placé par Éric Nauleau). Les jour­nal­istes étaient volon­taire­ment vach­es, et l’on se mar­rait de voir ce beau petit monde pro­pret passé à tabac (leur orgueil en prenant un coup !) – Bernard Tapie et Fran­cis Lalanne ayant par­ti­c­ulière­ment sur-réa­gi à ce traite­ment de faveur.

Yann Barthès s’est illus­tré depuis une dizaine d’années au moins, dans ce lyn­chage par le rire, de tout ce qui ne cor­re­spond pas à son idéolo­gie de gauche lib­er­taire. Son ricane­ment décon­trac­té, proche d’une cer­taine bour­geoisie éduquée, mais sen­si­ble à toutes les caus­es human­i­taires et human­istes qui font bonne fig­ure en société, est celui du sale gosse piquant et inso­lent qui fai­sait rire autre­fois en classe, mau­vais garçon mais bon élève, poil à grat­ter et fils de bonne famille, rebelle des bacs à sable et gen­dre idéal.

Cette destruc­tion des valeurs par le rire moqueur, par la déri­sion et la dés­in­for­ma­tion, est la déf­i­ni­tion par­faite de ce mélange ludique d’information et de diver­tisse­ment qui sied à une jeunesse infor­mée mais pas trop, inso­lente et décalée, tout en étant aisée et bien peignée, sen­si­ble au bash­ing et au vide plutôt qu’à la rigueur du jour­nal­isme d’investigation. Tout doit être trans­for­mé en déri­sion pour cette jeunesse de trente­naires bobos, parce que tout doit est dérisoire – sauf Marine Le Pen à laque­lle il faut faire barrage !

De la manipulation à la propagande

Les deux dernières décen­nies auront ain­si été fatales à la poli­tique et aux débats, puisqu’on ne devait plus rien pren­dre au sérieux, sinon les grandes caus­es de la gauche morale et cul­turelle, dont Ardis­son (monar­chiste de gauche), puis Barthès et Ruquier, tous s’en fai­saient les grands défenseurs (voir par exem­ple le lyn­chage en règle de Zem­mour lorsqu’il était venu présen­ter son Pre­mier sexe ou Doc Gyné­co qui soute­nait Sarkozy durant sa cam­pagne). Tout ce qui était haut, noble, com­plexe, dif­fi­cile­ment com­préhen­si­ble devait être rail­lé, rabais­sé, humil­ié par le rire, les blagues et les moqueries.

On sanc­tion­nait les pro­pos poli­tiques qui déplai­saient aux lunes idéologiques de la gauche par les huées du pub­lic et les pro­pos bien-pen­sants par de lourds applaud­isse­ments. Mais tout cela fait aus­si par­tie de ce que Jean-Yves Le Gal­lou appelle « la société pro­pa­gande », et cela appar­tient aux manœu­vres de ce qu’il appelle les « démolis­seurs de la civil­i­sa­tion », et dont les moyens util­isés sont les ressources audio­vi­suelles, la pub­lic­ité, le sport-spec­ta­cle, les films, les séries, et l’instrumentalisation des entre­pris­es. On entrevoit bien ici, dans ce panora­ma, l’infotainment, qui n’est rien d’autre qu’une destruc­tion en règle de l’information pour lui sub­stituer de la propagande.

L’effondrement des audiences

Un peu comme les stu­dios Dis­ney qui, accusés de wok­isme, sont tombés en dis­grâce aux États-Unis, la fin de Ruquier, avec des chutes d’audience ver­tig­ineuses, et le suc­cès de Pas­cal Praud, sur une chaîne dénon­cée par de nom­breuses per­son­nal­ités poli­tiques et jour­nal­is­tiques du ser­vice pub­lic, prou­ve que le pub­lic n’est plus dupe. Il a com­pris qu’on ne voulait rien d’autre que l’endoctriner, à tra­vers la télévi­sion, le ciné­ma, la chan­son, les annonces sonores dans les trans­ports publics, les pan­neaux pub­lic­i­taires omniprésents, les ban­deaux sur les réseaux soci­aux, etc.

Il est désor­mais clair que l’infotainment n’est rien d’autre sinon un con­cept mar­ket­ing venu des États-Unis pour manip­uler l’opinion publique et nier le réel. Hier, dans les années 70, 80 et 90, on manip­u­lait la réal­ité. Avec l’arrivée d’Internet, on s’est mis à la nier. La poli­tique était alors présen­tée sous la forme d’un diver­tisse­ment sadique, et dans les émis­sions de poli­tique spec­ta­cle, l’on pas­sait lit­térale­ment à tabac les invités, en les rail­lant et les ridi­culisant par le rire. Cela venait alors se sub­stituer à la vio­lence physique et cela per­me­t­tait de faire pass­er la pilule… » (…)

Lire la suite : entreprendre.fr
Voir aussi : marcalpozzo.blogspirit.com