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Propagande américaine : un article de Consortium News

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19 décembre 2020

Temps de lecture : 10 minutes
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Propagande américaine : un article de Consortium News

Temps de lecture : 10 minutes

On parle très souvent de la propagande russe, de ses influences réelles ou supposées sur les élections en Europe et aux États-Unis. Qu’en est-il de la propagande américaine ? Nous empruntons au site Les Crises la traduction d’un article de Consortium News du 18 novembre 2020 sur certaines nominations de la nouvelle administration Biden. Certains intertitres sont de notre rédaction.

Nommé par Biden, Richard Stengel est un ancien « chef propagandiste » partisan d’une propagande aux États-Unis

Source : Con­sor­tium News, Ben Norton
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le mois dernier, Richard Sten­gel a été nom­mé par Joe Biden au sein de son équipe de tran­si­tion pour soutenir les efforts de tran­si­tion en lien avec la U.S. Agency for Glob­al Media. Pour Ben Nor­ton, Richard Sten­gel représente l’escalade immi­nente de l’administration Biden dans la sur­veil­lance des médias en ligne qui sont con­sid­érés comme une men­ace pour les impérat­ifs améri­cains à l’étranger.

Richard Sten­gel, le prin­ci­pal représen­tant des médias d’État dans l’équipe de tran­si­tion du prési­dent améri­cain élu Joe Biden, a défendu avec ent­hou­si­asme l’utilisation de la pro­pa­gande con­tre les Américains.

« Propagandiste en chef »

« Mon ancien poste au Départe­ment d’État, comme cer­tains en plaisan­taient, était celui de pro­pa­gan­diste en chef, a déclaré Sten­gel en 2018. Je ne suis pas con­tre la pro­pa­gande. Chaque pays en fait, y com­pris sur sa pro­pre pop­u­la­tion. Et je ne pense pas néces­saire­ment que ce soit si terrible. »

Richard « Rick » Sten­gel a été le sous-secré­taire d’État à la diplo­matie publique et aux affaires publiques le plus longtemps en poste dans l’histoire des États-Unis.

Au Départe­ment d’État sous le prési­dent Barack Oba­ma, Sten­gel s’est van­té d’avoir « créé la seule entité gou­verne­men­tale, non clas­si­fiée, qui lutte con­tre la dés­in­for­ma­tion russe. » Cette insti­tu­tion était con­nue sous le nom de Glob­al Engage­ment Cen­ter, et elle représen­tait un moyen puis­sant pour faire avancer la pro­pa­gande du gou­verne­ment améri­cain dans le monde.

Guerre de l’information

Croisé engagé dans ce qu’il décrit ouverte­ment comme une « guerre de l’information » mon­di­ale, Sten­gel a fière­ment proclamé son dévoue­ment à la ges­tion minu­tieuse de l’accès du pub­lic à l’information.

Sten­gel a exposé sa vision du monde dans un livre qu’il a pub­lié en juin dernier, inti­t­ulé Infor­ma­tion Wars : How We Lost the Glob­al Bat­tle Against Dis­in­for­ma­tion and What We Can Do About It [NdT : Les guer­res de l’information : com­ment nous avons per­du la bataille mon­di­ale con­tre la dés­in­for­ma­tion et ce que nous pou­vons faire].

Sten­gel a pro­posé de « repenser » le Pre­mier amende­ment qui garan­tit la lib­erté d’expression et de la presse. En 2018, il a déclaré : « Ayant été autre­fois presque un abso­lutiste du Pre­mier amende­ment, j’ai vrai­ment changé de posi­tion à ce sujet, parce que je pense sim­ple­ment que pour des raisons pra­tiques dans la société, nous devons en quelque sorte en repenser cer­taines parties.»

La sélec­tion par l’équipe de tran­si­tion de Biden d’un cyber-guer­ri­er censeur pour un poste de haut niveau dans les médias d’État inter­vient alors qu’une cam­pagne de répres­sion con­certée s’installe sur les médias soci­aux. La vague de cen­sure en ligne a été super­visée par les agences de ren­seigne­ment améri­caines, le Départe­ment d’État et les sociétés de la Sil­i­con Val­ley qui ont con­clu des con­trats de plusieurs mil­liards de dol­lars avec le gou­verne­ment américain.

Alors que le réseau de cen­sure soutenu par l’État s’étend, les médias indépen­dants se retrou­vent de plus en plus sou­vent dans la ligne de mire. Au cours de l’année écoulée, les plate­formes de médias soci­aux ont sup­primé des cen­taines de comptes de pub­li­ca­tions d’informations étrangères, de jour­nal­istes, de mil­i­tants et de fonc­tion­naires de pays ciblés par les États-Unis pour un change­ment de régime [Opéra­tion de ren­verse­ment de régime, NdT].

La nom­i­na­tion de Sten­gel sem­ble être le sig­nal le plus clair d’une escalade prochaine par l’administration Biden de la cen­sure et de la sup­pres­sion des médias en ligne qui sont con­sid­érés comme une men­ace pour les impérat­ifs améri­cains à l’étranger.

Colporteur du Russiagate

Avant d’être nom­mé « pro­pa­gan­diste en chef » du Départe­ment d’État améri­cain en 2013, Richard Sten­gel était rédac­teur en chef du mag­a­zine Time.

Dans l’administration Oba­ma, Sten­gel a non seule­ment créé la dynamique de pro­pa­gande du Glob­al Engage­ment Cen­ter [Cen­tre anti pro­pa­gande et dés­in­for­ma­tion US, NdT], mais il s’est égale­ment van­té d’avoir « dirigé la créa­tion de L’Anglais pour tous, un pro­gramme gou­verne­men­tal pour pro­mou­voir l’enseignement de l’anglais dans le monde entier. »

Après avoir quit­té le Départe­ment d’État en 2016, Sten­gel est devenu con­seiller stratégique de Snap Inc, la société qui gère les appli­ca­tions de médias soci­aux Snapchat et Bitmoji.

Sten­gel a égale­ment trou­vé du temps pour une par­tic­i­pa­tion au Con­seil atlan­tique, un groupe de réflex­ion étroite­ment lié à l’OTAN et au camp Biden qui a reçu des fonds du gou­verne­ment améri­cain, de la Grande-Bre­tagne, de l’Union européenne et de l’OTAN elle-même, ain­si que d’une foule de fab­ri­cants d’armes occi­den­taux, de sociétés d’énergie fos­sile, de monar­chies du Golfe et de spé­cial­istes de la Big Tech.

Sten­gel a tra­vail­lé en étroite col­lab­o­ra­tion avec le lab­o­ra­toire de recherche en crim­i­nal­ité numérique du Con­seil atlan­tique, une organ­i­sa­tion dou­teuse qui a ali­men­té les actions de cen­sure des médias indépen­dants au nom de la lutte con­tre la « désinformation. »

De MSNBC à la Maison Blanche

Mais Sten­gel est peut-être plus con­nu en tant qu’analyste poli­tique réguli­er sur MSNBC [Chaine d’info NBC du cable en asso­ci­a­tion avec Microsoft, NdT] à l’époque de Don­ald Trump. Sur la chaîne, il a ali­men­té les théories du com­plot du Rus­si­a­gate, dépeignant le prési­dent répub­li­cain comme un idiot utile de la Russie et pré­ten­dant que Trump avait une « bro­mance à sens unique » avec Vladimir Pou­tine [Bro­mance: ami­tié virile,NdT].

Sten­gel a quit­té MSNBC ce mois-ci pour rejoin­dre la tran­si­tion prési­den­tielle de Biden. La cam­pagne a annon­cé qu’il était appelé à diriger l’équipe de super­vi­sion de l’agence Biden-Har­ris pour l’Agence améri­caine pour les médias mon­di­aux (USAGM).

L’USAGM est une organ­i­sa­tion de pro­pa­gande des médias d’État qui trou­ve son orig­ine dans une « machine » de la Guerre froide créée par la CIA pour répan­dre la dés­in­for­ma­tion con­tre l’Union sovié­tique et la Chine com­mu­niste. (L’agence s’appelait aupar­a­vant le Broad­cast­ing Board of Gov­er­nors, ou BBG, jusqu’à ce qu’elle soit rebap­tisée en 2018).

L’USAGM déclare sur son site web que sa mis­sion la plus impor­tante est « d’être en accord avec les grands objec­tifs de la poli­tique étrangère des États-Unis. »

Un remaniement de l’agence cette année a révélé que l’USAGM avait fourni une assis­tance clan­des­tine à des mil­i­tants séparatistes lors des man­i­fes­ta­tions qui ont embrasé Hong Kong en 2019. Le pro­gramme prévoy­ait une aide en matière de com­mu­ni­ca­tions sécurisées pour les man­i­fes­tants et deux mil­lions de dol­lars en « riposte rapi­de » pour les mil­i­tants anti-Chine.

Le croisé « obsessionnel »

Lorsque Richard Sten­gel s’est présen­té comme le « pro­pa­gan­diste en chef » du Départe­ment d’État, il a pré­con­isé l’utilisation de la pro­pa­gande con­tre le peu­ple améri­cain et a pro­posé de « repenser » le Pre­mier amende­ment alors,qu’il par­tic­i­pait le 3 mai 2018 à une table ronde au Coun­cil on For­eign Rela­tions [CFR, con­seil en rela­tions étrangères, NdT]).

Au cours de cet événe­ment du CFR, inti­t­ulé « Per­tur­ba­tions poli­tiques : com­bat­tre la dés­in­for­ma­tion et les fauss­es nou­velles », Sten­gel a évo­qué la men­ace d’une pré­ten­due « dés­in­for­ma­tion russe », un terme vague qui est de plus en plus util­isé comme un sig­nifi­ant vide de sens pour tout réc­it qui heurte les sen­si­bil­ités de l’establishment de la poli­tique étrangère de Washington.

Sten­gel a déclaré qu’il était « obsédé » par la lutte con­tre la « dés­in­for­ma­tion », et a claire­ment indiqué qu’il avait une obses­sion par­ti­c­ulière pour Moscou, accu­sant « les Russ­es » de se livr­er à une dés­in­for­ma­tion « à tous les niveaux. »

Le poli­to­logue Kel­ly M. Green­hill l’a rejoint sur scène et a déploré que les plate­formes de médias alter­nat­ifs pub­lient « des choses qui sem­blent pou­voir être vraies… c’est la sphère où il est par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile de les démys­ti­fi­er… c’est cette région grise, cette zone grise, où il ne s’agit pas de dés­in­for­ma­tion tra­di­tion­nelle, mais d’une com­bi­nai­son de dés­in­for­ma­tion et de jeu sur les rumeurs, de théories du com­plot, d’une sorte de pro­pa­gande grise, c’est là que se situe, selon moi, le nœud ou le cœur du problème. »

Sten­gel a approu­vé, en ajoutant : « Au fait, ces ter­mes, la zone grise, provi­en­nent tous de mesures actives russ­es, qu’ils font depuis un mil­lion d’années. »

Les par­tic­i­pants n’ont fait aucun effort pour cacher leur mépris pour les médias indépen­dants et étrangers. Sten­gel a claire­ment déclaré qu’un « car­tel de l’information » des médias d’entreprise majeurs avait longtemps dom­iné la société améri­caine, mais il a déploré que ces « car­tels n’aient plus l’hégémonie qu’ils avaient auparavant. »

Sten­gel a claire­ment indiqué que sa mis­sion est de con­tr­er les per­spec­tives alter­na­tives don­nées par les plate­formes médi­a­tiques étrangères qui remet­tent en ques­tion le paysage médi­a­tique dom­iné par les États-Unis.

« Les mau­vais acteurs utilisent l’objectivité jour­nal­is­tique con­tre nous. Et les Russ­es en par­ti­c­uli­er sont intel­li­gents à ce sujet », a grom­melé M. Stengel.

Il a pointé du doigt le réseau médi­a­tique russe financé par l’Etat, RT, en déplo­rant que « Vladimir Pou­tine, lorsqu’ils ont lancé Rus­sia Today, a dit que c’était un anti­dote à l’hégémonie améri­caine et anglaise sur le sys­tème médi­a­tique mon­di­al. C’est comme ça que les gens l’ont vu.»

Ben Deck­er, chercheur au Pro­jet de dés­in­for­ma­tion de la Kennedy School of Gov­ern­ment de Har­vard, a déploré que « RT envahisse tous les espaces médi­a­tiques financiers hebdomadaires. »

Mais Deck­er s’est réjoui de la pro­fu­sion d’oligarques améri­cains déter­minés à repren­dre le con­trôle du réc­it. « En Amérique et dans le monde entier, a‑t-il déclaré, la com­mu­nauté des dona­teurs est très désireuse de s’attaquer à ce prob­lème, et très désireuse de tra­vailler avec les com­mu­nautés de chercheurs, d’universitaires, de jour­nal­istes, etc. pour cibler ce problème. »

« Je pense qu’il y a en haut une volon­té de résoudre ce prob­lème », a‑t-il pour­suivi, exhor­tant les nom­breux uni­ver­si­taires présents dans l’assistance « à deman­der des sub­ven­tions » afin de lut­ter con­tre cette « dés­in­for­ma­tion » russe.

Le débat du CFR s’est ter­miné lorsqu’un mem­bre africain du pub­lic s’est insurgé depuis la salle et a défié Sten­gel : « Parce que ce qu’il se passe en Amérique, c’est ce que les États-Unis ont fait avec les pays du Sud et du Tiers-Monde, ce avec quoi nous avons vécu, pen­dant beau­coup, beau­coup d’années, au tra­vers d’un réc­it dom­i­nant qui était et qui reste de la pro­pa­gande », a déclaré l’homme.

Plutôt que de répon­dre, Sten­gel a impoli­ment ignoré la ques­tion et s’est pré­cip­ité vers la sor­tie : « Vous savez quoi, je déteste les dernières ques­tions. Pas vous ? Je n’y réponds jamais, en général je veux juste con­clure avant la dernière question. »

La vidéo de la con­fronta­tion révéla­trice a provo­qué une telle fureur que le compte YouTube du CFR a dés­ac­tivé les com­men­taires et a déréférencé la vidéo. Elle ne peut pas être trou­vée dans une recherche sur Google ou YouTube. Elle ne peut être trou­vée qu’avec le lien direct.

La vidéo de la dis­cus­sion com­plète est inté­grée ci-dessous.

Ben Nor­ton est jour­nal­iste et écrivain. Il est reporter pour The Gray­zone et pro­duc­teur du pod­cast « Mod­er­ate Rebels », qu’il co-ani­me avec Max Blu­men­thal. Son site web est BenNorton.com, et il tweete sur @BenjaminNorton.