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Les juges Soros de la CEDH et le silence gêné des quotidiens français de gauche

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28 juillet 2021

Temps de lecture : 9 minutes
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Les juges Soros de la CEDH et le silence gêné des quotidiens français de gauche

Temps de lecture : 9 minutes

Red­if­fu­sion esti­vale. Pre­mière dif­fu­sion le 14 mai 2021

Puisque le Conseil de l’Europe discutait le mois dernier du problème posé par les liens avérés entre une partie conséquente des juges de la CEDH et les ONG liées à l’Open Society Foundations (OSF) de George Soros, c’est une bonne occasion de nous intéresser à manière dont les journaux français ont couvert cette importante affaire depuis les premières révélations sorties quatorze mois plus tôt, en février 2020. Le problème n’est en effet pas anodin et, comme l’avait signalé en son temps l’Observatoire du Journalisme, il avait été mis en exergue en France par l’hebdomadaire Valeurs Actuelles.

Pour rap­pel, ain­si que l’a révélé un rap­port du Cen­tre pour le droit et la jus­tice (ECLJ) pub­lié en févri­er 2020 sous le titre « Les ONG et les juges de la CEDH – 2009–2019 » (télécharge­able ici), près du quart des juges siégeant à la CEDH entre 2009 et 2019 avaient des liens directs avec des ONG du réseau Soros. Pire encore, dans 88 affaires iden­ti­fiées par l’ECLJ, des juges liées aux ONG financées par l’OSF ont eu à se pronon­cer dans des affaires où les mêmes ONG ou des ONG égale­ment liées à l’OSF étaient par­ties prenantes. Nor­male­ment, en présence d’un tel con­flit d’intérêt, un juge doit se retir­er et c’est le type de com­porte­ment que la CEDH attend des juri­dic­tions nationales. Mal­heureuse­ment, la CEDH ne sem­ble pas vrai­ment appli­quer les normes à son pro­pre fonc­tion­nement les stan­dards qu’elle attend des autres tri­bunaux. D’où plusieurs ques­tions posées à la suite de ce rap­port par des mem­bres de l’Assemblée par­lemen­taire du Con­seil de l’Europe. Des ques­tions qui por­tent sur les thèmes suivant :

  • « Com­ment remédi­er à de poten­tiels con­flits d’intérêts des juges de la Cour européenne des droits de l’homme? »
  • « Restau­r­er l’intégrité de la Cour européenne des droits de l’homme »
  • « Le prob­lème sys­témique des con­flits d’intérêts entre ONG et juges de la Cour européenne des droits de l’homme »

Le 8 avril dernier, le Comité des min­istres des 47 pays mem­bres du Con­seil de l’Europe a apporté une réponse écrite à ces ques­tions. À la mi-avril, l’ECLJ se réjouis­sait d’une autre con­séquence pos­i­tive de son rap­port : le Con­seil de l’Europe venait de rejeter une can­di­da­ture belge de « juge Soros » pour la CEDH. Ceci pour dire que le rap­port de l’ECLJ est pris au sérieux au Con­seil de l’Europe et il a d’ailleurs fait par­ler de lui dans la majorité des pays européens. Et en France ? En France, les médias n’ont pas été très bavards à son sujet. Si l’on fait une recherche sur les sites des quo­ti­di­ens nationaux, on s’aperçoit même que cer­tains ont préféré pass­er la ques­tion totale­ment sous silence. C’est apparem­ment le cas de Libéra­tion et de L’Humanité comme le mon­trent ces recherch­es Google faites le 11 mai par l’Obser­va­toire du Jour­nal­isme :

Les juges Soros de la CEDH et le silence gêné des quotidiens français de gauche

Les juges Soros de la CEDH et le silence gêné des quotidiens français de gauche

Le troisième quo­ti­di­en nation­al de gauche, Le Monde, en a en revanche bien par­lé dans un seul et unique arti­cle pub­lié le 3 mars 2020 :

Les juges Soros de la CEDH et le silence gêné des quotidiens français de gauche

Le Monde n’évoque toute­fois ce rap­port que pour en dén­i­gr­er les auteurs, avec un par­ti- pris que n’ont heureuse­ment pas eu les par­lemen­taires de l’Assemblée par­lemen­taire du Con­seil de l’Europe ni les 47 États mem­bres de cette organ­i­sa­tion. Le titre de l’article du Monde résume la tonal­ité d’ensemble : « Des proches de Don­ald Trump au sec­ours de La Manif pour tous ». Plutôt que de s’étendre sur le rap­port de l’ECLJ, Le Monde préfère ensuite expli­quer à ses lecteurs que l’ECLJ est lié à « l’un des avo­cats du prési­dent améri­cain » (Don­ald Trump), que cet avo­cat est « à la tête d’une asso­ci­a­tion ultra­con­ser­va­trice » et qu’il est un « sou­tien act­if du mou­ve­ment anti­mariage homo­sex­uel ». En fait, ce à quoi se réfère Le Monde, c’est que l’European Cen­tre for Law and Jus­tice (ECLJ) est lié à l’American Cen­ter for Law and Jus­tice (ACLJ) dont l’avocat en ques­tion est le con­seiller en chef.

La posi­tion prise par Le Monde est claire dès les pre­mières lignes, si quelqu’un avait encore un doute après avoir aperçu le titre :

Les juges Soros de la CEDH et le silence gêné des quotidiens français de gauche

« À la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’instance juridique suprême du Con­seil de l’Europe, on ne décolère pas, deux semaines après la pub­li­ca­tion dans l’hebdomadaire français d’extrême droite Valeurs actuelles d’un long arti­cle expli­quant com­ment George Soros aurait « infil­tré » l’institution.Selon cette enquête, une dizaine de juges seraient « liés » (com­pren­dre qu’ils ont pu y tra­vailler par le passé) à des ONG comme Amnesty Inter­na­tion­al, qui reçoivent elles-mêmes des sub­sides de la part d’Open Soci­ety, organ­i­sa­tion car­i­ta­tive du mil­liar­daire améri­cain d’origine hon­groise. Suff­isant aux yeux du mag­a­zine pour faire sa « une » sur un « scan­dale Soros ». »

Util­i­sa­tion du con­di­tion­nel et des guillemets, min­imi­sa­tion des chiffres (« une dizaine » de juges pour par­ler des 22 con­cernés) : tout est fait pour que le lecteur ne prenne pas ce rap­port de l’ECLJ au sérieux. Plus loin, Le Monde con­tin­ue son entre­prise de dis­crédit en expli­quant que ces « révéla­tions » (en italiques et entre guillemets dans le texte) « ont surtout fait réa­gir dans la sphère con­ser­va­trice française, de la prési­dente du Rassem­ble­ment nation­al (RN) Marine Le Pen à Philippe de Vil­liers », et aus­si que ce rap­port est « rédigé par un homme, le doc­teur en droit Gré­gor Pup­pinck, pour le compte de l’organisation qu’il dirige, le Cen­tre européen pour la jus­tice et le droit (Euro­pean Cen­ter for Law and Jus­tice, ECLJ). »

À pro­pos de l’ECLJ, il est encore dit que « Ce groupe de défense d’intérêts veut dénon­cer une « influ­ence » pro­gres­siste exer­cée sur la CEDH. Peu con­nue en France, l’ECLJ hante depuis deux décen­nies les arcanes de la CEDH, pour y porter la voix du con­ser­vatisme chré­tien. Le lob­by, dont la devise, « Jus­tice et Droit sont l’appui de ton trône, Amour et Vérité marchent devant ta face », est tirée des Psaumes de la Bible, relaie au plan européen nom­bre des com­bats de La Manif pour tous, le mou­ve­ment français anti­mariage homo­sex­uel, encore mobil­isé mar­di 3 mars con­tre la loi bioéthique. Gré­gor Pup­pinck, était présent sur le podi­um de nom­breux rassem­ble­ments con­tre le mariage gay ou la pro­créa­tion médi­cale­ment assistée (PMA), de 2013 à 2019. »

En bref, ce que dit Le Monde à ces lecteurs, c’est : Cir­culez, c’est l’extrême droite, c’est nauséabond et y a rien à voir…

Alors cir­cu­lons et allons plutôt voir dans un dernier quo­ti­di­en nation­al de gauche, ou de droite, plus per­son­ne ne le sait encore vrai­ment, c’est-à-dire La Croix :

Les juges Soros de la CEDH et le silence gêné des quotidiens français de gauche

À titre de com­para­i­son, la même recherche effec­tuée sur le site de Valeurs Actuelles le 11 mai 2021 ren­voie 29 résul­tats, soit 29 arti­cles dif­férents s’étendant sur les liens entre une par­tie des juges de la CEDH et la nébuleuse Soros. Mais main­tenant que nous avons fait le tour du sujet dans La Croix, jetons donc un œil au quo­ti­di­en de référence du cen­tre-droit, Le Figaro.

Le Figaro n’avait apparem­ment pas pris le sujet au sérieux il y a un an, puisque seul son chroniqueur Gilles-William Gold­nadel avait évo­qué le sujet en 2020 dans un de ses arti­cles. Sans doute la rédac­tion du Figaro s’était-elle lais­sé influ­encer par l’article du Monde. Ce n’est qu’après la réponse offi­cielle don­née en avril 2021 par le Comité des min­istres du Con­seil de l’Europe sur cette ques­tion que Le Figaro sem­ble s’être aperçu qu’il s’était fait avoir et que les accu­sa­tions relayées 14 mois plus tôt par Valeurs Actuelles étaient tout à fait sérieuses.

Dans l’article inti­t­ulé « Le Con­seil de l’Europe se penche sur l’indépendance de la Cour européenne des droits de l’Homme » et pub­lié le 22 avril, Le Figaro explique que « Sol­lic­ité par une ques­tion écrite de par­lemen­taires, le Comité des min­istres a réitéré son attache­ment à l’indépendance des juges de la Cour et envis­age des moyens de con­trôle sup­plé­men­taires. Un rap­port récent dénonçait la sur­représen­ta­tion d’une poignée d’ONG à la CEDH. » Et le jour­nal de rap­pel­er « les con­clu­sions d’un rap­port du Cen­tre européen pour le droit et la jus­tice (ECLJ) mon­trant que sur la cen­taine de juges qui ont siégé à la CEDH depuis dix ans, vingt-deux d’entre eux émanaient directe­ment d’une même ONG ou d’associations financées par cette ONG, l’Open Soci­ety », et aus­si le fait que, dans leurs ques­tions aux représen­tants des pays mem­bres du Con­seil de l’Europe, « les par­lemen­taires ont notam­ment pointé du doigt le faible nom­bre de juges européens ayant préal­able­ment exer­cé comme mag­is­trats, et accusent la CEDH de don­ner trop d’importances aux juristes émanant de lob­bies ; ils dénonçaient par ailleurs l’absence de procé­dure effec­tive de déport et de récu­sa­tion en cas de pos­si­ble con­flit d’intérêts. »

Nous apprenons encore dans cet arti­cle du Figaro que les prob­lèmes soulevés dans le rap­port de l’ECLJ sur lequel Le Monde avait d’emblée jeté le dis­crédit ont poussé le Con­seil de l’Europe à décider de « l’examen à venir des «moyens addi­tion­nels d’assurer la recon­nais­sance du statut et de l’ancienneté des juges de la Cour, offrant ain­si des garanties sup­plé­men­taires pour préserv­er leur indépen­dance, y com­pris après la fin de leur man­dat ». Ain­si, explique Le Figaro, « de nou­velles mesures pour­raient donc être pris­es d’ici 2024 pour ren­forcer l’indépendance des juges ».

Finale­ment, il y a un an, un seul quo­ti­di­en nation­al français avait relayé sans chercher à les désavouer les infor­ma­tions pub­liées par l’ECLJ et l’hebdomadaire Valeurs Actuelles : le jour­nal Présent, qui avait même con­sacré la cou­ver­ture de son numéro du 22 févri­er à son arti­cle « Main­mise du mil­liar­daire Soros sur l’UE » pub­lié le 21 févri­er 2020 sur son site.

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