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Accueil | Veille médias | L’Absurdistan français vu par les médias, Allemagne et France

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26 novembre 2020

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Veille médias | L’Absurdistan français vu par les médias, Allemagne et France

L’Absurdistan français vu par les médias, Allemagne et France

Temps de lecture : 9 minutes

Le 12 novembre 2020, le journal allemand Die Zeit publiait un article sur l’« Absurdistan autoritaire » imposé par le gouvernement français à ses concitoyens. Les règles du confinement dans notre pays y sont décrites sans concession. Mais le sujet est loin d’avoir été épuisé, comme en témoignent de nombreux articles et émissions à ce sujet. Revue de presse des délires technocratiques.

La plume acerbe de la journaliste du Zeit

La jour­nal­iste de l’hebdomadaire alle­mand d’information et d’analyse poli­tique Die Zeit, Anni­ka Joeres, avait-elle mesuré que son arti­cle allait avoir un impact aus­si impor­tant en France ? Peut-être pas. Ce regard étranger a mis des mots sur une réal­ité que les Français con­nais­sent trop bien. Bien que factuelle, la descrip­tion a fait mouche auprès de nom­breux lecteurs tant out­re-Rhin qu’en France. Il est vrai qu’il y a de la matière :

  • des « ainés inter­dits de baig­nage mal­gré un avis médi­cal », comme le soulig­nait égale­ment un reportage du Huff­post le 7 novem­bre,
  • des sor­ties d’agrément de son domi­cile lim­itées à une heure et dans un ray­on de un kilo­mètre, ce qui expose les promeneurs urbains aux exha­laisons des joggeurs, alors que les parcs et forêts sont vides,
  • les Français qui s’autorisent à sor­tir de chez eux en sig­nant leur bon de sortie,
  • la méfi­ance de nom­breux Français vis-à-vis des règles imposées par le gou­verne­ment, qui se con­tre­dis­ent parfois,
  • les super­marché qui ne sont plus autorisés à ven­dre des livres, des jou­ets, des vête­ments et des chaus­sures, avec le spec­ta­cle hal­lu­ci­nant de livres et de chaus­sons recou­verts de rubalis­es car con­sid­érés comme « non essentiels »,
  • les déci­sions de san­té publique pris­es de façon monar­chique par le prési­dent de la République en « Con­seil de défense », une instance qui n’existe pas dans les institutions,
  • un état d’urgence san­i­taire voté pour cinq mois qui donne des pou­voirs exor­bi­tants au gou­verne­ment et sus­pend nom­bre de lib­ertés publiques,
  • la con­cen­tra­tion du pou­voir par une caste d’énarques très éloignés des réal­ités des Français.

L’article a entrainé beau­coup de réac­tions en France. Pour n’en citer que quelques-unes :

Des exemples à rire et à pleurer

La lec­ture des médias nous apprend que les autorités français­es ne se sont pas arrêtées en si bon chemin.

France bleu nous informe le 15 novem­bre qu’« une librairie reste ouverte à Cannes, mal­gré le con­fine­ment ». La gérante indique que l’ouverture de sa librairie est une ques­tion de survie et que « les policiers sont passés deux fois indi­quant (à la gérante) qu’elle serait bien­tôt ver­bal­isée ». On apprend qu’un mou­ve­ment de sol­i­dar­ité a vu le jour, avec des écrivains qui se sont engagés à pay­er les amendes aux­quelles la com­merçante s’expose. Sur Sud Radio le 17 novem­bre, l’écrivain Alexan­dre Jardin indique que la librairie encourt une fer­me­ture admin­is­tra­tive. Il ajoute que « le Click&Collect en librairie n’ap­porte même pas de quoi pay­er un loy­er ».

« En même temps », BFM Busi­ness nous informe qu’ « Ama­zon a triplé son béné­fice net au troisième trimestre ». L’article de la chaîne économique vante les vel­léités « sociales »  du patron de l’entreprise de vente en ligne. Il est vrai que Jeff Bezos a fort à faire, entre « opti­mi­sa­tion fis­cale », destruc­tion des inven­dus soulignée par le jour­nal­iste Benoît Berth­elot sur France Inter et mau­vais­es con­di­tions de tra­vail de ses salariés, aux États-Unis selon Phone Android comme au cen­tre de Mon­téli­mar selon Cap­i­tal.

Aurons-nous un sapin de noël cette année ? La ques­tion peut sem­bler saugrenue. Le gou­verne­ment a pour­tant longtemps tenu les Français en haleine. Le Point rap­pelle le 17 novem­bre qu’un « décret (a été) pris par le gou­verne­ment après la fronde des libraires et des petits com­merçants, inter­dis­ant la vente des « pro­duits non essen­tiels » dans les com­merces restés ouverts ». Par­mi ceux-ci : les sap­ins de noël…

« Vous pou­vez acheter votre sapin de noël dès ce ven­dre­di », nous informe avec sat­is­fac­tion La Dépêche.

Faire ses cours­es était autre­fois une tâche anodine. Le con­fine­ment a changé la donne. Ne vous avisez pas à faire vos cours­es dans un autre départe­ment, vous vous exposez à la maréchaussée. C’est le sort qu’ont con­nu des habi­tants d’Eure et Loir « ver­bal­isés pour avoir fait leurs cours­es… en Essonne », le départe­ment voisin, nous informe Le Parisien le 19 novem­bre.

Pen­dant ce temps, les « vio­lences urbaines » con­tin­u­ent en ban­lieue, comme à Vaulx-en-Velin le 19 novem­bre, dans plusieurs com­munes du départe­ment de l’Ain le 14 novem­bre, à Macon, Cler­mont-Fer­rand et Sois­sons le 14 novem­bre, Vénissieux le 11 novem­bre, Valence et Romans-sur-Isère le 7 novem­bre, Oyon­nax le 6 novem­bre, lors de la nuit d’Halloween un peu partout en France selon Europe 1.

Par con­tre, les médias qui ont con­sacré un arti­cle à ces vio­lences ne don­nent aucune infor­ma­tion sur d’éventuelles ver­bal­i­sa­tions pour non-respect du con­fine­ment par les jeunes des cités. S’agit-il d’un autre sujet ou alors, une fois de plus, comme lors du pre­mier con­fine­ment, s’agit-il d’être fort avec les faibles et faible avec les forts ?

Le Préfet de police des Bouch­es-du-Rhône a organ­isé une opéra­tion de con­trôle des attes­ta­tions, de jour, il est vrai. S’exprimant au micro de BFMTV, il souligne que « per­son­ne par­mi les vendeurs et les acheteurs de drogue n’avait d’attestation ».

« En 2020, il est donc pire de sor­tir sans attes­ta­tion que de ven­dre de la drogue », souligne le séna­teur Jere­my Bac­chi sur Twit­ter.

Le deuxième confinement moins bien vécu que le premier

Plusieurs médias met­tent en avant l’impact économique du ralen­tisse­ment for­cé de l’activité.

La Tri­bune souligne de façon très factuelle qu’ « un mois de con­fine­ment coûte “entre 50 et 75 mil­liards d’eu­ros” et près de 3 points de PIB à l’é­conomie, en plus de mesures de relance qui vont être mul­ti­pliées par l’État ».

L’Opinion nous informe le 18 novem­bre que « Privés de débouchés, les pro­fes­sion­nels de l’agroalimentaire qui ali­mentent les cafés et restau­rants français craig­nent, eux aus­si, les fail­lites massives ».

Der­rière les chiffres et les sta­tis­tiques qui dégringo­lent, il y a des hommes et des femmes.

Sur CNews, un médecin général­iste affirme le 11 novem­bre : « Par­mi nos patients il y a des com­merçants, des arti­sans… Ils nous dis­ent tous qu’ils sont à bout (…) En 40 ans de car­rière je n’ai jamais vu ça ».

Alors qu’en Bel­gique, le sui­cide mi-novem­bre d’une indépen­dante fait la une des cou­ver­tures de nom­breux médias, en France, les médias de grand chemin essaient de tenir le pub­lic en haleine avec les affaires Daval et Fourniret. Des affaires qui sont tout sauf représen­ta­tives de la pri­or­ité du moment pour de nom­breux entre­pre­neurs et salariés privés d’emplois : survivre.

Un confinement qui fait douter

Sur les plateaux de télévi­sion, des pro­fes­sion­nels de san­té émet­tent des doutes sur l’efficacité du confinement.

Sur CNews, le pro­fesseur Michaël Pey­ro­mau­re, chef du ser­vice d’urologie de l’hôpital Cochin à Paris estime qu’« on va mas­sacr­er un pays pour sauver 10 ou 20 ou 30 000 vies ». À plusieurs repris­es lors d’un débat le 18 novem­bre, il estime hum­ble­ment « ne pas savoir » si le con­fine­ment est effi­cace. Le pro­fesseur souligne égale­ment l’absence d’utilisation max­i­male de la « réserve » dans les hôpi­taux et des places disponibles dans les clin­iques privées.

Lors de l’émission « Bercoff dans tous ses états » le 19 novem­bre, le Pro­fesseur J.-F. Tou­s­saint présente une étude sci­en­tifique menée dans de nom­breux pays qui aboutit à une con­clu­sion édi­fi­ante : le con­fine­ment n’au­rait aucun impact sur la mortalité.

Pour parachev­er le tout, le 17 novem­bre lors du JT de LCI, une jour­nal­iste apporte plusieurs élé­ments met­tant en avant l’absence de lien entre le con­fine­ment et la baisse de la pandémie observée durant les dernières semaines.

Dans l’édition du 21 novem­bre du Figaro, Jean-Louis Théri­ot appelle à « sor­tir de l’Absurdistan, vite ». Les chiffres qu’il présente sur la stratégie du gou­verne­ment, qui con­fine plus qu’il ne teste et n’isole, sont cru­els pour la France par rap­port à d’autres pays européens.

L’état psy­chique de nom­breux français se détéri­ore. Sput­niknews donne la parole à une psy­chi­a­tre qui rap­pelle qu’« être coupé de la vie sociale rend fou ». Dans un arti­cle du 16 novem­bre, Le Parisien souligne que « le con­fine­ment fait cra­quer les plus jeunes » dont cer­tains, de plus en plus nom­breux, sont en proie à la dépres­sion et aux idées suicidaires.

Un confinement de plus en plus impopulaire

Si les man­i­fes­ta­tions con­tre le con­fine­ment se mul­ti­plient en France, c’est en toute dis­cré­tion médi­a­tique. Des com­merçants, comme à Gap, des croy­ants qui récla­ment le droit d’exercer leur culte, dans de nom­breuses villes de France, de citoyens qui man­i­fes­tent dans dif­férentes villes de France, tout cela est acces­soire à voir le black-out médi­a­tique à ce sujet.

Comme le souligne l’économiste Philippe Her­lin sur son compte Twit­ter le 20 novembre :

« Il y a de nom­breuses et régulières man­i­fes­ta­tions con­tre le #con­fine­ment et la fer­me­ture des #com­merces, mais dont les médias nationaux ne par­lent pas… ».

Dans ces con­di­tions, il ne faut pas s’étonner que les Français cherchent l’information ailleurs, comme en témoigne le suc­cès phénomé­nal du récent doc­u­men­taire « Hold up »

Pour pren­dre un peu de recul vis-à-vis d’un gou­verne­ment qui sem­ble – très mal — gér­er son risque pénal à l’aune des entrées en réan­i­ma­tion, sig­nalons la récente con­férence d’Olivi­er Rey sur « l’idolâtrie de la vie », qui retrace l’évolution de la représen­ta­tion de la mort en France dans l’histoire. Ou bien voir le dossier dirigé par Ludovic Maubreuil dans la revue Élé­ments, numéro octobre/novembre 2020. On peut y trou­ver bien des expli­ca­tions tant sur l’hystérie du moment que sur le remède de cheval imposé aux Français.