Vous l’aviez peut-être remarqué, la Grèce est confrontée à une nouvelle « crise des migrants ». Pour les médias français de grand chemin, il y a d’un côté des réfugiés, qui fuient la guerre, de l’autre, de méchants douaniers grecs qui malmènent ceux qui veulent passer la frontière entre la Turquie et la Grèce. Une nouvelle fois, c’est dans les médias alternatifs et étrangers que l’on peut avoir d’autres informations que cette vision simpliste des événements en cours. À l’unisson du Président de la République, les médias français de grand de chemin semblent une nouvelle fois passer à côté des enjeux actuels à la frontière gréco-turque.
L’actualité à la frontière gréco-turque pour les médias de grand chemin
À la mi-mars 2020, les très rares informations qui filtrent dans les médias français de grand chemin sur le conflit qui oppose la Turquie à la Grèce, et plus largement à l’Union européenne, concernent trois sujets principaux :
- le fait que la Grèce et l’Union européenne comptent aider les migrants massés sur les iles grecques à rentrer dans leurs pays ;
- des allégation de mauvais traitements de la part des forces de l’ordre grecques à l’encontre de certains migrants ;
- l’existence en Grèce d’un supposé « centre caché » de détention de clandestins qui ont passé la frontière.
Pour résumer la tonalité générale et victimaire des articles des médias français sur le sujet, la radio d’État France info estime le 6 mars que la Grèce « se barricade », en l’illustrant par une photo d’un migrant grelottant drapé dans un sac poubelle.
Une autre vision de l’agression de la Grèce organisée par le gouvernement turc
C’est très souvent dans les médias alternatifs et étrangers que l’on peut trouver de nombreux indices accréditant la thèse selon laquelle il ne s’agit pas d’une nouvelle « crise des migrants », mais bien d’un conflit entre pays, d’une véritable agression de la Grèce organisée par le gouvernement turc.
Comme nous l’apprennent certains médias, celui-ci se donne les moyens de son ambition : forcer la frontière avec la Grèce pour créer un début de submersion migratoire et être dans une position de force pour obtenir un soutien de l’UE dans l’opération militaire de la Turquie en Syrie et une aide financière accrue de la part des européens.
Le site d’information Sputniknews nous apprend le 1er mars qu’un média (public NDLR) turc a publié un itinéraire au départ d’Idlib (en Syrie) vers les pays d’Europe de l’ouest pour les « réfugiés ». Des « réfugiés » qui sont à la frontière grecque afghans, pakistanais, somaliens, parfois maghrébins selon RMC, exceptionnellement syriens, selon CNN Greece.
Dans un reportage publié le 7 mars, un envoyé spécial du site Infomigrants détaille l’organisation méthodique par le gouvernement turc des intrusions de migrants en Grèce. Un chauffeur de bus indique être rémunéré par le ministère turc de l’immigration pour amener de façon quasi ininterrompue des étrangers à la frontières grecque. Il témoigne : « Nos policiers aident les migrants à traverser la nuit ».
La stratégie du gouvernement turc est détaillée : « constituer des abcès aux portes de l’Europe » et « organiser régulièrement des intrusions ». Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir du site Infomigrants, il faut reconnaitre un réel travail d’investigation qui n’écarte pas les aspects les plus gênants du conflit en cours.
Une autre information importante a fait l’objet d’une couverture plus que discrète en France, à de rares exceptions près dont L’Express et L’Obs, le quotidien belge Le Soir nous apprend le 5 mars que « la Turquie déploie des renforts pour empêcher la Grèce de repousser les migrants ». Sputniknews est plus précis : les renforts appartiennent aux forces spéciales turques.
Les provocations du gouvernement turc se multiplient
Le site d’information The national Herald évaluait le 15 février à 78 le nombre de violations de l’espace aérien et du domaine maritime grec par l’armée turque depuis le début de l’année 2020.
Sur le fil Twitter Greeceunderattack, plusieurs messages témoignent de la multiplication des provocations du gouvernement turc à l’encontre des autorités grecques dans l’espace aérien, notamment le 11 mars, et le domaine maritime grec selon le site d’information grec Ekathimerini. Le même jour, un journaliste grec parle de tirs des forces spéciales turques à l’encontre de garde-côtes grecs. Pas un média français de grand chemin ne mentionne à ce stade les tentatives délibérées d’escalade du conflit en cours.
L’invasion armée en actes
Selon le site d’information allemand Taggeschau, les autorités turques distribuent des cisailles aux migrants pour qu’ils puissent passer les grillages frontaliers. Sur le compte Twitter de Yannikouts le 12 mars, une vue prise d’un drone montre des clandestins qui incendient la frontière grecque.
Des drones seraient également utilisés par les forces de l’ordre turques pour organiser les attaques contre les douaniers grecs, selon le site d’information Breitbart le 8 mars.
Alors que de très nombreux médias français se focalisent sur des projectiles défensifs tirés par les forces de l’ordre grecques, FranceNews24 évoque au conditionnel sur son compte Twitter le fait que « des policiers turcs attaqueraient des garde-frontières grecs ».
Voice of Europe fait état le 7 mars de plusieurs centaines d’individus qui jettent des gaz lacrymogènes contre les douaniers grecs qui gardent la frontière.
Selon Akokentwos, les forces de l’ordre grecques utilisent un ventilateur géant pour repousser les fumigènes et gaz lacrymogènes lancés par les policiers turcs.
Ce sont de véritables scènes de guerre civile que relaie Patrick Edery, éditorialiste du site d’information du syndicat polonais Solidarnosc, avec des projectiles et fumigènes lancés contre les forces de l’ordre grecques pour forcer la frontière. Une information accréditée par The Associated Press le 13 mars.
Le journal grec Proto Thema évoque le 12 mars dans un article les nombreux cocktails molotov lancés par des migrants contre les douaniers grecs. Les attaques seraient « coordonnées » par la police turque selon un militaire grec cité par The Straits time.
Selon le compte Twitter ISCR, ce sont de véritables milices venues d’Afghanistan qui affronteraient les militaires grecs pour frayer un chemin à des milliers de migrants.
France 24 : ouvrez les portes
Le premier constat que l’on peut faire sur ce conflit international est que les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter, ont bien avant les médias traditionnels fait état du déplacement de milliers de migrants par les autorités turques vers la frontière grecque puis des agressions répétées contre les forces de l’ordre grecques.
On peut également retenir que les médias français de grand chemin, à l’image de son gouvernement qui envoie un bateau d’« assistance » aux migrants selon Le Télégramme, se focalisent sur leur sort, alors que la tentative de submersion migratoire organisée par le gouvernement turque est passée sous silence.
Ainsi, France 24, « la chaine du service public français » titre un reportage à la frontière turco-grecque : « Ouvrez les portes ! » présentant les clandestins qui veulent passer illégalement la frontière comme des victimes de mauvais traitements. L’information d’État ne semble pas une expression vaine…
Plus généralement, la plus que discrète couverture médiatique des événements en cours en Grèce par les médias français relève d’un véritable choix éditorial. Quand quelques informations filtrent à ce sujet, c’est par le prisme de la victimisation des migrants, qui sont, tout le monde le reconnait, instrumentalisés par le pouvoir turc.
En 1939, alors que la guerre avec l’Allemagne avait été déclarée, l’inaction des armées alliées devant la défaite de la Pologne avait été qualifiée de « drôle de guerre ». En 2020, on pourrait qualifier de « drôle de conflit » international les événements en cours à la frontière turco-grecque. Un conflit et surtout une agression que les médias de grand chemin refusent de présenter et de qualifier comme tel.