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Dans les médias et la société, la vague de colère citoyenne contre la délinquance et l’insécurité monte

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1 septembre 2020

Temps de lecture : 9 minutes
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Dans les médias et la société, la vague de colère citoyenne contre la délinquance et l’insécurité monte

Temps de lecture : 9 minutes

Tout le monde le constate, sauf quelques égarés dogmatiques : la délinquance et l’incivisme augmentent fortement en France. Face à cela, des citoyens de plus en plus nombreux estiment que la réponse tant de la police que de la justice est totalement insuffisante. Pour pallier les carences de l’État et le contraindre à assurer la sécurité et la tranquillité publique, certains s’organisent. Revue de presse d’un phénomène en pleine expansion.

La lec­ture des médias nous apprend que les ini­tia­tives de citoyens afin de con­train­dre l’Etat à assur­er leur sécu­rité et leur tran­quil­lité pren­nent divers­es formes et essai­ment sur tout le territoire.

À Marseille, les rodéos ne sont pas dans le far West

Les rodéos à motos sont devenus une pra­tique courante dans les quartiers nord de Mar­seille. Comme ailleurs serait-on ten­té de dire. Ce diver­tisse­ment serait inof­fen­sif s’il n’était pas pra­tiqué à toutes les heures de la journée et de la nuit et surtout sous les fenêtres de cer­tains habitants.

La chaine publique France 3 nous informe le 21 août que l’État français a été con­damné pour insuff­i­sance face aux rodéos urbains. L’article décrit en peu de mots l’essentiel du sujet : des nui­sances sonores de jour comme de nuit, la police aux abon­nés absents, en tous cas indisponible, une loi votée en 2018 sur les rodéos urbains pas appliquée, la créa­tion d’un col­lec­tif d’habitants mécon­tents, de nom­breux dépôts de plaintes, et in fine l’action en jus­tice d’une habi­tante de Mar­seille con­tre l’État devant le tri­bunal administratif.

Mars actu nous apprend le 17 août qu’en dépit de la con­damna­tion de l’État pour inac­tion, ce juge­ment ne sat­is­fait pas la plaig­nante, car il ne met pas fin aux nui­sances. Le Monde y con­sacre un arti­cle le 20 août et con­state plus glob­ale­ment que « pen­dant le con­fine­ment imposé par l’État pour faire face à la pandémie de Covid-19, les rodéos urbains et les inci­dents qu’ils provo­quent se sont accen­tués en France ». Le quo­ti­di­en du soir dénom­bre les nom­breuses inter­ven­tions et infrac­tions relevées récem­ment par la Police.

À Lyon, la presqu’ile est en colère

Dans la cap­i­tale des gaules, en par­ti­c­uli­er dans la presqu’ile de la ville, des citoyens ont for­mé un col­lec­tif « Presqu’ile en colère ». Lyonmag.com recense le 24 juin les griefs du col­lec­tif, qui estime que la sit­u­a­tion est « dra­ma­tique » : con­certs de klax­ons, con­duite de véhicules à vitesse exces­sive, bagar­res, cris, etc. Le site d’information con­clut l’article en pré­cisant que « le col­lec­tif demande une nou­velle fois  de vraies répons­es et de vraies solu­tions ». Actu.fr nous apprend le 2 août que suite à un rodéo effec­tué par un jeune à bord d’un « bolide de 400 chevaux » dans les rues de la presqu’ile de Lyon, « l’association Presqu’il en Colère a sol­lic­ité un ren­dez-vous avec la nou­velle équipe munic­i­pale ». Un épisode de plus dans la vie mou­ve­men­tée des riverains…

Amiens, ville natale du président de la République, n’est pas épargnée

Dans la ville natale du prési­dent de la République, cer­tains quartiers ne sont pas de tout repos. À tel point que selon Le Cour­ri­er picard le 16 juin, des habi­tants du quarti­er Saint Leu se sont organ­isés et ont demandé aux trois can­di­dats au poste de maire de la ville « leurs engage­ments écrits pour lut­ter con­tre les nui­sances ». Le prob­lème n’est pas nou­veau : le quo­ti­di­en région­al nous infor­mait dès le 26 sep­tem­bre 2018 que les habi­tants du quarti­er étaient « au bord de la rup­ture ». Le jour­nal­iste ne cache pas la longue liste de leurs récrim­i­na­tions : «  Bruits, cris, bagar­res, urines et vomi sur les murs et les portes, volets défon­cés, pavés envoyés dans les fenêtres, ver­res cassés jon­chant le sol, sexe, capotes usagées, seringues, voitures por­tières ouvertes avec sono… ».

Paris, la capitale défigurée

À Paris, mieux vaut ne pass­er s’adresser directe­ment aux gêneurs en tous poils. Le Parisien relate le 26 août l’agression dont a été vic­time un habi­tant du 18e arrondisse­ment qui, en l’absence d’intervention de la police, a demandé à ses voisins de cess­er leur tapage noc­turne. Le résul­tat de sa démarche fort civile : le vis­age plâtré et 17 d’ITT. Le quo­ti­di­en fait le con­stat que « les habi­tants du 18e arrondisse­ment de Paris (sont) à bout de nerf ». L’article fait ressor­tir que des habi­tants de cer­taines rues de cet arrondisse­ment de Paris ont une per­cep­tion rad­i­cale­ment dif­férente de celle de la police et de la mairie.

Un habi­tant du quarti­er, Pierre Lis­cia, a décidé de pren­dre la parole. Il a con­sti­tué un col­lec­tif et s’est présen­té aux dernières élec­tions munic­i­pales. Le con­stat qu’il fai­sait en octo­bre 2019 dans les colonnes du Figaro était déjà, au-delà du 18 e arrondisse­ment, que Paris est « sale, dan­gereuse, ghet­toïsée ».

Dans un arti­cle pub­lié en sep­tem­bre 2019, nous soulignions l’importance des réseaux soci­aux dans l’échange d’informations entre habi­tants sur la dégra­da­tion de leur vie quo­ti­di­enne. L’interpellation des autorités se fait aus­si par­fois directe­ment sur Twit­ter, comme en témoignent plusieurs mes­sages envoyés par ce canal.

Palavas-les-Flots : des habitants s’organisent

Même Libéra­tion le recon­nait dans un arti­cle du 27 août, sans toute­fois se dépar­tir du vocab­u­laire poli­tique­ment cor­rect : « À Palavas les Flots, (on assiste à NDLR) une vague d’incivilités ». On y apprend que dans la ville, les réseaux soci­aux ont per­mis de fédér­er les habi­tants mécon­tents par des « jeunes qui ne respectent rien et vien­nent se défouler chez nous ». C’est un habi­tant qui nous informe de leur orig­ine : « il y a beau­coup de jeunes des cités venus des grandes villes ». Out­re l’interpellation des élus, une man­i­fes­ta­tion a été organ­isée le 7 août, rassem­blant 300 per­son­nes, nous informe France bleu. Une nou­velle man­i­fes­ta­tion a eu lieu le 21 août à l’initiative de com­merçants de la ville, « après de nou­veaux inci­dents avec des jeunes issus de la ban­lieue parisi­enne », nous informe Le Midi Libre.

À Mayotte, des milices patrouillent

La sit­u­a­tion totale­ment chao­tique à May­otte, en proie à une immi­gra­tion clan­des­tine mas­sive et à la délin­quance par­fois vio­lente de ban­des de jeunes d’origine étrangère, fait l’objet de fréquents arti­cles dans les médias locaux. Le 26 mai, May­otte heb­do relate l’enlèvement d’un jeune, en repré­sailles à l’agression d’un frère d’un des kid­nappeurs. « Nous n’accepterons pas que des mil­ices se fassent jus­tice », affirme mar­tiale­ment le pro­cureur de la République. Cet aver­tisse­ment sem­ble avoir peu d’effet : le Parisien nous informe le 20 août que face à la mon­tée de la délin­quance, « des mil­ices se créent pour tra­quer les délin­quants, au risque que cela tourne mal ».

De nom­breux autres arti­cles font état d’initiatives citoyennes (man­i­fes­ta­tions, inter­pel­la­tion des autorités, etc.), à Annecy le 13 juin, Melun le 16 juil­let, Nantes le 6 août, Colombes et Chateaubri­ant le 12 août, dans le 19e arrondisse­ment de Paris le 14 août Kourou (Guyane) où une man­i­fes­ta­tion a été organ­isée le 16 août, Lons-le-Saunier le 29 août, etc.

Les articles d’analyse du phénomène des mouvements citoyens

Deux médias ont con­sacré le 28 août des arti­cles et un reportage sur les col­lec­tifs de citoyens qui exi­gent de l’État qu’il rétab­lisse la sécu­rité et la tranquillité.

La chaine d’information LCI a dif­fusé le 28 août un reportage sur le thème « Pal­li­er l’absence de l’État, quels modes d’action ? ». On y apprend que des citoyens s’organisent égale­ment dans l’Aude, le Jura, en Loire Atlan­tique, en Seine Saint Denis, etc. et que les col­lec­tifs se mul­ti­plient. La genèse des mou­ve­ments d’auto-organisation y est retracée, avec les « voisins vig­i­lants » qui veil­lent sur les maisons de leur quarti­er en l’absence de ses occupants.

Le même jour, Le Figaro fait le con­stat que « face à l’insécurité, les col­lec­tifs citoyens for­cent l‘Etat à agir ». L’article signé par J.M. Lecerf souligne la place gran­dis­sante que pren­nent les col­lec­tifs de citoyens qui s’organisent pour forcer les autorités à assur­er leur sécu­rité. Un vice-prési­dent de la région Île-de-France affirme que « les col­lec­tifs nous ren­voient l’image de la déliques­cence de l’État ».

Des récits souvent purement factuels

Les dif­férents arti­cles recen­sés con­sacrés aux ini­tia­tives citoyennes pour lut­ter con­tre les nui­sances de tous ordres sont, à l’exception des arti­cles du Figaro et de LCI, des réc­its pure­ment factuels. La seule fois où un juge­ment est émis, c’est quand un pro­cureur de la République à May­otte con­damne fer­me­ment l’organisation de « mil­ices ». Les arti­cles nous appren­nent que le mou­ve­ment d’auto-organisation de citoyens face à l’inaction des autorités, police et jus­tice, prend de l’ampleur et divers­es formes : man­i­fes­ta­tion, péti­tion, inter­pel­la­tion des autorités, action en jus­tice con­tre l’Etat, et à l’extrême comme à May­otte, créa­tion de mil­ices d’auto-défense. Les réseaux soci­aux sont dans beau­coup de cas un moyen de fédér­er les habi­tants d’un quarti­er et de don­ner nais­sance à des initiatives.

Des moyens d’action divers

Si à l’origine, il s’agissait d’éviter des cam­bri­o­lages avec les « voisins vig­i­lants », on con­state qu’il s’agit désor­mais d’interpeller les autorités, d’avoir une vis­i­bil­ité en prenant les médias à témoin. Quand les nom­breux appels à la police restent let­tre morte, comme à Mar­seille, des citoyens font con­damn­er l’Etat pour son inac­tion, sans que cela résolve les prob­lèmes ren­con­trés. À Bor­deaux, France 3 relate des ini­tia­tives de citoyens pour assur­er eux-mêmes leur sécu­rité face à l’incurie des autorités : assis­tance d’agents de sécu­rité, cours d’auto-défense, accom­pa­g­ne­ment de per­son­nes seules. L’article de la chaine publique omet soigneuse­ment de pré­cis­er que les jeunes à l’origine des agres­sions sont très sou­vent étrangers. À l’extrême, à May­otte, ce sont des mil­ices qui se sub­stituent à la police. Une étape de plus vers l’auto-organisation de citoyens dont les médias nous diront si elle con­cern­era bien­tôt la métropole.

À Lyon, comme le relate Le Figaro, la recherche de « respectabil­ité » passe par un affichage poli­tique à gauche d’un col­lec­tif, afin de ne pas « être pris pour des fachos et des réacs », preuve s’il en fal­lait, d’un cer­cle de respectabil­ité restreint et surtout étroit d’esprit.

On aurait aimé que les con­stats et l’analyse de ces ini­tia­tives citoyennes ail­lent plus loin. Aucun média ne souligne le fait que les régu­la­tions et médi­a­tions entre per­son­nes pour résoudre des con­flits dégénèrent fréquem­ment et se con­clu­ent par­fois par un drame, comme à Bay­onne. Comme si un fos­sé d’incommunication se creu­sait entre des habi­tants excédés et des racailles qui se croient tout per­mis, compte tenu du lax­isme des autorités.

Com­men­tant les émeutes de l’après match PSG-Bay­ern de Munich dans le quarti­er des Champs Élysées et au vu de la faible répres­sion des voy­ous, Michel Onfray soulig­nait sur CNews le 24 août que l’« on achète la paix sociale au prix d’une guerre civile ». Le pédopsy­chi­a­tre Mau­rice Berg­er pousse la réflex­ion dans les pages du Figaro en esquis­sant des solu­tions. « Main­tenant que les politi­ciens ont lais­sé la sit­u­a­tion dégénér­er depuis des années, il est néces­saire de chang­er de par­a­digmes », en réha­bil­i­tant notam­ment la sanction.

L’avenir et les médias nous diront si en fait de change­ment de par­a­digme, face à l’incurie des autorités à assur­er en cer­tains lieux la sécu­rité et la tran­quil­lité, l’auto-organisation de citoyens pour se pro­téger ne s’impose pas de plus en plus dans les faits.