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Black M, Médine, Nick Conrad : derrière l’indignation, « l’extrême-droite » désignée coupable

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3 octobre 2018

Temps de lecture : 6 minutes
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Black M, Médine, Nick Conrad : derrière l’indignation, « l’extrême-droite » désignée coupable

Temps de lecture : 6 minutes

Entre l’annulation du concert du rappeur Black M prévu pour les cérémonies de commémoration de la 1ère guerre mondiale, l’annulation du concert de Médine au Bataclan, l’indignation du père d’une victime du Bataclan et un appel au meurtre de « blancs », quel est le point commun ? Pour de nombreux médias, à chaque fois, c’est l’« extrême-droite » qui est en embuscade.

Black M à Verdun : défaite en rase campagne

En 2016, le rappeur Black M devait se pro­duire à l’occasion d’un con­cert en hom­mage aux vic­times de la guerre 14–18, à Ver­dun. L’idée de la mairie organ­isant l’événement était d’attirer des jeunes à cette commémoration.

Peu importe que le rappeur chante dans « Dans ma rue, les youpins s’éclatent et font les mag­a­sins ». Dans une autre chan­son, ce sont les non musul­mans qui sont mis en accu­sa­tion « Je me sens coupable quand je vois ce que vous a fait ce pays de kouf­fars (les mécréants en arabe NDLR) ». Un autre mem­bre du groupe, Maître Gims, chante des paroles loin d’être paci­fiques : « Je crois qu’il est grand temps que les pédés péris­sent. Coupe-leur le pénis, laisse-les morts, retrou­vés sur le périphérique ».

A lire ces extraits de chan­sons, était-ce une si bonne idée d’honorer les « poilus » avec de telles paroles ? La ques­tion se pose. Le con­cert a été annulé. Non sans polémique.

Pour Le Parisien, « l’extrême droite se déchaine ». Le Monde estime que « sous la pres­sion de l’extrême-droite, la mairie a annulé le con­cert du rappeur lors des com­mé­mora­tions de la bataille de Ver­dun ». France Info donne la parole au rappeur qui dénonce « une polémique incom­préhen­si­ble et inquié­tante  ». La radio publique relaie ample­ment les réac­tions out­ragées de per­son­nal­ités de gauche à l’annulation du con­cert. Pour France 24, on assiste à une « polémique ali­men­tée par l’ex­trême droite ». Selon Le Figaro le 21 sep­tem­bre, «  le site iden­ti­taire « Français de souche », rapi­de­ment suivi par des élus fron­tistes et LR (ont remis) en ques­tion la présence de Black M aux com­mé­mora­tions de la bataille de Verdun ».

On en oublierait presque qu’à l’origine de l’annulation du con­cert, on trou­vait des paroles plus que choquantes qui auraient pu être chan­tées sur l’estrade prévu pour une com­mé­mora­tion de Français tombés pour le pays.

Médine au Bataclan

Le rappeur était pro­gram­mé dans la salle parisi­enne les 19 et 20 octo­bre 2018. Cer­tains extraits de ses chan­sons sont élo­quents : « Je porte la barbe, j’suis de mau­vais poil, Porte le voile, t’es dans de beaux draps, Cru­ci­fions les laï­cards comme à Gol­go­tha. Le polygame vaut bien mieux que l’ami Strauss-Kahn […]. Si j’applique la Charia les voleurs pour­ront plus faire de main courante […]. J’suis une Djella­ba à la journée de la jupe, Islamo-caillera, c’est ma prière de rue […] j’mets des fat­was sur la tête des cons […]. Je me suff­is d’Allah, pas besoin qu’on me laï­cise ». etc…

Le Bat­a­clan, c’est cette salle où ont été abat­tus de sang-froid 132 parisiens un soir de l’au­tomne 2015. Un mas­sacre revendiqué par l’État Islamique, le Bat­a­clan étant désigné comme le lieu « où étaient rassem­blés des cen­taines d’idolâtres dans une fête de per­ver­sité », nous apprend Chartsin­france.

Mais ce qui pose prob­lème ne sem­ble pas être tant la tenue du con­cert d’un rappeur aux textes pour le moins équiv­o­ques que la manip­u­la­tion de l’extrême droite.

Pour Street­press, « Médine annule ses con­certs au Bat­a­clan à la suite de pres­sions venues de l’ex­trême droite ». Le Monde fait une com­para­i­son avec l’annulation du con­cert du rappeur Black M prévu en marge des com­mé­mora­tions de la bataille de Ver­dun : la « fachos­phère » est en embuscade.

Dans la con­ti­nu­ité, LCI nous informe que « le rappeur Médine accuse l’ex­trême droite “d’in­stru­men­talis­er la douleur des vic­times” du Bat­a­clan ».

Le père d’une victime du Bataclan s’exprime : il est « sur le chemin de la haine »

On se sou­vient qu’après l’attentat du Bat­a­clan, le con­joint d’une vic­time a écrit un livre inti­t­ulé « Vous n’aurez pas ma haine ». Ce livre, qui a été encen­sé par la cri­tique médi­a­tique, expri­mait la volon­té de ne pas se laiss­er aller à des sen­ti­ments de vengeance.

La démarche du père d’une vic­time visant à faire annuler le con­cert de Médine au Bat­a­clan n’a pas béné­fi­cié du même con­cert de louanges dans les médias. Patrick Jardin, qui a per­du sa fille lors des atten­tats, est selon Le Monde « sur le chemin de la haine ». Pour Claude Askolovitch, « il s’abandonne à la haine et devient un per­son­nage de l’ex­trême droite ».

Son tort ? Avoir déclaré « Moi, j’ai la haine » face à l’absence de réac­tions qui devraient être évi­dentes. Une « haine » prise mal­hon­nête­ment dans son sens lit­téral et non argo­tique. P. Jardin est aus­si coupable d’avoir par­ticipé à une action col­lec­tive visant à l’annulation du con­cert du rappeur. Il a con­tac­té dif­férents par­tis poli­tiques de droite et de gauche pour qu’ils l’aident dans son com­bat. Seuls ceux de droite lui ont répon­du. Cer­tains peu­vent le regret­ter, mais c’est comme ça. P. Jardin était présent à un meet­ing organ­isé par Nico­las Dupont-Aig­nan le 24 sep­tem­bre. Pour le jour­nal­iste du Monde, «  Il reste pro­fondé­ment meur­tri et appa­raît de plus en plus sou­vent dans les sphères de l’extrême droite » (sic).

Nick Conrad appelle au meurtre : encore une manipulation de l’extrême-droite

Un rappeur par­le dans une de ses chan­sons « de tuer des bébés blancs ». « Attrapez-les vite et pen­dez leurs par­ents, écartelez-les pour pass­er le temps, diver­tir les enfants noirs de tout âge, petits et grands ». Sim­ples appels au meurtre entre amis…

Mais pour cer­tains médias, là n’est pas le prob­lème. Ain­si, pour France Soir, au sujet de la chan­son de Nick Con­rad, « l’ex­trême droite (est) maîtresse dans l’art de créer la polémique ». France Info donne la parole au Prési­dent de SOS Racisme « C’est l’ex­trême droite qui en a fait la pro­mo­tion ». Pour Ago­ravox, le rappeur est « l’idiot utile de l’extrême-droite ».

« Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt ». Quel meilleur moyen pour brouiller la dénon­ci­a­tion de paroles sou­vent igno­bles que de point­er un doigt accusa­teur vers ceux qui les dénon­cent ? Pour cer­tains jour­nal­istes, il y a une indig­na­tion légitime et saine, celle venant de la gauche libérale lib­er­taire décrite dans l’opuscule de Stéphane Hes­sel « Indignez– vous ! ».

Il y a de l’autre côté une indig­na­tion qui est for­cé­ment manip­u­la­trice et par­fois haineuse, non par son con­tenu mais en rai­son du camp d’où elle provient. Le fait que l’indignation ne vienne pas de la gauche suf­fi­rait à lui ôter toute légitim­ité et il faudrait dans ce cas chercher – avant toute analyse cri­tique du fond de l’affaire – des traces de manip­u­la­tion et d’instrumentalisation. Comme si l’indignation ne pou­vait venir que d’un bord ou d’un camp, celui du bien auto-proclamé. Et si, pour une fois, on lais­sait les lecteurs se faire leur idée par eux-mêmes sans pass­er par le prisme défor­mant des médias dominants ?