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Attentat à Conflans-Sainte-Honorine : tout ça pour ça !

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19 octobre 2020

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Attentat à Conflans-Sainte-Honorine : tout ça pour ça !

Attentat à Conflans-Sainte-Honorine : tout ça pour ça !

Temps de lecture : 7 minutes

Vendredi 16 octobre 2020, un professeur d’un collège à Conflans-Sainte-Honorine a été décapité par un islamiste. Selon les premières informations, l’auteur de l’attentat aurait voulu « punir » le professeur pour avoir montré à ses élèves une caricature de Mahomet publiée dans un numéro de Charlie hebdo. Retour sur cette énième « réplique » de la publication initiale des caricatures de Mahomet.

Charlie hebdo, une vieille histoire de bouffeurs de curés… et d’imams

L’attentat de ven­dre­di ne peut se com­pren­dre qu’en le replaçant dans un con­texte plus large que le seul geste hor­ri­ble de l’islamiste qui a décapité un pro­fesseur d’un col­lège des Yvelines.

Le jour­nal satirique Char­lie heb­do s’inscrit dans une longue tra­di­tion française d’humour pail­lard et anti­cléri­cal. Une tra­di­tion dont Rabelais n’est pas le moin­dre des piliers. On peut ne pas appréci­er les représen­ta­tions de prêtres sodomisés ou pra­ti­quant la fel­la­tion, mais c’est aus­si cela, la lib­erté d’expression.

L’avènement d’internet et des réseaux soci­aux a rad­i­cale­ment changé la donne depuis la créa­tion du jour­nal. Alors que dans les années 1970, le lec­torat de Char­lie heb­do était lim­ité à quelques post-soix­ante huitards, le réseau inter­net a démul­ti­plié son audi­ence. Une car­i­ca­ture pub­liée par un jour­nal peut désor­mais, en dépit d’un relatif faible tirage, faire le tour de la terre.

Cette pos­si­bil­ité de médi­ati­sa­tion con­juguée à la rad­i­cal­i­sa­tion de nom­breux musul­mans sont à l’origine des attaques et men­aces dont ont été vic­times les jour­nal­istes de Char­lie heb­do depuis plusieurs années. La reprise des car­i­ca­tures de Mahomet, ini­tiale­ment pub­liées en 2005 dans le jour­nal danois Jyl­lands-Posten, a signé le début de l’exposition médi­a­tique de Char­lie heb­do et des pre­mières intim­i­da­tions. Elles se sont traduites par l’incendie des locaux du jour­nal, des men­aces, un procès, des tri­bunes de dénon­ci­a­tion, jusqu’aux atten­tats en 2015 qui ont décimé la rédaction.

L’insolence est toujours là, la légèreté en moins

Cha­cun s’interrogeait au lende­main des atten­tats com­mis en 2015 si le jour­nal allait se relever d’un tel car­nage, d’un tel choc frontal entre deux con­cep­tions de la lib­erté d’expression et de l’humour. Ou plutôt d’un tel choc de la part d’individus déni­ant tout droit à la lib­erté d’expression et à l’humour au sujet de leur « prophète ». Courageuse­ment, les sur­vivants de l’équipe du jour­nal, bien­tôt rejoints par de nou­velles plumes, ont repris le flam­beau. Ils n’ont pas renon­cé à leur humour imper­ti­nent et par­fois salace.

Mais la légèreté n’est plus là. Après la cou­ver­ture post atten­tat représen­tant le prophète Mahomet affir­mant : « tout est par­don­né », l’odeur de la poudre était encore présente. Les mécréants étant châtiés, il n’y a pas eu de con­séquences. Mais point trop n’en fallait.

La cou­ver­ture du 2 sep­tem­bre 2020 repro­duisant les car­i­ca­tures du Jyl­lands-Posten a réac­tivé l’exposition médi­a­tique du jour­nal. Des man­i­fes­ta­tions de protes­ta­tion con­tre cette représen­ta­tion du prophète ont été organ­isées dans des pays musul­mans, comme au Pak­istan. Les fron­tières français­es n’existant plus depuis longtemps, c’est un Pak­istanais instal­lé en France grâce à notre très généreux sys­tème social qui a voulu venger ce qu’il con­sid­ère comme une offense, en attaquant il y a quelques jours vio­lem­ment au couteau deux vic­times à prox­im­ité des anciens locaux de Char­lie heb­do.

Un humour crispé

Par la force des événe­ments, les temps ont changé. Le cli­mat de légèreté qui pré­valait il y a quelques décen­nies a dis­paru. L’humour grivois a lais­sé la place à un humour mil­i­tant plein d’appréhension. Faut-il dans ces con­di­tions con­tin­uer à porter l’étendard de la lib­erté, alors que cela entraine un enchaine­ment inin­ter­rompu de repré­sailles toutes aus­si vio­lentes les unes que les autres ? Seuls quelques indi­vidus se dressent pour affirmer : nous ne céderons pas, nous ne pra­ti­querons pas l’autocensure. Con­traire­ment au pro­fesseur du col­lège de Con­flans-Sainte-Hon­orine, de très nom­breux pro­fesseurs y ont renon­cé, comme le soulig­nait Valeurs actuelles le 2 septembre.

Les Français refusent de passer à autre chose

L’hebdomadaire Le Point a inter­viewé dans son édi­tion du 13 août 2020 le directeur de la rédac­tion du Jyl­lands-Posten, le jour­nal qui a pub­lié ini­tiale­ment les car­i­ca­tures de Mahomet. Jacob Nybroe y affirme avoir tourné la page et ne plus traiter « de ces choses-là ». « ça pour­ra paraitre lâche, mais on ne peut pas assumer tout seul » affirme-t-il en conclusion.

Il sem­ble qu’en France, cer­tains ne veu­lent pas pass­er à autre chose et se soumet­tre aux islamistes. Le pro­fesseur de Con­flans-Sainte-Hon­orine fai­sait par­tie de ces indi­vidus qui refusent la soumis­sion. De ceux qui con­tin­u­ent de croire que l’école est un lieu où les croy­ances peu­vent être con­fron­tées à d’autres idées et être bous­culées par le savoir. C’en était vis­i­ble­ment trop pour cer­tains par­ents d’élèves qui ont par­ticipé au lyn­chage du pro­fesseur sur les réseaux sociaux.

Un climat délétère dans la cité

Les médias nous four­nissent des détails édi­fi­ants sur les cir­con­stances qui ont con­duit à cet atten­tat tragique :

- Le fait que selon Le Figaro, un « bruit de blas­phème » courant dans la cité suff­ise à jeter l’opprobre sur le pro­fesseur. Ce qui témoigne qu’une loi non écrite existe dans cer­taines cités de l’immigration.

- La dénon­ci­a­tion du pro­fesseur sur les réseaux soci­aux, notam­ment sur le site d’une mosquée d’Ile-de-France. Ce qui illus­tre que l’école n’est plus le sanc­tu­aire du savoir mais subit les coups de boutoirs des islamistes et devient un enjeu de pouvoir.

- La livrai­son en pâture de l’adresse du pro­fesseur et la demande de sa démis­sion par des par­ents d’élèves.

- L’inertie de l’administration qui n’a pas veil­lé à assur­er la sécu­rité du pro­fesseur alors qu’elle con­nais­sait la sit­u­a­tion. Pire, selon le Point, l’administration envis­ageait de sanc­tion­ner… l’enseignant !

- L’auteur de l’attentat était un jeune « réfugié » Tchéchène de 18 ans con­nu pour des faits de droit com­mun. Ce qui n’a pas empêché qu’un carte de séjour de 10 ans lui soit délivrée en mars 2020 selon Actu.fr

L’euphémisation toujours et encore

Mais ne comp­tons pas sur les médias de grand chemin pour relater cet atten­tat dans toute sa cru­auté et les cir­con­stances abjectes qui y ont abouti. En 2017, l’égorgement de deux jeunes femmes en gare de Saint-Charles à Mar­seille par un islamiste était « un atten­tat à l’arme blanche » selon L’Express. L’euphémisation, le choix de mots affadis­sant la réal­ité, est tou­jours la règle en 2020.

La suc­cur­sale de la bien pen­sance, le New York Times insiste le jour de l’attentat sur… la mort de l’agresseur. Le titre ini­tial de l’article du jour­nal inti­t­ulé « la police française tire et tue un homme après une attaque fatale dans la rue », repris notam­ment par Hin­di­anews, est vite rem­placé par : « la police française tue un homme qui a décapité un pro­fesseur dans une rue ». Mal­gré la mod­i­fi­ca­tion du titre, l’islamiste est tou­jours la pre­mière vic­time que présente le jour­nal américain.

Le ser­vice pub­lic de l’information a égale­ment été assez pusil­lanime dans la cou­ver­ture immé­di­ate de l’attentat. « Pas d’huile sur le feu » et « pas d’amalgame » sont de sortie.

Un député de l’Essonne, Fran­cis Chouat, a écouté France info peu de temps après l’attentat. Sa réac­tion sur Twit­ter est sans appel :

« @franceinfo qui ose deman­der à une enseignante si elle estime que le pro­fesseur DÉCAPITÉ avait eu rai­son de par­ler car­i­ca­tures. La réponse est telle­ment évi­dente!!! #Con­flans­Sain­te­Honorine #ter­ror­isme #Islamisme ».

Claude Poster­nak con­state que

« 8 heures après les faits, @franceinter pre­mière radio publique de France n’a tou­jours pas annon­cé sur son fil Twit­ter la décap­i­ta­tion d’un enseignant par un ter­ror­iste islamiste ».

Un décapiteur « de Moscou »

L’origine de l’agresseur est rapi­de­ment révélée : il est orig­i­naire de Moscou, nous apprend BFMTV. On attend tou­jours vaine­ment plus d’informations sur l’importance de l’islamisme dans la com­mu­nauté tchétchène à laque­lle apparte­nait le ter­ror­iste, tout comme des expli­ca­tions sur le fait que les deman­des d’asile des tchétchènes sont de plus en plus fréquem­ment accep­tées par l’administration française. Venir se réfugi­er en France pour y agress­er des mécréants, voilà qui sem­ble de plus en plus fréquent ces derniers temps.

Mais on n’avait pas tout vu ni tout enten­du. Sur M6, la députée de la cir­con­scrip­tion par­le de « mau­vaise idée » et de « mal­adresse » de la part du pro­fesseur qui a don­né la per­mis­sion à des élèves musul­mans de sor­tir de la classe s’ils étaient choqués par l’évocation « du prophète  Mahomet ».

Alors, quand le prési­dent de la République affirme le soir de l’attentat devant une nuée de jour­nal­istes au sujet des islamistes, « ils ne passeront pas », per­son­ne n’est là pour lui répon­dre : ils sont déjà là. Et votre poli­tique et celle de vos prédécesseurs y sont pour beaucoup.