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Accueil | Veille médias | Afflux de clandestins à la frontière franco-espagnole : un problème de prise en charge pour les médias

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12 novembre 2018

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Afflux de clandestins à la frontière franco-espagnole : un problème de prise en charge pour les médias

Afflux de clandestins à la frontière franco-espagnole : un problème de prise en charge pour les médias

Temps de lecture : 7 minutes

Ces derniers temps, les médias parlent moins des bateaux des pseudo O.N.G. qui cherchent à débarquer en Europe des clandestins venus d’Afrique, dont nous vous parlions fin octobre 2018. Leur afflux ne tarit pourtant pas, bien au contraire. Il s’est seulement déporté. Alors que l’Italie a pris des mesures pour maitriser ses frontières, c’est par l’Espagne que de nombreux clandestins arrivent. Nous en avons fait une revue de presse.

La frontière franco-espagnole débordée

Arte nous informe le 11 sep­tem­bre qu’« en 2018, l’Espagne est dev­enue la prin­ci­pale porte d’entrée en Europe. Quelque 50 000 per­son­nes migrantes sont arrivées sur les côtes andalous­es depuis le début de l’année ». Le Monde du 2 novem­bre indique qu’« entre l’Espagne et la France, la nou­velle route migra­toire prend de l’ampleur ».

Les con­séquences de cet afflux sont tan­gi­bles dans le sud-ouest de la France, en par­ti­c­uli­er à Bay­onne. La ville accueille ain­si l’équivalent d’un Aquar­ius par jour : La République des Pyrénées du 24 octo­bre nous informe que « près de 100 migrants arrivent chaque jour d’Espagne ! ». Cet afflux de clan­des­tins est traité par de nom­breux médias sous l’angle humanitaire.

France Bleu indique que « les migrants en tran­sit (sont) accueil­lis à Bay­onne par l’as­so­ci­a­tion Diak­ité », pour « permet­tre à ces jeunes hommes, à ces jeunes femmes par­fois avec enfants de s’abrit­er, manger, récupér­er un peu avant de con­tin­uer la route vers le nord de l’Eu­rope ».

Europe 1 nous apprend que « Bay­onne (est) la nou­velle halte des migrants venus d’Es­pagne ». « Asso­ci­a­tions et élus locaux s’organisent pour les accueil­lir pen­dant quelques heures avant leur nou­veau départ ». Selon France Info, « les asso­ci­a­tions demandaient plus de moyens pour accueil­lir les migrants, elles ont été enten­dues ». Infor­ma­tion con­fir­mée par Infomi­grants : « face à l’afflux de migrants, le maire de Bay­onne ouvre un accueil d’urgence ».

Voir aussi

Aquar­ius, opéra­tion Tartuffe en Méditerranée

Le problème majeur des frontières : leur existence

Face à un tel phénomène, on pour­rait s’attendre à ce que des reportages nous présen­tent le prob­lème majeur que con­stitue une fron­tière qui n’est pas respec­tée. Pour­tant, le sujet qui revient en boucle dans de nom­breux arti­cles au sujet de la fron­tière fran­co-espag­nole n’est pas sa porosité mais…son exis­tence même. Il est vrai que la Cimade, une asso­ci­a­tion qui « accom­pa­gne les per­son­nes étrangères dans la défense de leurs droits » béné­fi­cie d’un large écho dans les médias : pour Le Parisien, on assiste à « de plus en plus de refus aux fron­tières français­es ». La Cimade assure que « la loi antiter­ror­iste est détournée par les autorités pour jus­ti­fi­er les refus ». Cour­ri­er Inter­na­tion­al reprend un arti­cle du jour­nal espag­nol El Pais : « La France pointée du doigt pour sa poli­tique de ren­voi des migrants à la fron­tière ». Même préoc­cu­pa­tion pour La Nou­velle République : « De plus en plus de migrants refoulés aux fron­tières en France ».

Le prob­lème que pose cet afflux de clan­des­tins serait donc pour plusieurs médias qui relaient les argu­ments de la Cimade, non que les forces de l’ordre ne parvi­en­nent pas à empêch­er les migrants de pass­er la fron­tière, mais au con­traire qu’elles n’en lais­sent pas pass­er assez.

Au-delà de l’afflux et de la « prise en charge », d’autres sujets évoqués plus discrètement

L’Express nous informe le 31 octo­bre que « de l’aveu même d’un offi­ciel, (à la fron­tière fran­co espag­nole NDLR) “ça passe et ça passe bien, même”. Si l’au­toroute est gardée qua­si­ment toute la journée, il reste un créneau de deux heures durant lequel elle ne l’est pas faute d’un effec­tif suff­isant. Chaque nuit, des taxis espag­nols en prof­i­tent et déposent des gens sur la place des Basques à Bay­onne ». La République des Pyrénées du 24 octo­bre reprend le témoignage d’un délégué d’un syn­di­cat de police en poste à Hen­daye, qui se dit « sub­mergé par le phénomène ! ».

La préoc­cu­pa­tion de la Cimade, relayée par de nom­breux médias, est que les clan­des­tins puis­sent venir en France pour y dépos­er une demande d’asile. Ils ont pour­tant tra­ver­sé l’Espagne, un pays sûr où ils auraient pu trou­ver refuge. On apprend au détour d’un arti­cle de L’Express que « tous n’ont qu’un objec­tif, rejoin­dre la France ». « Parce qu’il est plus dif­fi­cile de tra­vailler dans la pénin­sule ibérique, où le taux de chô­mage reste de 15 %. Parce qu’en­fin ceux qui envis­agent de deman­der l’asile ont intérêt à effectuer les démarch­es en France, où 40 575 pro­tec­tions ont été accordées en 2017, plutôt qu’en Espagne (4 700 statuts délivrés) ».

Tiens, l’Espagne qui selon de nom­breux jour­naux de gauche a « sauvé l’honneur de l’Europe » en accueil­lant les migrants de l’Aquarius ne serait pas exem­plaire en matière d’accueil des deman­deurs d’asile ? Il faut lire la presse espag­nole, notam­ment le quo­ti­di­en El Diario, pour com­pren­dre les raisons pour lesquelles les migrants préfèrent faire une demande d’asile en France. En Espagne, les délais de traite­ment sont longs, les crédits insuff­isants et les obsta­cles à l’accès à l’asile nom­breux, dénonce la Com­mis­sion espag­nole d’aide aux réfugiés au jour­nal espagnol.

Complaisance française

Autre rai­son pour deman­der l’asile en France selon Yves Thréard dans un édi­to­r­i­al du Figaro du 29 août, « notre com­plai­sance leur per­met de ten­ter leur chance pour dis­paraitre dans le labyrinthe des procé­dures d’examen des dossiers. Déboutés dans leur grande majorité, ils s’évaporent ensuite dans la nature ». Une infor­ma­tion cor­roborée par la Cour des comptes : 4 % des déboutés seraient effec­tive­ment recon­duits dans leurs pays. On com­mence à com­pren­dre l’enjeu de pou­voir pass­er la fron­tière française.

Voir aussi

La crise migra­toire devient « la crise de l’accueil des migrants » dans les médias, analyse séman­tique janvier/avril 2018

Alors qu’un large écho est don­né aux récrim­i­na­tions de la Cimade, aucun jour­nal n’évoque le fait que nom­bre de clan­des­tins inter­pel­lés à la fron­tière ou arrivant en France sont sou­vent orig­i­naires de pays sûrs. Ils ne sont donc pas éli­gi­bles à l’asile. Un Polici­er des fron­tières se con­fie le 22 octo­bre au Figaro : les per­son­nes que son équipe vient d’interpeller sont mali­ennes, guinéennes et maro­caines. « Les asso­ci­at­ifs côté espag­nol font miroi­ter aux migrants que la France va les accueil­lir. Ils leur don­nent 70 euros, et un bil­let de train (…) ». Le Monde du 2 novem­bre nous indique que « la France (…) appa­raît comme la des­ti­na­tion priv­ilégiée par ces nou­veaux arrivants orig­i­naires majori­taire­ment d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb ».

Le terme “clandestins” banni

Il ressort de l’échantillon des jour­naux men­tion­nés plusieurs traits com­muns ou divergents.

- La des­ti­na­tion finale qu’ont les clan­des­tins dif­fère forte­ment suiv­ant les médias : France Bleu indique que « les migrants en tran­sit (sont) accueil­lis (…) avant de con­tin­uer la route vers le nord de l’Eu­rope ». Pour Arte « ils espèrent générale­ment rejoin­dre l’Alle­magne, l’An­gleterre ou la France ». Selon L’Ex­press, « tous n’ont qu’un objec­tif, rejoin­dre la France ».

- Dans plusieurs des jour­naux men­tion­nés, ceux qui passent la fron­tière sont des « exilés », des « migrants en tran­sit », des « migrants » des « expa­triés », jamais des clandestins.

- Les arti­cles sur l’afflux de clan­des­tins à Bay­onne sont cen­trés sur leur néces­saire « accueil ».

- Le reg­istre lex­i­cal des arti­cles sur les arrivées mas­sives par la fron­tière fran­co-espag­nole et l’accueil de clan­des­tins est celui du « soin » : on par­le de « pren­dre en charge », d’ « héberg­er », de « met­tre à l’abri ». Jamais d’assurer l’intégrité du ter­ri­toire, une fonc­tion régali­enne de l’État.

Quelques rares arti­cles évo­quent d’autres aspects de cette immi­gra­tion illé­gale. On peut citer le Huff­post Maghreb qui traite le sujet de la migra­tion en cours vers l’Europe de cen­taines de mil­liers d’Africains via le Maroc. Le Midi Libre con­sacre un arti­cle au busi­ness cynique des passeurs. Un édi­to­ri­al­iste du Figaro développe l’appel d’air créé par des con­di­tions d’accueil et de prise en charge plus favor­ables en France que dans les autres pays, etc.

Au final, l’asymétrie que reflè­tent les arti­cles est frappante :

  • La majorité d’entre eux par­le essen­tielle­ment des droits, droit de venir en France pour y dépos­er une demande d’asile, y com­pris pour ceux venant de pays sûrs, droit d’être accueil­li, droit d’être hébergé, etc.
  • Les devoirs et règles con­traig­nantes sont sys­té­ma­tique­ment occultés : devoir de quit­ter le ter­ri­toire en cas de sit­u­a­tion illé­gale, devoir de faire les démarch­es admin­is­tra­tives préal­ables pour séjourn­er dans un pays étranger, etc.

En creux se des­sine dans de nom­breux médias l’image d’un pays accueil­lant et mater­nant pour les étrangers qui voudraient s’y installer. La prob­lé­ma­tique de leur accueil se réduisant à une ques­tion de prise en charge qu’il faudrait régler au plus vite. Une vision large­ment partagée dans les médias. Peut-être moins dans la population.