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Telegram, Apple, Google et la censure

30 septembre 2021

Temps de lecture : 6 minutes
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Telegram, Apple, Google et la censure

Temps de lecture : 6 minutes

Cet article est une traduction du dernier communiqué de Pavel Durov, le fondateur de la populaire application Telegram, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. Pavel Durov s’y explique sur le nécessaire ajustement de Telegram vis-à-vis des législations nationales (le cas de la Russie est développé ci-dessous), les contraintes des distributeurs d’applications et la politique de Telegram vis-à-vis de la censure. Les intertitres sont de notre rédaction.

La liberté d’expression et ses limites

Telegram garan­tit à ses util­isa­teurs plus de lib­erté d’ex­pres­sion que n’importe quelle autre appli­ca­tion mobile grand pub­lic. À l’in­verse de ses nom­breux con­cur­rents, Telegram ne peut pas être for­cé par des action­naires, des four­nisseurs ou des annon­ceurs à une cen­sure injustifiée.

Toute­fois, Telegram n’ex­iste pas isolé­ment et dépend d’autres entre­pris­es pour fonc­tion­ner : des ban­ques tout d’abord, et des édi­teurs et dis­trib­u­teurs logi­ciels Apple et Google. Ces derniers sont par­ti­c­ulière­ment impor­tants, car Telegram — comme toutes les appli­ca­tions mobiles — doit se con­former aux règles définies par Apple et Google afin de rester acces­si­ble dans leur cat­a­logue pour les util­isa­teurs sur iOS et Android.

Depuis cette année, Google et Apple ont com­mencé à exiger des appli­ca­tions comme Telegram qu’elles se con­for­ment à la lég­is­la­tion des pays où elles sont dis­tribuées. Dans la mesure où cer­taines lois nationales sont incom­pat­i­bles avec le respect de droits de l’homme (comme par exem­ple ce qui touche à la sur­veil­lance de masse), nous n’avons jamais subi de pres­sions de la part de Apple et Google parce qu’ils les ignorent eux-mêmes. Cer­taines autres lois, toute­fois, prin­ci­pale­ment liées au con­tenu acces­si­ble au pub­lic, sont con­sid­érées comme légitimes par Apple et Google : nous devons donc emboîter le pas à chaque fois qu’ils les appliquent dans leurs écosystèmes.

Respect des lois locales, l’exemple russe

Nous en avons eu un exem­ple la semaine dernière, lorsque Apple et Google ont inter­dit une appli­ca­tion de vote sur le ter­ri­toire de la Fédéra­tion de Russie. L’ap­pli­ca­tion en ques­tion pro­po­sait des con­seils de vote, inci­tant la plu­part de ses util­isa­teurs à vot­er pour le Par­ti com­mu­niste lors des élec­tions par­lemen­taires russ­es le week-end dernier. Cette appli­ca­tion de vote était égale­ment présente sur Telegram en tant que « bot », et mal­gré des mil­liers de rap­ports et de deman­des de sup­pres­sion, nous l’avions lais­sée disponible. Dès le début des élec­tions, cepen­dant, Google et Apple ont sup­primé l’ap­pli­ca­tion de leurs cat­a­logues, expli­quant qu’elle enfreignait les lois locales inter­dis­ant toute ingérence dans les élec­tions — et qu’il incom­bait aux développeurs de respecter ces lois. Dans les 24 heures, Telegram a été con­traint de suiv­re les poli­tiques des plate­formes et de sus­pendre tem­po­raire­ment le bot.

Cer­taines per­son­nes nous ont demandé si nous auri­ons pu éviter cela. Ils atten­dent à juste titre que nous refu­sions toute demande de cen­sure. Comme le savent ceux qui con­nais­sent notre his­toire, Telegram est la pre­mière appli­ca­tion à résis­ter et, si néces­saire, à se bat­tre avec un gou­verne­ment. Nous l’avons fait à plusieurs repris­es dans de nom­breux pays autori­taires, de Hong Kong à la Biélorussie. Nous avons résisté avec suc­cès aux ten­ta­tives de blocage de notre ser­vice pen­dant des années. Mais le week-end dernier n’é­tait pas le bon moment pour déclencher une guerre – pour deux raisons.

Un équilibre instable

Pre­mière­ment, sans le sou­tien d’Ap­ple et Google, tout com­bat avec un régu­la­teur local est per­du d’a­vance. Une fois qu’Ap­ple et Google sup­pri­ment Telegram de leur cat­a­logue d’ap­pli­ca­tions en rai­son du non-respect de lois nationales (ce qu’ils men­a­cent main­tenant de faire dans de tels cas), Telegram perd la pos­si­bil­ité de con­tourn­er les inter­dic­tions locales, car les util­isa­teurs du pays con­cerné ne peu­vent plus installer l’ap­pli­ca­tion ou l’une de ses mis­es à jour. Notre site Web qui héberge Telegram Web et l’ap­pli­ca­tion Telegram autonome pour Android serait blo­qué par les télé­com­mu­ni­ca­tions locales en quelques min­utes. Même les util­isa­teurs exis­tants perdraient l’ac­cès à Telegram une fois qu’Ap­ple et Google dés­ac­tiveraient les noti­fi­ca­tions pour l’ap­pli­ca­tion (qui sont util­isées non seule­ment pour envoy­er des mes­sages aux util­isa­teurs, mais égale­ment pour dis­tribuer des adress­es IP non blo­quées et éviter la censure).

Deuxième­ment, cette demande par­ti­c­ulière des autorités russ­es n’é­tait man­i­feste­ment pas incon­sti­tu­tion­nelle, car elles se référaient à une loi qui encadre la cam­pagne dès l’ouverture d’un scrutin. De telles lois exis­tent dans de nom­breux pays et leur homo­logue russe a été intro­duite il y a longtemps. Si nous avions reçu une demande sim­i­laire de n’im­porte quel pays européen, nous y auri­ons répon­du favor­able­ment. Au con­traire, si la Russie ou tout autre pays avait exigé quelque chose qui con­stitue une vio­la­tion fla­grante des droits de l’homme, nous préfére­ri­ons faire face à une inter­dic­tion pure et sim­ple de Telegram dans ce pays plutôt que de com­pro­met­tre nos valeurs.

Voir aus­si : Qui veut pouss­er Apple à sup­primer Telegram ?

Deux exemples inverses

Cela s’est déjà pro­duit. Lorsque le gou­verne­ment iranien a ten­té de faire pres­sion sur Telegram pour qu’il fasse taire toutes les voix dis­si­dentes, nous les avons ignorés et avons été blo­qués en Iran, prêts à per­dre 40 mil­lions d’u­til­isa­teurs. De même, nous avons choisi d’être blo­qués en Russie en 2018 plutôt que de céder à des deman­des incon­sti­tu­tion­nelles de sur­veil­lance de masse.

Cepen­dant, cette fois, la sit­u­a­tion était com­plète­ment dif­férente. Une demande de sus­pen­sion tem­po­raire d’un bot de cam­pagne alors qu’une élec­tion est déjà en cours est très éloigné d’une demande de sur­veil­lance de masse ou de cen­sure de masse.

50 mil­lions de Russ­es dépen­dent de Telegram pour la con­fi­den­tial­ité et la lib­erté d’ex­pres­sion, et plus d’un demi-mil­liard d’autres util­isa­teurs de Telegram dépen­dent de mis­es à jour cri­tiques qui sont générale­ment mis­es en attente dans le monde entier par les mag­a­sins d’ap­pli­ca­tions en cas de non-con­for­mité avec une lég­is­la­tion locale. Faire blo­quer Telegram pour que tous les Russ­es don­nent à un par­ti poli­tique deux jours sup­plé­men­taires pour faire cam­pagne après le début des élec­tions, c’est comme sac­ri­fi­er la reine pour un pion aux échecs sans moyen clair de gag­n­er. Pour moi, les intérêts de cen­taines de mil­lions d’u­til­isa­teurs de Telegram seront tou­jours incom­pa­ra­ble­ment plus impor­tants que ceux de n’im­porte quelle force poli­tique. Notre principe est de tou­jours don­ner la pri­or­ité à nos utilisateurs.

Source en anglais : telegra.ph

Commentaires

1. La poli­tique générale de Telegram pour­rait utile­ment inspir­er Twit­ter et Face­book, la lib­erté d’expression et d’opinion y gagnerait.

2. Pavel Durov par­le de « sur­veil­lance de masse ». Pourquoi ne pas par­ler de sur­veil­lance tout court ? Cela laisse sous-enten­dre que Telegram a autorisé ou autorise ou autoris­era la « sur­veil­lance ciblée » de cer­tains groupes ou indi­vidus pour raisons poli­tiques ou religieuses.

3. Il évoque égale­ment la néces­sité pour Telegram de se con­former aux lois des dif­férents pays. En dévelop­pant un peu, à par­tir du moment où — par exem­ple — toute cri­tique de l’im­mi­gra­tion serait crim­i­nal­isée en France ou en Europe — quelle serait la poli­tique de Telegram ?

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