Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Syrie : premier bilan de la guerre médiatique

14 octobre 2013

Temps de lecture : 8 minutes
Accueil | Dossiers | Syrie : premier bilan de la guerre médiatique

Syrie : premier bilan de la guerre médiatique

14 octobre 2013

Temps de lecture : 8 minutes

Vous allez lire un article gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien. Claude Chollet

Du bellicisme au doute, les grands médias européens, Italie en tête, ont opéré un virage dans la couverture de la guerre en Syrie. Assad est-il en train de gagner la bataille médiatique ?

Crédit pho­to : james_gordon_losangeles via Flickr (cc)

Le 1er sep­tem­bre dernier, le min­istre de l’Information du gou­verne­ment syrien, Omran al Zohbi, rece­vait la délé­ga­tion ita­lo-syri­enne du « Fronte Europeo per la Siria » à Damas et leur tenait ces pro­pos : « Ce qui est mené con­tre la Syrie c’est aus­si, et peut-être surtout, une guerre médi­a­tique. Notre sys­tème d’information subit une attaque sans précé­dent, on nous a notam­ment inter­dit la trans­mis­sion d’im­ages et d’in­for­ma­tions à tra­vers des satel­lites comme Arab Sa; on ne peut plus désor­mais dif­fuser au reste du monde une vision des choses et de la sit­u­a­tion dif­férente de celle imposée par nos enne­mis. Sans compter des mil­lions de dol­lars de dégâts dans nos infra­struc­tures d’in­for­ma­tion et l’assassinat d’un grand nom­bre de nos jour­nal­istes… » Des paroles graves qui décrivaient bien alors l’état de siège et d’isole­ment vécu par les insti­tu­tions du régime de Bachar El Assad. Même si le « non » du Par­lement anglais sem­blait éloign­er une éventuelle inter­ven­tion améri­caine, les images de l’attaque chim­ique pré­sumée de Ghou­ta du 21 août rem­plis­saient encore les pages des jour­naux et les écrans des prin­ci­paux médias occidentaux.

« Il y a des sta­tions qui jouent un rôle déter­mi­nant dans la crise syri­enne – expli­quait notam­ment al Zohbi — comme Al-Jazeera, Al-Arabya, les chaînes musul­manes fon­da­men­tal­istes et cer­taines sta­tions en Turquie, ain­si bien sûr que les prin­ci­paux réseaux occi­den­taux. Tout ce matraquage con­tribue à fournir une image dis­tor­due de la Syrie, dia­bolisée et éloignée de la réal­ité, qui cache ou min­imise, par exem­ple, la présence de ter­ror­istes d’Al Quae­da et du Front Al Nus­ra par­mi les soit dis­ant rebelles. De la même façon, ces canaux de pro­pa­gande ne par­lent pas des mas­sacres et des égorge­ments mas­sifs per­pétrés sans dis­tinc­tion par ces dits “rebelles” ».

Doutes croissants…

Dégâts à l'entrée d'une école militaire syrienne assiégée par les "rebelles" au nord d'Alep. Photo prise le 16 décembre 2012. Source : syriafreedom via Flickr (cc)

Dégâts à l’en­trée d’une école mil­i­taire syri­enne assiégée par les “rebelles” au nord d’Alep. Pho­to prise le 16 décem­bre 2012. Source : syr­i­afree­dom via Flickr (cc)

Avec un mois de dis­tance et de recul, ces phras­es, qui pou­vaient sem­bler alors être des paroles de pro­pa­gande tenus par le min­istre d’une dic­tature acculée, sem­blent être validées par l’analyse et l’évo­lu­tion de la sit­u­a­tion. De la même façon que les sce­narii diplo­ma­tiques et géopoli­tiques ont changé, avec l’hypothèse d’une guerre qui s’éloigne de plus en plus, l’information (surtout occi­den­tale) sem­ble elle aus­si aujour­d’hui fournir un tableau dif­férent du dis­cours manichéen pro­duit jusque là. Cette évo­lu­tion est essen­tielle­ment due aux doutes crois­sants sur l’usage d’armes chim­iques par le régime et au rôle de plus en plus évi­dent joué par des for­ma­tions fon­da­men­tal­istes islamistes au sein de l’op­po­si­tion à Bachar El Assad. Ain­si, on entend désor­mais de plus en plus de voix du « monde des médias » tenir des pro­pos assez proches de ceux du min­istre al Zohbi.

Une évo­lu­tion presque inespérée, quand on repense que lors des chaudes journées de fin août, alors que les « raids ciblés » sem­blaient immi­nents, les seuls jour­nal­istes directe­ment en con­tact avec les autorités syri­ennes en mesure de fournir une infor­ma­tion alter­na­tive à l’in­ter­na­tionale, hormis les médias éta­tiques syriens comme Sana Tv ou Al Ikhbariyah, étaient les russ­es, bien isolés pour ten­ter de faire enten­dre une voix dis­si­dente dans le con­cert inter­na­tion­al anti-Assad. Un tra­vail cepen­dant non nég­lige­able, l’interview au prési­dent syrien réal­isée par Izvesti­ja et les émis­sions de Rus­sia Today, seule chaîne « all news » en mesure de défi­er les grands émet­teurs occi­den­taux, avait per­mis de main­tenir un faible mais réel con­tre­poids médi­a­tique au défer­lement bel­li­ciste occidental.

La contre-attaque médiatique de Bachar

À par­tir du mois de sep­tem­bre, c’est Bachar El Assad lui-même qui sem­ble avoir changé de stratégie de com­mu­ni­ca­tion. Con­scient du fait qu’une grande par­tie de l’information en Europe et aux États-Unis était pro­duite sans la présence d’envoyés spé­ci­aux en Syrie ou, dans le « meilleur » des cas, avec des jour­nal­istes engagé du côté des rebelles (il suf­fit de penser qu’une agence comme France Presse dans les jours les plus cri­tiques de la crise syri­enne se fiait unique­ment aux infor­ma­tions provenant du siège rebelle de Nicosia et à deux envoyés spé­ci­aux à Alep, n’ayant, comme la majorité des médias, aucun homme à Damas), le prési­dent de la République Arabe de Syrie a com­mencé à accorder de grandes inter­views dans des médias occi­den­taux et a décidé de laiss­er aux jour­nal­istes étrangers une plus grande lib­erté de mou­ve­ment dans les ter­ri­toires con­trôlés par le régime.

Du Figaro, à CBS et Fox News en pas­sant par Rai News 24, Assad a alors con­duit une véri­ta­ble « con­tre-attaque » médi­a­tique, menée en même temps que l’action diplomatique.

Après les hési­ta­tions des alliés his­toriques des Améri­cains face à une inter­ven­tion armée et l’isolement de plus en plus grand de Barack Oba­ma et François Hol­lande, l’interposition russe après le G20 de Saint-Péters­bourg et la solu­tion diplo­ma­tique de la livrai­son des armes chim­iques de la part du régime, l’attaque sem­ble désor­mais évitée et le prési­dent Assad tire ain­si les béné­fices d’une atti­tude plus ouverte au dialogue.

Le régime de Bachar El Assad a également bénéficié du large effondrement de l'image des « rebelles ». Crédit : arsskeptica (cc)

Le régime de Bachar El Assad a égale­ment béné­fi­cié du large effon­drement de l’im­age des « rebelles ». Crédit : arsskep­ti­ca (cc)

Par­al­lèle­ment, le régime de Bachar El Assad a égale­ment béné­fi­cié du large effon­drement de l’im­age des « rebelles ». Avec des vidéos comme celle de l’exécution som­maire de plusieurs sol­dats de l’armée syri­enne, dif­fusée par le New York Times et relayée par des titres ital­iens pour­tant alignés depuis tou­jours sur des posi­tions phi­lo-atlantistes comme le Cor­riere del­la Sera, ou avec des actions comme l’enlèvement du jour­nal­iste ital­ien Domeni­co Quiri­co et de son col­lègue belge Pierre Pic­cinin, l’im­age de « com­bat­tants démoc­ra­tiques » qu’on cher­chait à leur don­ner jusque là a été large­ment tail­lée en brèche.

« Les groupes radicaux islamistes veulent créer un califat »

Le drame vécu pen­dant 5 mois de déten­tion par l’Italien et le Belge est d’ailleurs exem­plaire. L’expérience « sur le ter­rain » peut en effet net­te­ment faire évoluer la vision des choses idéologique­ment prédéfinie, les deux jour­nal­istes ayant été orig­inelle­ment envoyés par des titres ayant une ligne édi­to­ri­ale « anti-Assad » et interventionniste.

« Ça me coûte parce que, depuis des mois, je suis l’armée libre syri­enne dans sa lutte pour la démoc­ra­tie, mais dans une con­ver­sa­tion entre les rebelles, on a claire­ment enten­du que ce n’est pas Assad qui a util­isé des armes chim­iques » : telles ont été les pre­mières paroles de Pic­cinin après sa libération.

Certes, le Belge a ensuite été démen­ti par son cama­rade de déten­tion, Quiri­co, envoyé spé­cial de La Stam­pa, quo­ti­di­en aligné sur des posi­tions pro rebelles depuis la pre­mière heure, mais celui-ci n’a néan­moins pas pu s’empêcher de recon­naître que « la révo­lu­tion laïque des débuts est dev­enue quelque chose d’autre. Les groupes rad­i­caux islamistes veu­lent créer un cal­i­fat et l’étendre à tout le Moyen Ori­ent et à l’Afrique du Nord et je suis sur­pris de voir que les États-Unis envis­agent d’intervenir pour aider ces groupes ».

Les principaux quotidiens conservateurs italiens contre l’intervention

Paroles fortes que celles de Quiri­co, qui, dans un pays comme l’Italie, ont eu un puis­sant écho et qui se sont ajoutées à une sit­u­a­tion déjà par elle-même inédite sur le plan de l’information, avec les deux prin­ci­paux quo­ti­di­ens du champ con­ser­va­teur que sont Libero et Il Gior­nale (ce dernier étant la pro­priété de Berlus­coni), prenant claire­ment posi­tion con­tre une pos­si­ble inter­ven­tion mil­i­taire. Et ce sont bien les envoyés du quo­ti­di­en de la famille Berlus­coni qui ont été des plus act­ifs dans la rela­tion des attaques subies par les com­mu­nautés chré­ti­ennes de Syrie de la part des rebelles, et notam­ment du « mas­sacre de Maaloula » du 20 sep­tem­bre dernier, véri­ta­ble « net­toy­age eth­nique » opéré par les ter­ror­istes jihadistes. Une con­di­tion trag­ique que celle des chré­tiens en Syrie, qui aura con­tribué prob­a­ble­ment à la forte prise de posi­tion du Pape, illus­trée par de nom­breux appels con­tre la guerre et des journées de jeun et de prière.

Dans son ensem­ble la crise syri­enne représente sans doute un tableau à la lec­ture com­plexe sous l’an­gle poli­tique et diplo­ma­tique mais égale­ment médi­a­tique. Il sem­ble pour­tant indé­ni­able que, mal­gré le déséquili­bre des forces en présence, le gou­verne­ment de Bachar Assad a, ces deux derniers mois, rem­porté d’im­por­tantes batailles sur le théâtre des com­bats de l’information.

Voir aussi

Cet article GRATUIT vous a plu ?

Il a pourtant un coût : 50 € en moyenne. Il faut compter 100 € pour un portrait, 400 € pour une infographie, 600 € pour une vidéo. Nous dépendons de nos lecteurs, soutenez-nous !

Vidéos à la une

Derniers portraits ajoutés