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Accueil | Veille médias | Retour sur l’attentat à la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice : revue de presse

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13 avril 2021

Temps de lecture : 11 minutes
Accueil | Veille médias | Retour sur l’attentat à la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice : revue de presse

Retour sur l’attentat à la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice : revue de presse

Temps de lecture : 11 minutes

Le 29 octobre 2020, un Tunisien en situation irrégulière tuait au couteau trois fidèles dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice. Quelques mois après les faits, la lecture des articles que les médias ont consacré à ce sujet permet de mieux comprendre l’enchainement des événements. Elle permet également de constater que le continent européen est toujours aussi vulnérable face à la menace terroriste et à l’immigration clandestine.

En sep­tem­bre 2015, la radio d’État France Inter évo­quait le « fan­tasme de l’infiltration ter­ror­iste » par­mi les migrants arrivant clan­des­tine­ment sur les côtes européennes. Peu après, le 13 novem­bre 2015, la cap­i­tale française était frap­pée par une série d’attentats par­ti­c­ulière­ment meur­tri­ers au Bat­a­clan, au stade de France et dans plusieurs rues de Paris. L’enquête qui a été menée à leur suite a per­mis d’identifier deux des ter­ror­istes faisant par­tie de l’équipe qui a ensanglan­té Paris. C’est ain­si que l’on appre­nait notam­ment par Le Figaro que ces com­pars­es de Salah Adel­slam étaient entrés en Europe avec le flot de migrants par l’ile grecque de Les­bos, à 35 kilo­mètres de la Turquie. Le 29 octo­bre 2020, c’est une nou­velle fois par­mi des migrants qu’un ter­ror­iste a gag­né l’Italie puis la France pour assas­sin­er trois per­son­nes dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice. La lec­ture de plusieurs médias et le réc­it rétro­spec­tif de l’itinéraire du ter­ror­iste per­me­t­tent de con­stater que les fron­tières du con­ti­nent européen sont loin d’être respec­tées, et peut-être encore moins main­tenant qu’en octo­bre 2020.

Quelques éléments de contexte

Le 2 sep­tem­bre 2020, l’hebdomadaire satirique Char­lie heb­do pub­li­ait un numéro spé­cial con­sacré au procès des auteurs des atten­tats du mois de jan­vi­er 2015, qui ont notam­ment décimé sa rédac­tion. Comme pour illus­tr­er le fait que la sanglante intim­i­da­tion n’avait pas de prise sur ses jour­nal­istes, le jour­nal repre­nait en cou­ver­ture une car­i­ca­ture du prophète Mohamet s’affligeant du fait que « c’est dur d’être aimé par des cons ».

Cette cou­ver­ture venait en écho à la pub­li­ca­tion en 2006 par Char­lie Heb­do des car­i­ca­tures de Mahomet, parues ini­tiale­ment dans le jour­nal danois Jyl­lands Posten. Celles-ci avaient déjà à l’époque de leur paru­tion sus­cité une vague de protes­ta­tions par­fois vio­lentes par­mi des islamistes dans le monde musulman.

Les réac­tions à cette nou­velle représen­ta­tion du prophète Mahomet ne se sont pas faites atten­dre, sou­vent bien au-delà des fron­tières du pays. Par­mi celles-ci, comme nous l’apprenait L’Internaute, le porte-parole du min­istère des affaires étrangères du Pak­istan con­damnait fer­me­ment le jour­nal français Char­lie Heb­do.

Le 25 sep­tem­bre 2020, comme nous l’apprend notam­ment Le Monde, un jeune Pak­istanais, pris en charge à son arrivée en France par l’Aide Sociale à l’Enfance, attaquait sauvage­ment au hachoir deux per­son­nes se trou­vant près des anciens locaux de Char­lie Heb­do. Le débat sur l’accueil incon­di­tion­nel des jeunes extra-Européens se pré­ten­dant mineurs était relancé, pour être ensuite vite oublié.

Quelques jours plus tard, le 16 octo­bre, un jeune Tchétchène décap­i­tait un enseignant de col­lège à Con­flans Sainte Hon­orine nom­mé Samuel Paty, un geste qui plongeait de nou­veau les Français dans l’effroi. Le lien direct entre un cours pen­dant lequel l’enseignant avait présen­té une car­i­ca­ture du prophète Mahomet et son assas­si­nat est apparu rapi­de­ment comme l’évidente expli­ca­tion de cette nou­velle man­i­fes­ta­tion de l’intolérance islamiste.

Le prési­dent de la République française, Emmanuel Macron, a pris la mesure de l’émoi sus­cité par ce nou­v­el atten­tat et de sa forte charge sym­bol­ique : un pro­fesseur décapité à la sor­tie d’un col­lège en rai­son de l’un de ses enseigne­ments cen­sé pro­mou­voir la tolérance. Mais cer­tains pro­pos tenus par le prési­dent français lors de la céré­monie d’hommage au pro­fesseur à la Sor­bonne sur la lib­erté d’expression et le droit à la car­i­ca­ture en France ont sus­cité par­mi de nom­breux islamistes à tra­vers le monde de nou­velles man­i­fes­ta­tions d’indignation. L’agence de presse Reuters nous infor­mait que des men­aces sans ambiguïtés étaient proférées, notam­ment à Gaza : « Avec nos âmes et notre sang, nous rachèterons le Prophète ».

C’est dans ce con­texte par­ti­c­ulière­ment chargé que le 29 octo­bre, un Tunisien en sit­u­a­tion irrégulière tuait au couteau trois fidèles dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice.

Le procès de l’auteur pré­sumé de cet atten­tat n’a pas encore eu lieu. Il per­me­t­tra d’en cern­er les moti­va­tions pré­cis­es, que tout le monde pressent. Mais au-delà de cet épisode judi­ci­aire, retrac­er à l’aide de plusieurs arti­cles con­sacrés à ce sujet l’itinéraire du clan­des­tin de Tunisie jusqu’à Nice per­met de met­tre en lumière les nom­breuses carences des autorités tant ital­i­ennes que français­es dans la lutte con­tre l’immigration clan­des­tine et le ter­ror­isme, des carences qui sont plus présentes que jamais.

Une traversée sans encombre

L’auteur pré­sumé de l’attentat dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice est un jeune Tunisien orig­i­naire de la ville por­tu­aire de Sfax. Il aurait selon un arti­cle assez fouil­lé de Libéra­tion prof­ité d’un départ groupé de petites embar­ca­tions des côtes tunisi­ennes pour gag­n­er l’ile ital­i­enne de Lampe­dusa, qui n’est par la mer qu’à 187 km de la Tunisie.

Après une légère accalmie au plus fort de la crise san­i­taire en mars 2020, les arrivées de clan­des­tins en Ital­ie ont forte­ment aug­men­té en 2020 : + 148 % au cours des 9 pre­miers mois par rap­port à 2019. Et cette ten­dance ne fait que se ren­forcer en ce début d’année 2021. Les Tunisiens fig­urent par­mi les nation­al­ités ayant le plus con­tribué à cette hausse. Dans la péri­ode, le nom­bre de ressor­tis­sants tunisiens arrivant sur les côtes ital­i­ennes a selon le jour­nal économique Les Echos en effet été mul­ti­plié par qua­tre par rap­port à 2019.

Comme nous l’apprend notam­ment Cour­ri­er Inter­na­tion­al, des moyens financiers ont bien été don­nés au gou­verne­ment tunisien, en par­ti­c­uli­er par l’Italie, pour empêch­er les départs de bateaux clan­des­tins. Mais même si à la mi-sep­tem­bre 2020, le min­istère de l’intérieur tunisien pou­vait selon Arab­news annon­cer l’interception depuis le début de l’année de 8 500 per­son­nes en mer, pour un clan­des­tin inter­cep­té et ramené en Tunisie, com­bi­en arrivent à gag­n­er l’Europe sans être inquiétés ?

À Lampedusa, billet simple pour l’Italie

Brahim A. n’a, par chance pour lui, et par malchance pour ses vic­times, été inter­cep­té ni par les garde-côtes tunisiens, ni par Fron­tex. Il serait arrivé le 20 sep­tem­bre sur l’ile ital­i­enne de Lampe­dusa au milieu d’embarcations en prove­nance de Tunisie. Lampe­dusa n’est, comme nous l’apprend Infomi­grants, qu’une étape vers l’Europe pour les clan­des­tins, qui sont rapi­de­ment trans­férés en Sicile ou en Ital­ie continentale.

Dans le cas présent, le Tunisien a, comme beau­coup d’autres clan­des­tins, été con­duit par les autorités ital­i­ennes en bateau vers les côtes ital­i­ennes. Par une trag­ique ironie, le navire qui a achem­iné le ter­ror­iste de l’ile de Lampe­dusa à l’Italie con­ti­nen­tale est sor­ti selon notam­ment le site Riposte Laïque des chantiers navals français sous le nom de Napoléon Bona­parte.

À Bari, libre comme l’air

Le 8 octo­bre, Brahim A. aurait, après une péri­ode de quar­an­taine, été débar­qué en Ital­ie con­ti­nen­tale. Bien que le clan­des­tin ait été testé posi­tif au coro­n­avirus lors de son arresta­tion en France, cette oblig­a­tion de quar­an­taine dans des bateaux imposée aux clan­des­tins qui arrivent en Ital­ie fait l’objet de nom­breuses cri­tiques de la part d’ONG, notam­ment celle d’être une atteinte à leur dig­nité, nous apprend Infomi­grants, très en pointe sur le sujet.

Bien que Brahim A se soit vu noti­fi­er par la pré­fec­ture locale une oblig­a­tion de quit­ter le ter­ri­toire ital­ien sous 7 jours, il n’a pas été incar­céré en vue de son éloigne­ment. Les cen­tres de rap­a­triement en Ital­ie ont non seule­ment des capac­ités très lim­itées. Les pos­si­bil­ités de réten­tion des étrangers en sit­u­a­tion irrégulière sont en Ital­ie comme en France étroite­ment encadrées par le droit applic­a­ble en la matière.

Le gou­verne­ment ital­ien a certes con­clu une con­ven­tion en 2011 avec le gou­verne­ment tunisien visant à faciliter l’organisation du retour for­cé des Tunisiens en sit­u­a­tion irrégulière présents sur son ter­ri­toire. Mais le jour­nal Jeune Afrique nous apprend que le nom­bre de ces éloigne­ments — 25 000 en dix ans — est infime au regard du nom­bre des arrivées. La pandémie de coro­n­avirus a grip­pé ces retours for­cés, qui ne seraient organ­isés désor­mais que pour les délin­quants iden­ti­fiés. C’est ain­si que près de 85 % des Tunisiens clan­des­tins qui arrivent en Ital­ie rece­vant une oblig­a­tion de quit­ter ce pays ne seraient pas rapatriés.

Une par­tie d’entre eux (5%) choi­sis­sent de dépos­er une demande d’asile en Ital­ie, bien que la Tunisie soit con­sid­érée comme un pays sûr par les autorités ital­i­ennes, ce qui est tout à fait autorisé par le droit applic­a­ble en la matière, selon Le Figaro. Mais les Tunisiens arrivés clan­des­tine­ment en Ital­ie con­tin­u­ent sou­vent leur itinéraire vers l’Allemagne et surtout vers la France, en rai­son de l’importance de la dias­po­ra tunisi­enne dans notre pays. C’est le choix qu’a fait Brahim A, pour des raisons bien dif­férentes de celles de ses compatriotes.

Des contrôles à la frontière corsetés

À la fron­tière fran­co-ital­i­enne, les douaniers, quand ils sont présents lors des fran­chisse­ments, doivent égale­ment com­pos­er entre leurs mis­sions et le respect du principe du non refoule­ment, sous l’œil vig­i­lant des asso­ci­a­tions pro-migrants. Au Col de Mont­genèvre, pour ne citer qu’un exem­ple, les clan­des­tins seraient selon Le Monde dans un arti­cle du 28 mars 2021 une dizaine par jour à franchir la fron­tière en toute illé­gal­ité. Ici comme en Ital­ie, les asso­ci­a­tions no bor­der veil­lent au grain et con­tes­tent fer­me­ment de nom­breux refoule­ments des clan­des­tins vers l’Italie, nous apprend Lun­di AM.

Le séjour irrégulier en France n’est plus une infraction

Une fois arrivé en France, l’étranger en sit­u­a­tion irrégulière a peu à crain­dre : le séjour irréguli­er n’est con­for­mé­ment au droit com­mu­nau­taire plus un délit depuis 2012, nous appren­nent les Surligneurs. S’il venait à être arrêté en vue de son éloigne­ment, ce qui n’a pas été le cas pour Brahim A., c’est un véri­ta­ble par­cours du com­bat­tant qui com­mence pour les autorités pour men­er à bien cette tâche ardue.

Pre­mière dif­fi­culté, les cen­tres de réten­tion admin­is­tra­tive ont été en grande par­tie vidés pour éviter la prop­a­ga­tion de la con­t­a­m­i­na­tion au coro­n­avirus dans ces lieux clos, comme nous l’apprenait Dal­loz Actu­al­ités dès le début de la crise sanitaire.

Deux­ième dif­fi­culté, l’étranger sous le coup d’une oblig­a­tion de quit­ter le ter­ri­toire peut, avec l’aide d’association pro-migrants qui lui sont présen­tées par les autorités, engager un recours con­tre cette déci­sion à la fois devant le tri­bunal admin­is­tratif et le tri­bunal judi­ci­aire. Ces démarch­es aboutis­sent fréquem­ment à l’annulation de la déci­sion d’éloignement ou à l’enlisement de la procé­dure. Des arti­cles très fouil­lées ont été con­sacrés à ce sujet notam­ment par Char­lotte d’Ornellas dans Valeurs actuelles et sur le site de Polémia.

Troisième dif­fi­culté, et non des moin­dres, le pays d’origine du clan­des­tin doit per­me­t­tre son rap­a­triement en délivrant un laiss­er pass­er con­sulaire. Mais depuis le début de la pandémie de coro­n­avirus, les pays d’origine des migrants ne délivrent, de façon encore plus pronon­cée qu’à l’accoutumée, ces pré­cieux sésames qu’au compte-goutte. Selon les derniers chiffres com­mu­niqués et présen­tés dans un rap­port de l’Assemblée nationale, la Tunisie ne répondait pos­i­tive­ment en 2017 qu’à 40% des deman­des de délivrance de laiss­er pass­er con­sulaires. Cette sit­u­a­tion déjà insat­is­faisante n’a fait qu’empirer avec la crise sanitaire.

Le min­istre de l’intérieur, Gérald Dar­manin, a, après le triple meurtre à Nice fin octo­bre, bien essayé de con­va­in­cre les autorités tunisi­ennes de faciliter le rap­a­triement de ses ressor­tis­sants en sit­u­a­tion irrégulière. L’homologue tunisien de Gérald Dar­manin aurait selon Jeune Afrique poli­ment bot­té en touche cette demande.

Dans un tel con­texte où les obsta­cles au respect du principe de régu­lar­ité du séjour se mul­ti­plient, rien d’étonnant qu’aux dernières nou­velles, sur les trois pre­miers mois de l’année 2021, le nom­bre de clan­des­tins recen­sés arrivés clan­des­tine­ment par la mer méditer­ranée en Ital­ie a selon le por­tail de l’UN HCR plus que dou­blé par rap­port à 2020 pour attein­dre 8 300. Par­mi ceux-ci, les Tunisiens sont la nation­al­ité la plus représen­tée d’après le jour­nal Tunisien La Presse.

Brahim A. a ter­miné son itinéraire à la basilique Notre Dame de l’Assomption, où il a com­mis un triple meurtre encore dans toutes les mémoires. Le procès con­firmera fort prob­a­ble­ment qu’il s’agit une nou­velle fois d’une man­i­fes­ta­tion de l’intolérance islamiste. Peu après les évène­ments, la mère du meur­tri­er pré­sumé était inter­rogée par des jour­nal­istes occi­den­taux. Der­rière la mère éplorée, on pou­vait apercevoir en arrière-plan quelqu’un faisant de façon énig­ma­tique le V de la vic­toire. Cha­cun y don­nera son interprétation…