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Accueil | Veille médias | Nicolas Dupont-Aignan et les médias : je t’aime moi non plus

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29 mars 2019

Temps de lecture : 8 minutes
Accueil | Veille médias | Nicolas Dupont-Aignan et les médias : je t’aime moi non plus

Nicolas Dupont-Aignan et les médias : je t’aime moi non plus

Temps de lecture : 8 minutes

Les hommes politiques entretiennent parfois des relations tumultueuses avec les journalistes. Les altercations verbales de Jean-Luc Mélenchon et les réparties de Marine Le Pen sont encore dans les mémoires. Depuis quelques temps, Nicolas Dupont-Aignan fait parler de lui lors de certains de ses passages télévisés. Nous revenons sur différents échanges mouvementés avec des journalistes et ce qu’ils révèlent.

Le grand journal de Canal+ : à la rencontre des « éditorialistes de bazar »

Le 13 avril 2012, le can­di­dat à l’Elysée du mou­ve­ment qui s’appelait alors Debout la République est l’invité du « Grand jour­nal » de Canal+. Face à Michel Denisot, Jean-Michel Apathie et Ari­ane Massenet, Nico­las Dupont-Aig­nan (NDA) fustige les « édi­to­ri­al­istes de bazar ». Il ajoute « on va s’en débar­rass­er un jour ». Mal­gré les réac­tions indignées des ani­ma­teurs, il con­tin­ue à cri­ti­quer ce « petit milieu », « coupé des réal­ités » où tout le monde pense la même chose et qui « gagne un argent fou ». Aucun des « bons samar­i­tains » qui « don­nent des leçons à la terre entière » n’acceptera de répon­dre à la ques­tion de NDA sur le mon­tant de son salaire.

Élection présidentielle 2017 : NDA quitte subitement le plateau de TF1

Lors de la cam­pagne élec­torale de 2017, NDA est invité le 18 mars au jour­nal de 20 heures de TF1. Au lieu de répon­dre aux ques­tions de la jour­nal­iste, il annonce qu’il va quit­ter le plateau de télévi­sion pour pro­test­er con­tre les invi­ta­tions lim­itées à 5 can­di­dats au pre­mier débat télévisé de l’élection prési­den­tielle sur TF1. Cette sor­tie provo­quera un « buzz » dans les réseaux soci­aux et une audi­ence « virale » de l’extrait vidéo du jour­nal télévisé. Revenant sur cet événe­ment dans son récent livre « Résis­tance », NDA écrit : « j’avais l’impression de par­ticiper à un match truqué, dans l’indifférence des spec­ta­teurs qui bien sûr ne pou­vaient pas se ren­dre compte à quel point les dés étaient pipés. Afin de me don­ner un lot de con­so­la­tion, TF1 m’invita au jour­nal de 20h. J’en prof­i­tais pour quit­ter le plateau en plein inter­view. (…). En revenant dans ce salon feu­tré, je croi­sais les respon­s­ables de cette chaine blêmes qui ne pou­vaient imag­in­er qu’un homme poli­tique ose les défi­er ain­si. Le temps apais­era nos rela­tions, mais je sens que les cica­tri­ces demeurent ».

L’alliance de NDA avec Marine Le Pen lors du deux­ième tour de l’élection prési­den­tielle ravivera ces cica­tri­ces : la fameux « front répub­li­cain » imag­iné par François Mit­ter­rand visant à mar­gin­alis­er une par­tie de la droite, ravivé pour l’occasion, n’arrangera pas les rela­tions avec les jour­nal­istes, et cela bien au-delà des élec­tions de cette année 2017.

On n’est pas couché : les bobos parisiens piqués à vif

Le 23 juin 2018, NDA est invité par Lau­rent Ruquier à son émis­sion « On n’est pas couché ». Très vite, le débat s’emballe. C’est d’abord Lau­rent Ben­gui­gi qui se scan­dalise quand NDA affirme qu’une pri­or­ité est par­fois don­née aux migrants par rap­port aux Français dans l’attribution des loge­ments soci­aux. Ce que le gou­verne­ment qual­i­fie pour­tant en toute trans­parence dans une récente cir­cu­laire de « cap­ta­tion » de loge­ments. C’est ensuite Chris­tine Angot qui réag­it vio­lem­ment quand NDA évoque l’éventualité de l’installation d’un camp de migrants près de chez elle, « au jardin du Lux­em­bourg ». Puis NDA s’en prend col­lec­tive­ment à ses inter­locu­teurs en les qual­i­fi­ant de « petite caste ». Le « débat » tourne à l’affrontement ver­bal quand Lau­rent Ruquier assène : « vous êtes pire que Madame Le Pen » et con­clue ensuite sèche­ment « taisez-vous ! ».

C à vous : Patrick Cohen menace de partir… et se rassoit

Le 6 mars 2019, NDA est invité à l’émission « C à vous ». L’animatrice, Car­o­line Roux, intro­duit le débat en se focal­isant sur la baisse de la liste de NDA aux élec­tions européennes dans les sondages…par rap­port aux sondages précé­dents. Il aurait égale­ment été pos­si­ble de com­par­er les sondages actuels de la liste de NDA avec les résul­tats des dernières élec­tions européennes. Mais les jour­nal­istes ne sont pas là pour jouer les « cireurs de pom­pes » (sic). Tout se passe un peu vive­ment mais « nor­male­ment » jusqu’à ce qu’un débat sur la posi­tion d’Emmanuel Macron sur le CETA, le traité de libre-échange entre le Cana­da et l’Union européenne, s’engage avec Patrick Cohen. Alors que le jour­nal­iste d’Europe 1 vante les mérites de ce traité, NDA qual­i­fie les chiffres mis en avant de « pro­pa­gande », P. Cohen s’exclame « si vous com­mencez à par­ler de pro­pa­gande de chiffres offi­ciels, on ne veut pou­voir par­ler de rien du tout ». Puis le jour­nal­iste lance à NDA que ses argu­ments sur le tra­vail détaché en France sont les mêmes que ceux que l’on a don­né aux anglais avant le vote sur le Brex­it. NDA reprend son argu­men­taire : « le prob­lème d’Emmanuel Macron, c’est qu’il lance avec toute la pro­pa­gande télévi­suelle et les servi­teurs du pou­voir comme vous… » . Car­o­line Roux l’interrompt et lui lance « vous n’avez pas le droit de dire ça ». Pierre Les­cure prend à son tour la défense de P. Cohen, qui affirme que « c’est de la diffama­tion ». Car­o­line Roux veut con­clure en affir­mant « Nous ne pou­vons pas con­tin­uer cette inter­view de cette façon-là ». NDA évoque alors l’impopularité de cer­tains jour­nal­istes et les français choqués des dif­férences de traite­ment entre les par­tis poli­tiques. L’émission se ter­mine en argu­ments lancés d’un côté et de l’autre jusqu’à ce que Car­o­line Roux mette un terme à l’interview. Nous avions con­sacré un arti­cle le 11 mars 2019 à l’affaire.

Infotainment : y aller ou pas ?

Ces joutes ver­bales amè­nent à s’interroger sur les émis­sions d’ « info­tain­ment » (infor­ma­tion-diver­tisse­ment) aux­quelles les poli­tiques sont fréquem­ment invités.

Depuis les années 80, des hommes et femmes poli­tiques par­ticipent fréquem­ment à des émis­sions de diver­tisse­ment. La grande époque des émis­sions de Thier­ry Ardis­son, Christophe Decha­vanne, Philippe Gildas, etc. a en quelque sorte lancé le genre. L’objectif des poli­tiques qui y par­ticipent est d’avoir une audi­ence auprès des téléspec­ta­teurs qui ne regar­dent pas les émis­sions poli­tiques tra­di­tion­nelles. L’audimat étant devenu rapi­de­ment l’alpha et l’oméga des pro­duc­teurs, les jour­nal­istes essaient d’amener les poli­tiques à faire des con­fi­dences et à par­ler de leur vie privée. A l’approche d’élections, les sondages sur les inten­tions de vote pren­nent une impor­tance gran­dis­sante. Il s’agit sou­vent de com­menter les derniers sondages par rap­port … aux sondages plus anciens. L’écume de la vie poli­tique devient un sujet en soi. Pour gag­n­er de l’audience et sus­citer l’intérêt des téléspec­ta­teurs, les ani­ma­teurs essayent par­fois, sou­vent de façon sélec­tive, de désta­bilis­er leurs invités en les inter­rompant sys­té­ma­tique­ment. Il s’agit de les amen­er à répon­dre spon­tané­ment, voire à dérap­er, en sor­tant du cadre de la com­mu­ni­ca­tion pré­parée. Le déra­page per­me­t­tra à l’émission de gag­n­er en notoriété. Cette « spec­tac­u­lar­i­sa­tion » des émis­sions invi­tant des poli­tiques ren­voie à une ques­tion que ceux-ci se posent imman­quable­ment : y aller ou pas ?

En l’espace de 12 min­utes lors de l’émission C à vous du 6 mars 2019, Patrick Cohen porte la con­tra­dic­tion à NDA sur pas moins de 4 sujets : les tra­vailleurs détachés, le traité de libre-échange dénom­mé Ceta, le Brex­it et le Traité de Mar­rakech. Que peut-il ressor­tir d’un tel nom­bre de sujets évo­qués dans un temps si court, si ce n’est au mieux des général­ités, au pire des clichés ? En ne per­me­t­tant pas un débat un tant soit peu con­stru­it sur cha­cun de ces sujets, en inter­rompant son inter­locu­teur et en essayant de le désta­bilis­er, l’objectif n’est-il pas que l’interview dérape, au plus grand béné­fice de l’audimat ? Mais pour le poli­tique, ne pas aller dans ce type d’émission, c’est se priv­er de vis­i­bil­ité auprès d’un large pub­lic. Cru­el dilemme…

En dépit de ces échanges vifs, il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour un cer­tain clergé médi­a­tique. Dès le lende­main de l’éviction de NDA du plateau de télévi­sion, Car­o­line Roux util­i­sait son émis­sion C dans l’air pour pren­dre la défense de P. Cohen et de ses argu­ments. Faute d’avoir pu être exposée lors de l’émission C dans l’air ou dans un droit de réponse, la posi­tion de NDA sur le CETA fig­ure …sur son blog. Un arti­cle de 2 319 mots : un roman fleuve au regard du for­mat de C à vous, une émis­sion plus habituée aux plaisan­ter­ies enten­dues et à l’entre-soi parisien qu’au débat de fond.

Comme pour con­firmer le par­ti pris de France 5, un doc­u­men­taire sur « la ten­ta­tion pop­uliste » était dif­fusé le 19 mars. S’il y avait des doutes sur le par­ti pris des jour­nal­istes de la chaine, ils sont dis­sipés : l’émission est un nou­veau mod­èle du genre dans l’édification des con­sciences. Le camp du bien, des « pro­gres­sistes », y est claire­ment iden­ti­fié, tout comme la « ten­ta­tion » pop­uliste, présen­tée comme un péril irra­tionnel et xéno­phobe. Sur le même sujet, voir notre arti­cle con­sacré à Fran­ce­In­fo.

Les qual­i­fi­cat­ifs que NDA a employés à l’égard de cer­tains jour­nal­istes (« édi­to­ri­al­istes de bazar », « bons samar­i­tains », « petite caste », « servi­teurs du pou­voir ») lors de dif­férentes émis­sions ont mené à l’affrontement ver­bal. Mais ces accu­sa­tions, même si elles coupent court aux échanges, ne trou­vent-elles pas un écho favor­able auprès d’une par­tie des téléspec­ta­teurs lassée d’un dis­cours mono­chrome sur les ondes et les écrans, pour résumer, invari­able­ment europhile, libéral-lib­er­taire et pro-immi­gra­tion ? Et si à défaut de pou­voir dis­sert­er sérieuse­ment sur les affaires publiques, il était impor­tant que de temps en temps, ces choses-là fussent dites, même de façon abrupte ?