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La manipulation des algorithmes, moyen de dominer l’information ?

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16 août 2021

Temps de lecture : 7 minutes
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La manipulation des algorithmes, moyen de dominer l’information ?

Temps de lecture : 7 minutes

Red­if­fu­sion esti­vale. Pre­mière dif­fu­sion le 18 mai 2021

Les algorithmes, surutilisés et sophistiqués par les GAFAM permettent de manière subtile le « shadowing » (de shadow, ombre en anglais), en clair de mettre dans la soute une information « négative » ou – a contrario – de mettre au grand soleil une information dite « positive ». Nous reproduisons un article de Caitlin Johnstone paru sur son blog le 4 mai 2021.

La manip­u­la­tion des algo­rithmes de la Sil­i­con Val­ley est la seule chose qui main­tient les médias grand pub­lic en vie.

L’émer­gence d’In­ter­net a été accueil­lie avec espoir et ent­hou­si­asme par des per­son­nes qui avaient com­pris que les grands médias con­trôlés par les plouto­crates manip­u­laient l’opin­ion publique pour fab­ri­quer un con­sen­te­ment au statu quo. La démoc­ra­ti­sa­tion du partage de l’in­for­ma­tion allait don­ner nais­sance à une con­science publique éman­cipée de la dom­i­na­tion du con­trôle nar­ratif plouto­cra­tique, ouvrant ain­si la pos­si­bil­ité d’un change­ment révo­lu­tion­naire des sys­tèmes cor­rom­pus de notre société.

Mais cela ne s’est jamais pro­duit. L’u­til­i­sa­tion d’In­ter­net est dev­enue courante dans le monde entier et l’hu­man­ité est capa­ble de se met­tre en réseau et de partager des infor­ma­tions comme jamais aupar­a­vant. Mais nous restons fer­me­ment sous la coupe des mêmes struc­tures de pou­voir qui nous gou­ver­nent depuis des généra­tions, tant sur le plan poli­tique que psy­chologique. Même les insti­tu­tions médi­a­tiques dom­i­nantes sont en quelque sorte tou­jours les mêmes.

Alors qu’est-ce qui a mal tourné ? Plus per­son­ne n’achète de jour­naux, les audi­ences de la télévi­sion et de la radio dimin­u­ent. Com­ment est-il pos­si­ble que ces mêmes insti­tu­tions oli­garchiques impéri­al­istes con­trô­lent encore la façon dont la plu­part des gens pensent à leur monde ?

La réponse est la manip­u­la­tion des algorithmes.

Le mois dernier, une inter­view très instruc­tive a vu le PDG de YouTube, qui appar­tient à Google, dis­cuter franche­ment de la façon dont la plate­forme utilise les algo­rithmes pour élever les médias tra­di­tion­nels et sup­primer les con­tenus indépendants.

Lors du som­met mon­di­al sur la gou­ver­nance tech­nologique 2021 du Forum économique mon­di­al, Susan Woj­ci­c­ki, PDG de YouTube, a expliqué à Nicholas Thomp­son, PDG d’Atlantic, que si la plate­forme per­met tou­jours aux vidéos artis­tiques et de diver­tisse­ment d’avoir les mêmes chances de devenir virales et d’obtenir un grand nom­bre de vues et d’abon­nés, dans des domaines impor­tants comme les médias d’in­for­ma­tion, elle priv­ilégie arti­fi­cielle­ment les “sources faisant autorité”.

Ce que nous avons fait, c’est vrai­ment affin­er nos algo­rithmes pour nous assur­er que nous don­nons tou­jours aux nou­veaux créa­teurs la pos­si­bil­ité d’être trou­vés lorsqu’il s’ag­it de musique, d’hu­mour ou de quelque chose de drôle”, a déclaré Woj­ci­c­ki. “Mais lorsqu’il s’ag­it de domaines sen­si­bles, nous devons vrai­ment adopter une approche différente.”

Woj­ci­c­ki a déclaré qu’en plus d’in­ter­dire les con­tenus jugés préju­di­cia­bles, YouTube a égale­ment créé une caté­gorie appelée “con­tenu lim­ite” qu’il déclasse de manière algo­rith­mique afin qu’il n’ap­pa­raisse pas comme une vidéo recom­mandée aux spec­ta­teurs intéressés par ce sujet :

Lorsque nous traitons de l’in­for­ma­tion, nous voulons nous assur­er que les sources que nous recom­man­dons sont des infor­ma­tions fiables, de la sci­ence médi­cale, etc. Nous avons égale­ment créé une caté­gorie de con­tenu plus lim­ite, dans laque­lle nous voyons par­fois des gens qui regar­dent du con­tenu de moin­dre qual­ité et lim­ite. Nous voulons donc faire atten­tion à ne pas trop recom­man­der ces con­tenus. Il s’ag­it donc d’un con­tenu qui reste sur la plate­forme mais que nous ne recom­man­dons pas. Nos algo­rithmes ont donc défini­tive­ment évolué en ter­mes de traite­ment de tous ces dif­férents types de contenu.”

Le com­men­ta­teur pro­gres­siste Kyle Kulin­s­ki a pub­lié une bonne vidéo pour réa­gir aux com­men­taires de Woj­ci­c­ki, dis­ant qu’il pense que sa chaîne (tout à fait inof­fen­sive) a été classée dans la caté­gorie “lim­ite” parce que ses vues et ses nou­veaux abon­nés ont soudaine­ment con­nu une chute spec­tac­u­laire et inex­plic­a­ble. Kulin­s­ki rap­porte que du jour au lende­main, il est passé de dizaines de mil­liers de nou­veaux abon­nements par mois à peut-être un millier.

Les gens sont allés sur YouTube pour échap­per aux bêtis­es qu’ils voient sur les chaînes d’in­for­ma­tion câblées et à la télévi­sion, et main­tenant YouTube veut devenir les chaînes d’in­for­ma­tion câblées et la télévi­sion”, explique M. Kulin­s­ki. “Les gens vien­nent ici pour échap­per à cela et vous allez les gaver de ce qu’ils fuient comme CNN, MSNBC et Fox News.”

Il n’est pas ter­ri­ble­ment sur­prenant d’en­ten­dre Susan Woj­ci­c­ki admet­tre avoir élevé les médias de l’empire oli­garchique au rang de PDG d’une pub­li­ca­tion néo­con­ser­va­trice au Forum économique mon­di­al. Elle est issue du même milieu de ges­tion d’empire d’élite que tous les ges­tion­naires d’empire qui ont été placés à la tête de médias grand pub­lic par leurs pro­prié­taires plouto­cra­tiques, puisqu’elle est allée à Har­vard après avoir été lit­térale­ment élevée sur le cam­pus de l’u­ni­ver­sité de Stan­ford dans son enfance. Sa sœur Anne est la fon­da­trice de la société de tests géné­tiques 23andMe et elle était mar­iée au cofon­da­teur de Google, Sergey Brin.

Google lui-même utilise égale­ment des algo­rithmes pour boost­er arti­fi­cielle­ment les médias main­stream dans ses recherch­es. En 2017, World Social­ist Web­site (WSWS) a com­mencé à doc­u­menter le fait qu’il, ain­si que d’autres médias de gauche et anti-guerre, avait soudaine­ment con­nu une baisse spec­tac­u­laire du traf­ic provenant des recherch­es Google. En 2019, le Wall Street Jour­nal a con­fir­mé les affir­ma­tions de WSWS, rap­por­tant que : “Bien qu’il nie publique­ment le faire, Google tient des listes noires pour sup­primer cer­tains sites ou empêch­er d’autres de faire sur­face dans cer­tains types de résul­tats.” En 2020, le PDG d’Al­pha­bet, la société mère de Google, a admis avoir cen­suré WSWS lors d’une audi­tion au Sénat, en réponse à la sug­ges­tion d’un séna­teur selon laque­lle Google ne cen­sure que les con­tenus de droite.

Google, pour mémoire, est finan­cière­ment imbriqué avec les agences de ren­seigne­ment améri­caines depuis sa créa­tion, lorsqu’il a reçu des sub­ven­tions de recherche de la CIA et de la NSA. La société déverse des sommes con­sid­érables dans le lob­by­ing fédéral et les groupes de réflex­ion de Wash­ing­ton, entre­tient des rela­tions étroites avec la NSA et a tou­jours été un four­nisseur de ser­vices de ren­seigne­ment militaire.

Ensuite, il y a Face­book, où un tiers des Améri­cains s’in­for­ment régulière­ment. Face­book est un peu moins évasif en ce qui con­cerne ses pra­tiques de cen­sure imposant le statu quo, et fait ouverte­ment appel à la société de ges­tion nar­ra­tive impéri­al­iste The Atlantic Coun­cil, financée par les gou­verne­ments et les plouto­crates, pour l’aider à déter­min­er le con­tenu à cen­sur­er et celui à pro­mou­voir. Face­book a déclaré que si ses “vérifi­ca­teurs de faits”, tels que The Atlantic Coun­cil, jugent une page ou un domaine coupable de dif­fuser de fauss­es infor­ma­tions, il “réduira con­sid­érable­ment la dis­tri­b­u­tion de l’ensem­ble de son con­tenu au niveau de la page ou du domaine sur Facebook”.

Tout l’empilement d’al­go­rithmes par les géants dom­i­nants de la dis­tri­b­u­tion d’in­for­ma­tions, Google et Face­book, garan­tit égale­ment que les plate­formes et les reporters grand pub­lic auront beau­coup plus de fol­low­ers que les médias indépen­dants sur des plate­formes comme Twit­ter, puisqu’un arti­cle qui a été arti­fi­cielle­ment ampli­fié recevra beau­coup plus de vues et donc beau­coup plus de clics sur leurs infor­ma­tions dans les médias soci­aux. Les employés des médias de masse ont ten­dance à se regrouper et à s’am­pli­fi­er mutuelle­ment sur Twit­ter, ce qui ne fait qu’ex­ac­er­ber le fos­sé. Pen­dant ce temps, des voix de gauche et anti-guerre, dont je fais par­tiese plaig­nent depuis des années que Twit­ter lim­ite arti­fi­cielle­ment le nom­bre de leurs followers.

S’il n’y avait pas eu ces actes délibérés de sab­o­tage et de manip­u­la­tion de la part des méga­cor­po­ra­tions de la Sil­i­con Val­ley, les grands médias qui nous ont trompés en nous entraî­nant dans une guerre après l’autre et qui fab­riquent le con­sen­te­ment à un statu quo oppres­sif auraient été rem­placés par des médias indépen­dants depuis des années. Ces géants de la tech­nolo­gie sont le sys­tème de survie de la pro­pa­gande des médias mainstream.

Tra­duc­tion : Crashde­bug. L’article com­plet en anglais caityjohnstone.medium.com