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Mai 68/Mai 2018 : à Radio France, les bourgeois bohèmes ont retrouvé leurs ancêtres

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24 avril 2018

Temps de lecture : 6 minutes
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Mai 68/Mai 2018 : à Radio France, les bourgeois bohèmes ont retrouvé leurs ancêtres

Temps de lecture : 6 minutes

L’année 2018 est celle de la commémoration des 50 ans de 1968, moment fondateur de la société bobo libérale libertaire et de ses centres de pouvoir, dont le pouvoir médiatique. Radio France étant au cœur du dispositif idéologique de ce pouvoir, il n’est pas surprenant que ce soit « Mai 68 partout, décence nulle part ! »

La France étant encore (?) une démoc­ra­tie dans laque­lle équili­bre des pou­voirs, tolérance, lib­erté d’expression (?) et d’opinion fondent la vie poli­tique, cul­turelle et médi­a­tique, il n’est pas inter­dit de com­mé­mor­er les événe­ments de Mai 68. Rien que de très nor­mal, le mot « com­mé­mor­er » sig­nifi­ant « rap­pel­er par une céré­monie le sou­venir d’une per­son­ne ou d’un événe­ment », un verbe qui est donc dif­férent de « célébr­er », lequel veut quant à lui dire « accom­plir solen­nelle­ment » ou « mar­quer un événe­ment par une céré­monie ».

La France com­mé­more donc Mai 68, elle n’est pas cen­sée célébr­er l’événement, autrement dit le pays ne prend pas par­ti en se sou­venant. Ni son État, et donc pas plus sa radio d’État. C’est pourquoi le comité en charge des com­mé­mora­tions de 2018 avait aus­si prévu nom­bre d’autres moments de sou­venir, au sujet de Charles Mau­r­ras par exem­ple. Une mesquine polémique a pour­tant con­duit à retir­er Mau­r­ras de la série des com­mé­mora­tions prévues, avec l’assentiment de la Min­istre de la Cul­ture, à jeter au pilon les cen­taines de mil­liers d’agendas des com­mé­mora­tions déjà édités et à regarder le comité démis­sion­ner en bloc. La con­fu­sion règne donc : Mau­r­ras est mis à la porte des com­mé­mora­tions 2018, bien qu’ayant 150 ans cette année, car le libéral libéral­isme ambiant con­fond les verbes « com­mé­mor­er » et « célébr­er », en par­ti­c­uli­er sur les antennes radio du ser­vice pub­lic, lesquelles ont ample­ment relayé la voix des per­son­nes choquées par l’existence de ce sim­ple nom, « Maurras ».

Ces mêmes antennes, dans le même élan de con­fu­sion, organ­isent trois mois de célébra­tion de Mai 68… Au nom de la lib­erté, bien enten­du, et sous l’égide d’une expo­si­tion con­sacrée à « Mai 68 à l’ORTF », expo­si­tion dont l’affiche reprend une affiche de 68 mon­trant une voix bâil­lon­née à la radio… Per­son­ne chez Radio France ne sem­ble s’apercevoir que le bâil­lon est en réal­ité aujourd’hui imposé aux voix rejetées par le pou­voir dom­i­nant, à com­mencer par ces mêmes médias d’État.

Demandez le programme

Ce n’est pas dif­fi­cile : en ce pre­mier semes­tre 2018, Mai 68 est partout sur les antennes de Radio France. À croire que cet événe­ment récent a joué un rôle aus­si impor­tant, sans souci de hiérar­chie et juste pour l’exemple, de Sumer, les Pharaons, Rome, Athènes, Ver­dun, 1492 ou Michel-Ange… Quelques enfants de bonne bour­geoisie en mal de lib­ertés et avides de « moder­nité », soucieux d’entrer dans le dor­toir des filles, c’est un peu cela Mai 68. C’est aus­si cela, la majorité des médias français, et en par­ti­c­uli­er sur France Inter, Fran­ce­in­fo ou France cul­ture ; au fond, les bour­geois bohèmes qui peu­plent les antennes de Radio France ont retrou­vé leurs ancêtres Cro-Magnon du quarti­er latin, le tout dans un esprit de célébra­tion qui, selon plusieurs sources de l’OJIM, paraît déplacé même dans les salles des pro­fesseurs des lycées de l’Éducation Nationale, c’est dire. Radio France ne com­mé­more pas Mau­r­ras. La radio d’État ne com­mé­more pas plus Mai 68 : elle le célèbre, dans la plus pure tra­di­tion du culte de la per­son­nal­ité, pour le coup appliqué à un événe­ment et non plus ici à un indi­vidu (même FIP est de la par­tie avec une émis­sion en qua­tre volets inti­t­ulée « Mag­nifip »). Le com­porte­ment est cepen­dant le même. Un exem­ple au hasard.

Allô ? Les bobos 2018 parlent aux bobos 68

France Inter con­sacrait ain­si à Mai 68 « Une semaine spé­ciale du 17 au 24 mars » (pour info, le mou­ve­ment de 68 aurait débuté le 22 mars), présen­tée de cette façon : « Une semaine con­sacrée aux évène­ments de mai 68 : ni com­mé­mora­tion, ni célébra­tion mais une réflex­ion sur ce mou­ve­ment social qui a per­mis à la France, de se mod­erniser, de se réformer en pro­fondeur. Une semaine joyeuse et inven­tive au cours de laque­lle la parole, les témoignages, les réac­tions des audi­teurs sont sol­lic­ités ». « Ni com­mé­mora­tion, ni célébra­tion » dit-on mais… tout de même… le mou­ve­ment « social » à l’origine de la mod­erni­sa­tion et des réformes « en pro­fondeur » de la France. Con­tra­dic­tion fla­grante en l’espace de qua­tre lignes qui sym­bol­isent à elles seules ce qu’est juste­ment le bobo depuis 68 : le ten­ant du camp du Bien. Sur fond de fes­tiv­ités. Par­mi les nom­breuses émis­sions con­sacrées à Mai 68, durant cette semaine qui ne célébrait ni ne com­mé­morait tout en célébrant vive­ment, la Mati­nale n’a pas été en reste. Il est vrai qu’elle est dirigée par Léa Salamé et Nico­las Demor­and, pour le coup par­fois rem­placés (pour cause de mal de dos et avec jour de carence sup­pose-t-on) par Ali Bad­dou, sur­geons qua­si car­i­cat­u­raux de l’état d’esprit bobo en par­tie issu de Mai 68 et qui ne risquent pas d’être cri­tiqués pour un engage­ment cri­tique vis-à-vis de ce mois. Du coup, du 17 au 24 mars, de grandes par­ties de la Mati­nale célébraient 68, dont par exem­ple le « zoom de la rédac­tion » de 7 h 16. Un sim­ple exem­ple réelle­ment pris au hasard, pour ne pas abuser de la patience du lecteur, laque­lle dure juste­ment depuis 50 ans tant la majeure par­tie des médias est colonisée par l’esprit 68 :

19 mars, Mai 68 et l’évolution de l’enseignement

Ques­tions de départ (lues par Bad­dou) : « peut-on par­ler de révo­lu­tion éduca­tive, est-ce que les change­ments étaient déjà en germe dans les années 60 ? ». La parole est à Sonia Bourane, et à des témoins qui expliquent que le mal était dans le « par cœur » de l’apprentissage ou dans le fait « qu’il était hors de ques­tion de con­tester quoi que ce soit, en his­toire par exem­ple »« Il y avait un point de vue qui était celui du manuel sco­laire »« et que dire de la dis­ci­pline : on s’alignait deux par deux avant de ren­tr­er en cours »… Les enseignants aus­si aspi­raient à plus de « lib­erté » dit Bad­dou, c’était le début de « la démoc­ra­ti­sa­tion » insiste Bourane. Témoin, une femme enseignante : « Plus d’estrade. Le pro­fesseur n’était plus au-dessus des élèves, il était devenu l’égal des élèves » (tré­mo­lo ému dans la voix), « on a fait dis­paraître les notes, plus de com­po­si­tion, for­mi­da­ble, et plus de classe­ment, on s’est mis à com­pren­dre qu’il fal­lait don­ner un enseigne­ment dif­férent… ». Bad­dou : « Les change­ments sont rapi­des, très rapi­des ». Sen­ti­ment d’ensemble : 68 a révo­lu­tion­né l’éducation sco­laire, selon les car­ac­téris­tiques citées plus haut. Un sim­ple coup d’œil sur l’état actuel de l’école, à Stains par exem­ple ou ailleurs, sur des élèves — dont tout le monde recon­naît qu’ils ne savent mas­sive­ment plus ni lire, ni écrire ni compter — devrait intro­duire quelque dis­tance dans les pro­pos. Après mai 68, avec les réformes mis­es en œuvre, lire, écrire, compter, devi­en­nent de sim­ples souhaits et non plus une réal­ité. Ne comp­tons pas sur France Inter et une par­tie de ses jour­nal­istes pour le dire. Pour eux, en Mai 68 tout le monde s’est « retourné con­tre un sys­tème sco­laire archaïque ». Tout audi­teur ayant des enfants sco­lar­isés et tout lecteur de l’OJIM étant dans la même sit­u­a­tion aura un peu de dif­fi­culté pour com­mu­nier avec France Inter, à la Gloire de mai 68 en général et de sa révo­lu­tion éduca­tive en particulier.